Lien du flux RSS
Travail, Droits humains, Culture, Développement, Environnement, Politique, Économie, dans une perspective de justice sociale.

Accès libre Edition trilingue Anglais - Espagnol - Français

▸ les 20 dernières parutions

29.04.2025 à 12:22

Inclusion professionnelle des personnes handicapées : de l'expérience à la pratique établie (aux gains économiques avérés) en trois étapes

img

Pour la plupart des gens, la journée de travail commence par les rituels quotidiens : se lever, s'organiser et affronter les embouteillages ou les transports en commun pour se rendre au travail. Mais, pour Felisa Alí Ramos, représentante du réseau Vida Independiente Bolivia (Revibo), la journée démarre avec un défi supplémentaire. Elle dépend d'un fauteuil roulant pour se déplacer.
La difficulté ne se limite pas seulement à son accès au travail mais conditionne aussi, en grande partie, son (…)

- Actualité / , , , , ,
Texte intégral (2514 mots)

Pour la plupart des gens, la journée de travail commence par les rituels quotidiens : se lever, s'organiser et affronter les embouteillages ou les transports en commun pour se rendre au travail. Mais, pour Felisa Alí Ramos, représentante du réseau Vida Independiente Bolivia (Revibo), la journée démarre avec un défi supplémentaire. Elle dépend d'un fauteuil roulant pour se déplacer.

La difficulté ne se limite pas seulement à son accès au travail mais conditionne aussi, en grande partie, son expérience au jour le jour. En arrivant au bureau, Felisa doit non seulement s'acquitter de ses responsabilités professionnelles, mais elle doit également s'assurer que son environnement est accessible et adapté à ses besoins.

« Quand j'ai eu mon accident, ma vie a complètement basculé [...]. Pendant des années, j'ai perdu l'envie de vivre, mais les difficultés matérielles au sein de mon ménage m'ont décidée à aller de l'avant », confie-t-elle depuis son bureau, au siège du réseau Revibo, d'où elle mène son combat pour une véritable inclusion professionnelle des personnes en situation de handicap dans son pays.

Malgré certaines avancées législatives en Amérique latine, les personnes handicapées continuent à faire face à d'importantes inégalités en matière d'emploi. L'accès à un emploi décent et à des conditions de travail équitables relève d'une lutte permanente. Pour Felisa, la difficulté n'était pas seulement d'ordre physique, mais aussi social. La discrimination, l'ignorance et le manque d'aménagements constituaient des obstacles invisibles mais bien réels.

« [Je me souviens] que lorsque j'ai postulé pour un emploi auprès d'une collègue, son attention s'est portée davantage sur mon fauteuil roulant que sur ma formation universitaire. Cela m'a profondément blessée. Au fond de moi, je me suis dit : “Non, je peux y arriver, et je vais créer mon propre emploi” », raconte-t-elle.

Avant l'accident, Felisa avait suivi une formation d'assistante sociale et, malgré les difficultés, elle ne s'est pas laissée décourager par les barrières physiques. Son récit met toutefois en lumière une réalité beaucoup plus complexe : la discrimination à laquelle font face les personnes en situation de handicap ne se reflète pas seulement dans les barrières physiques, mais aussi dans les regards, le manque d'empathie et les préjugés, qui sont souvent invisibles pour les personnes qui ne vivent pas cette réalité.

De la brèche de l'emploi à la conscientisation

Selon les données recueillies par la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), les personnes handicapées représentent 15 % de la population mondiale, soit près d'un milliard de personnes. En Amérique latine, quelque 85 millions de personnes vivent avec un handicap, si l'on tient compte des handicaps liés au vieillissement. Selon la Banque interaméricaine de développement (BID), compte tenu du « vieillissement accéléré de la population au niveau de la région », ce chiffre pourrait atteindre 150 millions d'ici 2050.

Dans le monde du travail, malgré une prise de conscience accrue de l'importance de l'inclusion ces dernières années, les écarts restent considérables. Les personnes en situation de handicap sont plus susceptibles de connaître le chômage. Parallèlement, dans de nombreux pays de la région, les taux de scolarisation des personnes de cette catégorie sont considérablement plus faibles. De fait, elles ont au moins 20 % plus de probabilité que la population générale de ne pas étudier ni travailler. Cette brèche ne se limite pas à l'accès à l'emploi, mais reflète aussi la façon dont ces personnes sont condamnées à un avenir prévisible, avec des perspectives limitées.

Stefan Tromel, spécialiste principal en matière de handicap à l'Organisation internationale du travail (OIT), souligne que les jeunes en situation de handicap sont confrontés à des taux de chômage beaucoup plus élevés que leurs pairs sans handicap. À cela s'ajoutent l'écart salarial lié au genre et le taux élevé de travail informel, qui sont encore plus prononcés pour les personnes de cette catégorie.

« Voilà pourquoi notre message en faveur d'un travail digne et décent est si important. Il ne s'agit pas seulement d'avoir un emploi, mais de garantir que les personnes handicapées aient les mêmes chances d'accéder à des emplois de meilleure qualité et mieux rémunérés », souligne-t-il.

« Une statistique qui nous préoccupe particulièrement est que le taux de jeunes en situation de handicap qui ne sont ni employés, ni en formation, ni scolarisés est deux fois plus élevé que celui des jeunes sans handicap », ajoute M. Tromel, soulignant ainsi la profonde exclusion de ce groupe des systèmes d'emploi et d'éducation.

De plus, les obstacles à l'intégration professionnelle des personnes en situation de handicap sont divers et complexes. M. Tromel fait remarquer que ces obstacles vont au-delà de l'emploi proprement dit et englobent des problèmes d'accessibilité dans les transports publics, les bâtiments et même les sites web [monde numérique]. Il souligne aussi l'absence de systèmes de protection sociale adéquats et, dans certains cas, des problèmes légaux liés aux capacités juridiques. Tous ces facteurs ont une incidence directe sur l'insertion professionnelle de ces personnes.

Par ailleurs, beaucoup d'entreprises n'ont pas prévu les aménagements nécessaires pour garantir leur inclusion professionnelle sur un pied d'égalité, ce qui a pour conséquence de perpétuer leur exclusion. À cela s'ajoute l'absence de programmes de formation professionnelle adaptés aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. La plupart de ces programmes, même s'ils existent, ne sont pas conçus selon des approches réalistes facilitant leur insertion effective sur le marché du travail. Comme a souligné M. Tromel lors de son entretien avec Equal Times : « Dans certains cas, les formations professionnelles s'adressent spécifiquement aux personnes handicapées qui, normalement, n'ont pas, pour ainsi dire, d'attente particulière quant à la possibilité que cela débouche sur un emploi [réel]. »

Víctor Hugo León Tenorio, membre de la Commission juridique du Réseau latino-américain des organisations non gouvernementales des personnes handicapées et de leurs familles (RIADIS), souligne aussi : « Malheureusement, le handicap tend à n'être associé qu'à l'utilisation du fauteuil roulant, alors qu'il existe différents types de handicap, chacun avec des besoins spécifiques qui nécessitent des adaptations au niveau de l'espace de travail, comme le langage des signes, JAWS et les sols tactiles, pour ne citer que quelques exemples. Mais cela peut bien sûr entraîner des coûts. D'autre part, il est un fait que beaucoup d'entreprises continuent de reléguer les personnes handicapées à des tâches telles que la réception téléphonique ou la conciergerie, ce qui exige de notre part un travail de sensibilisation continu. »

L'inclusion professionnelle, un vecteur d'opportunités pour les entreprises

Ces dernières décennies, toutefois, les entreprises de la région ont commencé à reconnaître l'inclusion professionnelle des personnes handicapées non seulement comme une obligation éthique, mais aussi comme une stratégie clé pour améliorer la compétitivité, promouvoir des environnements plus inclusifs et résilients et, surtout, enrichir leur capital humain.

Fernando Carotta Derudder, codirecteur exécutif du Réseau des entreprises inclusives pour l'Argentine et l'Uruguay, souligne que ce réseau répond à un objectif clair : « Promouvoir un emploi décent pour les personnes handicapées ». Selon M. Carotta, cette initiative a vocation à réduire les taux de chômage et à fournir aux entreprises les outils nécessaires pour faciliter l'intégration professionnelle des personnes en situation de handicap. Il insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas seulement de créer de nouvelles possibilités d'emploi, mais aussi de garantir à ces travailleurs l'accès à un développement professionnel dans des conditions d'égalité et d'équité. Cela, souligne-t-il, dépend en grande partie d'une formation et d'un apprentissage adéquats, facteurs clés pour leur pleine intégration dans le monde du travail.

Cependant, le processus d'intégration professionnelle n'est pas toujours simple. À ce propos, M. Carotta indique que le travail du réseau requiert une attention minutieuse à chaque étape du processus d'intégration. « Il y a lieu d'être très prudent à l'heure de répondre aux attentes des entreprises, car la moindre erreur à n'importe quelle étape peut leur faire changer d'avis et abandonner l'initiative », souligne-t-il. Il reconnaît que certaines entreprises ont amorcé des processus d'inclusion professionnelle, mais elles se sont heurtées à des difficultés qui ont compliqué la poursuite de ces processus à court ou à moyen terme.

« Le défi est de taille, et il est essentiel de bien préparer les équipes. Souvent, les processus d'insertion échouent parce que la personne [en situation de handicap] est affectée à un service où les responsables, les chefs, les supérieurs hiérarchiques et les collègues ne sont pas préparés à son arrivée. Et c'est là qu'il faut éliminer les stigmates et venir à bout des préjugés. [C'est pourquoi] la formation et la sensibilisation des équipes de travail sont fondamentales », a-t-il souligné.

L'une des principales difficultés auxquelles se heurtent les petites et moyennes entreprises tient au manque de ressources et de structures adaptées pour relever le défi de l'inclusion. M. Carotta précise que les multinationales sont avantagées, dans la mesure où elles disposent de ressources plus importantes et de structures plus développées.

Cependant, la clé réside dans la sensibilisation des entreprises, indépendamment de leur taille, au fait que l'inclusion n'est pas une faveur, mais une nécessité. Et pour cela, il est tout aussi important de travailler sur les processus d'inclusion que sur ceux d'adaptation.

M. Carotta avertit que la diversité ne doit pas être considérée uniquement comme un objectif quantitatif, mais aussi comme un objectif qualitatif. « Le principal défi, le talon d'Achille des entreprises, ne réside pas seulement dans la décision d'embaucher une personne en situation de handicap ou dans les processus qui précèdent cette décision, mais aussi dans le fait de s'assurer que cette personne puisse évoluer de la meilleure façon possible, au même titre que n'importe quel autre employé ».

« Une insertion professionnelle véritable implique que la personne soit accompagnée et qu'elle puisse rester durablement dans l'entreprise », a-t-il indiqué.

Felisa, qui a vécu dans sa propre chair les défis de son parcours professionnel, attire l'attention sur le fait qu'il est essentiel pour les entreprises de créer un environnement dans lequel les personnes en situation de handicap aient, non seulement, la possibilité de travailler, mais où elles se sentent aussi véritablement valorisées. « Et c'est souvent ce qui manque : qu'on vous considère au-delà de votre handicap, qu'on vous reconnaisse comme un être humain doté de capacités et de compétences », explique-t-elle.

Son point de vue rejoint celui de M. Carotta, qui souligne qu'une véritable inclusion n'est atteinte qu'à partir du moment où les entreprises reconnaissent les personnes handicapées comme des « travailleurs dotés de capacités » et non comme une contrainte sociale. Pour lui, l'inclusion implique un changement culturel en profondeur au sein des entreprises, en particulier dans leurs relations internes. À ce titre, il souligne que, même dans des environnements diversifiés, des attitudes discriminatoires persistent, telles que la surprotection des collègues, ce qui constitue un obstacle supplémentaire à surmonter.

« Nous nous trouvons face à un dilemme : d'un côté, il y a la surprotection qui freine le développement, et de l'autre, l'abandon total, qui ne nous laisse aucune chance de progresser. Aucun de ces extrêmes ne facilite les choses », ajoute Felisa.

Au-delà des stigmates : les perspectives d'avenir

« Nous nous trouvons face à une problématique complexe », explique M. Tromel, en référence au défi que représente le changement des perceptions sur le potentiel des personnes handicapées. Les préjugés pèsent encore lourdement et limitent leurs chances, et malgré certaines avancées législatives, leur faible application perpétue l'exclusion. « La plupart de ces lois ne sont pas correctement appliquées, ce qui fait que de nombreuses personnes en situation de handicap restent prises au piège de la pauvreté », avertit-il.

Progresser vers l'égalité et le travail décent « pour tous, y compris les personnes en situation de handicap, nécessite une approche transversale qui se base sur la reconnaissance et la prise en compte des multiples formes d'exclusion ». La classe travailleuse est composée d'une diversité d'identités et de réalités qui doivent également être représentées au sein du mouvement syndical. L'inclusion des personnes en situation de handicap implique de promouvoir l'accessibilité, de fournir une formation adaptée et de garantir une communication inclusive, le tout dans une perspective de droits humains et de solidarité », précise Nallely Domínguez, secrétaire chargée des politiques sociales de la Confédération syndicale des travailleuses et travailleurs des Amériques (CSA).

Quant à l'avenir, le spécialiste principal de l'OIT insiste sur l'importance de préparer les personnes en situation de handicap aux secteurs émergents tels que l'économie verte et numérique, qui sont en train de transformer le marché du travail. « Si nous tenons à ce que l'avenir du marché du travail soit plus inclusif, nous devons déployer des efforts explicites afin d'assurer que les personnes en situation de handicap aient aussi accès aux compétences et aux emplois dans ces domaines numériques et verts », a-t-il conclu.

5 / 20

 

  GÉNÉRALISTES
Basta
Blast
L'Autre Quotidien
Alternatives Eco.
La Croix
Le Figaro
France 24
France-Culture
FTVI
HuffPost
L'Humanité
LCP / Public Senat
Le Media
Le Monde
Libération
Mediapart
La Tribune
 
  EUROPE / RUSSIE
Courrier Europe Centrale
Desk-Russie
Euractiv
Euronews
Toute l'Europe
 
  Afrique du Nord / Proche & Moyen-Orient
Haaretz
Info Asie
Inkyfada
Jeune Afrique
Kurdistan au féminin
L'Orient - Le Jour
Orient XXI
Rojava I.C
 
  INTERNATIONAL
CADTM
Courrier International
Equaltimes
Global Voices
I.R.I.S
The New-York Times
 
  OSINT / INVESTIGATION
OFF Investigation
OpenFacto°
Bellingcat
Disclose
Global.Inv.Journalism
 
  MÉDIAS D'OPINION
AOC
Au Poste
Cause Commune
CrimethInc.
L'Insoumission
Les Jours
LVSL
Médias Libres
Quartier Général
Rapports de force
Reflets
Reseau Bastille
Rézo
StreetPress
 
  OBSERVATOIRES
Armements
Acrimed
Catastrophes naturelles
Conspis
Culture
Extrême-droite
Human Rights
Inégalités
Information
Internet actu ✝
Justice fiscale
Liberté de création
Multinationales
Situationnisme
Sondages
Street-Médics
Routes de la Soie
Vrai ou Fake ?
🌞