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13.12.2024 à 10:42

En Bulgarie, le désarroi de la communauté LGBTI+, cible de l'extrême droite

Raphaëlle Vivent
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Au pied de l'immeuble, situé sur l'un des principaux boulevards de Sofia, la capitale bulgare, on ne trouve aucune mention de Bilitis. Il faut gravir les quatre étages de l'édifice pour apercevoir enfin le logo rose et violet de l'association, dont l'objectif est de soutenir et de défendre les droits des personnes LGBTI+ de ce petit pays d'Europe de l'Est.
L'adresse des bureaux et du centre communautaire, le Rainbow Hub, n'est indiquée nulle part sur internet. Des précautions nécessaires, (…)

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Texte intégral (1758 mots)

Au pied de l'immeuble, situé sur l'un des principaux boulevards de Sofia, la capitale bulgare, on ne trouve aucune mention de Bilitis. Il faut gravir les quatre étages de l'édifice pour apercevoir enfin le logo rose et violet de l'association, dont l'objectif est de soutenir et de défendre les droits des personnes LGBTI+ de ce petit pays d'Europe de l'Est.

L'adresse des bureaux et du centre communautaire, le Rainbow Hub, n'est indiquée nulle part sur internet. Des précautions nécessaires, pour éviter d'être délogés ou agressés. « Nous avons subi une attaque particulièrement violente lors de la dernière élection présidentielle en 2021. Un candidat d'extrême droite [ Boyan Rasate, leader du parti Union nationale bulgare-Nouvelle démocratie, ndlr] est venu avec un groupe de 10 personnes durant un événement pour la communauté trans et a saccagé notre ancien local. Il a aussi frappé l'une de nos collègues », raconte d'un ton grave le coordinateur du programme sur la transidentité de Bilitis, Robin Zlatarov.

« Nous avons dû déménager et nous nous sommes finalement installés ici. C'est l'endroit le plus permanent que nous ayons jamais eu, car il ne s'agit pas d'un immeuble résidentiel. Tout autour, ce sont des bureaux ». Une autre fois, ce sont en effet des voisins qui avaient exigé le départ de l'association.

Choc, terreur et panique

Les épreuves vécues par les membres de Bilitis, pourtant l'une des plus importantes organisations LGBTI+ du pays, illustrent les difficultés rencontrées par la communauté dans son ensemble, qui subit régulièrement les attaques, physiques comme politiques, de l'extrême droite. La dernière date de cet été, avec l'adoption surprise par le Parlement bulgare d'une loi interdisant « la propagande LGBT » à l'école, sur le modèle de textes en vigueur en Russie ou en Hongrie.

Proposée par le parti populiste pro-Kremlin Vazrazhdane (Renaissance), elle prévoit en outre d'interdire la promotion ou l'incitation, dans le système éducatif, « d'idées et de points de vue liés à une orientation sexuelle non-traditionnelle et/ou à une identité de genre différente de l'identité biologique ». Alors que les propositions de lois mettent généralement plusieurs jours à être examinées et votées, ce texte a été adopté en une seule soirée par une large majorité, avec 159 voix pour, 22 voix contre et 12 abstentions.

« Ça a été un choc », se souvient Robin, qui a regardé le passage du texte en direct à la télévision. « On a dû faire face à beaucoup de terreur et de panique, des gens appelaient l'association pour nous demander ce qu'ils devaient faire maintenant ».

La communauté s'est rapidement mobilisée, organisant plusieurs manifestations, auxquelles ont participé aussi de nombreuses personnes sympathisantes. Mais malgré ces actions, et une pétition rassemblant en quelques jours plus de 7.000 signatures, le texte a bien été ratifié une semaine plus tard par le président bulgare Roumen Radev.

La santé mentale des élèves au plus bas

En raison de sa formulation très vague, il est difficile de savoir exactement ce qu'il est désormais permis de dire ou pas dans les établissements scolaires, explique Denitsa Lyubenova, avocate et co-fondatrice de l'association Deystvie, qui se bat sur le terrain juridique et propose un accompagnement légal pour les personnes LGBTI+. « Est-ce qu'on a encore le droit de parler de personnages historiques ou d'auteurs ouvertement LGBT en classe ? Peut-on aborder des questions de protection sexuelle en biologie ? Peut-on présenter des études scientifiques s'il y est fait mention ”d'orientation sexuelle non-traditionnelle” ? Il y a plein de questions, et cela dépendra beaucoup des directeurs d'établissement ».

Si pour l'heure, aucun enseignant n'a été sanctionné pour ne pas avoir respecté cette loi, Deystvie reçoit régulièrement des appels de professeurs perdus et angoissés à l'idée de perdre leur travail. Mais le texte a, avant tout, des conséquences concrètes pour les élèves et les étudiants. « On a déjà eu des retours d'étudiants ayant porté des t-shirts pro-LGBT, et qui se sont fait exclure de leur établissement », assure Denitsa.

« Ce sont les plus vulnérables. Ils ont encore plus peur désormais d'exprimer qui ils sont. Beaucoup craignent également que le harcèlement qu'ils subissent n'empire », estime Robin.

Ivan Dimov, fondateur deSingle Step, dresse le même constat. Cette fondation a été créée pour apporter un soutien psychologique aux jeunes LGBTI+ bulgares, notamment via un chat en ligne, où les adolescents peuvent parler à des psychologues. « Après la loi, on a vu sur le chat une augmentation dramatique de la peur et de l'anxiété chez les élèves. Certains redoutent d'être tout simplement expulsés de leur école si on apprend qu'ils sont gays, lesbiennes ou trans ». La fondation a mené, juste avant le passage de la loi, une vaste étude pour connaître l'état de santé mentale des lycéens LGBTI dans le pays. « Les chiffres sont catastrophiques. La moitié d'entre eux a déjà eu des pensées suicidaires. 68 % vivent du harcèlement et 24% ont déjà subi des agressions. On craint qu'avec cette loi, la situation se dégrade encore plus », se désole Ivan.

« Beaucoup songent à quitter le pays »

La Bulgarie est loin d'être une nation « LGBT-friendly », et ce depuis longtemps. Avec une note de 23,22 % en 2024, le pays est l'un des moins bien notés de l'Union européenne par l'International lesbian and gay association Europe (ILGA), qui évalue chaque année les droits des personnes LGBTI+ sur le Vieux Continent. À titre de comparaison, la moyenne de l'UE est de 50,61 % et la Belgique, pays le mieux noté, obtient un score de 78,48 %.

« C'est quasi impossible d'être ouvertement LGBT à l'université, à son travail, auprès de sa famille, même pour trouver un logement. Avec ma partenaire, nous avons prétendu être meilleures amies pour trouver quelque chose », raconte Robin.

Toutefois, cette loi « anti-propagande LGBT » a incontestablement engendré un climat encore plus délétère pour toute la communauté queer et homosexuelle, assurent les organisations. Bilitis constate même une hausse des violences verbales et physiques : « Ces derniers mois, on voit notamment des groupes d'adolescents, parfois très jeunes, s'en prendre de manière très violente à des personnes LGBT dans la rue », se désole le jeune coordinateur. « C'est vraiment effrayant de voir tout ceci se dérouler. Aujourd'hui, de plus en plus de personnes de la communauté songent à quitter le pays. Les attaques contre la communauté ne sont pas nouvelles, mais cette loi, c'est la dernière goutte d'eau qui pousse les gens à partir pour de bon », confirme Denitsa.

Pour les associations, la rhétorique homophobe et transphobe du parti Vazrazhdane est une tactique pour gagner des voix. La Bulgarie, qui traverse une crise politique sans précédent, a connu sept élections en l'espace de trois ans. Et Vazrazhdane n'a eu de cesse d'améliorer ses scores, devenant, lors du dernier scrutin du 27 octobre, la troisième force politique du pays. « C'est un parti qui fait beaucoup de bruit, et qui n'hésite pas à mentir, à manipuler, à jouer sur les peurs des parents pour se renforcer. Pour eux, la communauté LGBT est le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas dans le pays », dénonce le fondateur de Single Steps.

Poursuivre le combat

« Si nous ne vivions pas cette crise politique, je pense que la tendance pour les LGBTI+ serait positive », estime pourtant Ivan. « L'acceptation globale de notre communauté dans la société s'est améliorée au fil des années ». L'évolution des regards sur la marche des fiertés de Sofia en témoigne. « La première édition, en 2008, était très violente. Les opposants lançaient des pierres et même des cocktails Molotov sur les participants », raconte Robin, tout en montrant un casque de sécurité bleu, porté ce jour-là par l'un des participants. Aujourd'hui, cette marche, organisée tous les ans au mois de juin, est bien mieux acceptée, et près de 10.000 personnes ont participé à la dernière édition, selon ses organisateurs.

Au vu du contexte politique, toutefois, les militants savent qu'ils doivent avant tout compter sur eux-mêmes pour continuer à changer en profondeur la société bulgare. Deystvie mène un combat juridique pour tenter de retirer la loi passée cet été. À un niveau national d'abord, en demandant à la Cour constitutionnelle de statuer sur l'inconstitutionnalité du texte, mais aussi européen.

« Nous vérifions comment la loi est mise en œuvre, et si cette mise en œuvre est en contradiction avec la législation de l'Union européenne. Si c'est le cas, nous fournirons ces preuves à la Commission pour qu'elle prenne des mesures à l'encontre de la Bulgarie », détaille l'avocate Denitsa.

Bilitis et Single Steps poursuivent leur indispensable travail de soutien à la communauté. Mais pour Robin, il est aussi essentiel de mener un travail de sensibilisation et de visibilisation des LGBTI+. « Ce qu'on a constaté ces dernières années, c'est que l'une des actions qui a le plus d'impact est d'aller parler aux gens directement, de leur proposer une formation, de quelques heures ou de quelques jours. L'idée, c'est qu'ils rencontrent des personnes de la communauté pour sortir des idées reçues ». « Si nous pouvons permettre à des jeunes LGBT de vivre une vie pleinement satisfaisante, plutôt que de vouloir partir, alors bien sûr, nous continuerons », conclut Ivan. Et ce, malgré les menaces de l'extrême droite.

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