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12.09.2025 à 06:00

Climat, responsabilité des multinationales, finance, social : l'Union européenne en pleine frénésie de dérégulation

Séverin Lahaye
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Depuis la prise de fonctions de la nouvelle Commission fin 2024, l'Union européenne s'est embarquée dans un vaste programme de démantèlement de ses régulations écologiques, mais aussi sociales, financières ou encore numériques. Le tout sous les applaudissements de l'extrême droite et des lobbys industriels.
« Ce ne sont pas des lois de simplification, mais des lois de renoncements », dénonce Olivier Guérin, chargé de plaidoyer chez Reclaim Finance. Dans son viseur, la politique de (…)

- FAF40. Enquêtes sur l'extrême droite, les grandes fortunes et les milieux d'affaires / , , , , , ,
Texte intégral (3112 mots)

Depuis la prise de fonctions de la nouvelle Commission fin 2024, l'Union européenne s'est embarquée dans un vaste programme de démantèlement de ses régulations écologiques, mais aussi sociales, financières ou encore numériques. Le tout sous les applaudissements de l'extrême droite et des lobbys industriels.

« Ce ne sont pas des lois de simplification, mais des lois de renoncements », dénonce Olivier Guérin, chargé de plaidoyer chez Reclaim Finance. Dans son viseur, la politique de dérégulation menée par la nouvelle Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen depuis le 1er décembre 2024. Droits sociaux, humains, environnementaux, numériques… Aucun secteur ne semble épargné.

Les directives dites « Omnibus » – un type de loi qui permet de modifier plusieurs textes existants en une seule fois – s'enchaînent. Elles sont déjà au nombre de six.

Les directives dites « Omnibus » – un type de loi qui permet de modifier plusieurs textes existants en une seule fois – s'enchaînent. Elles sont déjà au nombre de six au moment où nous publions cet article. La Commission s'est d'abord attaquée aux règles de transparence et de vigilance des entreprises, puis au commerce des petites et moyennes entreprises, aux règles encadrant l'investissement financier, à l'industrie militaire, à la production agricole et l'utilisation de produits chimiques. D'autres sont annoncées. Avec à chaque fois un objectif clair : simplifier le cadre normatif au maximum pour permettre aux entreprises de « faire des affaires plus facilement et plus rapidement en Europe ».

Deux directives sur la responsabilité des multinationales repoussées et réduites dans leur ambition

Les premières régulations à se retrouver dans le viseur ont été deux mesures phares du Plan vert, ou Green Deal : la CSRD (directive sur le reporting de durabilité des entreprises) et la CS3D (directive sur le devoir de vigilance des entreprises). La première oblige toutes les firmes de plus de 250 salariés à publier un rapport détaillant les conséquences de leurs activités sur l'environnement et la société. La seconde, quant à elle, leur impose de vérifier qu'elles n'entraînent pas, directement ou au niveau de leurs sous-traitants, d'atteintes aux droits humains ou à l'environnement.

Le 3 avril 2025, le Parlement européen, grâce à l'alliance entre les partis d'extrême droite et la droite, notamment le Parti populaire européen (PPE), dont est issue Ursula von der Leyen, a voté en faveur de la directive « Omnibus I ». Celle-ci repousse les dates respectives d'entrée en vigueur des deux législations. Surtout, elle réduit de façon drastique le périmètre de la CSRD : seules les entreprises de plus de 1 000 salariés sont dorénavant concernées par la directive, soit une réduction de 80 % de son champ d'application. Le texte prévoit aussi de limiter l'ambition de la CS3D : seuls les sous-traitants directs de l'entreprise devront justifier de leur bonne conduite, alors que la directive s'étendait auparavant à toute sa chaîne de valeur. Un changement que le CCFD-Terre solitaire qualifie de « désastre pour la transition climatique et la protection des droits humains et de l'environnement ».

Les règles environnementales fragilisées

La Commission européenne ne compte pas s'arrêter là. Sa proposition de réforme de la Politique agricole commune (PAC), publiée en mai 2025, prévoit « d'économiser jusqu'à 1,58 milliard d'euros par an » pour « stimuler la compétitivité des agriculteurs ». Ceci en supprimant certaines lois environnementales protégeant les zones humides et les tourbières, malgré leur rôle écologique majeur, tant au niveau climatique que de la biodiversité.

La Commission européenne ne compte pas s'arrêter là.

La Commission a également accordé aux États et aux entreprises plus de flexibilité dans la comptabilisation de leurs émissions de gaz à effet de serre, via sa proposition de modification de la loi européenne sur le climat. Publiée le 2 juillet dernier, celle-ci autorise l'utilisation de certains crédits carbone pour verdir leurs bilans. Malgré les nombreuses controverses autour de ce mécanisme, qui permet aux multinationales de continuer à polluer sans changer leur modèle de production, comme l'expliquait le média « Carbon Brief » en 2023.

Des régressions sur le plan social, sanitaire, financier et numérique

Autres domaines, autres régressions. Selon Politico, Ursula von der Leyen souhaite rediriger des milliards d'euros dédiés à la lutte contre la pauvreté vers l'industrie européenne à l'occasion du prochain cadre financier pluriannuel, un texte qui définit les dépenses de l'Union pour cinq ans. La Commission européenne a également supprimé de son programme de travail 2025 la « Directive horizontale anti-discrimination », qui garantit l'égalité des personnes indépendamment de leur religion, de leurs convictions, de leur handicap, de leur âge ou de leur orientation sexuelle.

Dans le cadre de sa proposition de loi Omnibus VI, présentée le 8 juillet 2025, elle compte assouplir les règles d'usage de certains produits chimiques, sous prétexte de relancer l'industrie chimique du vieux continent. « Différentes propositions visent à faciliter l'utilisation de substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR) dans les produits cosmétiques », dénoncent plusieurs associations de protection de la santé, comme Générations Futures.

La Commission prévoit d'assouplir les règles prudentielles que l'Union européenne avait mises en place après la crise financière de 2008

Le secteur financier n'est pas en reste : la Commission a dévoilé le 17 juin 2025 son plan de réforme du marché de l'épargne et de l'investissement, encore une fois au nom de la « compétitivité » des banques. Elle prévoit notamment d'assouplir les exigences appliquées aux fonds propres des banques, c'est-à-dire les réserves que celles-ci doivent maintenir en cas de pertes majeures. Des règles prudentielles que l'Union européenne avait mises en place après la crise financière de 2008, pour prévenir tout nouveau krach. L'organisation non gouvernementale (ONG) Finance Watch considère cette réforme comme un « précédent dangereux » qui « fragilise encore davantage les règles bancaires mondiales ».

Enfin, concernant le domaine du numérique, la Commission européenne veut modifier le Règlement général sur la protection des données (RGPD), en autorisant les entreprises de moins de 750 salariés (contre 250 actuellement) à ne plus documenter l'utilisation de leurs données numériques. « Cela pourrait conduire […] à une réouverture plus large du RGPD […] pour satisfaire la volonté des parties prenantes mécontentes de la loi actuelle, y compris les entreprises qui se sentent limitées par leurs obligations de respect des droits humains », s'inquiète l'European digital rights (EDRI), un réseau d'associations, experts et avocats, qui lutte pour la défense des droits numériques au niveau européen.

Une inquiétude légitime au vu des récentes attaques du président étatsunien Donald Trump contre les réglementations numériques qui discriminent selon lui les technologies américaines. Bien que non-citées, ce dernier vise en particulier deux législations européennes : le Digital Markets Act (DMA), qui régule les pratiques anticoncurrentielles des géants du Web, et le Digital Services Act (DSA), qui oblige les plateformes à modérer les contenus qu'elles hébergent.

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Au nom de la « compétitivité »

Lors de son discours devant le Parlement européen le 18 juillet 2024, Ursula von der Leyen, alors simple candidate à sa réélection, avait érigé la « compétitivité » comme l'objectif phare de sa politique : « Les obstacles structurels à notre compétitivité demeurent trop nombreux. » Dans le document en ligne reprenant son discours, le terme « compétitivité » revient 23 fois en 41 pages. Le premier chapitre (10 pages) est entièrement consacré à cette thématique, loin devant les chapitres dédiés à sa politique sociale (4 pages) ou environnementale (2 pages et demie). Dans sa feuille de route intitulée « Une Europe plus simple et plus rapide », la Commission indique vouloir « renforcer la compétitivité de l'Union européenne […] dans le contexte actuel, instable et incertain. Cela nécessite un environnement juridique qui stimule les affaires et la croissance ».

« Il n'y a pas plus de débat, c'est presque du fanatisme à ce stade »

« La Commission privilégie la rentabilité économique à court-terme des entreprises, au lieu de les forcer à mettre en œuvre leur plan de transition écologique, juge Olivier Guérin. Le problème, c'est que plus on attend, plus on va le payer cher au niveau climatique. » Selon lui, cette stratégie de réduction de la charge administrative pesant sur les entreprises « n'est pas soutenable », bien que les membres du parti d'Ursula von der Leyen, le PPE, la défendent becs et ongles. « Il n'y a pas plus de débat, c'est presque du fanatisme à ce stade », se désole le chargé de plaidoyer à Reclaim Finance.

Derrière l'argument de la compétitivité se cache la patte des lobbys, selon Corporate Europe Observatory). L'association à but non lucratif, qui étudie l'influence des grandes entreprises sur la régulation européenne, établit un lien direct entre la politique menée par Ursula von der Leyen et les demandes que lui ont adressées en février 2024, quelques mois avant sa réélection, 73 chefs d'entreprise européens réunis à Anvers, en Belgique. Représentant près de 17 secteurs d'activité, ils lui ont remis à cette occasion une « Déclaration pour un accord industriel européen » dont l'article premier énonce : « Nous appelons à un plan d'action global pour élever la compétitivité en tant que priorité stratégique […]. Le plan d'action doit inclure des mesures visant à éliminer l'incohérence réglementaire, les objectifs contradictoires, la complexité inutile de la législation et le reporting abusif. » Dans la foulée, les représentants des grandes entreprises industrielles demandaient à la Commission de présenter au plus vite « une proposition omnibus pour prendre des mesures correctives sur tous les règlements européens existants pertinents ». Des demandes qui ont donc été largement satisfaites.

Bataille de lobbying contre le devoir de vigilance et les règles climatiques

Pour les industriels, c'est l'occasion rêvée de rejouer des batailles de lobbying qu'ils avaient partiellement perdues ces dernières années. En 2022, par exemple, le milieu des affaires européen, et notamment français, via l'Association française des entreprises privées (Afep), avait freiné des quatre fers pour éviter l'adoption de la loi sur le devoir de vigilance, comme nous l'avions montré lors d'une précédente enquête (lire La boîte noire de la France à Bruxelles). Les multinationales avaient multiplié les rendez-vous avec les représentants français à Bruxelles pour limiter au maximum la portée de cette nouvelle mesure, parfois au mépris des règles européennes encadrant le travail des lobbyistes [1]. Elles avaient réussi au final à atténuer considérablement la portée de cette législation, mais pas à empêcher son adoption. Mais la bataille est relancée.

Huit ONG ont déposé une plainte auprès de la Médiatrice européenne concernant le « caractère non démocratique, opaque et précipité du processus par lequel la Commission européenne a élaboré cette proposition Omnibus I, remettant en cause la CSRD et la CS3D

Huit organisations non gouvernementales (ONG) ont déposé une plainte auprès de la Médiatrice européenne, qui enquête sur les cas de mauvaise administration dans les institutions, concernant le « caractère non démocratique, opaque et précipité du processus par lequel la Commission européenne a élaboré cette proposition [de loi Omnibus I, remettant en cause la CSRD et la CS3D] ». Concrètement, elles l'accusent de ne pas avoir produit d'analyses d'impact environnemental et social avant de proposer son texte. Et surtout, elles lui reprochent d'avoir favorisé « des réunions à huis clos dominées par les intérêts de l'industrie pétrolière et gazière », au détriment des ONG et de la société civile.

« Depuis 2021, les groupes de lobbying des entreprises militent contre les réglementations européennes du Green Deal », confirme l'économiste Clément Fontan, spécialiste des politiques économiques européennes. Selon lui, les nouvelles normes de transparence imposées par l'Europe via son Plan vert ont semé la panique chez les multinationales. « Elles ont compris à ce moment que la prochaine étape consisterait à mettre en place des mesures punitives contre celles coupables d'atteintes aux droits environnementaux ou humains. »

Un système du « bâton et de la carotte », qui aurait limité les capacités de financement de certaines entreprises. « La Banque centrale européenne aurait pu ensuite demander aux banques nationales de rediriger leurs investissements vers les entreprises les plus soutenables. Et ça, les grands groupes pétro-gaziers, des transports ou de l'agroalimentaire par exemple, l'ont très bien compris », poursuit l'économiste.

Et depuis la percée de l'extrême-droite au sein du Parlement européen, mais aussi au niveau des pays membres, les lobbys économiques ont trouvé une oreille attentive à leurs demandes (lire Au centre du jeu bruxellois, l'extrême droite sonne la charge contre l'écologie et le climat). « La hantise de la Commission, c'est de voir ses propositions de loi déboutées par le Parlement ou le Conseil européen », explique Clément Fontan. Selon lui, le « backslash conservateur » auquel nous assistons s'explique par « le jeu d'échecs permanent » mené par la Commission, « qui tente de donner à manger à toutes les forces politiques ». Qui préfère donc se plier aux positions antiécologiques et pro-business défendues par les partis d'extrême droite, plutôt que d'assurer un avenir durable aux citoyennes et citoyens de l'Union européenne.


[1] Voir le rapport de plusieurs ONG à ce sujet.

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