21.05.2025 à 09:21
Le Groupe Bolloré se résume désormais, mis à part quelques activités industrielles relativement modestes, au secteur des médias et de la culture. Une partie de ces actifs est mise directement au service des idées et parfois des partis politiques d'extrême-droite, enjambant la frontière entre le politique et l'économique. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
C'est à partir des années 2000 que Vincent Bolloré investit le secteur des médias et de la communication qui constitue (…)
Le Groupe Bolloré se résume désormais, mis à part quelques activités industrielles relativement modestes, au secteur des médias et de la culture. Une partie de ces actifs est mise directement au service des idées et parfois des partis politiques d'extrême-droite, enjambant la frontière entre le politique et l'économique. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
C'est à partir des années 2000 que Vincent Bolloré investit le secteur des médias et de la communication qui constitue aujourd'hui l'essentiel de son empire financier. Son offensive manquée sur le groupe Bouygues quelques années auparavant pourrait déjà avoir été motivée par le désir de mettre la main sur la chaîne de télévision TF1. Le groupe Bolloré prend le contrôle d'Havas en 2005, crée la même année la chaîne Direct 8 (devenue C8) sur la TNT, et se lance en 2006 dans la presse papier gratuite avec les titres Direct Soir et Direct Matin. La revente en 2012 de Direct 8 et de sa chaîne sœur Direct Star lui permettent de mettre un premier pied au capital de Canal+ et de Vivendi, dont Vincent Bolloré prend définitivement le contrôle en 2014. Avec le rachat des parts de Bolloré dans Havas en 2017, Vivendi devient pendant quelques années le pôle où se concentrent tous les actifs de Bolloré dans la communication, les médias, l'édition, les jeux vidéo et l'industrie culturelle – jusqu'à sa scission en quatre parties distinctes (mais toujours étroitement contrôlées par Bolloré) en décembre 2024.
Entre 2014 et 2024, l'ensemble Vivendi n'a cessé de se recomposer et de se décomposer au gré des opportunités politiques et financières sans qu'il soit possible de distinguer une stratégie industrielle et commerciale cohérente. Vivendi a ainsi revendu ses participations dans les télécommunications (SFR) ou les jeux vidéo (Activision Blizzard, Ubisoft) pour y revenir plus tard ou en acquérir d'autres (Telecom Italia, Gameloft). Le groupe entre au capital de la Fnac puis en ressort. Il s'étend dans le secteur de l'édition avec le rachat d'Editis (Nathan, Robert Laffont, Julliard, La Découverte, Plon, etc.), qu'il est contraint de revendre quelques années plus tard pour mettre la main sur son principal concurrent, Hachette-Lagardère (Fayard, Larousse, Grasset, Calmann-Lévy, etc.). La direction Concurrence de la Commission européenne a en effet refusé la perspective d'une fusion pure et simple entre le numéro un et le numéro deux du secteur. En 2021, Vivendi revend une partie de ses actions dans Universal Music, essentiellement pour lever des fonds.
La constitution par Bolloré et son groupe d'un vaste empire médiatique à travers le rachat et/ou la reprise en main brutale d'un certain nombre de titres historiques a largement défrayé la chronique [1]. La prise de contrôle de Canal+ s'accompagne de la disparition de nombreuses émissions emblématiques et irrévérencieuses comme « Les Guignols de l'info », et la censure d'un documentaire d'enquête sur le Crédit mutuel [2]. La grève d'i-Télé en 2016 est la plus longue de l'histoire de l'audiovisuel français depuis 1968 (31 jours) et se solde par le départ des trois quarts de la rédaction. I-Télé est rebaptisée CNews en 2017, et devient le porte-voix des idées d'extrême-droite dans le paysage médiatique. En 2021, Bolloré met la main sur Prisma Media, le leader de la presse magazine (Femme actuelle, Voici, Geo, Gala, Capital). En prenant le contrôle du groupe Lagardère, il ajoute à son tableau de chasse le Journal du Dimanche et Europe 1, et encore Paris Match (revendu depuis à LVMH). Le JDD et la station de radio subissent la même réorientation idéologique brutale que i-Télé auparavant, avec le départ de la majorité des journalistes. Reporters sans frontières estime qu'au moins 500 journalistes au total qui ont quitté leurs médias suite à la prise de contrôle par Bolloré ont signé des « clauses de silence » qui leur interdisent de s'exprimer sur leur ancien employeur.
La prise de contrôle des médias va de pair avec des plans d'économie et d'austérité qui permettent à Vincent Bolloré et ses lieutenants de ramener les contestations à des motivations économiques plutôt qu'à une défense de l'éthique du journalisme et à un refus d'une ligne d'extrême-droite. Cessions d'activités, plan de rationalisation, regroupement de sièges sociaux sont autant d'occasions de couper dans les effectifs et de maintenir ceux qui restent sous la menace. L'ensemble du groupe Canal+ a été soumis à une cure de « cost-killing » qui affecte aussi bien ses salarié·es que ses fournisseurs et se poursuit jusqu'à aujourd'hui. En janvier 2025, ce sont les titres de Prisma Media qui ont été contraints d'accepter un plan visant à supprimer une centaine de postes et à réaliser 10 millions d'euros d'économies.
Si ce sont surtout les participations de Bolloré dans les médias et dans une moindre mesure dans l'édition qui retiennent l'attention, l'empire qu'il s'est bâti va bien au-delà. Il contrôle également de manière plus ou moins étroite des studios, des boîtes de production audiovisuelle, des salles de spectacle, des plateformes de diffusion en ligne, des enseignes commerciales, des éditeurs de jeux vidéo. C'est un véritable empire culturel constitué par concentration horizontale (en rachetant des concurrents) et verticale (en contrôlant tous les maillons de la chaîne de production et de diffusion), qui favorise les synergies et les coopérations entre les différentes composantes – ainsi les chaînes Vivendi pourront faire la promotion des livres Vivendi avec le soutien des agences de comm' Vivendi, leurs auteurs pourront avoir accès aux salles Vivendi et leurs ouvrages pourront être mis en avant dans les points de vente Vivendi. Les pouvoirs publics français ont largement laissé faire par naïveté ou parce qu'ils se sont laissés convaincre de la nécessité de créer un « champion national » pour résister aux américains Apple ou Netflix.
C'est une véritable « machine de guerre » culturelle qui a ainsi été créée et qui est aujourd'hui, pour partie, mise au service de l'extrême-droite. Les boutiques Relay (groupe Hachette) ont par exemple mis en avant le livre de Jordan Bardella, publié chez Fayard (groupe Hachette), abondamment relayé par les médias comme Cnews ou le Journal du Dimanche (JDD).
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donSi certains titres de l'empire Bolloré (CNews, le JDD, Europe 1) sont clairement engagés dans une ligne éditoriale commune favorable à l'extrême-droite, portée en grande partie par les mêmes éditorialistes et les mêmes chroniqueurs, d'autres gardent au contraire (pour l'instant du moins) une distance relative avec cette orientation politique très agressive et revendiquent leur neutralité. C'est le cas de la chaîne phare Canal+ et pour les titres magazine de Prisma Media. De la même manière, dans le secteur de l'édition, c'est principalement la maison Fayard, dont l'éditrice d'Eric Zemmour, Lise Boëll, a pris la direction, qui est mise au service de l'extrême-droite en publiant les livres de Jordan Bardella, Éric Ciotti, Philippe de Villiers, etc.
Cette stratégie a plusieurs avantages pour Bolloré. D'abord celle de financer les maisons et les médias dédiés à l'extrême-droite – qui perdent souvent de l'argent, comme C8, ou des lecteurs comme le JDD – via les revenus des autres. Ensuite et surtout se prémunir du risque que ses médias et éditeurs se retrouvent, au moins partiellement, dans des situations de pariahs, et préserver leur intégration dans le paysage éditorial et médiatique « normal ». Certains programmes de Canal+ ou certains livres publiés par des maisons Hachette seront ainsi mis en avant pour preuve que « Bolloré ne fait pas de politique ». Lorsque Vincent Bolloré et ses lieutenants sont critiqués sur les biais politiques de certains de leurs médias – comme lors des auditions de la commission d'enquête parlementaire sur la TNT –, c'est leur ligne de défense principale : le fait que Canal+ accueille toutes les sensibilités et illustre des valeurs beaucoup plus ouvertes sert à les dédouaner de tout activisme politique.
L'argument de la « neutralité » de Canal+ qui compenserait à l'activisme de CNews oublie la profonde différence de public entre les deux médias. Canal+, chaîne payante dédiée en partie au cinéma, touche des classes sociales très différentes de CNews, disponible sur la TNT, qui est la première chaîne d'information continue en France, pour un public beaucoup plus populaire.
Enfin, la barrière entre les deux pôles de l'empire médiatique Bolloré est de moins en moins nette. C'est ainsi qu'on a vu la plateforme MyCanal faire la promotion de Cyril Hanouna et de sa nouvelle chaîne TPMP après la fin de l'émission sur la chaîne C8, ou encore que le groupe Vivendi a accueilli en son sein Progressif Media, une officine de communication d'extrême-droite qui a notamment mené des campagnes contre Reporters sans Frontières ou qui a aidé des candidats proche d'Éric Ciotti lors des élections législatives de 2024. Surtout, rien ne garantit que cette dualité se maintienne et rien ne protège les autres médias de la galaxie Canal+ ou les autres maisons de la galaxie Lagardère d'une reprise en main subite et brutale. Bolloré a l'habitude d'avancer masqué, mais les masques peuvent tomber à n'importe quel moment.
Une partie des salarié·es de l'empire Bolloré s'alarment de ces compromissions croissantes avec l'extrême-droite. Alors que i-Télé, le JDD et Europe 1 ont déjà subi les purges, ce sont aujourd'hui les salarié·es de Hachette qui ont lancé le combat contre Bolloré. Le comité social et économique du groupe a pris officiellement position contre « la ligne éditoriale proche de l'extrême droite de la sphère Bolloré (CNews, JDD, Europe 1, Fayard) ».
[2] Cet épisode est relaté en ouverture de Vincent tout-puissant de Jean Pierre Canet et Nicolas Vescovacci (Jean-Claude Lattès, 2018). Les auteurs déclarent être en possession d'un enregistrement confirmant la réalité du coup de téléphone de Michel Lucas à Vincent Bolloré. Devant une commission d'enquête sénatoriale, c'est Maxime Saada qui assumera devant son patron l'unique responsabilité de cette censure.
21.05.2025 à 07:00
Depuis le début de sa carrière et jusqu'à aujourd'hui, Vincent Bolloré et son groupe ont pu compter sur de solides amitiés politiques, non seulement à droite de l'échiquier mais aussi au sein du parti socialiste. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
« Il se trouve que, dans ma situation, je rencontre beaucoup de gens. J'ai rencontré beaucoup de présidents de la République. J'ai commencé à connaître le général de Gaulle, je tutoyais Pompidou, avec qui je jouais aux cartes. Je ne (…)
Depuis le début de sa carrière et jusqu'à aujourd'hui, Vincent Bolloré et son groupe ont pu compter sur de solides amitiés politiques, non seulement à droite de l'échiquier mais aussi au sein du parti socialiste. Extrait du rapport « Le Système Bolloré ».
« Il se trouve que, dans ma situation, je rencontre beaucoup de gens. J'ai rencontré beaucoup de présidents de la République. J'ai commencé à connaître le général de Gaulle, je tutoyais Pompidou, avec qui je jouais aux cartes. Je ne parle pas de Nicolas Sarkozy ni de François Hollande. » C'est ainsi que Vincent Bolloré a décrit ses relations avec la classe politique à l'occasion d'une audition parlementaire en 2014.
Héritier d'une dynastie d'industriels bretons, Vincent Bolloré côtoie depuis son enfance des hommes d'affaires (Rothschild, Dassault…) mais aussi des politiques – son père Michel était un ami de Georges Pompidou. Ces liens transcendent le clivage entre la gauche et la droite : on retrouve dans l'entourage de Vincent Bolloré des politiciens des deux bords. Il compte ainsi parmi ses plus vieux amis (depuis plus de quarante ans) le socialiste Bernard Poignant, qui fut entre autres député, maire de Quimper, mais aussi conseiller du président François Hollande et soutien de la première heure d'Emmanuel Macron. Mais il a aussi noué des liens intimes avec Nicolas Sarkozy, à qui il prête son yacht au lendemain de son élection en 2007, ou son jet privé pour des vacances en Égypte la même année.
L'homme d'affaires est donc parfaitement intégré dans le milieu politico-financier, que ce soit par des liens familiaux ou d'affaires. Il est l'ex beau-frère de Gérard Longuet, il tutoie Bernard Kouchner depuis plus de vingt ans, le père de Valérie Pécresse – Dominique Roux – est président de Bolloré Télécom pendant sept ans, tandis que la femme de Brice Hortefeux, Valérie Hortefeux, a siégé au conseil d'administration de Blue Solutions. Jean Glavany, ex ministre et collaborateur de François Mitterrand, a aussi siégé dix ans au comité stratégique du groupe Bolloré, et Michel Giraud, ex ministre d'Édouard Balladur, a cofondé la Fondation de la deuxième chance avec Vincent Bolloré. Michel Roussin, passé par les services de renseignement extérieur avant de s'engager auprès de Jacques Chirac puis d'être brièvement ministre de la Coopération dans le gouvernement Balladur, a aussi été vice-président du groupe Bolloré puis conseiller de son président.
Outre les relations personnelles de Vincent Bolloré, le groupe bénéficie aussi des réseaux de ses dirigeants. Gérald-Brice Viret, Directeur général des antennes et des programmes du groupe Canal+, est un proche de l'ancien ministre de la culture Franck Riester, et côtoie aussi David Lisnard côté républicains ou Jérôme Guedj côté socialistes, selon La Lettre. Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi et fidèle lieutenant de Bolloré, est lui aussi présent dans de nombreux cercles de pouvoir : Le Siècle, Le Polo de Paris, le Cercle de l'Union interalliée, l'Automobile Club de France ou encore la French American Foundation. Yannick Bolloré est lui aussi membre du Siècle.
Du côté des politiques, s'afficher avec Vincent Bolloré et soutenir ses activités industrielles ne reflète pas que des relations amicales, mais aussi (et surtout ?) des intérêts politiques. Visiter les usines d'un grand groupe industriel national – qu'il s'agisse de celui de Bolloré ou d'un autre – permet de montrer que l'on soutient l'emploi, l'innovation française, le dynamisme économique du pays. En 1985, François Mitterrand martèle ainsi le message de la « France qui gagne » lors d'une visite en Bretagne où il passera par les sites Bolloré-Technologies à Ergué-Gaberic. En 2013, c'est le président François Hollande qui visite Ergué-Gaberic et les usines de batterie de la BlueCar, où Jean-Louis Borloo s'était déjà rendu en tant que ministre de l'Écologie en 2009, ainsi qu'Eric Besson, ministre de l'Industrie, en 2011. Beaucoup plus récemment, en mai 2024, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire se rend dans la même commune bretonne, et en profite pour annoncer le projet d'une gigafactory du groupe en Alsace.
Autre domaine dans lequel les politiques comptent sur le groupe Bolloré : le financement du cinéma, via Canal +. Le groupe est le premier financeur du cinéma français, avec des investissements annuels atteignant 220 millions d'euros (mais qui devraient baisser dans les années à venir). Le secteur est donc dépendant de l'entreprise, ce que les ministres de la Culture ne peuvent ignorer. Entrée en fonction en 2016, Audrey Azoulay explique avoir très rapidement reçu Vincent Bolloré « sur les sujets de création audiovisuelle et cinématographique » [1]. Au-delà des relations privilégiées de Canal+ avec le cinéma français, le groupe Bolloré peut plus généralement se targuer d'être un « champion » indispensable au rayonnement culturel français, avec par exemple des chaînes présentes dans plus de cinquante pays aujourd'hui.
La présence internationale du groupe Bolloré présente aussi en soi un intérêt pour les politiques. Du temps où il détenait les concessions portuaires et autres infrastructures en Afrique de l'ouest, il avait un intérêt stratégique pour les opérations de l'armée française, pour laquelle le groupe organisait le transport civil de troupes et d'équipements. Les affaires de Bolloré, sa proximité avec certains présidents africains dont il a accompagné la réélection (au Togo, en Guinée) font de lui un contact important vers les réseaux du continent, dont les dirigeants français ont pu vouloir profiter.
Bien sûr, les liens entre Bolloré et les politiques ne bénéficient pas qu'à ces derniers. L'homme d'affaires y trouve aussi son compte. S'agissant de ses activités africaines, il s'est aussi servi des politiques pour le soutenir dans ses affaires et arracher des contrats face à des concurrents. Au Cameroun, par exemple, François Hollande serait intervenu auprès de Paul Biya pour soutenir l'octroi de la concession du port de Kribi au groupe Bolloré. Une intervention que l'ancien président a présentée comme « normale », et relevant de son activité de diplomatie économique, mais qui illustre les services réciproques rendus entre politiques et industriels.
Être proche des politiques offre d'innombrables avantages, plus ou moins visibles du grand public. Dans leur livre-enquête Vincent tout-puissant, Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet expliquent par exemple comment Bernard Poignant est intervenu auprès du secrétaire général de l'Élysée Jean-Pierre Jouyet et du ministre de l'Économie de l'époque, Emmanuel Macron, pour s'assurer que la Caisse des dépôts et consignations conserve ses parts dans la société Vivendi, et soutienne ensuite la prise de contrôle par Vincent Bolloré. C'est aussi via Bernard Poignant que Vincent Bolloré aurait directement appelé le député Patrick Bloche, en 2016, quand celui-ci était chargé d'une proposition de loi sur l'indépendance et le pluralisme dans les médias. Même si cet appel n'a pas forcément eu d'impact direct, l'homme d'affaire a bien eu un accès privilégié au législateur. Et il a conscience du poids que lui donne son groupe auprès des politiques : « Le premier problème est de savoir si vous voulez un champion national ou non », déclare-t-il lors d'une audition devant la commission de la Culture du Sénat, en 2016. « Si vous ne voulez pas d'un champion national, c'est assez simple : il suffit d'instaurer des mesures anti-concentration et les choses continueront comme aujourd'hui. » La loi Bloche ne contiendra pas de mesure sur la concentration des médias.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donCette proximité entre l'industriel et le politique – qui n'est pas spécifique au groupe Bolloré – devient particulièrement problématique dans la situation actuelle de contrôle de nombreux médias, chaînes de télévision, et maisons d'édition : les personnalités politiques peuvent craindre une exclusion de son champ médiatique, voire une campagne contre eux, s'ils critiquent le milliardaire. En 2023, quand Rima Abdul Malak s'inquiète des débordements de l'émission “Touche pas à mon poste” et appelle l'Arcom à s'en saisir, Cnews, le JDD et Paris Match enchaînent débats, articles et tribunes pour s'en prendre à la ministre de la Culture. À son pouvoir de capitaine d'industrie, sur l'emploi et la politique économique de la France, et à son pouvoir d'entreprise française à l'étranger (sur le « rayonnement » de la France) s'ajoute donc un pouvoir d'influence sur la teneur du débat public qui peut contribuer à assurer au milliardaire breton la passivité ou la bienveillance des politiques, même quand il n'a pas de liens amicaux ou d'affaire avec eux.
Depuis quelques années, Vincent Bolloré s'implique de manière plus directe dans la vie politique, pour soutenir un projet de société libéral et réactionnaire. Il ne s'agit alors plus simplement de défendre ses intérêts, comme le font tous les hommes d'affaires. Il rencontrerait régulièrement Éric Ciotti qui, selon Le Monde, l'aurait consulté pour engager le rapprochement entre LR et le RN lors des législatives de juin 2024. Les médias Bolloré ont ensuite fait l'objet de plusieurs saisines de l'Arcom autour de leurs biais ou « fake news » en faveur de la droite et l'extrême-droite pendant la campagne électorale, et Libération a révélé que l'agence de communication Progressif Média, hébergée dans les locaux du JDD, a prêté main forte aux candidats de l'alliance LR-RN Cet engagement politique partisan tranche avec le réseau construit par l'homme d'affaires depuis des décennies pour s'assurer d'un large soutien politique.
[1] Interview d'Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, invitée de Léa Salamé, dans la matinale de France Inter, le 15 novembre 2016 à 7h50.
21.05.2025 à 00:01
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Il y a quelques semaines, on apprenait que des entreprises françaises avaient reçu une lettre de l'ambassade des États-Unis à Paris les sommant de se conformer au décret du président Trump interdisant les programmes dits DEI (« diversité, équité et inclusion ») destinés à promouvoir les minorités dans l'administration, les universités et la sphère professionnelle.
De l'autre côté de l'Atlantique, beaucoup de grands groupes – mais pas tous – se sont empressés de faire acte d'obéissance vis-à-vis du locataire de la Maison Blanche en annonçant la fin de leurs programmes DEI. C'est le cas notamment des géants de la tech comme Google, Amazon et Meta (Facebook).
Aucun groupe français présent aux États-Unis n'a pris position sur la question, à part dans une certaine mesure L'Oréal. Tous ceux que nous avons contactés pour cette enquête, parmi lesquels LVMH, Michelin, Sanofi ou encore Hachette, n'ont pas souhaité donner suite à nos questions, dans plusieurs cas sous prétexte que « personne n'était disponible pour y répondre ».
Un silence assourdissant qui s'explique par la prudence et l'embarras, mais qui cache aussi une autre question : la relative invisibilité des enjeux de diversité, d'équité et d'inclusion des minorités visibles en France même.
Lire notre article : Face à la croisade anti-diversité de Trump, les groupes français entre silence et déni
Dans un article complémentaire, nous montrons qu'à travers le DEI, Donald Trump cherche à s'attaquer à un symbole, qui renvoie à l'héritage du mouvement des droits civiques et plus récemment au mouvement « Black Lives Matter ». Lire Pourquoi Trump s'attaque-t-il aux programmes de diversité, équité et inclusion ?.
« Ils sont très actifs à Bruxelles, ils ont plus de vingt salariés, organisent des événements… Rien qu'en mars dernier, ils ont organisé deux événements au Parlement européen, avec du matériel de qualité, des posters. Tout cela a un coût. »
Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus influente que jamais, MCC Brussels apparaît comme la tête de pont de l'internationale réactionnaire et un allié de poids pour les eurodéputés du RN et de ses alliés. Mais plus de deux ans après l'ouverture de son bureau au coeur de l'Union européenne (UE), ce think tank n'a toujours pas publié la moindre donnée financière sur le Registre de transparence, comme sont censés le faire tous les représentants d'intérêts.
MCC Brussels est une émanation du émanation du Mathias Corvinus Collegium en Hongrie. Celui-ci est financé par l'État hongrois (il possède une part du capital de l'entreprise pétrogazière MOL et de la société pharmaceutique Gedeon Richter) et lié aux fondations conservatrices américaines comme la Heritage Foundation (Project 2025) est devenu en quelques mois une pièce essentielle de la guerre menée à Bruxelles contre les régulations, les ONG, et l'UE elle-même. De nombreux acteurs de l'extrême droite française participent à ses activités.
Lire notre enquête : MCC Brussels, ou comment l'extrême droite pro-Orbán et pro-Trump s'organise pour affaiblir l'Europe de l'intérieur
Les Bolloré ne manquent pas une occasion de mettre en valeur leurs racines bretonnes et leurs activités industrielles dans la région. Une manière de masquer la réalité d'un groupe construit sur des coups financiers et des savantes constructions juridiques dont beaucoup passent par le Luxembourg. Les activités industrielles de Bolloré en général, et en Bretagne en particulier, pèsent de peu de poids, d'un point de vue économique, à l'échelle du groupe.
L'autre base de l'empire, en plus du Luxembourg, est l'Afrique. Au fil des ans, le groupe Bolloré a amassé des milliards d'euros grâce à ses activités africaines, à la fois sous forme de remontée de dividendes et grâce aux plus-values réalisées lors des cessions d'actifs. Pour une large part, ce sont ces revenus qui lui ont permis d'acheter l'empire médiatique dont il dispose aujourd'hui. Même après avoir revendu ses concessions portuaires et ses activités logistiques, Bolloré est loin d'avoir quitté le continent.
C'est ce qu'expliquent les deux extraits de notre récent rapport « Le Système Bolloré » désormais disponibles sur notre site : Bolloré : un empire centré sur le Luxembourg bien plus que sur la Bretagne et Les rentes africaines de Bolloré.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donPalantir et Trump. Palantir, l'entreprise spécialiste de l'analyse de données cofondée par Peter Thiel, vient d'obtenir un nouveau contrat de 30 millions de dollars pour aider l'administration fédérale américaine à traquer et déporter les migrants. Un autre exemple – au-delà de la figure emblématique d'Elon Musk – de la collaboration entre une partie du secteur de la tech et la présidence Trump. Palantir est d'ailleurs dans l'administration actuelle. Lire notre article.
TotalEnergies en Ouganda : nouvelle manche au tribunal. La plainte initiée contre le groupe TotalEnergies pour ses projets pétroliers en Ouganda et en Tanzanie par plusieurs ONG françaises et ougandaises avait été la toute première à voir le jour dans le cadre de la loi française sur le devoir de vigilance. Elle s'est cependant en partie perdue dans des batailles de procédure, jusqu'à ce que les juges la déclarent irrecevable pour des questions de forme. Une nouvelle procédure a été engagée par les mêmes ONG avec des personnes affectées pour obtenir réparation de leur préjudice. Avant que l'affaire soit jugée sur le fond, une première audience a eu lieu le 15 mai avec un enjeu crucial : celui d'obliger TotalEnergies à donner accès à certains documents (audits, compte-rendus de réunion, études) permettant de vérifier si les droits des personnes affectées ont effectivement respectés comme le groupe le prétend. Inutile de dire que la possibilité pour une entreprise comme TotalEnergies de restreindre l'accès à certaines informations clés est souvent l'obstacle principal pour ceux et celles qui cherchent à obtenir justice. La décision du tribunal pourrait permettre de faire avancer significativement la jurisprudence sur ce point.
Une mine pas propre. L'Indonésie, où se rend ces jours-ci Emmanuel Macron, est devenue l'un des centres de la course mondiale aux minerais critiques et en particulier au nickel, métal indispensable à l'électrification. Une enquête publiée par Mediapart se penche sur le cas de la mine Weda Bay, sur l'île de Halmahera, et de la zone industrielle qui lui est associée. La mine est une co-propriété du géant chinois Tsingshan et de l'entreprise minière française Eramet (dont l'État est actionnaire aux côtés de la famille Duval). Des lanceurs d'alerte dénoncent de nombreux problèmes de conditions de travail et de pollution, systématiquement passés sous silence par la direction sur place. Quant à Eramet, après s'être longtemps abritée derrière son statut d'actionnaire minoritaire de la mine pour nier sa responsabilité, elle a fini par prendre des sanctions contre les cadres en charge de Weda Bay. Une nouvelle fois, les engagements d'exemplarité et les promesses d'une « mine propre » se heurtent aux réalités de l'industrie extractive.
Géo-ingénierie au Collège de France. Un colloque sur la « géo-ingénierie », autrement dit « l'ensemble des techniques qui visent à manipuler et modifier le climat et l'environnement de la Terre à grande échelle » pour éviter les « désagréments » du changement climatique (selon les termes du programme) s'est tenue le 15 mai au Collège de France, dans le cadre de la chaire annuelle « Avenir durable » financée par deux grands mécènes, le groupe d'assurance Covéa et... la multinationale pétrogazière TotalEnergies. Faut-il voir dans ce double choix de minimiser et relativiser la crise climatique et de privilégier pour y répondre des technologies douteuses un effet de l'influence de ce second mécène ? L'affaire repose la question de la stratégie de TotalEnergies dans le monde de la science et de l'enseignement supérieur, dont nous parlions encore récemment. Lire la chronique de Stéphane Foucart dans Le Monde.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.