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25.07.2024 à 11:20

(S03) Mobilisations contre L’Arbre aux Hérons : une critique de la mise en tourisme métropolitaine

Frédérique Cassegrain

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À Nantes, le projet avorté de L’Arbre aux Hérons, qui devait prendre place dans la carrière Miséry vouée à être transformée en un Jardin extraordinaire, aura été l’étincelle venant attiser une exaspération déjà vive à l’encontre des objectifs touristiques et d’attractivité poursuivis depuis trente ans par la métropole. En défendant l’usage et la préservation d’un espace ordinaire, des fractions de la société civile opposent un contre-récit assez nouveau qui non seulement vient mettre en doute la légitimité d’un projet d’espace public visant l’installation d’équipements ludiques et culturels, mais qui porte aussi le quotidien en politique pour penser une fabrique urbaine alternative.

L’article (S03) Mobilisations contre L’Arbre aux Hérons : une critique de la mise en tourisme métropolitaine est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

Texte intégral (3488 mots)
Carrière Miséry à Nantes vue de haut.
Carrière Miséry, Nantes, mars 2023. © Alice-Anne Jeandel

La métropole nantaise a opéré un « tournant culturel » il y a plus de trente ans, engagé à la fois par l’entrepreneur de cause Jean Blaise puis avec l’expérience marquante de la requalification des anciens sites industriels de l’île de Nantes accueillant en particulier un quartier de la Création. Ce virage est aujourd’hui confirmé par d’autres programmes inscrits notamment dans des opérations urbaines en cours le long de la Loire (Pirmil-Les Isles et Bas-Chantenay). Cette « métapolitique » Domaine d’action et de réflexion qui se situe au-delà du politique tout en restant concerné par les affaires publiques, questionnant notamment l’élaboration des outils élémentaires servant à la fabrique des politiques publiques. s’est traduite par une valorisation spatiale des anciens lieux de production de la Navale et une mise en tourisme, par l’art et la culture, de ces sites industriels reconvertis, confirmant « le choix d’une attractivité touristique fondée sur la rencontre de la culture, de l’art, du patrimoine et de l’économie touristique A. Bossé, A. Nicolas, « Tourisme culturel et patrimoine urbain. Opportunisme ou relativisme patrimonial à Nantes ? », dans C. de Saint-Pierre (dir.), La Ville patrimoine. Formes, logiques, enjeux et stratégies, Rennes, PUR, 2014, p. 2. ». Cette « mise en culture et en tourisme » de la métropole s’est faite graduellement et par évènements : citons la biennale Estuaire, puis le festival annuel d’art contemporain Le Voyage à Nantes qui ont tous deux complété les politiques de patrimonialisation engagées par la reconversion de la Manufacture des tabacs et de l’usine LU entre les années 1990 et 2000.

Si la transformation de celle qui fut nommée « la belle endormie » a pu être un moteur pour l’action publique urbaine, les objectifs touristiques et d’attractivité auxquels ces politiques répondent rencontrent aujourd’hui des oppositions. Énoncées par des fractions de la société civile pouvant être organisées en collectifs de riverains ou en groupes politiques divers, ces critiques se focalisent fréquemment sur un objet spécifique. C’est le cas pour les différents collectifs mobilisés contre le projet urbain du Bas-Chantenay et plus particulièrement l’une de ses pièces maîtresses : la transformation de la carrière Miséry en un Jardin extraordinaire censé accueillir L’Arbre aux Hérons, manège fantasmagorique imaginé par Pierre Orefice et François Delarozière et abandonné en septembre 2022. Considérant les contradictions inhérentes à ce type de proposition, cet article compte revenir sur le fond des critiques posées à la métropole nantaise en insistant sur les trajectoires collectives empruntées par ses opposants. Il s’agit ici de mettre en valeur les processus au cours desquels se dévoilent graduellement des arguments et des pistes pour penser une fabrique urbaine alternative.

Un arbre qui cache la forêt : mise en culture et en tourisme d’un quartier à défendre

La maîtrise d’œuvre urbaine de la ZAC du Bas-Chantenay, pilotée par l’agence Reichen et Robert & Associés, propose en 2013 un programme mettant en lien des parcours et des zones d’aménagement étendues sur trois kilomètres. Le réaménagement des espaces publics en bord de fleuve et de belvédères sur les hauteurs, le développement de nouvelles navettes fluviales et l’appui à l’industrie de pointe liée au secteur nautique confirment la place du fleuve comme support de projet. Le secteur le plus proche du centre-ville, la carrière Miséry, a été envisagé pour devenir la figure de proue de l’opération dans son ensemble, prévoyant l’aménagement d’un Jardin extraordinaire et l’implantation de L’Arbre aux Hérons. C’est ce que rappellent Pierre Orefice et François Delarozière, de la compagnie La Machine, concepteurs du manège et du Grand Éléphant de l’île de Nantes (une structure en acier transportant les visiteurs à plus de quarante mètres) : « Nous avons la même fonction que l’on avait au début de l’île de Nantes […]. Nous avons été un véritable outil d’aménagement urbain, un accélérateur de greffe urbaine de ce nouveau cœur de la métropole Chl. Fiancette, « L’Arbre aux Hérons, remède contre la “morosité” à Nantes », Les Inrocksmis en ligne le 31 juillet 2016. » L’arbre devait être placé au cœur de la carrière Miséry, ancienne carrière de granit restée en friche plus de trente ans et ayant accueilli les Brasseries de la Meuse tout au long du XXe siècle. Celle-ci fait face au bâtiment CAP 44 – Les Grands Moulins de Loire, inclus avec les espaces publics dans le programme de réaménagement du secteur. Ancienne minoterie industrielle construite en 1894 selon un procédé en béton armé révolutionnaire pour l’époque, ce bâtiment reconnu pour sa valeur patrimoniale et sa reconversion en une Cité de l’imaginaire a fait l’objet d’une concertation en 2018.

Image de synthèse d'un paysage.
Image de synthèse de L’Arbre aux Hérons dans le Jardin extraordinaire, compagnie La Machine.

Ancien faubourg ouvrier, le quartier de Chantenay est communément appréhendé en deux entités : le Bas-Chantenay industriel où se mêlent trafic routier, espaces en friche, lieux (contre)culturels et un tissu résidentiel dégradé (squats, etc.) ; et la partie haute du quartier, plus résidentielle, où cohabitent centralité commerciale, quartiers embourgeoisés et anciennes cités ouvrières. Pour certains acteurs, cette initiative est responsable de la mise en péril du quartier dans son ensemble, déjà fragilisé par le phénomène de gentrification (hausse de la valeur immobilière, changement des commerces, etc.), et devient le support et l’enjeu de mobilisations de riverains. C’est le cas du collectif de la Commune de Chantenay pour qui le projet urbain et l’aménagement de la carrière sont le signe d’un mécanisme de mise en tourisme : « Finis les voisins, place aux clients de passage. Une plateforme en ligne modifie non seulement les équilibres économiques qui déterminent l’acte d’habiter mais elle altère aussi le tissu urbain. C’est cela que l’on appelle la touristification Collectif PUMA, Revenir à Miséry. Contre L’Arbre aux Hérons et la touristification, Nantes, À la Criée, 2021, p. 29. » C’est bien le changement de statut de ces espaces qui est pointé comme le symptôme situé d’une évolution en forme de « poupées gigognes Terme utilisé par un membre de la Commune de Chantenay lors d’un atelier à la maison de quartier Le Dix, le 24 janvier 2019. » : l’aménagement de la carrière est relié à un phénomène plus large de gentrification pour le quartier, emboîté dans une politique d’attractivité à l’échelle de l’agglomération, motivé par le phénomène de métropolisation encourageant une compétitivité interterritoriale. Mais comment mettre en doute un projet d’espace public et l’installation d’équipements ludiques et culturels ? Explorons les épreuves d’argumentation et de mobilisation mises en œuvre par ce collectif pour faire émerger des contre-récits.

Les sujets que le collectif de la Commune de Chantenay tente de mettre sur la place publique traduisent une volonté de porter le quotidien en politique.

Jeter le doute sur le consensus métropolitain : dynamique de mobilisation et modes d’action

Face à la proposition de Nantes Métropole, plusieurs mobilisations ont émergé : au Bois Hardy contre la densification d’un espace vert prévoyant l’installation de 400 logements en lieu et place de jardins autogérés Cf. L. Garnier, L. Devisme, « Se mobiliser dans et contre la métropole : les activités critiques de l’action publique territorialisée à Nantes, entre scènes et coulisses. Le cas du Bois Hardy », Métropolesmis en ligne le 30 juin 2022. et, à la carrière Miséry, contre la perspective d’aménagement du Jardin extraordinaire. Ces controverses sont portées par des groupes qui se présentent tous deux comme des collectifs de riverains, mais leurs rapports au politique et leurs fonctionnements les distinguent. Là où le collectif du Bois Hardy s’est formé sur l’appartenance à un même espace de proximité, celui de la Commune de Chantenay rassemble ses membres autour d’une « base politique commune Extrait de l’entretien avec deux membres de la Commune de Chantenay le 5 janvier 2023. ». En effet, il fait suite à un comité de quartier contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL) et prolonge en cela un engagement situé contre les « grands projets inutiles et imposés » (GPII). Leurs actions, à la croisée des registres politiques, artistiques et académiques, se sont concentrées autour d’ateliers de lecture et d’écriture menant à la publication de deux ouvrages signés du collectif PUMA Pour Une Métropole Appropriée, Autogérée, aquatique, assez chouette, amoureuse, à compléter, etc.. Ils ont aussi animé des ateliers de cartographie, à la fois publics, en off de la Balade des ateliers Festival « portes ouvertes » des ateliers d’artistes du quartier organisé annuellement par la mairie de Nantes., ou en groupes plus restreints, comme pour l’élaboration de la carte de « désenvoûtement » du quartier de Chantenay. Mentionnons également des évènements protestataires avec d’autres collectifs en lutte dans la métropole nantaise comme la Balade des lieux à défendre (BLAD) organisée en 2018.

Carte des lieux à défendre.
Visuel de la Balade des lieux à défendre organisée le 25 mars 2018 à l’initiative de la Commune de Chantenay, auteur inconnu.

Les sujets que le collectif de la Commune de Chantenay tente de mettre sur la place publique traduisent une volonté de porter le quotidien en politique. Dans les deux ouvrages publiés aux éditions À la Criée, produits d’une démarche d’écriture comme aventure collective J.-L. Bourgoin, « L’expérience d’une écriture en friche », Métropolitiques, 2 juillet 2020., les pratiques ordinaires et informelles sont envisagées comme des témoignages nécessaires pour rendre justice à tout ce qui était facilité par la friche, espace permissif, non surveillé et libéré des enjeux institutionnels car « oublié de la planification Collectif PUMA, op. cit., p. 49. ». Cette vision est certes quelque peu romantique, post-situationniste, mais les explorations, jeux, fêtes, promenades et rencontres – la carrière vide pendant trente ans et les entours de CAP 44 rendaient possible l’accueil d’un public précaire ou alternatif en tente ou camion – permettent de révéler une critique de la fabrique urbaine néolibérale. Il s’agit de renverser la figure du « délaissé » par le rôle social et environnemental joué par cet espace dans ses pratiques ordinaires. Ces qualités sont opposées à « l’extraordinaire » des propositions ludiques de la collectivité : la richesse d’une nature sauvage et endogène ainsi que la diversité des activités (non marchandes) qui pouvaient s’y tenir se dressent contre tous les dispositifs mis en œuvre pour transformer ce lieu en espace touristique et attractif (plantes tropicales, cascade, ouvrages d’art, manège, etc.).

Le collectif a également eu recours à d’autres formes de savoirs, plus conceptuelles, pour construire son action. Avant même l’annonce du projet, c’est auprès du collectif Fertile, impliqué entre 2010 et 2015 dans une expérimentation au long cours, que la Commune de Chantenay a pu trouver des ressources argumentatives comme ce fut le cas à travers la notion de friche publique évolutive Collectif Fertile, Meuse-Miséry. Friche publique évolutive, juin 2011.. Ces architectes et paysagistes qui s’étaient impliqués dans un inventaire des espèces végétales présentes dans la carrière rejoignent les positions développées par le paysagiste Gilles Clément, auteur du concept de « tiers paysage » et qui, invité sur site, confirme le statut d’« une friche unique en Europe Collectif PUMA, op. cit., p. 47. ». La rencontre avec le collectif québécois Unda (en résidence à la Maison régionale de l’architecture des Pays de la Loire en 2019) est encore un exemple des appuis conceptuels et expérimentaux entretenus par le groupe de riverains lui permettant d’imaginer d’autres horizons de valeur mêlant frugalité, expérimentation, autogestion, informalité et production de la ville non marchande.

Dans le courant de l’année 2021, à la suite des élections municipales et la suspension du vote concernant L’Arbre aux Héronsau conseil métropolitain, des rapprochements avec d’autres collectifs et organisations ont accéléré l’abandon du projet. Avec l’association Anticor tout d’abord, le collectif s’est attaché à jeter le doute sur les modalités de financement du manège considéré comme œuvre d’art, sur le coût de celui-ci et sur l’absence de procédure de mise en concurrence pour l’attribution des marchés. Dans un second temps, il s’est investi dans des alliances circonstanciées avec d’autres organisations telles que la Maison du Peuple Lieu autogéré ouvert par des militants « gilets jaunes » pour l’organisation politique et l’hébergement d’urgence, menacé d’expulsion dans cette période., la liste citoyenne Nantes en Commun·e·s et la composante écologiste de la majorité métropolitaine pour créer la plateforme Stop Arbre aux Hérons. Cette coalition a eu pour vertu d’élargir le champ de concernement et d’argumentation en prenant plus spécifiquement en charge le sort du bâtiment CAP 44 et la future Cité de l’imaginaire. Ici, c’est le monde de Jules Verne ou l’« imaginaire vernien » qui est ciblé en tant que fiction culturelle à l’origine de l’uniformisation d’un imaginaire fantasmé.

Déjà éprouvé sur l’île de Nantes, le recours à l’univers de Jules Verne comme d’une marque utile à un « nouveau référent identitaire » est contrebalancé par une critique plus franche du projet d’attractivité afin de lui opposer la figure d’un territoire favorisant l’hospitalité. La culture n’occupe alors plus une place aussi centrale. En effet, les acteurs de la Maison du Peuple se sont mobilisés à de nombreuses reprises pour disposer du bâtiment CAP  44 dans la perspective d’y installer un centre d’accueil pour des publics en grande précarité. La mobilisation déplacée sur ce front a permis à la Commune de Chantenay d’imaginer d’autres usages pour ce bâtiment, notamment sous la forme d’un lieu autogéré. Cette rencontre entre le collectif de quartier et les acteurs des luttes pour les sans-logis et les sans-papiers membres de l’inter-collectif Personne à la rue a réussi à faire entrer dans le débat public des revendications ciblées sur une alter-politique métropolitaine valorisant accueil inconditionnel et solidarité.

Affiche de manifestants collé sur un panneau devant la carrière Miséry où il est inscrit : « Des millions pour l'attractivité, pas un rond pour l'hospitalité ».
Collage lors du rassemblement devant la carrière Miséry à l’occasion du carnaval contre la réintoxication du monde, le 17 septembre 2021.

Conclusion : de nouveaux horizons métropolitains ?

Les critiques ici restituées mettent en avant à la fois l’essoufflement d’un modèle grâce auquel la métropole nantaise a connu, pendant près de trente ans, une véritable success story (marquée par le leadership spécifique de Jean-Marc Ayrault et de ses équipes politiques) et des pistes de travail pour une transformation des qualités urbaines des métropoles. Elles sont parfois marquées par une survalorisation du proche, du commun, de l’authentique, s’opposant d’une manière frontale à une métropole qui serait, sui generis, néolibérale et prédatrice. Mais elles autorisent aussi à renverser des valeurs trop peu interrogées ces dernières décennies et contribuent à faire des grands projets culturels des ambitions désormais datées. Comment, toutefois, entretenir certaines des qualités dont ils étaient pourvus lorsqu’ils développaient des espaces publics ouverts et s’opposaient, en leur temps, à des propositions spéculatives de centres d’affaires ? C’est une histoire encore à venir et qui dépendra des compromis politiques qui seront établis autour d’une condition métropolitaine qui doit à la fois assurer un grand nombre de services à ses habitants et rester ouverte à celles et ceux qui (ne) sont (que) de passage.

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