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17.04.2024 à 11:01

« Tant qu’il n’y aura pas de sanctions, ni de cessation de livraison d’armes à Israël, les responsables israéliens continueront »

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En dépit du vote d’une résolution de l’ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » dans la bande de Gaza le 25 mars dernier, grâce à l’abstention des États-Unis, Israël continue de bombarder et de massacrer la population civile palestinienne quasiment sans répit depuis fin 2023. Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, y voit le signe d’un … Continued
Texte intégral (3581 mots)

En dépit du vote d’une résolution de l’ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » dans la bande de Gaza le 25 mars dernier, grâce à l’abstention des États-Unis, Israël continue de bombarder et de massacrer la population civile palestinienne quasiment sans répit depuis fin 2023. Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, y voit le signe d’un profond sentiment d’impunité chez les dirigeants israéliens. Interviewé par QG, ce dernier souligne l’hypocrisie, voire la duplicité des pays occidentaux qui continuent de livrer des armes à Israël tout en se positionnant favorablement à l’idée d’un cessez-le-feu. Un comportement qui pourrait bien un jour coûter très cher aux pays de l’OTAN, le conflit israélo-palestinien accentuant la désoccidentalisation du monde, notamment à travers la plainte déposée par l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice en janvier dernier. Interview par Jonathan Baudoin

Didier Billion est directeur adjoint de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et auteur de « Désoccidentalisation – Repenser l’ordre du monde » (éditions Agone, 2023)

QG : Pourquoi le vote de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » n’a pas marqué de tournant dans la bande de Gaza ?

Didier Billion : Il y a deux éléments de réponse à apporter. Le premier, c’est qu’on est, tout de même, à l’orée d’une nouvelle étape puisqu’on se souvient que, depuis le 7 octobre, à trois reprises, les États-Unis avaient posé leur veto à des résolutions portées au Conseil de sécurité, visant à obtenir un cessez-le-feu. Cette fois-ci, ils se sont abstenus et on sait très bien que dans le fonctionnement du Conseil de Sécurité, une abstention permet de passer ladite résolution. De ce point de vue, il y a une véritable évolution de la part des États-Unis.

Rappelons toutefois que cette résolution n’est pas contraignante à l’encontre de l’État d’Israël. La meilleure preuve, c’est que depuis l’adoption de cette résolution, les dirigeants israéliens continuent de bombarder de façon aussi intensive et sauvage que lors de ces derniers mois. Et surtout, en matière d’aide, notamment militaire, de la part des États-Unis à l’État d’Israël, rien n’a changé. Il y a une forme de duplicité de la part des États-Unis. Ils ont bougé dans la mesure où ils se sont abstenus de leur veto. Tant mieux ! C’est un point d’appui. Mais dans le même mouvement, il y a eu 100 envois aériens de livraisons d’armes à Israël depuis le 7 octobre. C’est quelque chose d’énorme. Il faudra suivre cela, mais ce serait une aide militaire de plusieurs milliards de dollars. Tant qu’il n’y aura pas de sanctions, ni de cessation de livraison d’armes à Israël, les responsables israéliens continueront.

Que faudrait-il pour contraindre l’État d’Israël à stopper l’opération militaire en cours ?

Je pense qu’il n’y a pas 36 solutions. Il y a la nécessité, pour ma part le souhait, que dans les plus brefs délais, les accords d’association avec Israël, concernant les États-Unis, mais aussi l’Union Européenne, dont la France, doivent être suspendus, voire dénoncés, car on sait fort bien, vu la composition du gouvernement israélien, que seul le rapport de force peut peser sur la situation. La seule manière de faire plier Israël est de lui imposer des sanctions économiques. Les dirigeants israéliens ne comprennent que la force, qu’ils utilisent brutalement contre les Palestiniens. Le propos, c’est d’être aussi rudes et brutaux qu’eux, sans opération militaire bien entendu. Je parle de sanctions économiques, politiques. Ce sont des décisions qui peuvent se prendre concrètement. Les bonnes résolutions, les déclarations, sont nécessaires. Mais totalement insuffisantes.

Lundi 25 mars 2024, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution réclamant un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, grâce à l’abstention des États-Unis, ici représentés par l’ambassadrice Linda Thomas-Greenfield

J’observe le secrétaire général de l’ONU qui mène un combat de principes depuis des semaines. Il a raison sur ce qu’il déclare. Il a dénoncé la politique israélienne à maintes reprises. Mais comme il n’a pas les moyens d’imposer des sanctions envers qui que ce soit, les dirigeants israéliens continuent leur œuvre de mort méthodique comme si de rien n’était. C’est une leçon de ces six derniers mois, mais on peut remonter beaucoup plus loin dans le temps du fait que les dirigeants israéliens jouissent d’un total sentiment d’impunité. À un moment donné, il faut dire stop ! On dénonce tel accord d’association. On arrête les livraisons d’armes. On arrête les livraisons économiques. Et là, peut-être que leur position évoluerait. Il y a urgence car pendant ce temps-là, il y a des gens qui meurent de faim dans des conditions d’inhumanité barbare.

Depuis le lancement des représailles après l’attaque du Hamas du 7 octobre, le gouvernement israélien – et ses soutiens en Occident – accusent l’ONU ou d’autres instances internationales d’antisémitisme. N’est-ce pas plutôt sa politique à l’égard des Palestiniens qui fait désormais monter l’antisémitisme dans le monde?

Oui. À nouveau, il y a deux niveaux de réponse. Tout d’abord, les Israéliens sont passés maîtres, depuis longtemps, dans l’art d’accuser d’antisémitisme toute personne, toute institution ou tout gouvernement qui ose porter une critique à l’égard de leur politique. C’est une ritournelle classique qui, depuis le 7 octobre, prend une ampleur considérable.

Mais ce qui est terrible, dans cette histoire, c’est qu’à travers le monde, cette politique de la terre brûlée, dont la Cour internationale de justice a évoqué des intentions génocidaires, peut nourrir, et c’est regrettable, des critiques, des actions, des manifestations dont certaines peuvent en effet avoir un caractère antisémite. Honnêtement, je crois que c’est là un aspect infiniment minoritaire. Qu’il y ait des antisémites, je le regrette et le condamne. Mais pour l’instant, dans le mouvement de solidarité internationale à l’égard des Palestiniens, l’immense majorité des positions, qu’elles soient individuelles, d’intellectuels, de responsables politiques, de gouvernements, ne peuvent pas être qualifiées d’antisémites. Elles sont critiques à l’égard de la politique d’Israël. Mais à travers le monde, le mouvement de solidarité est réel, tant dans les pays dits du Sud que dans les pays occidentaux. Les fondements politiques de ce mouvement de solidarité au peuple palestinien sont la dénonciation de la barbarie, de la colonisation, de la volonté d’annexion. Ce sont des engagements et des objectifs politiques. Cela n’a rien d’antisémite. Il faut déconstruire ces pseudo-accusations israéliennes.

Manifestation en soutien au peuple Palestinien à Paris, samedi 30 mars 2024. Photo : Serge D’Ignazio

Que vous inspire la démarche entamée par la Cour internationale de justice le 26 janvier dernier pour prévenir un « risque de génocide » ?

Je pense que la Cour internationale de justice avait raison, et que tout converge à terme dans le sens d’une qualification de génocide. C’est ce que je pense. Ceci étant dit, l’accusation est très grave et elle doit être fondée juridiquement. Pour l’instant, nous n’en sommes pas là. La Cour internationale de justice, fin janvier, a évoqué le risque génocidaire. Elle n’a pas qualifié la politique israélienne de génocide. Et nous savons, malheureusement, que pour instruire ce dossier, cela va prendre des mois, voire des années. Or, il y a une urgence absolue. De mon point de vue, il y a tous les éléments d’une politique génocidaire, mais pour le moment cela reste une qualification politique. Pour la qualification juridique, il faudra que le dossier soit instruit. Et tant que nous sommes encore dans la phase actuelle du conflit, l’instruction n’ira pas à son terme. On peut regretter que la justice internationale n’ait pas un rythme correspondant à celui des nécessités humanitaires que nous avons sous les yeux. C’est le propre des actes de justice de ne pas correspondre au temps politique.

Si d’aventure l’État d’Israël est jugé comme un État génocidaire, est-ce que des pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France ou l’Allemagne pourraient être visés par des plaintes d’autres pays pour complicité de génocide devant la CIJ ?

D’un point de vue strictement juridique, oui. Mais nous savons que le droit international est dépendant des rapports de force politiques. Dans l’hypothèse où des actes génocidaires seraient établis par la Cour internationale de justice, alors oui, des États comme ceux que vous avez cités pourraient être accusés de complicité de génocide. C’est tout à fait envisageable. Mais cela dépendra des rapports de force car quel État, quelle entité pourrait vouloir accuser les États-Unis, la France ou d’autres États et quelle serait la poursuite juridique ? Cela n’est pas écrit d’avance.

En tout cas, au niveau politique, on peut considérer qu’il y a une forme de complicité de la part d’États comme les États-Unis, la France, et de nombreux autres, face à ce qui se passe actuellement parce que si j’évoquais tout à l’heure une duplicité des États-Unis s’abstenant au Conseil de sécurité tout en livrant des armes à Israël, la France ne vaut guère mieux sur le principe. Je sais que la France livre beaucoup moins d’armes que les États-Unis à Israël, mais elle pourrait se battre, au sein de l’Union européenne, pour la dénonciation ou la suspension des accords d’association avec Israël. Elle ne le fait pas. On regarde pudiquement ailleurs pour éviter de prendre les responsabilités.

Gaza détruite par les bombes israéliennes, le 8 octobre 2023. Photo : Wafa

Il a fallu près de six mois pour qu’il y ait une résolution onusienne pour un cessez-le-feu. N’est-ce pas un aveu d’impuissance de la part de l’instance internationale ?

Là aussi, il y a deux niveaux de réponse. Une des leçons qu’on peut d’ores et déjà tirer, c’est l’inadéquation des organisations internationales pour peser sur la résolution des conflits. Celui de Gaza est singulièrement terrifiant. Il y en a beaucoup d’autres à l’égard desquels ladite « communauté internationale » a fait preuve de son inefficacité. Cela nous pose un sacré défi collectif. J’entends, dans certains débats, que l’ONU ne sert à rien. Je ne suis pas d’accord. L’ONU, j’en vois toutes les limites, notamment sur la question palestinienne, parce qu’on parle, à raison, de l’actualité chaude. Mais rappelons-nous toujours de la résolution 242 de l’ONU, de novembre 1967, qui n’est toujours pas appliquée. Ce n’est pas tout à fait nouveau et on peut constater qu’à propos de la Syrie par exemple, que ladite « communauté internationale » a fait preuve de son impuissance.

En tant que chercheur, journaliste, citoyen, nous avons notre mot à dire sur la nécessaire refondation de l’ONU parce que si on veut être efficace, si on veut que l’ONU soit un instrument efficient de régulation des relations internationales, il faut la modifier de fond en comble. Facile à dire, infiniment compliqué à faire, je le sais. Mais le constat actuel, et cette crise palestinienne, le prouvent tragiquement: c’est qu’il n’y a plus d’instance de régulation internationale fonctionnelle et efficace.

Il y a un deuxième niveau de réponse, si on zoome sur la singularité de la question israélo-palestinienne. On sait bien que nombre d’États occidentaux ont une sorte de mauvaise conscience à l’égard d’Israël en raison de l’Holocauste. Il est vrai qu’on évoquait le sentiment d’impunité et cette expression est parfaitement juste pour décrire la façon dont les dirigeants israéliens, qu’ils soient travaillistes, du Likoud ou d’extrême-droite, ont compris que ladite « communauté internationale », notamment sa composante occidentale, n’ose pas prendre des sanctions parce qu’il y a toujours ce rapport singulier à l’égard de l’État d’Israël. C’est insupportable parce qu’encore une fois, être exigeant, voire sévère à l’égard d’Israël, ce n’est pas du tout faire preuve d’antisémitisme ! C’est tout simplement vouloir faire respecter le droit international. Il est important, intéressant, que ce soit l’Afrique du Sud qui ait saisi la Cour internationale de justice. Un État dit « du Sud ». Je pense que c’est un indicateur de ce qu’on appelle le basculement du monde. Il y a quelques mois, j’ai co-écrit, avec un ami, Christophe Ventura, un livre qui s’appelle Désoccidentalisation-Repenser l’ordre du monde. Je pense que c’est un fait majeur des relations internationales. La désoccidentalisation du monde n’est pas un concept géographique, mais un concept politique. Le fait est que nombre d’États ne veulent plus passer sous les fourches caudines des exigences occidentales. Le fait que ce soit un État du Sud qui ait saisi la CIJ est donc tout à fait révélateur du cours actuel des relations internationales qui va, sûrement, s’approfondir dans les années à venir. C’est un phénomène marquant et je pense que dans ce cadre-là, les dirigeants israéliens seraient bien à même de méditer ce basculement du monde parce que je pense que leur sentiment d’impunité risque, peu à peu, de disparaître parce que des États comme l’Afrique du Sud, comme le Brésil, la Turquie, ne sont pas en situation d’avoir les mêmes préventions à l’égard d’Israël que les États occidentaux. Il y a là quelque chose d’essentiel pour l’avenir. Les rapports de force internationaux sont en train de se modifier profondément.

Naledi Pandor, Ministre des Relations Internationales d’Afrique du Sud ayant saisi la Cour Internationale de Justice pour la Palestine, lors d’une conférence au Palais des Nations en 2022. / Photo : Violaine Martin

Est-il nécessaire de réformer en profondeur le fonctionnement de l’ONU, notamment celui du Conseil de Sécurité ? Si oui, faudrait-il supprimer les sièges permanents et le droit de veto allant avec ?

Je pense qu’il faudrait le faire. Mais chacun comprend que cela ne pourra pas se réaliser d’un coup de baguette magique. C’est impossible aujourd’hui parce qu’évidemment, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité jouissent de ce pouvoir inouï de droit de veto, qui est insupportable. L’ONU, dans son essence, c’est l’égalité entre tous les États puisque chaque État a une voix. On sait bien que ce droit de veto est le produit des rapports de force issus de la Seconde guerre mondiale, avec un tour de force des Français pour obtenir ce droit de veto d’ailleurs. Ces cinq États s’arc-boutent sur une prérogative absolument injuste.

La tâche, dans les années à venir, c’est que le Conseil de sécurité ne fonctionne plus de cette façon. Déjà, il faut l’élargir à d’autres États. Il faut aussi modifier la règle du veto. Mais vous imaginez bien que ni les Russes, ni les États-Uniens, ni les Chinois, ni les Britanniques et ni les Français ne veulent voir cette prérogative être supprimée ! Pourtant, c’est la voie vers laquelle on doit se diriger. Il est incroyable qu’il n’y ait pas de pays africains, pas de pays latino-américains, pas de pays moyen-orientaux qui soient représentés, de façon permanente, au Conseil de sécurité. Je pense que la marche de l’Histoire sera celle d’élargir le Conseil de Sécurité et de supprimer le droit de veto. Encore une fois, ce n’est pas pour tout de suite. Cela va prendre du temps. Ce sera une bataille politique acharnée pour parvenir à ce résultat.

Il y a d’autres réformes du fonctionnement de l’ONU à mener. Mais je suis, pour ma part, persuadé, en dépit de toutes ses faiblesses, que c’est un instrument à conserver, à réformer, à refonder, parce qu’on n’a pas inventé mieux pour tenter de réguler les relations internationales. Je pense qu’il faut maintenir une enceinte où les conflits, les tensions, les différends, peuvent être discutés, plutôt que de multiplier les conflits guerriers. J’espère que ce n’est pas un vœu pieux de ma part. C’est du travail. Rien ne sera mécanique, automatique. C’est la volonté politique qui comptera.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Didier Billion est politologue, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Il est l’auteur de : Désoccidentalisation – Repenser l’ordre du monde (avec Christophe Ventura, éditions Agone, 2023) ; La Turquie, un partenaire incontournable (éditions Eyrolles, 2021) ; Géopolitique des mondes arabes (éditions Eyrolles, 2021)

Image d’ouverture : Pancarte « Stop arming Israël » affichée à Paris lors d’une manifestation en soutien au peuple palestinien, samedi 30 mars 2024. Photo: Serge D’Ignazio

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