06.05.2025 à 20:07
Raz-de-marée médiatique.
- Politique / La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, Journalisme politiqueLa Meute. Enquête sur la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon (Flammarion) : le livre des journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde) n'avait pas encore paru que la mobilisation médiatique était déjà enclenchée.
Bonnes feuilles dans Le Monde (4/05), recensions dans Le Point, L'Express (5/05), Le Figaro, RTL, L'Indépendant (6/05), en Une de Libération, du Parisien (6/05) et Marianne (7/05), entretiens sur France Inter, dans Marianne, RTL mais aussi « Quotidien » (6/05), où, dès la veille, Jean-Michel Aphatie anticipait l'interview : « [Ils] racontent dans La Meute […] la vraie vie de La France insoumise : une dictature en miniature. Épouvantable ! » (TMC, 5/05) Bref, c'est peu dire que la promo médiatique a démarré en fanfare.
L'enquête occupe de fait le premier plan de l'agenda. Elle fait l'objet du « Brief politique » de France Info (5/05) ; dans la matinale de TF1, Alba Ventura lui consacre un édito, affirmant que le livre « aurait pu tout aussi bien s'appeler La Secte. Une secte dont Jean-Luc Mélenchon est le gourou » (6/05) ; Apolline de Malherbe l'évoque quant à elle pendant le premier quart de son entretien avec Fabien Roussel (BFM-TV, 6/05), dont les « petites phrases » sont ensuite inlassablement recyclées par la chaîne… et l'AFP, elle aussi frénétiquement relayée dans la presse : « Fabien Roussel compare La France insoumise à une "secte" après la publication de "La Meute" sur le parti de Jean-Luc Mélenchon » (Le Monde, 6/05). Sur Franceinfo, la rédaction organise un plateau quelques heures après avoir questionné Alexis Corbière sur le sujet (6/05) ; l'habituée des plateaux Nathalie Mauret signe un papier publié dans plusieurs titres du groupe Ebra, du Dauphiné Libéré aux Dernières nouvelles d'Alsace en passant par Le Bien public (6/05). Et dans la matinale de France Culture (6/05), après un billet de l'éditorialiste Jean Leymarie saluant le livre, Guillaume Erner en remet une couche face à son invité du jour, le sociologue Didier Eribon, enjoint d'acquiescer aux accusations d'antisémitisme portées contre LFI et interrompu pas moins de dix fois par son hôte en à peine deux minutes pour son refus d'obtempérer, laissant le matinalier sur sa faim : « Bon… je vois que je ne vais pas réussir à obtenir autre chose de vous. »
Le livre bénéficie d'un tapage sur-mesure, converti en « événement » de première importance. Le genre, pourtant, est loin d'être nouveau. Si l'émission « Complément d'enquête » (France 2, 24/04) en constitue l'épisode le plus frais, La Meute rejoint la collection d'essais signés par des journalistes sur Jean-Luc Mélenchon et/ou La France insoumise [1].
Mais c'est un genre indéniablement très prisé… et fort rentable : ouvrant un droit automatique à défiler des plateaux de l'audiovisuel aux Unes des journaux, les dénonciations des « ambiguïtés » et « dérives » du « gourou » Mélenchon se succèdent les unes après les autres [2]. Elles sont dans l'air du temps ; celui d'une diabolisation sans fin de la gauche. Dans L'Union (6/05), tout en confessant ne pas l'avoir lu, un journaliste se délecte d'un « livre qui pourrait mettre la meute aux abois » : « Le livre pourrait faire mordre la poussière à LFI, notamment en prévision des prochaines échéances électorales. […] [L]aissons justement la démocratie faire son œuvre et désigner son maillon faible. »
« Jean-Luc Mélenchon bénéficie d'une immunité médiatique sidérante » osait récemment Pascal Praud (CNews, 2/05), rejouant un air connu… quoique passablement orwellien.
Maxime Friot, avec Pauline Perrenot
[1] Succédant (notamment) au Moi, Jean-Luc M. de l'illustre Christophe Barbier (2024), lui-même contemporain, à quelques jours près, de La République c'était lui !, du non moins illustre Éric Naulleau, parus eux aussi sous les projecteurs médiatiques.
06.05.2025 à 11:00
Tribune d'étudiants en journalisme.
- « Indépendance ? » Procès, violences et répression / Israël, Gaza, PalestineNous relayons cette tribune signée par des centaines d'étudiants en journalisme.
Depuis le 7 octobre 2023, plus de 200 journalistes ont été tué·es par l'armée israélienne en Palestine et au Liban.
Face à ce massacre, nous, étudiant·es en journalisme mobilisé·es, affirmons notre solidarité totale avec le peuple palestinien, de Gaza à la Cisjordanie occupée, et avec les civil·es qui en sont les premières victimes.
Nous exprimons également notre soutien inconditionnel à nos consœurs et confrères journalistes palestinien·nes, qui continuent de témoigner au péril de leur vie.
Ce qui est en train de se passer à Gaza est un génocide.
Nous n'employons pas ce mot à la légère : des enquêtes menées par des organisations comme Amnesty International, Human Rights Watch et des commissions d'enquête indépendantes de l'ONU affirment le caractère génocidaire de l'horreur déchaînée contre le peuple palestinien à Gaza. Le rapport d'Amnesty, en particulier, documente non seulement des crimes de guerre à grande échelle, mais met aussi en évidence des éléments démontrant une intention génocidaire de la part d'Israël.
Dans ce contexte, nous saluons le courage inouï des journalistes palestinien·nes sur place, qui, malgré les conditions de guerre, les bombardements permanents, les situations de famine, les coupures de courant, la perte de leurs proches et de leurs collègues, continuent de documenter les réalités du génocide en cours.
Leur travail est vital, et leur silence forcé, un crime de plus.
Par ailleurs, nous condamnons l'interdiction faite aux journalistes internationaux d'entrer à Gaza. Ce verrouillage de l'information témoigne d'une volonté claire de contrôle du récit et d'opacité, incompatible avec le droit à l'information et la liberté de la presse.
Le 16 avril 2025, des journalistes se sont mobilisé·es à Paris et Marseille en soutien à leurs consœurs et confrères de Gaza. Nous nous joignons à leurs revendications.
À notre tour, nous faisons entendre nos voix.
Nous soutenons pleinement le mouvement étudiant, en France comme à l'international, qui dénonce les crimes de guerre et crimes contre l'humanité perpétrés par l'armée israélienne, ainsi que la complicité active de plusieurs gouvernements occidentaux.
À ce titre, nous appelons les établissements d'enseignement supérieur français à rompre leurs partenariats avec les universités israéliennes.
Nous tenons à exprimer notre solidarité avec les étudiant·es gazaoui·es, dont les universités ont été détruites sous les bombes, et qui se voient privé·es de leur droit fondamental à l'éducation.
Notre soutien s'étend également à Mahmoud Khalil, figure du mouvement étudiant pro-palestinien à l'Université de Columbia, emprisonné depuis un mois et demi pour avoir manifesté contre l'occupation israélienne et aujourd'hui menacé d'expulsion.
Cette répression s'inscrit dans une tendance inquiétante à la criminalisation de la solidarité avec la Palestine, dans le monde universitaire et au-delà.
Dans cette continuité, nous exigeons la libération immédiate de Georges Abdallah, militant communiste libanais emprisonné en France depuis 1984.
Détenu depuis plus de 40 ans malgré sa libération conditionnelle accordée en 2013, Georges Abdallah est un symbole de la répression politique contre les soutiens historiques à la cause palestinienne. Son maintien en détention est un scandale judiciaire et politique que nous refusons d'ignorer.
Dans cette même logique de répression et de silence imposé autour du soutien à la cause palestinienne, en France, le collectif citoyen « Faim de justice pour la Palestine », composé majoritairement de soignant·es, mène depuis plusieurs semaines une grève de la faim pour dénoncer le génocide en cours à Gaza et l'hypocrisie des institutions françaises. Leur mobilisation se heurte à un mur de silence médiatique. Très peu relayée par les grands médias, leur action incarne pourtant une résistance humaine et politique face à l'oubli organisé. Nous leur apportons tout notre soutien. Leur détermination et leur courage forcent le respect
Nous appelons à un cessez-le-feu immédiat et permanent dans la bande de Gaza, seule voie possible pour mettre un terme à la catastrophe humanitaire en cours. Ce cessez-le-feu doit s'inscrire dans une dynamique plus large de lutte contre l'occupation illégale des territoires palestiniens et contre l'expansion continue des colonies israéliennes, en violation du droit international.
Nous réclamons également la libération de tous les otages, qu'ils soient israélien·nes détenu·es par le Hamas ou palestinien·nes incarcéré·es sans charges par Israël.
Nous dénonçons fermement l'amalgame systématique entre antisémitisme et antisionisme, un procédé dangereux qui vise à discréditer toute critique de la politique israélienne et à museler les soutiens au peuple palestinien.
En tant que futur·es journalistes, nous sommes préoccupé·es par le traitement médiatique dominant du conflit au Proche-Orient, souvent biaisé en faveur d'Israël. Nous refusons de participer à un système qui déshumanise les Palestinien·nes, ignore leur souffrance et minimise les crimes de guerre qu'ils subissent.
Le travail d'analyse critique réalisé notamment par Arrêt sur images, a mis en évidence une absence de traitement du conflit lors de périodes cruciales, révélant un silence médiatique frappant au moment même où les bombardements s'intensifiaient et où les pertes civiles palestiniennes s'alourdissaient. Dans cette même perspective, Acrimed mène depuis des années un travail méticuleux d'analyse des biais structurels des grands médias français, montrant comment les violences israéliennes sont euphémisées, les responsabilités diluées, et les voix palestiniennes systématiquement marginalisées.
À cela s'ajoute l'enquête publiée en janvier 2025 par L'Humanité, en collaboration avec l'ONG Tech for Palestine, qui a passé au crible plus de 13 000 articles consacrés au conflit, issus de cinq grands journaux français. Cette analyse montre que, malgré l'ampleur des pertes humaines côté palestinien, les morts et souffrances palestiniennes sont très peu mises en avant dans les titres, les choix iconographiques, ou encore les angles éditoriaux.
Ce traitement participe d'une asymétrie profonde dans la manière dont de trop nombreux médias français couvrent la guerre à Gaza : focalisation sur les discours officiels israéliens, quasi-absence des voix palestiniennes, floutage des responsabilités, euphémisation des violences subies.
Ce constat renforce notre volonté de dénoncer un paysage médiatique trop souvent marqué par des récits déséquilibrés et déshumanisants, et de nous engager dans une pratique du journalisme réellement critique, rigoureuse et fidèle aux faits.
Nous regrettons aussi la place laissée à certain·es éditorialistes ou responsables politiques, dont les propos sont diffusés sans aucun contradictoire ni vérification des faits, participant ainsi à la diffusion de discours mensongers et diffamants.
Il ne nous est pas possible de poursuivre nos études dans le silence face à cette réalité. Nous affirmons notre engagement pour un journalisme de terrain, de vérité, de justice.
Nous souhaitons terminer cette tribune avec les mots de Fatima Hassouna, jeune photojournaliste palestinienne tuée à son domicile dans un bombardement israélien à Gaza le 16 avril 2025, avec dix membres de sa famille. Elle avait consacré sa vie, son regard et sa voix à documenter les combats et les souffrances des siens. Quelques jours avant sa mort, elle écrivait :
Nous l'entendons. Nous refusons le silence.
Sont signataires à ce jour, le 05 mai 2025, 712 étudiant·es en journalisme mobilisé·es des écoles suivantes :
● Bordeaux : Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA)
● Cannes : École de Journalisme de Cannes (EJC)
● Grenoble : École de Journalisme de Grenoble (EJDG)
● Lannion : Institut Universitaire de Technologie de Lannion (IUT Lannion)
● Lille : Académie de l'École Supérieure de Journalisme (ESJ)
● Lille : École Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ Lille)
● Lyon : Centre de Formation des Journalistes – antenne de Lyon (CFJ Lyon)
● Lyon : Master Nouvelles Pratiques du Journalisme – Université Lumière Lyon 2 (NPJ Lyon II)
● Marseille : École de Journalisme et de Communication d'Aix-Marseille (EJCAM)
● Montpellier : École Supérieure de Journalisme Pro de Montpellier (ESJ Pro Montpellier)
● Paris : Centre d'Études Littéraires et Scientifiques Appliquées – Université Paris-Sorbonne (CELSA)
● Paris : Centre de Formation des Journalistes (CFJ)
● Paris : Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ)
● Paris : Institut Pratique de Journalisme – Université Paris Dauphine (IPJ)
● Paris : Sciences Po Paris – École de Journalisme
● Paris : Master Journalisme bilingue anglais-français – Université Sorbonne Nouvelle
● Paris : Institut français de presse (IFP)
● Prépa la Chance, pour la diversité dans les médias
● Rennes : Sciences Po Rennes – Master Journalisme
● Strasbourg : Centre Universitaire d'Enseignement du Journalisme (CUEJ)
● Toulouse : École de Journalisme de Toulouse (EJT)
● Tours : École Publique de Journalisme de Tours (EPJT)
● Valenciennes : Master Design Informationnel et Journalisme Transmédia (DIJT) – Université Polytechnique des Hauts-de-France (UPHF)
● Vichy : Institut Universitaire de Technologie de Vichy (IUT Vichy)
02.05.2025 à 11:37
Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 25/04/2025 au 01/05/2025.
« L'hommage de CNews au pape François, "idéologue", "woke", "politiquement désastreux" », Télérama, 25/04.
« Mort du pape : les médias en mode catho-bienveillance », Arrêt sur images, 25/04.
« Attaque en prisons, attaque à Nantes : deux occasions de cibler la gauche », Arrêt sur images, 30/04.
« Propos génocidaires d'un chanteur israélien : l'info qui venait trop tard », Arrêt sur images, 26/04.
« "Des victimes coupables" : comment les journalistes français voient leurs confrères palestiniens ? », Arrêt sur images, 29/04.
« Manif anti-islamophobie : Jérôme Guedj hué, les médias aveuglés ? », Arrêt sur images, 1/05.
« Face au journalisme de classe », Acrimed, 1/05.
« Trump : pourquoi la presse française n'ose pas dire "fascisme" ? », Arrêt sur images, 25/04.
« "Complorama", l'OTAN et les archives », Le Monde diplomatique, mai 2025.
« Écarté de Marianne, ce journaliste jugé trop "anti-Israël" balance sur les médias français », Le Média, 27/04.
« Toxique bouffon », Off Investigation, 30/04.
« Hanouna candidat à la présidentielle 2027 ? Un canular… et un navrant tintamarre médiatique », Télérama, 30/04.
« Arrêt Sur Images & Sionisme : quelle neutralité ? », Paroles d'Honneur, 30/04.
« Polémiques sur Mélenchon, crime islamophobe : ce streamer démonte le mythe des "médias de gauche" », Le Média, 1/05.
« La radio Mouv' va quitter la FM pour devenir 100 % numérique en septembre, confirme Sibyle Veil », Le Monde, 28/04.
« Le groupe Ouest-France prépare le lancement de sa télévision malgré des doutes en interne », Le Monde, 30/04.
« Le groupe Ebra (Le Progrès, l'Est Républicain…) toujours dans le rouge », L'Informé, 30/04.
« Le CSE de Nice-Matin déclenche un droit d'alerte économique », La Lettre, 28/04.
« Bernard Arnault ajoute L'Opinion et L'Agefi à son empire médiatique », La Lettre, 28/04.
« Delphine Ernotte, candidate à un troisième mandat, et trois autres personnes en lice pour la présidence de France Télévisions », Le Monde, 30/04.
« Une journaliste de Télérama auditionnée par la police avant même la publication de son enquête », L'Humanité, 29/04.
« Attaques contre les journalistes, concentration des médias... Pourquoi la liberté de la presse est en danger en Europe selon l'ONG Liberties ? », L'Humanité, 29/04.
« "Pas de démocratie sans information, pas d'information sans journalistes", alerte Laurent Richard fondateur de Forbidden Stories », L'Humanité, 1/05.
« Transparence Les invités des émissions d'information de France Télévisions sont-ils payés ? », France Info, 25/04.
« France Inter : Claude Askolovitch arrêtera la revue de presse début juillet », Libération, 28/04.
Et aussi, dans le monde : Belgique, Burundi, Turquie, États-Unis...
Retrouver toutes les revues de presse ici.
[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.
01.05.2025 à 08:00
Un tract pour les manifestations du 1er mai.
- Travail, salaires, emploi, etc.Un tract d'Acrimed pour les manifestations du 1er mai. Disponible en pdf ici.
Régulièrement qualifié de « fête du travail » par les médias dominants, le 1er mai fait l'objet d'une dépolitisation massive. Alors que les licenciements se multiplient, les luttes des travailleurs et travailleuses sont passées sous silence, tandis que les attaques du gouvernement contre le système de protection sociale, les droits des salariés et les services publics sont reléguées au second plan.
Dans la droite ligne de la loi de finances 2025 imposant des saignées budgétaires à l'enseignement, la transition écologique, l'AME, la culture, l'audiovisuel public, etc., les politiques austéritaires mériteraient reportages et enquêtes. Mais au lieu d'exercer ce rôle de contre-pouvoir, les médias dominants accompagnent et légitiment la casse sociale.
Au cours des deux derniers mois, les séquences de matraquage patronal se sont de nouveau multipliées autour de deux mots d'ordre : « travailler plus » et « réduire les dépenses publiques ». Menées avant-hier au nom de « l'équilibre » du système des retraites, hier de « l'effort de guerre », aujourd'hui de la lutte contre le « déficit public » face à la « guerre commerciale », les campagnes médiatiques se suivent et se ressemblent. Alignées sur les positions du gouvernement, elles relaient les intérêts du patronat.
« Pensions ou munitions ? » ; « Les canons ou les allocations ? » Signés Dominique Seux (Les Échos, 10/03) et Étienne Gernelle (RTL, 10/03), les deux slogans résument le cadrage du débat public. « Pas d'échappatoire, il faut réduire les dépenses publiques », prescrit L'Opinion (7/03), à l'image des éditos « éco » de l'audiovisuel, de France Inter à BFM-TV. « Il faut choisir : se reposer… ou être libre », prévenait déjà Olivier Babeau sur Europe 1 (3/03). « Notre sacro-saint modèle social […] ruine consciencieusement le pays », martèle jour après jour Le Figaro (7/03). Le Monde prend toute sa part au matraquage, présentant le « douloureux réveil budgétaire »… comme une fatalité : « Le réarmement du pays […] place l'exécutif dans la situation très délicate d'avoir à remettre à plat les dépenses de l'État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale pour trouver des gisements durables d'économies. » (7/03)
Bref, les éditocrates jouent (presque) partout leur rôle traditionnel de gardiens de l'ordre. Pédagogues de l'orthodoxie néolibérale, ils affirment qu'« il n'y a pas d'alternative » et ménagent les profiteurs de crise pour mieux fabriquer le consentement aux « sacrifices que les Français devraient faire » : « On sait très bien qu'on a une contradiction entre notre modèle social généreux, confortable, solidaire, adapté à la paix, et la nécessité d'aller vers un effort de guerre et une économie de guerre. » (Christophe Barbier, BFM-TV, 5/03)
Les voix contestataires sont d'autant plus inaudibles que la diabolisation médiatique de la gauche sociale et politique se poursuit sur fond de normalisation de l'extrême droite. La condamnation judiciaire du RN est commentée comme un « déni de démocratie » ; une large partie de l'éditocratie fait désormais le procès de la justice, accréditant les pires slogans de l'extrême droite contre l'État de droit ; « insécurité » et « immigration » continuent de polariser l'agenda, pollué par les surenchères des Retailleau, Darmanin, Wauquiez, etc. auxquels les chefferies éditoriales déroulent le tapis rouge.
Dans ce grand bain réactionnaire, les urgences sociales et écologiques sont reléguées aux marges, les syndicats de salariés n'ont pas voix au chapitre et La France insoumise continue d'essuyer les calomnies en série, clouée au pilori pour son engagement contre le génocide en Palestine, largement invisibilisé par les grands médias.
Face à cela, il faut soutenir les médias indépendants, seuls capables d'imposer d'autres préoccupations et d'autres voix ; organiser les solidarités avec les journalistes qui tentent de faire front en interne ; et continuer de porter les propositions visant à libérer l'information de l'emprise des industriels et de la communication.
29.04.2025 à 14:03
Nous publions un extrait du rapport Le Système Bolloré. De la prédation financière à la croisade politique, produit par Attac et l'Observatoire des multinationales (24 avril).
Lorsqu'en 2022, Vincent Bolloré vend pour 5,7 milliards d'euros sa branche logistique africaine à l'amateur Mediterranean Shipping Company (MSC), le milliardaire a semblé tourner le dos au continent qui a fait sa fortune. Deux ans plus tard, le voici reparti à l'offensive, dans la télévision et le divertissement cette fois : en annonçant vouloir prendre le contrôle de MultiChoice, le géant sud-africain de la télévision payante, Bolloré se positionne pour faire de Canal+, son groupe de médias, le premier opérateur de toute l'Afrique subsaharienne.
À la peine dans l'Hexagone [1] où il perd des abonné·es, Canal+ a aujourd'hui de grandes ambitions à l'international. Comme l'a expliqué le président du directoire du groupe, Maxime Saada, devant une commission sénatoriale, « la vidéo par abonnement est un marché de coûts fixes. Il y a donc un enjeu de taille critique pour l'ensemble des acteurs, afin de mieux amortir ces coûts. Plus un opérateur a d'abonnés, moins le prix de revient par abonné d'une série ou d'un film est important » [2]. Canal+ mise donc sur une offre combinant à la fois des contenus propres – chaînes en continu, exclusivités sportives, production de séries, etc. – et la distribution des offres en streaming de ses concurrents [3]. Avec un objectif clair : dépasser rapidement les 50 millions d'abonné·es et devenir un acteur de taille mondiale, capable de résister aux grandes plateformes de vidéo à la demande comme Netflix, Prime Video ou Disney+. Et pour cela, multiplier les acquisitions, alors que le groupe Bolloré regorge de liquidités. À partir de 2019, Canal+ rachète ainsi le diffuseur de chaînes luxembourgeois M7 (3 millions d'abonnés au Benelux et en Europe centrale et de l'est), prend une participation majoritaire dans l'opérateur SPI [4], propriétaire du groupe polonais de télévision Kino Polska et distributeur, dans une cinquantaine de pays, des chaînes et service de streaming FilmBox, investit dans la plateforme de streaming hongkongaise Viu et entre au capital de Viaplay, le « Netflix scandinave » aux 7,3 millions d'abonné·es. En parallèle, Studio Canal investissait dans une quinzaine de studios de production européens ou américains afin de sécuriser son accès aux contenus exclusifs : Red Production, UrbanMythFilm ou Sunny March au Royaume-Uni, Bambú Productions en Espagne, SAM Productions au Danemark, The Picture Company aux États-Unis, Lailaps Films en Allemagne, etc.
Dans cette frénésie d'acquisitions internationales, l'Afrique subsaharienne occupe une place à part. Les dirigeants du groupe en sont persuadés : « L'avenir de Canal+, c'est l'Afrique ! » [5]. Le potentiel de développement de la télévision payante y est en effet plus important que partout ailleurs, porté par une urbanisation rapide, par le développement de l'électrification et de la connectivité à haut débit et par l'émergence d'une classe moyenne au pouvoir d'achat plus conséquent.
Pour Canal+, ce nouvel eldorado africain est d'autant plus stratégique que le groupe est implanté au sud du Sahara depuis plus de 30 ans. Il y revendique un peu plus de 8 millions d'abonné·es, presque autant qu'en France – 9,8 millions – et près du tiers du total de ses abonnés à travers le monde. Son chiffre d'affaires sur le continent progresse régulièrement, pour franchir la barre des 850 millions d'euros en 2023. En Afrique, Canal+ propose naturellement ses abonnements de télévision par satellite mais aussi, plus récemment, par la TNT via ses filiales Telenum. La Côte d'Ivoire y est de loin son premier marché de télévision payante – 225 millions d'euros de chiffre d'affaires part du groupe en 2023 et près de 10 millions d'euros de bénéfices – devant la République démocratique du Congo (97 millions d'euros de CA), le Cameroun (87 millions) et le Sénégal (55 millions).
Une autre branche, celle l'opérateur télécom Group Vivendi Africa (GVA), installe et commercialise, sous la marque CanalBox, ses propres réseaux internet haut débit en fibre optique dans une dizaine de métropoles africaines, de Libreville à Kampala, Lomé, Pointe Noire ou Abidjan. La société CanalOlympia, une vitrine culturelle du groupe, gère également un réseau d'espaces polyvalents, à la fois salles de cinéma, de spectacle et de concert, dans une douzaine de pays. En Afrique, Canal+ fait aussi et surtout le pari des contenus locaux, en investissant dans la production ou en proposant ses propres chaînes africaines. Il est ainsi devenu l'actionnaire majoritaire des sociétés de production Rok Studios au Nigeria et au Ghana, Plan A en Côte d'Ivoire et ZACU Entertainment au Rwanda, et est entré au capital de Marodi TV au Sénégal. Il édite et diffuse la chaîne A+ à l'échelle du continent, des déclinaisons locales en Côte d'Ivoire et au Bénin, Kana TV en Éthiopie ou encore Nollywood TV et Nollywood TV Epic, spécialisés dans la diffusion des produits de l'industrie cinématographique nigériane. Canal+ multiplie les chaînes en langues locales, du wolof au Sénégal (Sunu Yeuf TV) au lingala en République démocratique du Congo (Maboke TV), en passant par le kinyarwanda (Zacu TV) pour les abonné·es du Burundi et du Rwanda, le malgache (Novegasy) ou l'amharique et l'oromifa pour le public éthiopien. Comme s'en inquiète auprès de Mediapart le journaliste Hamadou Tidiane Sy, directeur de l'École supérieure de journalisme, des métiers de l'internet et de la communication de Dakar, « cela signifie que les petites radios ou télévisions communautaires diffusant dans ces langues et qui se disaient que ça, au moins, c'était leur "petit territoire", ne vont plus avoir de marge à ce niveau » [6].
L'emprise de Bolloré va donc croissante, tout en restant circonscrite à une quinzaine de pays, essentiellement francophones. Et c'est ici que l'enjeu de la prise de contrôle de MultiChoice devient manifeste : le groupe de télévision payante sud-africain aux 20,9 millions d'abonné·es, avec une audience estimée à près de 100 millions de personnes, est comme un miroir anglophone et lusophone de Canal+, dans une complémentarité presque parfaite [Fig. 4]. L'Afrique du Sud, où il a commencé à diffuser en 1985, reste son premier débouché et représente 60 % de son chiffre d'affaires. Mais MultiChoice est aussi le premier opérateur sur les très vastes marchés du Nigeria et de l'Éthiopie, au Kenya, en Zambie ou au Ghana, et dans une moindre mesure en Angola et au Mozambique. La complémentarité n'est pas seulement géographique : comme Canal+, le Sud-Africain propose des bouquets de chaînes par satellite, en ligne ou via mobile et dispose, via GOtv, d'une plate-forme de diffusion numérique terrestre ; sa filiale SuperSport est le premier diffuseur sportif d'Afrique par télévision payante, détenant les droits des principaux événements mondiaux de football, de rugby, de cricket, de tennis ou de golf ; Shomax, son service de vidéo à la demande, propose des contenus en partenariat avec le géant américain Comcast – premier câblo-opérateur et fournisseur d'accès à internet américain, propriétaire des studios DreamWorks et NBCUniversal. MultiChoice s'appuie également sur Irdeto, un acteur mondial de la cyber-sécurité spécialisé dans la lutte contre le piratage des contenus en ligne, et détient des actifs dans les paris sportifs (Betking au Nigeria, SuperSportBet en Afrique du Sud) ou dans les services médicaux en ligne (Namola). Il est enfin et surtout un important producteur de séries, de films ou d'émissions de téléréalité en anglais, en portugais ou en langues nationales – plus de 6 500 heures de productions locales en 2023 – et un des principaux acheteurs de contenus produits en Afrique.
L'intérêt de Canal+ pour MultiChoice est ancien. En 2017 déjà, le groupe avait proposé un milliard de dollars pour racheter l'opérateur à son propriétaire de l'époque, l'éditeur de presse sud-africain Naspers. L'offre avait été jugée insuffisante et Naspers avait préféré jouer la carte de la scission et de l'introduction à la bourse de Johannesburg. En septembre 2020, le groupe Canal+ annonçait franchir le seuil des 5 % de détention de MultiChoice. En 2024, alors que le contexte macroéconomique au Nigeria et en Afrique du Sud pèse lourdement sur les résultats de MultiChoice, dont le cours de l'action s'est effondré de près de 40 % sur un an, tout s'accélère : le groupe français annonce détenir plus de 35 % du capital de son partenaire, franchissant ainsi le seuil de déclenchement d'une offre publique d'achat (OPA) obligatoire. Dans un premier temps, le conseil d'administration MultiChoice rejette l'offre de Canal+ au minimum réglementaire de 105 rands par action (env. 5,15 euros). Début mars, le français renchérit sur sa proposition initiale à 125 rands par action (env. 6,12 euros), soit une prime de 67 % par rapport au cours du 1er février et une valorisation de MultiChoice à 2,7 milliards d'euros. Un accord est conclu entre les parties, publié le 8 avril 2024 : Canal+ s'engage à débourser jusqu'à 1,8 milliard d'euros supplémentaires – il est entre-temps monté à 45,2 % du capital – pour acquérir tous les titres que les actionnaires de MultiChoice voudront lui céder. L'offre, « entièrement financée par les fonds dont dispose le groupe », devait s'achever en avril 2025. Elle a été prolongée de six mois pour permettre à Canal+ de se conformer à la réglementation sud-africaine interdisant à tout actionnaire étranger de posséder plus de 20 % des votes au conseil d'administration d'un groupe de télécommunications et de posséder plus de 20 % du capital du titulaire d'une licence de radiodiffusion commerciale. Pour satisfaire ces exigences, Canal+ et MultiChoice envisagent tous les scénarios, y compris des cessions d'actifs, des partenaires locaux ou des dispositifs de limitation des droits de vote sur certaines entités du groupe.
Les dirigeants de Canal+ attendent beaucoup de cette fusion : ils espèrent naturellement bénéficier de l'expérience du Sud-Africain dans le streaming en ligne, mutualiser les coûts de production, offrir aux annonceurs un débouché publicitaire beaucoup plus large et peser dans les négociations des coûts satellites, des droits sportifs, cinématographiques ou de distribution des chaînes. Surtout, avec la prise de contrôle de MultiChoice, le groupe Canal+ changerait littéralement d'échelle : son chiffre d'affaires devrait bondir de 45 %, son nombre d'abonné·es presque doubler pour frôler les 50 millions, dont près de 30 millions au sud du Sahara. Son centre de gravité se transporterait ainsi brusquement en Afrique, qui pèserait plus de 40 % du chiffre d'affaires mondial et plus de 60 % de l'audience [Fig. 5]. Le groupe de Vincent Bolloré deviendrait le principal opérateur de télévision payante du continent africain, très loin devant son principal concurrent, le chinois StarTimes et ses 13 millions d'abonné·es. L'offensive de Bolloré va ainsi donner naissance à un nouvel empire de la télévision et du divertissement, en situation de quasi-monopole dans une trentaine de pays et pesant d'un poids considérable sur la production de contenus africains. Un nouvel empire aux mains d'un milliardaire réactionnaire.
Attac et l'Observatoire des multinationales, Le Système Bolloré. De la prédation financière à la croisade politique, 24 avril 2025, p. 31-36.
[2] Audition de Maxime Saada par la Commission d'enquête du Sénat sur la concentration dans les médias, 28 janvier 2022.
[3] Sur la stratégie de Canal+, voir notamment Alexandre Joux, « Les investissements de Canal+ dessinent une alternative mondiale aux services américains de streaming », Revue européenne des médias et du numérique, 69-70, 2024.
[4] Le groupe SPI a été totalement acquis par Canal+ en août 2023.
[5] Maxime Saada invité de CNBC Africa, 1er février 2024.
[6] « Canal+ sur le point de contrôler le marché de la télé payante en Afrique », Mediapart, 3 juillet 2024.