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30.09.2023 à 09:25

Audiovisuel public, Laurent Ruquier, Le Monde et compagnie : revue de presse de la semaine

Maxime Friot

Du 23/09 au 29/09.

- L'actualité des médias
Texte intégral (1079 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 23/09/2023 au 29/09/2023.

Critique des médias

« Marches contre le racisme et les violences policières : l'éditocratie renverse (et piétine) l'information », Acrimed, 25/09.

« Ruquier sur BFM-TV : cacophonie et survol de l'information », Acrimed, 26/09.

« Fausses innovations et vrais débats stériles, le "20 heures de Ruquier" débarque sur BFM TV », Libération, 26/09.

« Luc Besson : plaindre l'homme déchu, oublier les accusations », Arrêt sur images, 28/09 [article complet réservé aux abonnés].

« De nombreux médias enfumés par l'"annonce" de Gabriel Attal d'une "prime exceptionnelle" aux enseignants », Libération, 29/09.

« Ukraine, le béton médiatique se fissure », Le Monde diplomatique, octobre 2023 [article complet réservé aux abonnés].

« Abaya, rien à déclarer », Le Monde diplomatique, octobre 2023.

« Jean Viard : dernier des premiers macronistes médiatiques », Arrêt sur images, 24/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Exilé·es : BFMTV supprime les applaudissements de Darmanin au pape », Arrêt sur images, 25/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Charles Prats, ex-magistrat, spécialiste en fraudes… et VRP de sa société sur CNews », Libération, 28/09.

Économie des médias

« En hausse, le budget de l'audiovisuel public pour 2024 comportera une part variable », Le Monde, 27/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky revend à Xavier Niel ses parts dans le Groupe Le Monde », Le Monde, 23/09.

« "Causette" passe au 100 % numérique, abandonnant sa version papier », Le Monde, 27/09 [article complet réservé aux abonnés].

Dans les rédactions

« La rédaction des "Echos" refuse de porter François Vidal à sa tête », Le Monde, 27/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Chez Blast, la chasse aux syndicalistes est ouverte ? », SNJ, 28/09.

« Radio France : une journaliste qui avait dénoncé "une ambiance sexiste" déboutée par la justice », Le Monde, 27/09.

À signaler, aussi

« Mieux informer sur l'écologie : volontarisme et inerties journalistiques », Acrimed, 27/09.

« Un projet de loi prévoit-il d'interdire les prises de position climatosceptiques dans les médias ? », Libération, 29/09.

« Pourquoi des journalistes ont-ils été verbalisés pour avoir filmé à la gare Montparnasse ? », Libération, 26/09.

« Pour Julian Assange : un appel lancé par Mediapart », Mediapart, 27/09.

« Journalistes muselés : l'inquiétante offensive contre la presse », Blast, 28/09.

« IA : les éditeurs de presse d'information français s'organisent contre les robots pilleurs de contenu », Libération, 26/09.

« Journalisme politique : débats autour d'un livre incendiaire », Arrêt sur images, 26/09 [article complet réservé aux abonnés].

« L'Arcom saisie après une question de Pascal Praud liant punaises de lit et immigration », 20 Minutes, 29/09.

Et aussi, dans le monde : Burkina Faso, Hong Kong...

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

27.09.2023 à 07:00

Mieux informer sur l'écologie : volontarisme et inerties journalistiques

Maxime Friot

Entretien avec Loup Espargilière (Vert).

- Médias et écologie /
Texte intégral (1956 mots)

« Face à l'urgence absolue de la situation, nous, journalistes, devons modifier notre façon de travailler pour intégrer pleinement [l'] enjeu [climatique] dans le traitement de l'information » : il y a maintenant un an, le 14 septembre 2022, une « charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique » était signée par de nombreux médias, collectifs, syndicats, journalistes, écoles de journalisme. Entretien-bilan avec Loup Espargilière, rédacteur en chef de Vert, le média à l'origine de cette initiative.

Acrimed : Est-ce que vous pouvez revenir sur le processus qui a abouti à cette charte ? Quels étaient vos objectifs ?

Loup Espargilière : En février 2022, à Vert, on a eu l'idée de faire un manifeste pour une nouvelle écologie médiatique. Après le mouvement des Gilets jaunes, le but était de réconcilier les lecteurs avec les journalistes, autour d'une meilleure information sur l'écologie, avec l'idée que le social et l'écologie sont des sujets intimement liés. On a proposé à nos lecteurs de voter sur dix propositions, et on a fait travailler des scientifiques et des membres de collectifs citoyens sur le texte pour aboutir sur un manifeste qui comptait déjà à l'époque une douzaine de points. Ensuite, avec notre collègue Anne-Sophie Novel, on est allés voir nos confrères et consœurs de plein de médias, des petits et des gros, et on a monté un collectif informel d'une trentaine de personnes pour bosser sur ce manifeste. Collectivement, on s'est convaincus que c'était plus intéressant et plus durable de faire un texte plus dur, comme une charte, qui soit à l'usage de la profession et qu'on puisse afficher dans les salles de rédaction, dans les écoles de journalisme… Au printemps 2022, on a travaillé tous ensemble avec nos camarades de Reporterre, de France Info et de France Télévisions plus largement, avec des journalistes indépendants et des journalistes de La Relève et la Peste, Socialter, Blast, RFI – on avait un collectif relativement éclectique. L'idée était de faire un texte qui puisse faire office de boussole, pour aiguiller nos confrères et consœurs, mais aussi nous-mêmes, pour essayer d'améliorer le traitement de tous les sujets à l'aune de l'urgence écologique. Transversalité, pédagogie, informer sur les réponses à la crise, se former, etc. : la charte compte, au final, 13 points.

Quel impact a eu cette charte au moment de sa publication ? Savez-vous si elle a donné lieu à des discussions dans les rédactions ?

On a sorti la charte juste après un été 2022 cataclysmique, marqué par des canicules, sècheresses et incendies, un moment où beaucoup de journalistes ont pris en pleine face une réalité qu'ils maîtrisaient souvent mal… Un moment aussi où ils se sont confrontés, parfois, à leur légèreté sur certains sujets, dans leur traitement de l'actualité au regard de la crise climatique. Au même moment, Radio France a fait son « tournant environnemental ». Tout ça a créé un temps fort médiatique, une grande conversation dans le monde des médias – on a eu des échos de quasiment toutes les rédactions, que ce soit presse écrite, télé ou radio. Toutes les rédactions ont discuté de ce sujet-là : qu'est-ce qu'on fait de bien ou de pas bien ? Qu'est-ce qu'on pourrait faire de mieux ? Est-ce qu'on signe la charte ? Ça a donc au moins eu l'intérêt immédiat de provoquer, sinon une prise de conscience, en tout cas un grand questionnement dans le métier, ce qui n'est pas anodin. Au moment de la charte, 80 médias – dont Mediapart, 20 Minutes, RFI, France 24, des petits médias –, des boîtes de production, des écoles de journalisme ont signé la charte. Un an après, on est à 1 800 journalistes signataires à titre individuel et 200 médias/boîtes de production/écoles de journalisme. Toutes les écoles de journalisme reconnues par la profession ont signé la charte.

Un an plus tard, quel bilan tirez-vous ?

Un bilan contrasté : d'un côté la charte a pu valider et encourager des pratiques, il y a eu des changements. Mais pas partout : manque d'effectifs, modèle économique incompatible, direction éditoriale réticente, autant de facteurs qui ont parfois empêché tout changement significatif. Mais c'est un objet qui reste dans les salles de rédaction et les écoles de journalisme. Je pense aussi que ça a eu un impact assez fort sur les jeunes journalistes. Ce n'est pas uniquement du fait de la charte, mais aujourd'hui c'est un sujet beaucoup mieux pris en compte dans les écoles de journalisme. J'ai l'impression qu'il est communément admis, dorénavant, que ça doit faire partie de la formation initiale des journalistes. De ce point de vue, la charte est un très bon support de formation.

Les signataires de la charte en ont-ils respecté les différents points ?

On n'a pas eu d'écho particulièrement scandaleux, à part concernant L'ADN : la direction avait voulu faire du business avec TotalEnergies (Arrêt sur images avait fait un article à ce sujet). Évidemment ça avait provoqué un tollé en interne, déjà parce que c'était en soi assez scandaleux de vouloir assurer la comm' de Total, en marge de l'activité journalistique avec une équipe qui devait être dédiée à ça, et a fortiori quand on a signé une charte dans laquelle on s'oppose aux financements issus des activités les plus polluantes ! La direction a rétropédalé…

Quel regard portez-vous sur ceux qui n'ont pas signé, notamment la plupart des médias dominants ? Certains, comme TF1 ou France Télévisions, ont élaboré leur propre charte, faut-il y voir une réelle prise de conscience (suivie d'actes) ou s'agit-il plutôt de greenwashing ?

Il y a beaucoup de rédactions qui n'ont pas signé, évidemment, on s'en doutait un peu. Des grands médias ont sorti des chartes qui mélangent des engagements RSE [1] (par exemple un meilleur tri des déchets) avec des engagements éditoriaux, on a eu un peu tout et n'importe quoi. Il y a aussi eu des médias relativement ambitieux qui ne pouvaient pas signer la charte parce qu'il y avait un ou deux points, notamment concernant l'économie des médias, qui ne leur allaient pas du tout. Le Monde a élaboré sa propre charte, Ouest-France aussi. D'autres ont suivi. Aujourd'hui, tous les médias sentent qu'ils sont au moins obligés de faire semblant. Est-ce que c'est une victoire ? Je ne sais pas. Mais je veux croire que, même dans les grandes machines comme France Télévisions ou d'autres, ces textes-là ne sont pas anodins. Au moins est-il maintenant communément admis, dans le métier, qu'il faut en faire plus, qu'il faut s'améliorer sur ces sujets.

Un point qui est fondamental, c'est celui de la formation. Les journalistes, en général, ne sont pas assez formés sur ces enjeux. Résultat : les journalistes qui ne sont pas spécialistes de l'écologie, mais qui sont sur le sport, la culture ou la politique, fonctionnent en silo et il leur manque donc des clés de décryptage. C'est pour ça qu'on voit encore des interviews politiques, où dès que ça dérive sur des questions environnementales, des journalistes qui sont mal formés et comprennent mal les sujets posent des questions qui ne sont pas bonnes et ne vont pas assez loin. Ceci étant, on a vu des grands plans de formation dans beaucoup de médias. Comme pour les chartes, il y en a qui vont assez loin, qui font des formations de plusieurs jours, avec un suivi où on rentre vraiment dans le cœur de la pratique professionnelle (les titres, les angles, le vocabulaire…). Par exemple, RFI et France 24, qui ont signé la charte, ont mis en place des plans de formation assez ambitieux. D'autres vont faire le service minimum, avec des formations d'un jour. Malheureusement dans ces cas-là on dépasse rarement le stade de la simple sensibilisation.

La publication de la charte et le travail qui a été mené auparavant ont-ils donné lieu, depuis un an, à des suites, à d'autres initiatives ?

Certains collectifs citoyens, comme Quota Climat ou Plus de climat dans les médias, vont se servir de la charte pour faire de l'interpellation sur les réseaux sociaux. La charte a aussi eu le mérite de fixer un certain standard, un peu comme la charte de Prenons la Une sur les violences sexistes et sexuelles. Elle sert aussi, comme je le disais, d'outil de formation. Sur les initiatives, le collectif à l'origine de la charte va organiser en janvier 2024 une journée d'ateliers pour les professionnels, suivie d'une soirée ouverte au public.

Le constat que vous tiriez l'an passé vous paraît-il toujours d'actualité ?

Clairement. Mais c'est un combat permanent : tant qu'il y aura des médias et une crise climatique, il faudra qu'on s'améliore sur ces sujets. Est-ce qu'on en a plus parlé ? Est-ce qu'on a en a mieux parlé ? Est-ce que les médias font plus souvent le lien avec le changement climatique quand il s'agit d'événements météo extrêmes ? Ce qui est certain, c'est qu'on voit plusieurs médias qui se sont encore améliorés sur ces sujets, comme Le Monde ou Libération.

Quelles sont vos perspectives pour poursuivre ce combat ?

On continue de s'engager dans le collectif, on continue de réfléchir à notre pratique professionnelle tous les jours, on continue de se coaliser avec des médias qui font du bon travail. J'ai l'impression qu'on est plutôt sur la bonne pente d'un point de vue journalistique. Mais c'est sûr qu'on a un boulot colossal, et à une époque où les pires climato-sceptiques se réveillent, on a encore un énorme chantier qui nous attend. On a du pain sur la planche.

Propos recueillis par Maxime Friot


[1] Responsabilité sociétale des entreprises.

26.09.2023 à 12:42

Ruquier sur BFM-TV : cacophonie et survol de l'information

Maxime Friot

Lire plus (297 mots)

C'était la première de Laurent Ruquier sur BFM-TV, hier lundi 25 septembre, pour ce qui sera un rendez-vous quotidien sur la chaîne d'info, de 20h à 21h. Bilan : une inflation du nombre d'intervenants et une multiplication des sujets de débat, pour un résultat cacophonique et une information (à peine) survolée.

Avec Laurent Ruquier sur le plateau, pour animer l'émission : Julie Hammett. Mais aussi quatre chroniqueurs et des invités. Soit, la plupart du temps, huit personnes en plateau. Ce qui, mécaniquement, ne laisse pas beaucoup de temps pour s'exprimer. Deux exemples : le chroniqueur-journaliste Selim Derkaoui parlera trois minutes en tout et pour tout, et la chroniqueuse-journaliste Eglantine Delaleu doit se contenter de… moins d'une minute.

Ajoutons à cela la multiplication des thèmes de discussion : la « manif anti-police » (sic) et le chèque carburant, à chaque fois pendant 20 minutes et avec deux intervenants supplémentaires. Entre les deux : une discussion-zapping à propos des chants homophobes de supporters de football, la fille d'un sénateur qui devient elle-même sénatrice, le rugby et Karim Benzema en tenue traditionnelle saoudienne.

Bref, une énième émission dont le concept servirait moins à informer... qu'à faire valoir les personnes qui s'expriment et par là-même construisent et entretiennent leur capital médiatique ? « Tout ça pour ça ! »

25.09.2023 à 15:39

Marches contre le racisme et les violences policières : l'éditocratie renverse (et piétine) l'information

Pauline Perrenot

Texte intégral (3540 mots)

Faire des violences de quelques manifestants parisiens contre une voiture de policiers en service l'alpha et l'oméga du traitement des marches contre les violences policières, le racisme systémique et les libertés publiques organisées le 23 septembre partout en France : voilà le renversement spectaculaire auquel se sont livrés les médias, audiovisuels en particulier, dans leur couverture des « événements ». Deuxième étape d'une campagne de dénigrement.

L'affaire était d'ores et déjà médiatiquement classée : la veille et l'avant-veille des manifestations du 23 septembre, lorsque ces dernières eurent la chance de figurer à l'agenda des chefferies médiatiques, entendre un intervieweur s'indigner ou interroger son invité sur autre chose que le slogan « tout le monde déteste la police » – soit sur l'hypothétique déroulé d'une manifestation qui n'avait pas encore eu lieu – revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Tels des perroquets. Partout. Sur toutes les antennes.

Des 20h à front renversé

Au soir des manifestations, les télévisions les plus suivies traitent « l'information » avec les mêmes œillères, ou plutôt les mêmes lunettes grossissantes : prenant le résiduel pour le tout, les rédactions focalisent l'écrasante (si ce n'est la totalité) de leur attention sur l'attaque d'une voiture de policiers en service par des manifestants, en marge du cortège parisien.

Au 20h de TF1, après avoir simplement cité le nombre de participants respectivement annoncés par la police et par les organisateurs, Anne-Laure Coudray en vient à ce qui est (presque) partout construit comme l'information principale : « Et vous allez voir que la manifestation parisienne a dégénéré, quand des militants cagoulés s'en sont violemment pris à des agents. Scène d'une grande violence, que nous décryptent [nom des reporters]. » Ajoutons que sur 1 minute et 49 secondes que dure le sujet, un seul micro est tendu : c'est Thierry Clair, secrétaire général d'Unsa Police, qui attrape le pompon.

Au même moment sur France 2, la rédaction du service public réussit à faire pire. D'abord, en consacrant aux manifestations un sujet encore plus court (1 minute et 19 secondes). Ensuite, en n'annonçant aux téléspectateurs que le nombre de manifestants présents dans le cortège parisien délivré par la préfecture – « Ils étaient 9 000 manifestants à battre le pavé à Paris d'après la police ». Enfin, en se faisant presque une fierté de minimiser la portée politique des manifestations, comme lorsque Laurent Delahousse se contente d'évoquer « plusieurs rassemblements [ayant] eu lieu aujourd'hui à l'appel de plusieurs collectifs contre les violences policières. » En réalité, près de 120 cortèges, appelés par 198 organisations (syndicales, partisanes, associatives, etc.). En dehors de son mépris donc, France 2 ne peut se prévaloir d'aucune valeur de service public ajoutée comparativement à TF1 : l'information est (exclusivement) cantonnée aux « incidents [qui] ont émaillé la journée », et si le tweet du ministre de l'Intérieur « condamn[ant] ces violences et la haine anti-police » a les faveurs de l'antenne, aucun organisateur, aucun porte-parole de famille de victimes ni aucun manifestant n'aura droit à la parole – pas plus qu'ils ne l'auront le lendemain (24/09), contrairement à deux représentants de la police... (Cf. en post-scriptum)

BFM-TV : l'hégémonie d'un (seul) cadrage

Dans les deux cas, un gimmick résume ce traitement à front renversé. Sur France 2 : « La manifestation se déroule dans le calme jusqu'au moment où vers 16h30, cette voiture de police passe à proximité du cortège. » Sur TF1 : « À Paris, tout se passe dans le calme... jusqu'à cet incident. » Il en va là d'un invariant journalistique : « l'incident » emporte « le calme » sur son passage... jusqu'à totalement le recouvrir. C'est encore le présentateur de BFM-TV François Gapihan qui résume le mieux la mécanique de ce traitement médiatique. Il est 18h15, et BFM-TV interrompt pour la première fois sa couverture hypnotisée de la visite du pape :

François Gapihan : Un titre en particulier attire notre attention en cette fin d'après-midi : ce sont ces manifestations, ces marches organisées dans de nombreuses villes de France. [...] À notre connaissance, tout s'est globalement bien passé aujourd'hui. D'abord, il faut préciser cela. Et une fois que l'on a dit cela, il faut aussi noter des violences sporadiques. On va notamment s'intéresser à ce qui s'est passé aux alentours de 16h30 boulevard de Clichy. Un véhicule de police attaqué pendant la manifestation parisienne. On regarde cette séquence et on en parle avec nos invités. (23/09)

Le cadrage est scellé. Et à quelques accidents près, il ne variera pas. Ce que BFM-TV appelle la « vidéo choc » – expression reprise en titre dans de multiples bandeaux – circule en boucle, à intervalles réguliers : elle constitue le point de départ (et d'arrivée) de toute discussion autorisée. À plusieurs reprises face à Matthieu Valet, porte-parole du Syndicat indépendant des commissaires de police, l'avocat et membre de la LDH Arié Alimi tente de s'extirper du cadrage en imposant d'autres questions [1] ou en commentant la vidéo sous un autre angle [2] que celui induit et requis par le présentateur, à savoir la condamnation des violences des manifestants. Ce qu'il réussit à faire, y compris avec brio... pendant à peine deux minutes cumulées (au cours de deux de ses prises de parole). Voilà pourquoi sur BFM-TV, l'affichage « pluraliste » n'est qu'un décor en carton-pâte : le policier nage sur le plateau comme un poisson dans l'eau, le contestataire rame pour donner à entendre son agenda.

Le dispositif est à ce point contraignant que le débat – qui n'en est donc pas un – est sans cesse réaxé vers ce que la rédaction de BFM-TV a d'ores et déjà fabriqué comme « l'événement » principal. D'une part, à travers des rappels à l'ordre de la caution contestataire (totalement isolée) en plateau :

- François Gapihan : [Arié Alimi], quelle est votre réaction en premier lieu à ces violences-là contre des policiers ?

- Arié Alimi : [...] Contrairement à ce qui avait été annoncé par le ministre de l'Intérieur et le préfet de police de Paris, tout s'est parfaitement bien passé, sauf ce moment. Et je voudrais [coupé]

- François Gapihan : Les autorités avaient pointé des risques de trouble à l'ordre public dans certaines villes [...]. Mais alors, votre réaction à ces violences-là.

D'autre part, à travers les multiples interruptions du plateau. Censées introduire la parole d'autres interlocuteurs, elles ne font en définitive que couper les dynamiques des argumentations en présence... pour mieux en revenir à la case départ. Louis Boyard (LFI) est-il annoncé en duplex ? Le présentateur souhaite d'abord et avant tout recueillir « [sa] réaction à cette attaque dont ont été victimes des policiers pendant la manifestation » et lui intimer de délivrer les attendus médiatiques du moment : « Je ne vous ai pas entendu dénoncer une seule fois les violences dont ont été victimes les policiers cet après-midi. » François Gapihan donne-t-il la parole au journaliste politique maison du plateau ? C'est pour que ce dernier expose « de nouvelles réactions politiques à cette attaque contre des policiers cet après-midi ». En l'occurrence, un tweet de Marine Le Pen – auquel Louis Boyard est d'ailleurs sommé de réagir.

Jusqu'à ce type de chienlit éditoriale, lorsque Emmanuelle Anizon, grand reporter à L'Obs présente en duplex, est interrogée sur le « black bloc » (depuis quelques secondes) :

François Gapihan : Je me permets de vous couper parce que d'abord, on va retourner relativement rapidement à Marseille pour le départ du pape. Néanmoins, accueillons tout de même Laurent Nuñez. Bonsoir, vous êtes préfet de police de Paris, quelles sont les informations dont vous disposez sur cet incident ?

L'inertie.

Il en ira strictement de même dans l'émission suivante (« 120 minutes ») : « Restez avec nous parce qu'on reviendra sur cette image qui a beaucoup choqué cet après-midi. » Et puis : « Une image impressionnante, bien sûr, regardez ! » Ou encore : « Retour sur les événements, c'est une image qui a beaucoup choqué. » Ad lib. Sur vingt minutes d'émission, Céline Verzeletti (secrétaire confédérale CGT) ne pourra développer aucun propos de fond lié aux enjeux portés par la manifestation unitaire. Elle sera en outre interrompue de manière intempestive par le consultant police/justice du plateau, Guillaume Farde, obnubilé par la présence de « slogans haineux et insultants envers la police » et autres « banderoles insultantes ».

Le lendemain matin, l'hégémonie du cadrage se confirme. Et BFM-TV a fait en sorte de se débarrasser des quelques cailloux présents la veille dans sa chaussure : s'expriment successivement sur la « vidéo choc » Ruddy Manna (syndicat de police Alliance), Sonia Fibleuil (porte-parole de la police nationale), Antoine Armand et Maud Bregeon, respectivement porte-parole et députée de Renaissance. Et à midi, les « manifestations contre lesdites violences policières », dixit l'intervieweur Benjamin Duhamel, sont abordées dès le début de la grande émission politique dominicale où est invité... Jordan Bardella (RN). Le titre du premier bandeau ? « Manif anti-police : Fallait-il l'interdire ? » La première question d'Amandine Atalaya (BFM-TV) ? « Est-ce que vous pensez qu'il aurait fallu interdire cette manifestation ? » La deuxième de Valérie Hacot (Le Parisien) ? « Dans cette manifestation, il y avait des représentants politiques, des élus de La France insoumise, des élus également d'EELV. Selon vous, ces élus, ils ont une part de responsabilité dans ce qui s'est passé en ayant participé à cette manifestation ? » [3]

Les journaux radio : entre tapage et service minimum

La recette d'une couverture un tant soit peu équilibrée n'était pourtant pas introuvable. Une fois n'est pas coutume, France Inter l'illustre dans son journal de 7h (24/09), qui réussit à rétablir une plus juste hiérarchie de l'information. Si le sujet est expéditif (1 minute et 45 secondes), les « incidents en marge des défilés parisiens » n'occupent « que » les vingt premières secondes, et la parole de manifestants est recueillie : des porte-parole du syndicat des avocats de France et d'Attac, mais également un étudiant habitant en Seine-Saint-Denis. Dommage, toutefois, que le sujet soit totalement éclipsé du journal suivant, une heure plus tard, qui se trouve être à la fois plus long... et plus écouté.

Même remarque concernant France Info. Et si la station limite les dégâts dans son journal de 7h, ce dernier s'ouvre toutefois de manière tapageuse dans les titres « à la Une », lesquels annoncent une « voiture de police attaquée » et des « débordements ». Le reportage (1 minute et 18 secondes) donne bien à entendre des manifestants (un enseignant et une membre de la commission antiraciste d'EELV), qui marchaient, selon la journaliste, « contre le supposé racisme systémique des forces de l'ordre et les violences policières » : une précaution langagière rarement utilisée dans d'autres cas...

C'est donc évidemment loin d'être la panacée. En particulier tant la durée sommaire accordée au sujet par les rédactions empêche d'approfondir tout enjeu de fond – enjeux de surcroît maltraités par la médiatisation ordinaire. La silenciation quasi systématique des familles de victimes est également remarquable. Mais le traitement est nettement pire du côté des radios privées. RTL et RMC notamment, dont la couverture se rapproche davantage de celle des JT et de BFM-TV. Au sommaire du journal de 8h sur RTL, seule « la scène qui choque énormément ». Une minute de commentaires – dont 25 secondes accordées à Éric Henry, délégué national Alliance, aucun manifestant ne sera interrogé –, une navrante prophétie médiatique – « Emmanuel Macron sera peut-être interrogé [ce soir au 20h] sur cette image choc » – et une annonce : « Cette scène choc, elle fera sans doute réagir votre invité Stéphane, Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, invité à neuf heures moins le quart. »

Même agenda et même hiérarchisation sur RMC, où règne en maître la parole du préfet de police de Paris. Et si le « témoin » matinal de la station fait partie des organisateurs, en l'occurrence Ritchy Thibault (collectif « Peuple révolté »), il suffit d'un relevé presque exhaustif [4] des questions du journaliste Matthieu Rouault pour comprendre combien « l'information » fut libre et sans entrave :

- Qu'est-ce qui est gravissime hier ? Ce policier qui sort son arme ou le fait auparavant que la voiture de police soit attaquée ?!

- Est-ce que vous cautionnez l'attaque de cette voiture de police ?

- Est-ce que l'attaque de cette voiture est gravissime ? Attaquer une voiture de police, ce n'est pas grave ? Attaquer une voiture de police, ce n'est pas grave ? Oui ou non ?!

- La haine contre la police, vous la partagez cette haine contre la police, monsieur Thibault ?

- Très bien ! On est en 2023, vous considérez donc qu'attaquer une voiture de police, ce n'est pas grave. Est-ce que vous partagez aussi cette pancarte qu'on a vue à Besançon : « Un flic, une balle » ? Appel au meurtre des policiers. Est-ce que vous approuvez ?! Je vous pose ces questions. Vous êtes co-organisateur de ces marches, elles se sont pour la plupart passées dans le calme, il y a eu des incidents. Il est important que ce matin sur l'antenne de RMC vous preniez position sur ces incidents.

- Je vous coupe. Écoutez-les ces policiers parce qu'eux aussi sont des humains et ressentent des choses quand ils encadrent vos manifestations et qu'ils entendent des slogans du type « Tout le monde déteste la police ». Matthieu Valet, qui est porte-parole du syndicat indépendant des commissaires, était à votre place hier matin. [Extrait sonore] Est-ce que vous pensez à ces policiers, aux individus qui représentent aussi l'institution ?!

- Merci beaucoup Ritchy Thibault, co-fondateur du collectif « Peuple révolté » qui coorganisait ces marches. Je rappelle le résultat de notre consultation Twitter ce matin : « Y a-t-il une haine anti-police ? » Oui, à 80%. Haine anti-police que vous semblez donc partager, Ritchy Thibault, si je comprends bien. [Non ! Et il vient de dire l'inverse, NDLR] Non ? Vous ne partagez pas la haine... mais vous ne condamnez pas les incidents qui ont eu lieu hier, ni la voiture attaquée, ni la pancarte à Besançon.

Rideau.

***

Renversement total de la hiérarchie de l'information ; invisibilisation des enjeux et des revendications portés par les manifestants ; silenciation des collectifs de familles de victimes de violences policières, issus des quartiers populaires ; simulacres de « débats » ; stigmatisation du mouvement social et de la gauche politique ayant manifesté... Alliée aux condamnations idéologiques dont les chefferies médiatiques ont usé et abusé en aval (et en amont) de la manifestation, la mécanique du « spectaculaire » – présidant à toute médiatisation télévisuelle – s'est imposée dans la plupart des médias dominants, écrits y compris. Quitte à jeter le discrédit sur le mouvement social... et à verrouiller l'information. Une deuxième fois s'agissant des marches du 23 septembre, et une énième fois concernant le racisme et les violences systémiques de l'institution policière. « Contre-pouvoir », quand tu nous tiens.

Pauline Perrenot

Post-scriptum : Au moment où nous finissions de rédiger cet article, le « 20h » de France 2 renchérissait.

Privés de parole dans le sujet du 23 septembre, organisateurs et manifestants ne l'auront pas plus dans le sujet du lendemain (24/09), contrairement à Reda Belhaj et Sonia Fibleuil – respectivement porte-parole Unité SGP Police (interviewé par le 20h) et porte-parole de la police nationale (ses propos tenus sur BFM-TV sont retranscrits à l'écran). L'indigence est de nouveau le maître-mot du reportage, incarnée dès l'introduction par un présentateur qui spécule et joue à (se) faire peur :

Thomas Sotto : On a peut-être frôlé le pire hier lors des manifestations dites contre les violences policières. Il y en avait environ 120. À Paris, après l'attaque d'une voiture de police qui aurait pu très mal tourner, une enquête a été ouverte. À Besançon, c'est un panneau « Un flic, une balle » qui constitue un véritable appel au meurtre, qui a créé la polémique.

Notons que sur les images, la pancarte en question est tellement petite que la rédaction du 20h doit zoomer sur l'écran pour la renseigner aux téléspectateurs... Quant à l'immense banderole de tête – et à son message – de toute évidence, le « 20h » s'en contrefiche. Loupes grossissantes, disions-nous.


[1] Accessoirement, celles qui fondaient l'appel à la manifestation : violences policières, racisme et autoritarisme de l'État.

[2] Par exemple en questionnant la responsabilité de la Préfecture concernant la lisibilité du parcours (non dégagé à certains endroits), la présence de cette voiture de police sans lien avec l'encadrement de la manifestation, et le changement de tracé imposé par la Préfecture.

[3] À noter : au même moment, dans l'émission « Questions politiques » (France Inter et France Info, en partenariat avec Le Monde), c'est à un autre porte-parole du RN, Jean-Philippe Tanguy, que Nathalie Saint-Cricq demande cette fois de l'aide sur cette affaire : « Qu'est-ce que vous pourriez faire contre ce type de geste ? » Quant à Sandrine Rousseau (EELV), invitée sur LCI, elle est notamment prise à partie par Arlette Chabot : « Vous qui êtes élue de la République, on se dit : "Mais que fait un député dans ces cortèges [...] ?" Est-ce vraiment votre place ? »

[4] Une seule question ouverte, de la part du journaliste, portera en toute fin d'interview sur les « solutions » que propose l'invité pour « faire redescendre la pression entre police et population » (1'30... sur 9 minutes d'entretien).

23.09.2023 à 09:39

Directeurs de rédaction, DGSI, Ukraine et compagnie : revue de presse de la semaine

Maxime Friot

Texte intégral (1309 mots)

Critique des médias : une revue de presse hebdomadaire. Si ce n'est exhaustive, au moins indicative [1]. Au programme : du 16/09/2023 au 22/09/2023.

Critique des médias

« Violences policières : des marches sous surveillance (et discrédit) médiatique », Acrimed, 21/09.

« Racisme et violences policières : l'information verrouillée », Acrimed, 22/09.

« Les télés se pâment devant leur(s) roi(s) », Arrêt sur images, 21/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Guerre en Ukraine : un missile et deux journalismes », Acrimed, 20/09.

« Sarkozy, Juppé, Philippe : un livre, une promo, un "homme" », Arrêt sur images, 17/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Marion Maréchal en (publi)reportage à Lampedusa pour BFMTV », Arrêt sur images, 16/09.

« Séisme au Maroc : "Libé" a-t-il manipulé les propos d'une habitante de Marrakech ? », Libération, 19/09.

« Mort de Sefa et de Socayna : l'agence de biomédecine dénonce le traitement médiatique autour de la "mort cérébrale" », Libération, 16/09.

Économie des médias

« Charlie Hebdo : Riss désormais seul maître à bord », La Lettre A, 19/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Un Bout des Médias s'engage auprès de Marsactu et soutient l'information locale », Marsactu, 20/09.

Dans les rédactions

« La grogne des invisibles du Canard Enchaîné », StreetPress, 18/09.

« Au "Canard enchaîné", des pigistes déballent leurs griefs », Arrêt sur images, 18/09 [article complet réservé aux abonnés].

« À La Croix, l'arrivée surprise d'Antoine Daccord suscite les questions de la rédaction », La Lettre A, 18/09 [article complet réservé aux abonnés].

« "Les Echos" : François Vidal pourrait succéder à Nicolas Barré à la direction de la rédaction », Le Monde, 21/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Recrutement des journalistes à Radio France : quand la machine s'enraye », SNJ-CGT, 22/09.

« Geoffroy Lejeune consolide la passerelle entre Valeurs actuelles et le JDD », La Lettre A, 22/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Pression psychologique, menaces, chantage affectif… Dans l'enfer du média identitaire Livre noir », L'Express, 19/09 [article complet réservé aux abonnés].

À signaler, aussi

« Désignation de la direction de la rédaction : une question politique », Acrimed, 19/09.

« Ariane Lavrilleux en garde à vue : "L'exercice même du métier de journaliste est en péril", alertent des sociétés de journalistes », Le Monde, 21/09.

« Ariane Lavrilleux en garde à vue : nous, jeunes journalistes, voulons continuer à informer librement », Libération, 21/09.

« Liberté de la presse : Macron contre "ceux qui se battent pour écrire la vérité" », Mediapart, 20/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Les sales habitudes de l'État français contre le journalisme indépendant », Fonds pour une presse libre, 21/09.

« Des journalistes de "Libération" convoqués par la PJ : communiqué de la SJPL et de la direction de la rédaction », Libération, 21/09.

« Journalistes "défense" et tables rondes de l'armée, liaisons dangereuses ? », Arrêt sur images, 19/09 [article complet réservé aux abonnés].

« L'animateur Stéphane Plaza accusé de violences sur trois anciennes compagnes », Mediapart, 21/09 [article complet réservé aux abonnés].

« Affaire Plaza : la production a été alertée dès janvier 2023, M6 face à ses responsabilités », Mediapart, 22/09 [article complet réservé aux abonnés].

« "Je ne vous réponds pas, vous êtes une chaîne d'extrême droite", Paul Magnette refuse une interview à CNews », RTBF, 21/09.

Et aussi, dans le monde : États-Unis, Maroc, Brésil, Russie, Azerbaïdjan...

Parution

« Métiers & Professions des médias », Le Temps des médias, n°41, automne-hiver 2023.

Retrouver toutes les revues de presse ici.


[1] Précisons-le : référencer un article dans cette revue de presse ne signifie pas forcément que nous y souscrivons sans réserve.

21.09.2023 à 17:00

Violences policières : des marches sous surveillance (et discrédit) médiatique

Maxime Friot, Pauline Perrenot

Texte intégral (1107 mots)

Samedi 23 septembre, 157 organisations appellent à des marches « contre les violences policières, contre le racisme systémique et pour les libertés publiques ». Une initiative qui n'entre pas dans le périmètre des actions « acceptables » aux yeux des gardiens de l'ordre : dans les matinales notamment, les intervieweurs se penchent sur l'opportunité d'interdire la manifestation – faisant d'une revendication du syndicat de police Alliance leur propre problématique éditoriale –, ou polémiquent sur un slogan. Ce qu'on appelle un pouvoir de cadrage… et de stigmatisation.

Sur France Info (21/09), Salhia Brakhlia se charge de la « polémique ». Et face à Manuel Bompard (LFI), elle tient sa tête de turc. D'abord, le sermon et les règles de bonne conduite : « Un élu de la République ne devrait pas participer à une manifestation où l'on entend "Tout le monde déteste la police" », glisse-t-elle, sans que l'on comprenne s'il s'agit d'une question, d'un propos rapporté ou d'une affirmation. Puis la journaliste de ronger son os :

- Salhia Brakhlia : Mais votre responsabilité dans tout ça, Manuel Bompard. Si on crie autour de vous « tout le monde déteste la police », vous quittez le cortège ou pas ?

- Manuel Bompard : Non.

- Salhia Brakhlia : Non ?!

- Jérôme Chapuis : Mais vous détestez la police ?!

La veille, dans la matinale d'Europe 1 et CNews (20/09), c'est Sonia Mabrouk, une autre garante du débat pluraliste et de la liberté d'expression, qui donne le la. Recevant avec une certaine complicité Laurent Nuñez, elle l'interroge : « Quand un syndicat comme la CGT ou La France insoumise avancent avec la banderole "violences policières", qu'est-ce que vous dites, vous, préfet de police de Paris ? » Et plutôt que revenir sur les causes de cette manifestation, elle suggère que les manifestants « sont en totale distorsion par rapport à l'opinion publique qui continue de soutenir les policiers ». Enfin, elle lance ce qui sera le leitmotiv des jours à venir sur CNews :

Sonia Mabrouk : [Ils sont] une minorité, mais ils seront quand même dans la rue [...] ! La question peut se poser parce que vous avez déjà interdit des manifestations contre, entre guillemets, les violences policières après les émeutes de juin, suite à la mort de Nahel. Est-ce que vous y avez pensé pour cette manifestation de samedi ?

La « question peut se poser », et elle va même se re-poser le lendemain, face à Robert Ménard : « Une manifestation se prépare ce samedi contre, je cite et je mets des guillemets, "les violences policières", à l'appel notamment… en tous les cas, avec la participation de La France insoumise, d'un syndicat : le Syndicat de la magistrature. Ce qui offusque certains policiers et un syndicat de policiers qui dit "Il faut interdire cette manifestation". Qu'en pensez-vous ? » (21/09) Toute la matinée, les plateaux de la télé Bolloré tournent ainsi autour de cette question : « Faut-il interdire la marche anti-police ? » Et tandis que le Syndicat de la magistrature est jeté en pâture, « la colère des syndicats de police » fait l'agenda, abondamment recueillie (et ventilée) par la chaîne.

Avec les mêmes œillères, Apolline de Malherbe (se) pose les mêmes questions sur BFM-TV et RMC (21/09), face à Gérald Darmanin :

Apolline de Malherbe : Cette manifestation samedi, il y a un syndicat de policiers, le syndicat Alliance, qui vous demande à ce que vous l'interdisiez à la fois pour des raisons effectivement de maintien de l'ordre, parce qu'ils disent « on est mobilisés ailleurs », mais aussi parce que sur le fond ils considèrent que cette manifestation ne devrait pas avoir lieu. Est-ce que vous allez interdire cette manifestation de samedi ?

Tradition oblige : sur le site de la chaîne (et ses réseaux sociaux), est diffusée une « note du renseignement territorial » prophétisant naturellement des « risques de troubles à l'ordre public ».

Autre méthode médiatique éprouvée ? Faire commenter la marche... par des responsables politiques qui n'y participeront pas. Dans la matinale de LCI (21/09), Adrien Gindre sollicite pour ce faire Fabien Roussel (PCF), et pousse le bouchon en réclamant des gages supplémentaires :

Adrien Gindre : J'ai bien entendu que vous disiez : « Moi je n'aime pas le slogan "Tout le monde déteste la police" ». Est-ce que cette semaine, pour le coup, vous dites : « Tout le monde doit soutenir les forces de l'ordre, le ministre de l'Intérieur » ? Parce que c'est une semaine compliquée : le roi Charles, le pape, le rugby, le foot... Est-ce que vous êtes en soutien des forces de l'ordre et du ministre aujourd'hui ?

Du reste, le journaliste avait pris soin de fermer le ban dès l'introduction, récusant l'usage du terme « violences policières » au nom du fait que ce dernier « est contesté par la police et par le gouvernement. [...] Il y a des violences de certains policiers, ce n'est pas la même chose [...] que les violences de l'institution police. »

***

Discréditées par anticipation – à l'instar de précédentes manifestations, celle contre l'islamophobie par exemple (novembre 2019) –, les marches du 23 septembre donnent l'occasion aux grands intervieweurs de trier le bon grain de l'ivraie. Et au milieu des rappels à l'ordre, le journalisme de préfecture est au beau fixe. Une énième illustration du pouvoir de cadrage des médias, produit à la fois de routines (un journalisme politique focalisé sur les petites phrases et sur les polémiques, plutôt que sur le fond des questions) et d'idéologies professionnelles (le journalisme comme partie prenante du maintien de l'ordre social). Résultat : avec une telle hiérarchisation de l'information, les médias contribuent (une nouvelle fois) à stigmatiser le mouvement social, tout en privant de parole celles et ceux qui tentent de le construire. Quant à la couverture médiatique du jour J, gageons que le meilleur reste à venir...

Pauline Perrenot et Maxime Friot

20.09.2023 à 16:50

Guerre en Ukraine : un missile et deux journalismes

Mathias Reymond

Misère et splendeur du journalisme.

- 2022 : Guerre en Ukraine / , , ,
Texte intégral (696 mots)

Le 6 septembre, un missile est tombé en plein cœur de la ville de Kostiantynivka (Ukraine) sur la place du marché, faisant 17 morts et plus de 30 blessés. Les médias sont unanimes : le missile vient des Russes. Mais 12 jours plus tard, après une enquête approfondie, le New York Times remet en question cette version. Une illustration de ce que peut faire le journalisme : le pire comme le meilleur.

Le 6 septembre, l'AFP cite Volodymyr Zelensky : « L'artillerie des terroristes russes a tué 16 personnes dans la ville de Kostiantynivka, dans la région de Donetsk ». Aussitôt les médias reprennent à leur compte et avalisent l'information :

Sur France Culture (journal de 18h, 6/09), encore, les faits sont présentés ainsi : « Dans l'est de l'Ukraine, une attaque russe contre la ville de Kostiantynivka a fait au moins 16 morts et 30 blessés. C'est un marché qui a été touché, ainsi que plusieurs autres commerces et une pharmacie. » Le 6 septembre, toujours, chez « Quotidien » sur TMC : « Cet après-midi, l'armée russe a commis un nouveau crime de guerre ». Et si la plupart des journaux télévisés ou de radio se contentent de résumer les faits tels que décrits par le président ukrainien, LCI se perd en conjectures. Dans son émission de fin de journée (« 24h Pujadas », 6/09), David Pujadas interroge ses invités : « Que s'est-il passé ? » Et le décryptage commence, images satellite et vidéos amateur à l'appui, les « analyses militaires » succèdent aux indignations sur le plateau. Puis Pujadas conclut : « un missile imprécis et peut-être la volonté de terroriser. »

Problème : l'évidence de l'attaque russe est remise en doute douze jours plus tard par le New York Times, après une longue enquête menée par cinq journalistes. Extraits : « Les preuves recueillies et analysées par le New York Times, notamment des fragments de missiles, des images satellite, des témoignages et des publications sur les réseaux sociaux, suggèrent fortement que la frappe catastrophique était le résultat d'un missile de défense aérienne ukrainien errant tiré par un système de lancement Buk. » Ou la différence entre un journalisme qui réagit à chaud, faisant aveuglément confiance aux déclarations officielles (ukrainiennes et occidentales, en l'occurrence) et un journalisme d'enquête, qui prend le temps… d'enquêter. Hélas, c'est souvent le premier qui l'emporte sur le second, alors même que cet épisode n'est pas unique en son genre (voir par exemple le cas d'un missile tombé en Pologne, en novembre 2022).

Par ailleurs, et comme le rapporte le New York Times, le doute s'installe dès lors que « les autorités ukrainiennes [tentent] d'empêcher les journalistes du Times d'accéder aux débris du missile et à la zone d'impact immédiatement après la frappe. » Le lendemain de cette publication, le gouvernement ukrainien rejette les affirmations du journal américain, affirmant que « la vérité sera établie de manière juridique ». Cet exemple exemplaire rappelle qu'en temps de guerre, les belligérants – des deux côtés et à leur manière – usent et abusent de leur pouvoir d'information et de propagande. Et la guerre déclenchée par la Russie en envahissant l'Ukraine n'y échappe pas, les médias devraient s'en souvenir.

Mathias Reymond

20.09.2023 à 13:26

Arrestation d'Ariane Lavrilleux : une grave atteinte aux sources journalistiques (SNJ-CGT)

Texte intégral (654 mots)

Nous relayons ce communiqué du SNJ-CGT, publié le 19 septembre. Signalons au passage que Disclose appelle à un rassemblement de soutien, aujourd'hui 20 septembre, 18h30, place de la République à Paris. (Acrimed)

Le SNJ-CGT dénonce avec force le placement en garde à vue d'Ariane Lavrilleux, ce 19 septembre à 6 heures du matin, et exige sa libération immédiate. Une garde à vue opérée selon le média Disclose, pour lequel travaille la journaliste, « dans le cadre d'une enquête pour compromission du secret de la défense nationale et révélation d'information pouvant conduire à identifier un agent protégé, ouverte en juillet 2022 ».

Journaliste d'investigation, Ariane Lavrilleux a réalisé la série « Egypt Papers », qui a révélé en novembre 2021 les dessous de l'opération française Sirli, initiée en Égypte par la Direction du renseignement militaire au nom de la lutte antiterroriste. Cette mission aurait été détournée par l'Etat égyptien, pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, que Disclose qualifie de « crimes d'État ».

Le domicile d'Ariane Lavrilleux a été perquisitionné pendant dix heures par la Direction générale de la sécurité intérieure, des policiers et un juge d'instruction. Conduite en fin de journée à l'hôtel de police de Marseille, elle a enfin obtenu d'être accompagnée par son avocate.

« L'objectif de ce nouvel épisode d'intimidation inadmissible à l'égard des journalistes de Disclose est clair : identifier nos sources ayant permis de révéler l'opération militaire Sirli en Egypte », dénonce Disclose dans un communiqué.

Un rassemblement de soutien a été organisé à Marseille par l'association Prenons la Une, dont Ariane Lavrilleux est secrétaire générale, et le collectif de journalistes Presse Papiers, dont elle est membre.

Le SNJ-CGT apporte également tout son soutien à la journaliste en alerte contre une nouvelle atteinte à la protection du secret des sources, à la liberté d'informer et d'être informé.

En juin, le photo-reporter Yoan Sthul-Jäger a, lui aussi, eu affaire à l'anti-terrorisme, placé en garde à vue pendant quatre jours, pour avoir couvert une action de militants écologistes dans une cimenterie (lire le communiqué). Dans l'Humanité d'aujourd'hui, il raconte avoir alors découvert qu'il était suivi depuis six mois, photographié, son téléphone infecté par un logiciel espion…

En décembre dernier, des journalistes de Disclose et de Radio France étaient convoqués à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) après avoir publié des informations sur des contrats entre l'Armée et des entreprises privées.

En mai 2019, ce sont des révélations sur des ventes d'armes françaises à l'Arabie Saoudite et sur l'affaire Benalla qui avaient conduit huit journalistes devant la même DGSI, qui cherchait à découvrir leurs sources, pourtant protégées par la loi sur la liberté de la presse (lire le communiqué).

L'État français a décidément un problème avec la protection du secret des sources des journalistes, au point de demander en juin dernier que sa portée soit limitée dans la future Loi européenne sur la liberté des médias (lire le communiqué).

Est-ce digne d'un pays qui prétend lancer, dans quelques jours, des États généraux de l'information ?

Montreuil, le 19 septembre 2023.

19.09.2023 à 09:57

Désignation de la direction de la rédaction : une question politique

Jean Pérès

Texte intégral (1788 mots)

Il aura fallu la longue grève des journalistes du Journal du dimanche (JDD) pour que la classe politique semble soudainement prendre conscience des droits, ou plutôt de l'absence de droits de ces journalistes, et en particulier celui de dire leur mot sur le choix du directeur ou de la directrice de la rédaction. Pas moins de quatre propositions de loi – dont nous avons précédemment exposé les grandes lignes – ont depuis jailli sur les bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Les quatre propositions de loi en question ne sont pas franchement nouvelles, puisque trois d'entre elles sont des reprises plus ou moins amendées de propositions de loi antérieures, qui, osons le dire, n'eurent pas le moindre succès parlementaire, et furent à peine discutées, à droite comme à gauche. L'une d'entre elles a même été déclarée caduque après sept années d'antichambre [1]. Mais ce n'est pas une raison pour bouder une nouvelle opportunité lorsqu'elle se présente, surtout quand c'est à la faveur d'une vaste protestation contre un médiavore, Vincent Bolloré, ayant comme qualité principale celle de rassembler très largement contre lui.

Le droit de véto en question

Le droit de véto de la rédaction sur le choix de son directeur ou de sa directrice est la principale disposition de ces propositions de loi. Ce droit de véto existe déjà dans un certain nombre de quotidiens et d'hebdomadaires : Le Monde, Le Figaro, Libération, La Vie, L'Obs, Les Échos, notamment. Ce n'est donc pas une revendication exorbitante, quoique les éditeurs continuent de la percevoir comme une atteinte irréparable à la liberté d'entreprendre...

Mais attention le diable se cache dans les détails. Ce droit de véto, pour être effectif, doit être accompagné de certaines dispositions, qui gagneraient à être inscrites dans la loi ou les décrets d'application de cette loi – ce que ne prévoient pas (ou trop peu) les textes présentés.

Concernant les conditions des candidatures, d'abord. La plupart du temps, la personne chargée de diriger la rédaction est choisie par l'actionnaire avant d'être proposée au vote de la rédaction. L'actionnaire peut ainsi proposer un directeur qui sera refusé par la rédaction, puis un autre, à même d'être encore refusé, puis un autre, etc. Dans certains médias (Libération), après trois refus de la rédaction, l'actionnaire peut imposer son choix. Voilà ce que la loi devrait empêcher, en donnant par exemple la possibilité à la rédaction, après qu'elle a refusé trois propositions de l'actionnaire, de faire sa propre proposition de candidat. Le fait que l'actionnaire n'a pas su trouver un candidat qui convienne à sa rédaction ne devrait pas tourner à son avantage.

La proposition de loi pourrait aussi interdire à l'actionnaire de présenter deux fois le même candidat, comme ce fut le cas au Monde en 2009 quand Jérôme Fenoglio, refusé par la rédaction, fut à nouveau présenté et finalement élu à la direction du journal.

Autre garde-fou indispensable. Le collège électoral exerçant ce droit de véto et le mode d'élection doivent être clairement définis par la loi ou les décrets d'application. Les journalistes des Échos en savent quelque-chose, qui se sont mis en grève le 1er juin pour contrer une manœuvre de leur patron Bernard Arnault, laquelle visait à élargir le corps électoral aux pigistes et précaires, souvent nombreux abstentionnistes, alors que les abstentions sont comptabilisées en faveur du candidat. C'est ce dernier point qu'une disposition législative devrait pouvoir facilement corriger.

Une autre proposition, beaucoup plus favorable à l'indépendance des rédactions, serait celle de priver l'actionnaire du droit de proposer son candidat, et attribuer ce dernier aux journalistes, qui organiseraient de ce fait l'élection. Cette solution n'est pas envisagée par les propositions de loi déposées. Elle a pourtant été pratiquée par Le Monde pendant plus de 40 ans de 1968 à 2010 (date du rachat par le trio Bergé-Niel-Pigasse), à Libération des débuts, et encore aujourd'hui au Monde diplomatique. Aux Pays-Bas, les sociétés de journalistes peuvent proposer un candidat alternatif à celui qui est proposé par l'actionnaire pour le poste de directeur de la rédaction (De Telegraaph). Au quotidien belge Le Soir, la société des journalistes peut proposer les rédacteurs en chef. De même au Spiegel, le premier hebdomadaire allemand. Apparemment, ces journaux n'ont pas souffert d'une telle disposition, bien au contraire.

Et le droit de révocation ?

Certains acteurs politiques à l'origine des propositions de loi se sont excusés auprès des grévistes du JDD du fait que la nouvelle législation, si elle voyait le jour, ne leur serait pas applicable – s'agissant en l'occurrence du cas de Geoffroy Lejeune, nouveau directeur de la rédaction du JDD. Sophie Taillé-Polian par exemple, qui a initié la proposition de loi transpartisane. Interrogée par Les Jours (19/07), cette dernière déclare : « Malheureusement oui, Geoffroy Lejeune arrive et cette proposition de loi ne prospérera pas suffisamment vite pour ce cas-là, le temps de la loi n'est pas aussi rapide que la décision d'un actionnaire. »

Mais pourquoi alors ne pas introduire dans le projet de loi un droit de révocation du directeur ou de la directrice de la rédaction par les journalistes ? Un tel droit, pendant du droit de véto sur le choix de ce directeur, serait d'autant plus justifié qu'il s'appuierait sur une appréciation concrète de l'action du directeur concerné. Et il serait applicable à Geoffroy Lejeune. Combien de motions de défiance, votées parfois à une très forte majorité par les rédactions, sont restées sans effet faute de caractère exécutoire ? Par exemple, il n'en fallut pas moins de trois et une grève de 24 heures en novembre 2013 pour que Nicolas Demorand se décide enfin à démissionner de la direction de la rédaction de Libération.

Ajoutons qu'en corollaire de ce droit, on pourrait aussi ajouter celui de s'opposer à la révocation du directeur de la rédaction par l'éditeur. L'exemple du licenciement, par Arnaud Lagardère en 2006, pour des raisons de basse politique, d'Alain Genestar [2], directeur de publication de Paris Match, plaide en ce sens. Plus récemment aux Échos, Nicolas Barré directeur de la rédaction a été mis brutalement sur la touche à la stupéfaction des journalistes. Certains articles auraient déplu au propriétaire, Bernard Arnault, lequel s'est assis sur la procédure qui prévoit, en cas de révocation du directeur de la rédaction, l'approbation du conseil de surveillance du journal, où sont représentés les journalistes.

***

Certes, la désignation du directeur ou de la directrice de la rédaction n'est pas le seul déterminant d'un statut juridique des rédactions, ni la seule garantie de leur indépendance, mais ce n'est pas pour rien qu'elle suscite tant de passions. La direction de la rédaction (ou rédaction en chef) est un point névralgique de cette indépendance, à la charnière de l'équipe rédactionnelle et de l'actionnaire, porteuse des préoccupations de l'une et de l'autre, souvent divergentes, voire opposées. Recrutement, promotion, licenciement des journalistes, choix de la ligne éditoriale, etc. : ses pouvoirs sont considérables. D'où l'importance décisive des modalités de son choix et la nécessité, a minima, d'un certain équilibre des forces au cours de sa désignation. Le droit de véto, tel qu'il est porté par les propositions de loi, est ce minimum exigible. Mais on peut faire mieux.

De même, trois de ces propositions de loi conditionnent l'attribution des aides à la presse à l'instauration du droit de véto par l'actionnaire. Cette sanction, pertinente, n'est pas suffisante. D'une part, parce que certains propriétaires ont les moyens financiers de se passer de ces aides. D'autre part, parce qu'elle revient à valider le fonctionnement actuel du système des aides à la presse, pourtant (très) loin d'être équitable... pour ne pas dire profondément illégitime – Acrimed appelle d'ailleurs à sa refonte de fond en comble.

Dans le cas des médias audiovisuels, la sanction envisagée paraît plus dissuasive, puisqu'il s'agit de conditionner l'attribution des fréquences audiovisuelles au respect du droit de veto. La proposition de loi portée par les sénateurs PS va plus loin en prévoyant une « ponction d'une part du chiffre d'affaires des actionnaires » (pour les services de radio et de télévision distribués par des réseaux non herziens). L'extension de cette dernière sanction pourrait faire réfléchir certains propriétaires de médias.

Jean Pérès


[1] Proposition de loi Goulet de 2014 déclarée caduque en 2021.

[2] Il avait publié en première page une photo de Cécilia Sarkozy avec son nouvel amant.

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