11.11.2024 à 12:42
L'Autre Quotidien
Née en 1945, Tina Barney entreprend à la fin des années 1970 de photographier ses proches et amis. Fine observatrice des rituels familiaux, elle s’intéresse particulièrement aux relations entre les générations dans le cadre domestique. Ses portraits colorés, souvent de groupe et de grand format, qui semblent à première vue tenir de l’instantané familial, sont pour la plupart soigneusement mis en scène par l’artiste, créant des tableaux composés qui établissent un dialogue avec la peinture classique. D’autres capturent avec spontanéité des moments insaisissables d’interaction entre les sujets. Tina Barney a par ailleurs souvent photographié sur commande : ses portraits de célébrités pour la presse, magazines de mode et marques de luxe témoignent de la même complexité, sensibilité et parfois humour que dans sa pratique artistique.
L’exposition, produite par le Jeu de Paume, dévoile une sélection de 55 tirages à grande échelle mêlant images en couleur et noir et blanc, clichés de ses débuts et productions inédites, œuvres de commande et personnelles, modèles connus telle Julianne Moore ou anonymes et proches de l’artiste.
« La seule façon de s'interroger sur soi-même ou sur l'histoire de sa vie, c'est par la photographie. »
Tina Barney 2017
C'est à la fin des années 1970 que Tina Barney élabore son approche photographique singulière. En 1981, elle passe d’un appareil photo Pentax 35mm, tenu à la main, à une chambre photographique Toyo 4x5 montée sur trépied. Tout au long des années 1980, ses premières images révèlent un monde rarement vu en photographie, offrant au public un regard intime sur la vie intérieure de la classe aisée de la côte est des États-Unis.
Sur divers lieux de vacances, à l’occasion de fêtes d’anniversaire (The Children’s Party [La fête des enfants], 1986), de mariages (Bridesmaids in Pink, [Demoiselles d’honneur en rose] 1995), de barbecues (Tim, Phil and I, [Tom, Phil et moi] 1989) et de déjeuners en famille dans sa maison de Rhode Island et aux alentours, Tina Barney explore les habitudes sociales de ses sujets entre absorbement intense des uns et agitation oisive des autres.
Ses modèles posent à la manière d’acteurs dans une scène de théâtre ou de cinéma, l’artiste n’hésitant
pas à demander de refaire certains micro-gestes et à donner quelques directives informelles. Dans The Reception [La réception] (1985) par exemple, Tina Barney dirige avec soin les invités d’un mariage de sa sœur tout en conservant la spontanéité d'un instantané.
Entre 1996 et 2004, elle voyage en Italie, au Royaume-Uni, en Autriche, en France, en Espagne et en Allemagne, s’intéressant aux types sociaux et aux coutumes plutôt qu’aux individus. Dans ces œuvres, les motifs traditionnels sont souvent combinés à des caractéristiques plus contemporaines, les personnages de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie européenne posant d’une manière picturale, dans une certaine tradition du portrait de groupes qui n’est pas sans rappeler les conversation pieces anglaises du XVIIIème siècle.
« Sans doute les gens pensent-ils [que je consacre mon travail] à la haute société ou aux riches, ce qui me contrarie. Ces photographies traitent de la famille, de personnes de la même famille qui se côtoient d’ordinaire au sein de leur propre maison. Je ne sais pas si le public se rend compte que c’est de ma famille qu’il s’agit. »
Tina Barney, BOMB Magazine, 1995
Le grand format permet à la photographe de magnifier les détails des textures et des couleurs, des vêtements, du mobilier, des tissus et des décors de ses sujets en mettant l’accent sur la culture visuelle et matérielle qui sous-tend les choix et les goûts de ses modèles.
Le parcours met également en lumière la dimension théâtrale, au cœur de son travail – une dimension qui accorde une attention particulière à la mise en scène de ses sujets et à la construction de l’espace. Synthèse originale d’une rigueur héritée de l’utilisation de la chambre photographique, de l’observation de la peinture de chevalet comme d’une pratique de l’instantané, l’œuvre de Tina Barney est parcouru par une tentation narrative. Au début des années 1990, elle commence à travailler pour de nombreux magazines et journaux parmi lesquels : Daily Telegraph, W, Arena Homme plus, Hommes Vogue International, Vogue US...
« Je veux qu’il soit possible d’approcher l’image. Je veux que chaque objet soit aussi clair et précis que possible afin que le regardeur puisse réellement l’examiner et avoir la sensation d’entrer dans la pièce. Je veux que mes images disent : “Vous pouvez entrer ici. Ce n’est pas un lieu interdit.” Je veux que vous soyez avec nous et que vous partagiez cette vie avec nous. Je veux que la moindre chose soit vue, que l’on voie la beauté de toute chose : les textures, les tissus, les couleurs, la porcelaine, les meubles, l’architecture. »
Tina Barney, BOMB Magazine, 1995
« À la fin des années 1990, j’ai commencé à vouloir mettre moins de monde dans mes images, parce que j’avais conscience d’avoir usé jusqu’à la corde le genre du tableau chorégraphié. Mes œuvres se sont alors davantage rapprochées du portrait, et malgré les difficultés et les défis que cela implique, c’est, aujourd’hui encore, ce qui m’intéresse : une personne qui fait face à l’appareil photo et sait quoi faire avec lui. »
Tina Barney, The Brooklyn Rail, 2018
Karel Zeiss, le 11/11/2024
Tina Barney - Family Ties -> 19/01/2025
Jeu de Paume - Place de la Concorde 75001 Paris
11.11.2024 à 12:29
L'Autre Quotidien
En 2021, une « goutte froide » – l’occasion pour les non-spécialistes d’apprendre le mot – avait déjà méchamment refroidi l’ouest de l’Allemagne et le Benelux. Elle ne faisait que donner la mesure de ce qui nous attend. En effet, cette gouttelette n’était rien comparée à la lame qui a dévasté la région de Valence, au sud-est de l’Espagne, le 29 octobre 2024. Il est tombé en un jour autant de pluie qu’en une année. Aucun bâtiment, fut-il en matériaux ressourcés, aucune ville, fut-elle remplie d’écoquartiers, ne peut résister à une vague furieuse de deux mètres de haut. Un tsunami terrestre en somme !
Sans même parler des plus de deux cents morts, victimes d’une fin affreuse – étouffés par de la boue ! – et des centaines de disparus, évoquons le coût incalculable à ce jour de la catastrophe puisque c’est toujours en termes financiers que les pouvoirs en place parlent d’écologie. Ce qui est sûr est, qu’en Espagne, le coût de l’inaction va faire exploser les tableaux Excel des conseillers bien mis et s’affoler les agences de notation, surtout celles dont des actionnaires possèdent – possédaient – une maison sur les hauteurs de la région de Valence. Que ceux-là n’ont-ils pas prescrit depuis trente ans ?
La réalité est que, au moins depuis Al Gore, pour ceux qui se souviennent de ce Cassandre – Prix Nobel de la paix en 2007 et candidat malheureux à la présidence américaine battu de justesse en 2000 par Georges Bush junior – tous les dirigeants de tous les pays, sauf à substituer la bêtise au cynisme, savent sans illusion l’ampleur de la catastrophe devant nous. Pour autant, de la COP 15 à Paris à la COP 29 à Bakou (du 11 au 22 novembre 2024), sauf au Costa Rica, vous avez vu la différence ?
En 2024, au vu des dévastations en Espagne, le gouvernement français fait mine de s’affoler – ça ne fait que dix ans que Vulcain ex-Jupiter est au pouvoir – et « fixe de nouveaux objectifs pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Le même qui a inventé le concept d’Ecoterrorisme ! Le Monde, dans un édito comme d’habitude tout en nuances (2/11/2024), pour ne pas dire trop prudent, invite encore à « la nécessité d’adapter et de protéger ». Certes mais aucune adaptation n’est possible face à un mur de boue de deux mètres de haut qui dévale de la colline.
Il est vrai que tant que des îles exotiques sombraient toutes seules loin des yeux loin du cœur, le temps de l’adaptation paraissait prometteur ! Souvenez-vous de la farce du réchauffement maîtrisé à 1,5°.
Bienvenue dans le nouveau monde réel. Imaginez maintenant la même goutte froide au-dessus de Paris et que, à l’instar de ce qui s’est passé à Valence, il pleuve sur la région capitale en un jour autant qu’en un an, même six mois. Il faut imaginer à quoi ressemblerait Paris au pied de la Butte Montmartre ou de Ménilmontant, et de Meudon et de toutes les villes situées sur les coteaux de la Seine ; on pourrait traverser le fleuve à pied sec en sautant au-dessus de la pyramide de bagnoles, les volontaires par milliers pour nettoyer les couloirs du métro ou les réserves des musées parisiens ! Inimaginable ? En 2021 une goutte froide en Allemagne et dans le Benelux, en 2024 en Espagne à Valence : en 2026 à Paris, juste au milieu de la diagonale ?
La bonne nouvelle est que plus personne n’est épargné et, aux survivalistes les plus favorisés, puisque pour Mars c’est râpé, ça va leur faire tout drôle. Imaginez la fondation Vuitton emportée avec le jardin d’acclimatation par des flots furieux. On verrait bien alors si elle vole… Et Elon Musk qui se fait construire une villa à San Cassiano, station de luxe dans les Alpes italiennes du Trentin-Haut-Adige, un ouvrage de cinq étages et de 800 m² qui comptera « 15 chambres et 15 salles de bains, un grand séjour, une cave à vin et un spa souterrain » (JDN 3/01/2024). Qu’est-ce qui se passe si c’est toute la montagne qui se barre dans la vallée emportant avec elle ses enfants numérotés en abattis ? Donald Trump lui sera alors d’un maigre secours.
Dit autrement, quand même les plus riches sont obligés de commencer à envisager le pire, c’est qu’il n’est plus temps pour l’adaptation peinarde qui permet aux pouvoirs en place et à leurs affidés industriels de tenter de préserver la chèvre et le chou et au bon peuple de continuer à croire que ça n’arrive qu’aux autres. Maintenant que cela s’est produit une fois à Valence, cela va donc se reproduire, ce n’est qu’une question de temps, ce n’est pas comme si la Méditerranée allait se rafraîchir… Alors quoi ? Reconstruire comme avant ? Une fois ? Deux fois…
Et une goutte froide sur l’EPR de Flamanville, il se passe quoi ? Soyons rassurés, avec la hausse du niveau de la mer, la France a un plan Canadair ! Quelqu’un sait encore construire des hydravions ? Les Hauts-de-France sont preneurs…
En effet, à l’heure d’écrire ces lignes, le vrai souci est celui des effets de seuil, telle la goutte (froide) qui fait déborder le vase de l’anxiété. Nous voyons déjà de nos propres yeux les dégâts à +1,5° (selon la police). Que se passera-t-il à +1,8°, des grêlons de la taille d’une orange ? À +2,1°, des grêlons de la taille d’une pastèque ? Et Christophe Béchu, ancien ministre de l’Écologie qui évoque une France à +4°.* Des grêlons de la taille d’une Clio ?
Le fait est, inéluctable, que plus le temps passe, plus chaque centième de degré en plus à l’échelle de la température de la planète est porteur de menaces aux conséquences de plus en plus dévastatrices. Les effets de seuil, c’est ce qui leur fiche vraiment les jetons aux scientifiques du GIEC. Et que dire à ceux qui demain vont se prendre la douche ou les coups de soleil ? Leur envoyer nos condoléances ? Des bouées ?
Plus précisément, pour en revenir à la politique et l’architecture, c’est d’une nouvelle géographie à très grande échelle dont il est question désormais, laquelle par essence va nécessiter de grands travaux afin de répondre à de nouveaux impératifs urbains et architecturaux. En d’autres termes, un nouveau paradigme est déjà à l’œuvre et nous disposons dorénavant d’un temps très court pour résoudre de multiples équations à de multiples inconnus. Pour ceux qui doutent, recalculer les coûts de l’inaction à Valence…
Que faire ? Créer des villes souterraines comme dans Dune pour se protéger du cagnard et développer les troglodytes du Saumurois ? Créer des maisons en adobe en béton renforcé pour résister aux éléments quels qu’ils soient ? Retrouver l’urbanisme de la ville basse faite de ruelles protégeant du soleil et sans voiture à s’empiler au bas de la rue en cas d’évènement Cévenol ? Surélever des banlieues entières pour faire face aux inondations ?
L’inondation, parlons-en ! Des solutions existent, c’est la volonté politique qui fait défaut. En témoignent abondamment nos chroniques de la catastrophe annoncée,** de l’architecte Eric Daniel-Lacombe. Un autre exemple, pour ne heurter personne ici en Gaule, est celui de la ville de Chicago. Pour faire face aux inondations du lac Michigan, la décision fut prise en 1856 de surélever la ville de deux mètres ; toute la ville ! Ce qui fut fait. Un réseau logistique souterrain fut créé – Wacker Drive – et trente ‘blocks’ à l’ouest de la 22ème rue, tous les anciens rez-de-chaussée sont encore aujourd’hui des sous-sols, les potagers sous le niveau du lac.
Il est donc possible d’imaginer une action politique décisive. Mais c’est dans doute faire trop d’honneurs aux nôtres, politiciens et politiciennes. Tiens le ministère de la Culture par exemple, doté d’une vision prospective et à la tête de ce combat exaltant ! Pourtant, pour réfléchir à 50 ou 100 ans, qui d’autres que des architectes ? Ah oui, combien d’hommes et femmes de l’art justement parmi les ministres et les sous-ministres dont tout l’horizon de l’intérêt général s’arrête à la prochaine élection ?
En tout cas, les pouvoirs en place, pusillanimes et tellement soucieux des intérêts des leurs, peuvent désormais réfléchir à la façon dont ils furent accueillis à Valence ; même le roi fut hué et obligé de rebrousser chemin. Allo Don Quichotte ! À l’heure où ils s’apitoient sur les Ibères, cela en dit long sur la douche écossaise qui attend désormais nos hommes et femmes politiques à la moindre nouvelle catastrophe non naturelle. D’autant que c’est bientôt le pays entier qui sera en état de catastrophe non naturelle.
À un moment donné, au plus tard quand les actionnaires des assurances commenceront à se jeter du haut de leurs immeubles à New York, La Défense ou dans le VIIIe arrondissement de Paris, nos leaders, ceux d’aujourd’hui – en train de voter le budget du pays par exemple – ainsi que ceux d’hier et d’avant-hier ne pourront plus se cacher. Or, fondée ou non, la colère est déjà grande, en Espagne à la limite du régicide. En France, on sait faire…
Mais bon, c’est qu’il sera trop tard.
Christophe Leray, le 11/11/2024
La goutte froide
11.11.2024 à 11:58
L'Autre Quotidien
Ainsi, Firelei Báez explique comment son travail s'efforce de placer les Caraïbes dans un contexte mondial en capturant des traditions telles que le carnaval ou en traduisant parfaitement la façon dont la lumière du soleil filtrait dans le jardin de sa grand-mère en République dominicaine.
De même, Morel Doucet explique comment la mise en avant de son identité haïtienne lui a permis de raconter sa propre histoire, plutôt que de laisser les autres décider de qui ou de quoi parlent ses délicates sculptures en céramique.
April Bey, qui met en lumière la relation entre opulence et avenir prospère, et Sonya Clark, qui démonte la distinction eurocentrique entre l'art et l'artisanat, figurent également dans le livre. Barnett, elle aussi artiste et créatrice, nous donne un aperçu de son atelier et de ses pratiques méticuleuses en matière de céramique.
Dans son ensemble, Crafted Kinship se concentre sur les processus, les considérations et les histoires qui entrent dans la composition d'un large éventail d'œuvres, en établissant des liens entre chaque élément, chaque artisan et leurs liens ancestraux. Bonne synthèse en hard-cover, à choper sur le site de Colossal.
Baron Lundi, le 11/11//2024
Malene Barnett - Crafted Kinship: Inside the Creative Practices of Contemporary Black Caribbean Makers - Artisan Publishers