19.12.2024 à 05:00
Au large du Cabo Delgado, dans le nord-est du Mozambique, se situe l'île d'Ibo. Ancien paradis touristique et vestige de l'ère coloniale portugaise, Ibo est aujourd'hui un des rares refuges pour les déplacés internes de l'insurrection djihadiste qui ravage la province depuis 2017. Le Mozambique est un des pays les plus pauvres du monde, avec plus de la moitié de ses 33 millions d'habitants vivant sous le seuil de pauvreté. Et le Cabo Delgado est sa province la plus pauvre, malgré les (…)
- Reportages photos / Mozambique , Environnement, Économie informelle, Pauvreté, Réfugiés, Femmes, Armes et conflits armés , Salaires et revenus, Développement durableAu large du Cabo Delgado, dans le nord-est du Mozambique, se situe l'île d'Ibo. Ancien paradis touristique et vestige de l'ère coloniale portugaise, Ibo est aujourd'hui un des rares refuges pour les déplacés internes de l'insurrection djihadiste qui ravage la province depuis 2017. Le Mozambique est un des pays les plus pauvres du monde, avec plus de la moitié de ses 33 millions d'habitants vivant sous le seuil de pauvreté. Et le Cabo Delgado est sa province la plus pauvre, malgré les nombreuses ressources présentes, comme le gaz et le pétrole. Environ 60% des enfants y vivent dans la pauvreté, contre 46,3 % dans le reste du Mozambique.
Pour lutter contre la précarité de la région, une initiative a vu le jour sur l'île par le biais de l'Institut Oikos, en collaboration avec une association communautaire locale, l'Associação do Sistema de Monitoria Orientada para Gestão (ASMOG). Cette « banque de plastique » est devenue une des principales sources de revenus des femmes d'Ibo. Tous les matins, dès l'aube, des dizaines de femmes traversent l'île de parts et d'autres, à la recherche de morceaux de plastique qui jonchent l'île. Une activité qui a créé un lien entre les déplacés internes et les femmes d'Ibo, qui se retrouvent dès l'ouverture de la banque, pour récupérer des méticais (la monnaie locale) en échange de leur butin recyclable.
Au Mozambique, la précarité touche fortement les femmes, victimes de violences et de mariage infantiles. Et elles figurent parmi les principales victimes de l'insurrection. Depuis 2017, plus de 600 femmes (chiffres de 2021) auraient été kidnappées selon l'ONG Human Rights Watch (HRW). Le bilan des victimes s'élève à plus de 4.500 personnes et plus d'un million de déplacés internes selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Le nombre de rescapés de ces enlèvements demeurent flous. Si certaines sont parvenues à s'enfuir, ou à être sauvées par les forces mozambicaines et rwandaises qui patrouillent la région, « beaucoup restent portées disparues » d'après HRW.
Et nombre d'entre elles souffrent de trouble de stress post-traumatique, selon Anna Mota Teles, une neuropsychologue d'origine portugaise, qui effectue un suivi psychologique auprès de plus de 400 femmes du Cabo Delgado. Elle précise que ce ne sont pas « uniquement les femmes enlevées », mais également « les déplacés internes ».
L''île a été désertée en raison des attaques jihadistes menées depuis 2017 par un groupe appelé Al-Shabab ( « les jeunes », en arabe). Les habitants de cette région riche en gaz subissent les attaques des groupes armés, tandis que l'essentiel des forces de sécurité protègent les multinationales, comme TotalEnergies, une entreprise française présente dans la région depuis 2020.
Les femmes au Mozambique sont victimes de violences, et sont souvent mariées avant l'âge adulte. Selon un rapport de l'UNHCR et de l'École d'hygiène et de médecine tropicale de Londres, datant de 2021 : « Environ 18% des femmes mariées avant l'âge de 15 ans et 60% mariés avant 18 ans. Des données comparables ne sont pas disponibles depuis le début de conflit en 2017, bien que les rapports faisant état de mariages d'enfants aient augmenté au cours de la période 2018-2020 ».
Pour favoriser le recyclage et soutenir la population locale, les personnes apportant du plastique collecté sur l'île et ses environs peuvent l'échanger contre un bon, lequel peut ensuite être troqué contre des meticais (la monnaie locale). Cette démarche permet de créer des emplois, d'offrir un complément de revenu, voire un revenu pour certains, grâce au soutien de la société civile. Selon les données de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), 38,8 tonnes de plastique ont été collectées jusqu'à début 2024.
Grâce aux efforts de mobilisation, de formation et d'engagement communautaire de l'ASMOG et de l'Institut Oikos, la banque de plastique a non seulement réussi à aider les habitants à réduire la pollution, mais aussi à soutenir les déplacés internes. « Le système est simple », explique Eugidio Gobo, coordinateur de l'ASMOG, « Nous facilitons la collecte de certains types de plastique, tout en sensibilisant la communauté à la gestion des déchets à domicile et en offrant un soutien technique ».
Malgré les difficultés, cette initiative demeure la seule solution qu'Atija a pour nourrir sa petite fille. Comme elle, 1.356 membres de la communauté bénéficient d'une source de revenu (complémentaire ou non), grâce à la collecte de déchets. Le plastique suit ensuite un long périple pour arriver jusqu'à Maputo, la capitale du Mozambique, où il est recyclé pour donner naissance à de nouveaux produits.
Ce n'est qu'au terme de périlleuses traversées en mer que la population peut trouver refuge à Ibo. À l'heure actuelle, on décompte environ 20.000 déplacés internes d'après les chiffres de l'OIM. Ibo abrite le seul centre de santé de l'archipel (l'hôpital fut détruit après le cyclone Kenneth en 2019), une des raisons du surplus de réfugiés, qui s'y sentent plus à l'abri que sur les îles de Matema et Quirambo.
Anaya n'a pas de travail, et peine à subvenir aux besoins de sa famille au quotidien. « Je suis venue après une attaque des ‘shebabs' à Pangani. Je me sens mieux ici, mais la vie reste difficile » confie-t-elle. « Je ne peux pas retourner chez moi, c'est trop dangereux, et même si l'on se soutient sur l'île, il n'y a pas quasiment pas d'opportunité de travail, et les revenus du plastique ne me suffisent pas ».
Chaque année, le Mozambique doit faire face à des nombreuses crises climatiques (inondations, sécheresses ou cyclones comme celui d'Idai en 2019, ou Chido en décembre 2024), qui accentuent la vulnérabilité des déplacés internes. « Le pays occupe la 10e place des pays les plus vulnérables aux risques de catastrophes dans le monde. Les récents événements climatiques ont confirmé la nécessité de renforcer la préparation aux catastrophes et la capacité de réponse du pays, ainsi que l'importance de la préservation des écosystèmes, et notamment de la capacité de la biodiversité à diminuer les impacts de ces événements », selon l'Agence française de Développement, qui travaille sur un projet réduction des risques de catastrophes depuis 2021.