12.09.2025 à 08:00
Avoir un toit au-dessus de sa tête est fondamental pour aspirer à une vie digne. Or, pour des centaines de milliers de familles au Venezuela, où le droit au logement est pourtant inscrit dans la Constitution, la location d'un espace adéquat est un luxe inaccessible et l'achat d'une propriété relève d'une mission impossible. Non seulement les prix du marché dépassent de loin le revenu moyen des ménages, mais l'inflation a pulvérisé les prêts hypothécaires, privant les citoyens de tout accès (…)
- Actualité / Venezuela , Développement, Pauvreté, Salaires et revenus, Développement durable, LogementAvoir un toit au-dessus de sa tête est fondamental pour aspirer à une vie digne. Or, pour des centaines de milliers de familles au Venezuela, où le droit au logement est pourtant inscrit dans la Constitution, la location d'un espace adéquat est un luxe inaccessible et l'achat d'une propriété relève d'une mission impossible. Non seulement les prix du marché dépassent de loin le revenu moyen des ménages, mais l'inflation a pulvérisé les prêts hypothécaires, privant les citoyens de tout accès au financement.
À la fin de l'année 2024, le revenu mensuel de 70 % des ménages vénézuéliens se situait entre 150 et 300 USD, ce qui est insuffisant pour couvrir le coût du loyer. Aussi, de nombreuses familles se sont-elles vues contraintes de rogner sur leur qualité de vie ou de chercher des alternatives de logement de plus en plus précaires et improvisées. Nairobi Lara, une mère célibataire de 30 ans, en est un bon exemple.
Elle partage actuellement avec son fils une chambre dans un logement situé à Petare, le plus grand bidonville du pays, et l'un des plus pauvres. Jusqu'à l'année dernière, elle gagnait l'équivalent de 300 USD, dont 100 USD allaient au paiement du loyer pour un logement composé de deux chambres, d'une salle de bain et d'une cuisine. Cependant, suite à la réduction de son salaire à l'ONG où elle travaille et à l'augmentation du loyer – qui a lieu tous les six mois – elle a dû se contenter d'une seule chambre, où elle partage désormais un lit avec son fils.
« Actuellement, je paie 80 USD pour vivre ici, mais je ne gagne que 185 USD. De ce montant, il me reste en tout et pour tout 105 USD pour la nourriture, l'école, l'Internet et les transports. L'argent ne suffit même pas à couvrir les dépenses courantes. J'ai la sensation d'étouffer. C'est pourquoi j'ai dû renoncer à une chambre, pour pouvoir continuer à avoir un toit au-dessus de ma tête. Je me suis installée du mieux que j'ai pu dans l'autre (pièce) avec les choses les plus nécessaires », a-t-elle confié à Equal Times.
Côté syndical, des organisations comme la Centrale ASI Venezuela réclament depuis des années une politique salariale équitable qui permette à la classe travailleuse du pays de faire face aux dépenses de logement, ce qui, pour l'instant, est purement « illusoire » compte tenu de la « capacité de financement nulle ».
ONU-Habitat, le programme des Nations Unies pour les établissements humains, utilise l'indicateur de la « capacité de paiement » pour mesurer l'accessibilité du logement. Selon cette norme, le prix à payer pour un toit ne doit pas dépasser 30 % du revenu du ménage. Or, dans le cas de Mme Lara, le montant s'élève à 43 %, soit un dépassement de 13 points par rapport au seuil de l'ONU. Dans de telles conditions, sa capacité à couvrir d'autres besoins de base tels que l'alimentation, la santé et l'éducation est sérieusement compromise.
Mais au-delà du coût du loyer, un tel prix n'est pas, non plus, justifié au regard des conditions d'habitabilité. Mme Lara n'a même pas accès à l'eau potable tous les jours. L'approvisionnement en eau ne se fait, dans le meilleur des cas, que deux jours par semaine. Elle ne dispose pas, non plus, de gaz naturel. Elle s'empresse de préciser que ces défaillances n'affectent pas seulement sa qualité de vie, mais aussi celle de huit ménages sur dix au Venezuela qui dépendent de sources d'eau alternatives – la plupart du temps dangereuses – pour mener à bien leurs activités quotidiennes à la maison.
Et non, la crise du logement n'est pas seulement vécue en silence : elle donne lieu à des actions de protestation. En 2024, le Venezuela a été le théâtre de 1.299 manifestations pour le droit à un logement décent, soit une moyenne de trois par jour, ce qui en fait la deuxième cause de mobilisation dans le pays, selon l'Observatoire vénézuélien des conflits sociaux. Les femmes, dont 65 % sont cheffes de famille au Venezuela, se trouvaient à la tête de la plupart de ces mobilisations.
« La demande de logements décents et abordables a été une constante dans les manifestations au Venezuela, reflétant la nécessité urgente de conditions de logement adéquates pour des milliers de familles dans le pays. Face à l'inaction du gouvernement et à l'absence de politiques efficaces, les citoyens ont recours à la contestation comme moyen de pression pour rendre visible leur réalité et exiger des solutions concrètes », selon le rapport Conflictividad Social en Venezuela en 2024, publié en février.
Au Venezuela, la pénurie de logements continue de s'aggraver tandis que les investissements publics dans ce domaine atteignent des niveaux historiquement bas. En 2023, alors que la population était estimée à 30 millions, au moins 10 % – soit environ trois millions d'habitants – se trouvaient dans une situation de vulnérabilité sévère ou modérée en raison du manque d'accès à un logement décent, selon l'Enquête nationale sur les conditions de vie (Encovi).
Bien que la Constitution consacre le droit à un logement « adéquat, sûr, confortable, hygiénique et doté des services essentiels de base », le budget alloué au secteur reflète une réalité différente. Au cours de la même année, le ministère de l'Habitat et du Logement a reçu à peine 0,41 % du budget national approuvé par le Parlement.
Pour Cristofer Correia, spécialiste du logement, de l'habitat et des villes auprès du Centre ibéro-américain de développement stratégique urbain, l'investissement nécessaire pour inverser cette tendance est considérablement plus élevé, étant estimé à au moins 10 % du produit intérieur brut (PIB). Rien qu'à Caracas, l'intégration des établissements informels au sein de la structure urbaine nécessiterait un investissement minimum de 1,3 milliard USD, selon les estimations de l'expert, basées sur des expériences récentes de régénération urbaine dans des métropoles sud-américaines telles que São Paulo et Medellín.
« C'est conséquent, certes, mais cela ne représente que 5 % du PIB national. Et échelonné dans le cadre d'un plan quinquennal, l'investissement annuel ne représenterait que 1 % », a expliqué M. Correia.
Sa proposition rompt avec la formule traditionnelle de la construction en masse de logements et se concentre sur une véritable intégration des secteurs populaires dans le développement urbain. La clé, a-t-il expliqué dans un entretien avec Equal Times et dans son livre Regeneracion Urbana Inclusiva (Regénération urbaine inclusive), est de garantir les infrastructures et les équipements sociaux, ce qui implique des services essentiels tels que l'eau, l'électricité et les transports, ainsi que des environnements adéquats pour l'éducation, l'emploi et les loisirs.
Mais là encore, il ne s'agit pas seulement de construire plus de logements. Si, dans certains cas, le relogement est indispensable – notamment pour les familles vivant dans des zones à haut risque, comme les terrains instables ou sujets aux glissements de terrain – la solution structurelle consiste à formaliser le régime foncier et à améliorer les conditions de vie dans les quartiers existants.
« Des efforts doivent être entrepris pour mettre aux normes ces habitations afin de leur donner la possibilité et la capacité de se développer. Cela implique de fournir des documents qui garantissent la légalité du bâti et du terrain, ainsi que de créer des conditions de vie décentes, par exemple des rues suffisamment larges pour permettre le passage d'une benne à ordures ou d'une ambulance », a expliqué M. Correia.
Démolir des quartiers pour ensuite les reconstruire de fond en comble, comme certains le proposent, ne serait pas viable, souligne l'expert. Non seulement en raison de l'impact social, mais aussi du coût exorbitant. Alors que la construction d'un appartement dans n'importe quel pays d'Amérique latine revient à environ 20.000 USD par unité, une intervention globale au sein des communautés – comme celle menée dans la Comuna 13 de Medellín, qui comprend des escaliers roulants, des bibliothèques et des espaces de loisirs – a coûté 4.000 USD par unité.
« Cela nous reviendrait au moins cinq fois moins cher que de construire des appartements dans des conditions souvent inhumaines, comme c'est le cas dans certains chantiers de la Gran Misión Vivienda Venezuela. Ce n'est pas toujours le cas, mais ça arrive », avertit-il.
Lancée en 2011, la Gran Misión Vivienda Venezuela (Grande Mission Logement Venezuela) a été présentée comme une réponse à la pénurie de logements, avec la construction de logements sociaux pour les personnes à très faibles revenus et les personnes sinistrées. Depuis lors, le gouvernement vénézuélien affirme avoir livré des millions d'unités, cependant nombre de ces projets ne sont pas conformes aux normes d'habitabilité.
Des rapports émanant de Transparencia Venezuela, la section nationale de Transparency International, ont dénoncé le fait que certains de ces ouvrages ont été construits sur des failles géologiques, ce qui a provoqué des ruptures de canalisations, des défaillances des systèmes de collecte des eaux usées, des fissures dans les murs et des glissements de terrain.
Leur coût moyen s'élève à 60.000 USD, selon les chiffres officiels du gouvernement de Nicolás Maduro, qui s'engage à présent à en construire deux millions de plus au cours de son nouveau mandat, entre 2025 et 2030. Si cet engagement est tenu, cela signifierait la construction de 333.000 logements par an. M. Correia s'interroge toutefois sur la viabilité économique de ce plan.
« Pour 2025, le budget de la nation s'élève à 22 milliards USD. Si M. Maduro construisait effectivement deux millions de logements au prix indiqué par son propre gouvernement, à savoir 60.000 USD par unité, le coût total atteindrait 20 milliards USD, soit 90 % du budget national », a-t-il calculé.
Acheter ou louer dans les quartiers les plus défavorisés des villes vénézuéliennes est devenu, pour beaucoup, la seule option possible face à l'effondrement du crédit et au coût croissant du marché immobilier formel. C'est une sorte de bouée de sauvetage dans un climat économique houleux. En témoigne le cas de Dennis Linares, 33 ans, qui a réussi à acheter, en 2023, une maison de 60 mètres carrés à El Guarataro, une communauté populaire de l'ouest de Caracas. Il vivait auparavant dans un petit studio à San Agustín, dont il était également propriétaire.
« Pour acheter celle-ci, nous avons vendu la maison précédente et avec l'argent de cette vente, après avoir économisé un peu, nous avons tout rassemblé. Cela nous a pris deux ans. Nous n'avons pas pu obtenir de prêt hypothécaire », explique-t-il.
Bien qu'il dispose désormais de plus d'espace, Dennis admet se sentir oppressé par le cadre de vie : escaliers sans fin, cahutes de part et d'autre et pannes constantes d'approvisionnement en eau. Cependant, il estime qu'il vaut mieux avoir quelque chose à soi, même si c'est dans une zone vulnérable, que de payer un loyer disproportionné sans aucune garantie. « Ils demandent trois mois de caution et jusqu'à un an d'avance. C'est impossible », explique-t-il.
L'économiste Jesús Castillo, professeur à l'Universidad Católica Andrés Bello (UCAB) et consultant auprès d'Ecoanalítica, avertit qu'avec un crédit hypothécaire « presque totalement restreint », la mobilité et la possibilité d'évolution des ménages se voient sévèrement limitées.
« Près d'un quart de la population a quitté le pays. En termes de logement, cela se traduit par une offre et une disponibilité de biens immobiliers, mais cette offre reste structurellement chère pour un marché dépourvu d'accès au crédit et une population paupérisée », indique M. Castillo.
Diverses initiatives privées ont tenté de proposer des plans de financement, mais ceux-ci ne sont pas viables pour la majorité. Face à cette situation, de nombreuses familles ont été contraintes de partager leur logement. « Des ménages multifamiliaux sont apparus », explique M. Castillo. « Vous grandissez dans la maison de votre grand-mère, vous avez des enfants qui, à leur tour, ont des enfants. On se retrouve ainsi avec une famille où un arrière-grand-parent et même un arrière-petit-enfant vivent sous le même toit. Comme les Vénézuéliens ne peuvent pas devenir indépendants, voilà le résultat. »
Au Venezuela, le logement a donc cessé d'être un tremplin vers la sécurité et le bien-être pour devenir une course aux obstacles marquée par la précarité, l'inégalité et l'absence d'options réelles. Disposer d'un logement décent relève, à ce jour, non pas d'un droit, mais d'un privilège. En l'absence de politiques publiques soutenues, de salaires décents, de crédit accessible et de solutions urbaines globales, des milliers de familles se voient contraintes de déménager dans des zones vulnérables, de partager des espaces ou de renoncer à des conditions minimales d'habitabilité. Cette situation éloigne durablement le pays de l'objectif mondial fixé par les Nations Unies, à savoir garantir l'accès à un logement adéquat, sûr et abordable à l'horizon 2030.