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22.07.2025 à 07:30

En Géorgie, la répression de la contestation anti-gouvernementale passe par le licenciement des fonctionnaires jugés déloyaux

Clément Girardot
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Depuis le 28 novembre 2024, des manifestations secouent quotidiennement Tbilissi et d'autres villes de Géorgie. Les citoyens dénoncent la suspension du processus d'adhésion à l'Union européenne annoncée ce jour-là et, plus largement, l'instauration d'un régime de plus en plus autoritaire.
Ces derniers mois, le parti du Rêve Géorgien, reconduit au pouvoir pour quatre ans lors des élections législatives frauduleuses du 26 octobre 2024, a multiplié les lois liberticides et intensifié la (…)

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Texte intégral (2263 mots)

Depuis le 28 novembre 2024, des manifestations secouent quotidiennement Tbilissi et d'autres villes de Géorgie. Les citoyens dénoncent la suspension du processus d'adhésion à l'Union européenne annoncée ce jour-là et, plus largement, l'instauration d'un régime de plus en plus autoritaire.

Ces derniers mois, le parti du Rêve Géorgien, reconduit au pouvoir pour quatre ans lors des élections législatives frauduleuses du 26 octobre 2024, a multiplié les lois liberticides et intensifié la répression contre les voix dissidentes. Fondé par l'oligarque Bidzina Ivanichvili, le Rêve Géorgien gouverne la nation caucasienne de 3,7 millions d'habitants depuis 2012. Son accession au pouvoir avait même marqué la première transition démocratique du pays après la révolution de 2003 et l'instabilité des années 1990, faisant suite à l'éclatement de l'URSS dont la Géorgie était une des républiques.

Cette formation attrape-tout sans grande assise idéologique a pourtant longtemps incarné une force relativement modérée et pro-européenne, une orientation qui s'est matérialisée par la signature de l'accord d'association UE-Géorgie en 2014 et la libéralisation du régime des visas avec l'espace Schengen en 2017. Face à la menace d'un retour à la domination russe, l'intégration euro-atlantique est une aspiration partagée à la fois par une grande partie des élites et de la population.

« Le gouvernement avait alors déclaré la réforme de l'administration comme une de ses grandes priorités », déclare Raisa Liparteliani, vice-présidente de la Confédération des Syndicats de Géorgie (GTUC).

La mise en application de l'accord d'association avec l'UE devait se traduire par une réforme de la fonction publique afin qu'elle soit davantage efficace, transparente et professionnelle. Mais plutôt que de continuer sur cette voie, le gouvernement géorgien en a choisi une autre.

« Quand nous parlons du Rêve Géorgien, nous parlons d'une seule personne, Bidzina Ivanichvili. À un moment, il a été confronté au choix de se retirer vraiment du pouvoir ou de construire un régime autoritaire. Il a choisi la seconde voie », affirme le juriste Vakhushti Menabde, fondateur du Mouvement pour la Social-Démocratie, un nouveau parti politique né en février 2025 des récentes mobilisations.

Plus de 800 licenciements politiques dans la fonction publique

Comme des milliers de citoyens d'orientations politiques très variées, les membres de cette formation de gauche sont quasi-quotidiennement dans la rue. Face à cette contestation qui dure, les autorités ont adopté une stratégie de répression qui conjugue la force policière, l'intimidation politique et des formes de rétorsions financières et professionnelles. D'après l'Indice des droits dans le monde de la Confédération syndicale internationale (CSI), la Géorgie a été rétrogradée de la catégorie 3 à 4, entre 2024 et 2025, à cause de la multiplication des atteintes relevées aux libertés civiles et aux droits syndicaux.

Une cinquantaine de manifestants, principalement arrêtés en décembre, sont encore en prison. Parallèlement, les fonctionnaires sont aussi ciblés : « La plupart de ceux qui ont pris position pour défendre la Constitution lorsque le régime a rejeté le choix géopolitique historique de la Géorgie ont été renvoyés de leurs postes », affirme Vakhushti Menabde.

Plusieurs centaines de fonctionnaires ont notamment signé des pétitions soutenant l'avenir européen de Géorgie, un nombre encore plus important a participé aux manifestations anti-gouvernementales. D'après un rapport publié en avril par l'ONG Transparency International Georgia, ce sont principalement ces personnes qui ont été licenciées. Les méthodes exactes et l'échelle des licenciements diffèrent selon les institutions, mais les directions ont surtout concentré leurs efforts répressifs sur le management intermédiaire.

Dans un grand nombre de cas, les licenciements ont lieu après l'annonce d'une « réorganisation » par le gouvernement et passent par un non-renouvellement du contrat de travail. Dernier en date d'une longue série, le ministère des affaires étrangères a annoncé une « réorganisation » début mai, quelques mois après qu'une ordonnance de la ministre Maka Bochorishvili ait supprimé la sécurité de l'emploi pour certains cadres de l'institution.

« Le nombre de personnes licenciées dépasse maintenant les 800. Il faut souligner que près de la moitié de ces personnes ont entre 8 et 35 années d'expérience professionnelle ».

« Elles incarnent la mémoire institutionnelle du fonctionnement et du développement des services publics géorgiens », explique Giga Sopromadze, un employé de la mairie de Tbilissi limogé fin décembre et fondateur d'un nouveau syndicat de la fonction publique, nommé Article 78 de la Constitution.

Participant actif aux manifestations depuis plusieurs années, il a été remercié de ses fonctions de coordinateur des programmes pour les personnes en situation de handicap pour la capitale géorgienne : « J'ai travaillé avec différents maires depuis 2016 et là, on ne me renouvelle pas mon contrat, car tous les programmes sont soi-disant terminés. C'est un gros mensonge, car quand on regarde Tbilissi, la ville est très loin des standards européens en matière d'accessibilité. »

Ces licenciements sont facilités par l'adoption expéditive de multiples amendements à la loi sur les services publics entre décembre 2024 et avril 2025, qui viennent attaquer un droit du travail déjà peu protecteur pour les fonctionnaires, mais aussi les salariés du secteur privé.

Les principales mesures sont la suppression de la protection légale contre les licenciements pour les cadres de la fonction publique, la requalification des contrats à durée indéterminée en contrats courts, la facilitation des licenciements durant les réorganisations, la réduction de la durée des préavis, la baisse des indemnités de licenciement, ainsi que le renforcement des procédures d'évaluation pouvant mener à des réductions de salaire ou un licenciement.

Dans son examen annuel d'application des normes, l'Organisation internationale du travail a ainsi noté en juin que « cette réforme crée une précarité d'emploi sans précédent et affaiblit les protections du travail des fonctionnaires contre les licenciements arbitraires. De telles conditions compromettent gravement l'environnement nécessaire pour que les fonctionnaires puissent exercer librement leurs droits syndicaux, ce qui soulève de graves préoccupations en ce qui concerne la convention [n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical] et la convention (n° 151) sur les relations de travail dans la fonction publique de 1978, que la Géorgie a ratifiée en 2003 ».

Une douzaine d'institutions sont déjà concernées par ces licenciements qui succèdent à la reprise en main des institutions culturelles publiques par le Rêve Géorgien à l'œuvre dès 2021. Des agences, ministères et administrations centrales sont concernées, ainsi que des administrations régionales et des municipalités. Deux organismes ont même été entièrement dissous : le Centre de recherche du Parlement et le Bureau de la fonction publique qui s'occupait principalement de l'évaluation et du recrutement des agents.

En dehors des grandes villes où les médias d'opposition et les organisations politiques ou syndicales disposent de relais, la répression prend avant tout la forme d'une stratégie d'intimidation et de contrôle social. Celle-ci se déploie en premier lieu dans les écoles qui sont souvent, en milieu rural, l'unique institution publique et le principal employeur.

« Si vous ne suivez pas les ordres ou si vous exprimez une opposition, vous êtes perçu avec suspicion et ajouté à une liste noire. Les directeurs d'école lisent ces noms à voix haute devant les autres membres du personnel », explique un activiste de Tbilissi originaire la région d'Iméréthie dans l'Ouest du pays qui préfère garder l'anonymat. En raison de ses activités, sa mère qui est professeure est stigmatisée bien qu'elle soit apolitique : « Elle n'a pas encore été renvoyée, mais le simple fait d'être sur cette liste constitue déjà une forme de pression psychologique. »

Vers un parti-État sur le modèle russe

Ces licenciements et pressions visant les fonctionnaires révèlent un changement de paradigme de l'Etat géorgien qui n'aspire plus à une démocratisation, même imparfaite et qui a relégué la conduite des politiques publiques au second plan pour se concentrer sur la consolidation du pouvoir.

La mainmise politique sur l'administration s'est fortement renforcée. Selon de nombreux observateurs, l'un des principaux objectifs de la répression actuelle est de soumettre la fonction publique au contrôle du parti. Sur le modèle russe ou même azerbaïdjanais, le Rêve Géorgien prend la direction d'une gouvernance où le parti au pouvoir fusionne avec les structures étatiques.

L'attribution de certains postes à responsabilité est de nouveau possible sans procédure de sélection compétitive. Cette disposition pourrait renforcer le népotisme et décourager les employés les plus compétents qui n'auront plus de possibilité de promotion. Les fonctionnaires licenciés n'ont, de leur côté, aucune possibilité de récupérer leur travail, ils perdent donc leurs moyens de subsistance alors que leur employabilité dans le secteur privé est faible.

« Nous ne sommes pas en mesure d'obtenir la réintégration des fonctionnaires licenciés même si nous gagnons de nombreux procès aux prud'hommes, car leur poste de travail a été aboli suite aux réorganisations », explique l'archéologue et paléoanthropologue Nikoloz Tsikaridze, président du Syndicat des travailleurs des sciences, de l'éducation et de la culture.

Cette stratégie hostile aux droits des travailleurs et au droit d'association est contraire aux conventions internationales dont la Géorgie est signataire, notamment la convention n°98 de l'OIT sur le droit d'organisation et de négociation collective. Par ailleurs, la convention n°87 protège la liberté syndicale et garantit le droit des travailleurs de créer librement des organisations sans autorisation préalable de l'État.

La Confédération des Syndicats de Géorgie (GTUC), a entamé une procédure de réclamation auprès de l'OIT concernant les réformes récentes s'attaquant aux droits des fonctionnaires et des syndicats de manière plus large.

Lors de sa 113e Conférence, le comité d'évaluation a émis, le 6 juin dernier, la position suivante : « Nous exhortons le gouvernement à revoir les récents amendements à la loi sur la fonction publique par le biais d'un véritable processus de consultation avec les organisations représentatives des travailleurs ». La vice-présidente de la Confédération, Raisa Liparteliani a expliqué : « Nous comptons utiliser ce document pour défendre les droits des fonctionnaires au niveau national auprès de la Cour constitutionnelle, de la commission tripartite et du Parlement et au niveau international aussi ».

Les positions des organisations internationales, ainsi que celles de l'Union européenne qui menace le pays de sanctions sur le régime de visa, auront-elles une influence sur l'attitude du gouvernement du Rêve Géorgien qui voit derrière toute critique un complot de l'Occident ? Tant que perdure la crise politique entre un pouvoir inflexible et des citoyens mobilisés, la répression au sein de l'administration pourrait se poursuivre tout comme dans le reste de la société, où de plus en plus d'opposants se retrouvent face à la justice ou en détention.

Malgré cela, le respect de la liberté syndicale répond à un besoin d'organisation collective qui se fait ressentir dans différents secteurs de la société. Tout en agissant dans un environnement répressif, les mouvements politiques et syndicaux attachés à la démocratie et à l'orientation pro-européenne de la Géorgie font toujours face au défi d'une meilleure coordination et planification pour pouvoir ébranler le Rêve Géorgien.

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