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20.11.2025 à 11:43

L'IA s'installe au bureau : quel avenir pour les cols blancs en Amérique latine ?

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Constanza Llanos passe une grande partie de sa journée dans les bureaux d'une compagnie d'assurance de la ville de Santa Cruz, en Bolivie. Jusqu'à récemment, la fonction de cette assistante en ressources humaines âgée de 26 ans consistait à examiner des CV un par un. Aujourd'hui, c'est une plateforme numérique qui filtre les candidats avant qu'ils n'arrivent devant elle. « Elle nous fait gagner du temps, certes, mais nous devons tout de même tout vérifier manuellement », explique-t-elle (…)

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Texte intégral (2859 mots)

Constanza Llanos passe une grande partie de sa journée dans les bureaux d'une compagnie d'assurance de la ville de Santa Cruz, en Bolivie. Jusqu'à récemment, la fonction de cette assistante en ressources humaines âgée de 26 ans consistait à examiner des CV un par un. Aujourd'hui, c'est une plateforme numérique qui filtre les candidats avant qu'ils n'arrivent devant elle. « Elle nous fait gagner du temps, certes, mais nous devons tout de même tout vérifier manuellement », explique-t-elle depuis son bureau.

Bien que son entreprise n'ait pas encore mis en place de systèmes formels d'intelligence artificielle (IA), nombreux sont les employés qui recourent à des outils numériques spontanément. Constanza s'appuie sur ces outils pour organiser ses idées et fluidifier certaines tâches. Elle ne croit pas que l'IA la remplace un jour, mais reconnaît qu'elle lui permet d'améliorer les résultats de son travail quotidien.

Son témoignage n'est pas un cas isolé. On assiste à un changement silencieux dans tous les bureaux d'Amérique latine. Là où, auparavant, le murmure des voix et le cliquetis des claviers dominaient, aujourd'hui, de multiples outils d'intelligence artificielle générative rédigent et synthétisent.

L'IA n'est pas apparue soudainement, mais elle transforme déjà les méthodes de travail et oblige à repenser ce que signifie aujourd'hui avoir un emploi « décent » et comment s'adapter à un environnement de plus en plus automatisé.

Le travail de bureau exposé

Une étude de la Banque mondiale et de l'Organisation internationale du travail (OIT) estime qu'entre 30 et 40 % des emplois en Amérique latine et dans les Caraïbes sont exposés à l'IA générative et que jusqu'à 5 % pourraient faire l'objet d'une automatisation complète. Utilisée à bon escient, cette technologie pourrait également améliorer la productivité de près de 12 % des emplois actuels.

Ce ne sont pas les ouvriers ni les travailleurs manuels qui sont les plus exposés, mais bien les employés de bureau : les analystes, les avocats, les comptables, les journalistes ou les assistants administratifs. La classe moyenne active, traditionnellement stable, est aujourd'hui confrontée à une transition silencieuse.

Atahualpa Blanchet, chercheur spécialisé dans l'intelligence artificielle et les nouvelles technologies, explique que « les systèmes algorithmiques exécutent déjà des tâches cognitives, telles que la rédaction de rapports, le traitement de données ou la gestion des courriers, et parfois même la prise de décisions. De nombreuses entreprises latino-américaines utilisent des agents conversationnels (“chatbots”) et des outils prédictifs dans les domaines des ressources humaines, du service à la clientèle et des finances ». Et cette mutation ne fait que commencer.

Dans cette région, où près de la moitié de la population active travaille dans le secteur informel, l'IA ne représente pas seulement un risque de perte d'emploi. Elle peut également modifier la qualité du travail : certes, elle libère les individus de tâches répétitives, mais elle peut aussi réduire l'autonomie, diluer les responsabilités et accroître la précarité, même dans les secteurs réputés stables auparavant. Tout le problème consiste donc à trouver le bon équilibre entre une technologie prometteuse sur le plan de l'efficacité et des conditions de travail décentes.

Une adoption inégale de l'IA

Alors que l'adoption de cette technologie progresse lentement dans des pays comme la Bolivie, des changements sont déjà perceptibles dans le nord de l'Amérique centrale, notamment dans des secteurs tels que les télécommunications.

Luis Pablo Linares, ingénieur guatémaltèque de 28 ans travaillant pour une entreprise française du secteur, décrit la façon dont l'IA a transformé son travail au quotidien. Auparavant, ils préparaient des scripts et surveillaient les tests en direct ; désormais, ils se contentent d'ajuster les paramètres et de vérifier les résultats.

« Cela nous libère de processus fastidieux, mais nous devons tout de même superviser et alimenter l'IA en informations […] Cela ne supprime pas le rôle de l'ingénieur, cela change simplement l'approche », explique-t-il.

À Santa Cruz, Constanza Llanos observe cette transformation avec un certain recul. Elle explique que de nombreuses entreprises n'ont pas encore accès à ces outils et que les inégalités en termes d'éducation continuent de peser dans des pays comme la Bolivie : tout le monde ne peut pas suivre une formation en technologie ou un cours sur l'IA, ce qui détermine qui est (ou ne l'est pas) capable de s'adapter.

Malgré les frontières qui les séparent, tous deux partagent le même sentiment : ils appartiennent à une génération qui doit s'adapter plus rapidement que la vitesse à laquelle les institutions peuvent les accompagner ; une génération confrontée à un changement qui n'est pas uniquement d'ordre technologique, mais aussi social.

La fracture technologique cachée

L'étude de la Banque mondiale et de l'OIT souligne qu'environ 17 millions d'emplois dans la région pourraient tirer avantage des progrès de l'IA, mais que le manque d'infrastructures numériques risque de laisser de nombreux travailleurs sur la touche. Une nouvelle fracture se profile donc, non seulement entre les riches et les pauvres, mais aussi entre ceux qui ont accès aux technologies et ceux qui en sont exclus.

Cette différence est déjà perceptible au sein de l'équipe de Luis Pablo Linares. Certains collègues plus âgés préfèrent les méthodes traditionnelles, tandis que les plus jeunes dépendent excessivement de l'IA. « Aucun de ces extrêmes n'est souhaitable », reconnaît-il. M. Blanchet explique que le problème est encore plus grave lorsque les entreprises adoptent des outils d'IA sans investir dans une formation adéquate. La modernisation promet l'efficacité, mais elle génère également une exclusion silencieuse au sein même du lieu de travail.

L'inégalité revêt également un visage féminin. Caroline Coelho, coordinatrice de la communication et de l'information de la Confédération syndicale des travailleurs et travailleuses des Amériques (CSA), souligne que les algorithmes ont tendance à reproduire les biais existants. Les femmes, qui occupent souvent des postes plus routiniers et précarisés, risquent davantage d'être déplacées, tandis que les hommes concentrent les rôles de décision et de développement technologique.

Néanmoins, Mme Coelho précise que l'IA peut également constituer une opportunité si elle s'accompagne de politiques de formation inclusives, de réglementations axées sur les droits et de la participation syndicale. La technologie pourrait même favoriser un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, à condition que les femmes y participent activement en tant que créatrices et régulatrices, et pas seulement en tant qu'utilisatrices.

La fracture invisible ne se mesure pas seulement en termes d'accès aux outils, mais aussi d'opportunités réelles de s'adapter et de participer à la transformation numérique. Sans formation ni réglementation, l'IA pourrait aggraver les inégalités plutôt que les résoudre.

Définir l'« humain » : un défi pour l'« humain »

L'IA promet l'efficacité, mais suscite également de nouvelles incertitudes. Mme Linares le reconnaît : « La marge d'erreur reste élevée. [En fonction de la formulation] d'une requête, le résultat donné peut être complètement erroné. C'est pourquoi la part de l'humain reste essentielle ».

Parallèlement, le télétravail, favorisé par la numérisation, a transformé notre rapport au temps et au repos. « Travailler à domicile est confortable, mais peut entraîner une certaine surcharge. Nombreux sont ceux qui pensent que, si vous êtes à la maison, vous pourriez peut-être travailler plus tard. Or, il faut savoir fixer des limites [tant pour le travailleur que pour l'employeur] », commente-t-elle.

Elle ajoute une autre inquiétude : l'isolement. « Le contact est important, même si le travail ne l'exige pas toujours. Nous sommes faits pour partager avec autrui. »

Cette déconnexion sociale s'accompagne d'une autre pression croissante : la gestion algorithmique du travail. Mme Coelho souligne que ce modèle intensifie le stress, surtout chez les femmes. Les outils qui mesurent les performances en temps réel et exigent une disponibilité constante génèrent de nouvelles formes d'anxiété.

M. Blanchet abonde dans ce sens et souligne que ces systèmes, qui contrôlent tout, depuis la vitesse de réponse jusqu'au ton de la communication, créent une surveillance invisible qui érode la confiance et détériore la santé mentale.

« La santé mentale doit être protégée et il est essentiel de fixer des limites. L'hyperconnexion ne doit pas être normalisée », conseille-t-il. Pour lui, le monde numérique reste un territoire disputé et non une réalité dictée par les grandes entreprises du secteur des technologies.

L'obligation tacite d'apprendre

Les entreprises effectuent leur transition technologique à des rythmes différents. Dans l'entreprise de Luis Pablo Linares, des catalogues de cours et des espaces de partage des connaissances ont été mis en place, mais les progrès dépendent davantage de l'initiative personnelle que d'une stratégie formelle.

En Bolivie, Constanza Llanos est reconnaissante que son entreprise lui ait proposé une formation initiale en IA. « Ils ont commencé par les cadres, puis le reste du personnel, afin que nous partions tous du même niveau », explique-t-elle. Cependant, dans une grande partie de la région, la charge de l'apprentissage retombe toujours sur les travailleurs.

Luis Linares López, chercheur à l'Association pour la recherche et les études sociales (ASIES), souligne que « du Nicaragua au Guatemala, nous ne sommes pas préparés à cette reconversion professionnelle ». Apprendre à se servir de l'IA s'est imposé comme une obligation tacite : une compétence que beaucoup doivent acquérir par eux-mêmes pour rester dans la course. Pour le chercheur, la solution ne peut venir uniquement de l'initiative des individus. Il faut des politiques publiques solides, une éducation accessible et une formation professionnelle adaptée à la vitesse des changements technologiques.

L'IA à travers le prisme syndical

En Amérique latine, le taux de syndicalisation atteint à peine 9 % et les secteurs du numérique ne sont pratiquement pas représentés. Au Guatemala, M. Linares López souligne que la négociation collective relative à l'IA ou à la numérisation est quasi inexistante. « La plupart des syndicats luttent simplement pour assurer le paiement du salaire minimum et l'affiliation des travailleurs à la Sécurité sociale ; leurs luttes restent axées sur l'essentiel », explique-t-il.

Pour autant, M. Blanchet perçoit des signes encourageants. « Certains syndicats intègrent déjà l'IA dans les négociations collectives : ils exigent une transparence algorithmique et une participation à l'introduction des nouvelles technologies […] Ce qui compte avant tout, c'est que la transformation numérique soit négociée, pas imposée », affirme-t-il.

Adolfo Lacs Palomo, secrétaire général de la Fédération syndicale des employés de banque, du secteur tertiaire et de l'État du Guatemala (FESEBS), rappelle qu'une situation similaire s'est produite lors de l'arrivée des ordinateurs dans les années 80.

« Beaucoup pensaient que des emplois disparaîtraient, mais c'est en réalité une réadaptation qui s'est produite. Il en sera de même avec l'IA : elle créera de nouveaux rôles et exigera de nouvelles compétences », soutient-il.

Son principal motif de préoccupation réside dans le lien entre l'IA et le télétravail, qui pourrait éroder les droits du travail. Sa fédération encourage la formation, le dialogue social et la réglementation. « Nous ne pouvons pas nous opposer à l'IA, mais nous pouvons l'accompagner grâce à un accompagnement et à une formation. L'objectif est que tout le monde puisse rester dans le coup », assure-t-il.

Mme Coelho partage cet avis et adopte une perspective plus large. « La transition numérique doit être juste. Les syndicats doivent participer activement à la négociation collective sur les algorithmes. Ils doivent avoir le droit de savoir quels systèmes sont utilisés, quelles données sont traitées et comment celles-ci influencent les décisions en matière d'embauche, d'évaluation ou de licenciement », déclare-t-elle. Elle insiste également sur la nécessité de promouvoir des politiques de formation continue et de protection sociale.

M. Blanchet cite des exemples inspirants : au Brésil, les syndicats du secteur bancaire ont conclu des accords pour requalifier leurs travailleurs et garantir leur participation à la conception des systèmes algorithmiques. Au sein de coopératives numériques telles que App Justo au Brésil ou CoopCycle en Argentine, les travailleurs gèrent les algorithmes et fixent les tarifs et les bénéfices. « Ils démontrent que l'IA ne doit pas nécessairement être au service de la précarisation, mais qu'elle peut au contraire renforcer l'autonomie collective », affirme-t-il.

Le travail du futur reste encore et toujours humain

Les progrès de l'intelligence artificielle ouvrent des perspectives professionnelles riches en opportunités, mais également en défis qui dépendront de la capacité d'adaptation des individus et des entreprises.

Pour le jeune ingénieur M. Linares, l'avenir est incertain, mais prometteur. « Le plus intéressant sera de déterminer comment s'adapter au travail avec l'IA et non pas de comment la concurrencer. » Depuis l'est de la Bolivie, Mme Llanos partage une vision similaire : « Il ne faut pas avoir peur de l'IA, mais plutôt apprendre à l'utiliser comme une alliée. C'est un outil qui peut nous permettre de nous améliorer et d'évoluer [professionnellement].

M. Blanchet souligne que la participation active des travailleurs sera déterminante. L'IA peut renforcer l'autonomie et la dignité au travail si les décisions relatives à sa mise en œuvre incluent ceux qui l'utilisent au quotidien. M. Lacs Palomo ajoute que la transformation numérique nécessite un accompagnement institutionnel, une formation continue et un dialogue social.

« En étant à l'écoute des travailleurs, les entreprises et les gouvernements peuvent faire en sorte que l'IA renforce à la fois la productivité et la dignité au travail », explique-t-il.

Mme Coelho conclut que l'avenir du travail devra se fonder sur la justice algorithmique, l'égalité des sexes, le droit à la déconnexion et le bien-être numérique. « Si la réglementation ne suit pas une approche éthique et axée sur les droits, nous risquons d'aggraver les inégalités existantes. »

Pendant ce temps, l'Amérique latine connaît une évolution à deux vitesses : l'émergence de nouveaux emplois fort demandés et mieux rémunérés (analystes de données, superviseurs d'algorithmes, etc.), alors que les tâches routinières se transforment ou disparaissent.

Le défi ne consiste pas nécessairement à freiner l'IA, mais à permettre un cadre de réflexion critique (actuellement étouffé par la machinerie marketing et les investissements colossaux des grandes entreprises technologiques) sur son impact sur le monde du travail et l'intérêt, général, et à faire en sorte que son adoption s'accompagne de formations, de réglementations et d'une participation active. C'est la seule façon pour les nouveaux outils utilisant l'IA de renforcer l'emploi décent (à savoir l'idéal promu par l'OIT, qui implique un travail assorti de droits, d'un salaire juste et de conditions sûres) et de préserver le sens le plus humain du travail : un espace de développement, d'apprentissage et de dignité.

19.11.2025 à 12:33

En Espagne, les travailleurs migrants face à l' « enracinement » dans un cadre légal défaillant

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Yurani Marcela Lancheros, 36 ans, est en Espagne depuis deux ans et quatre mois. « Non, cinq. Le 13, ça en fera cinq », rectifie-t-elle. Les comptes ont leur importance. Yurani, infirmière de métier, est arrivée de son pays d'origine, la Colombie, avec ses enfants de 12 et 7 ans. Tous avec des visas de tourisme. C'est comme ça que ça marche et pas autrement, lui a-t-on dit. On atterrit en touristes puis on reste. On reste et on se fond dans la masse, on « n'existe pas » juridiquement, mais (…)

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Yurani Marcela Lancheros, 36 ans, est en Espagne depuis deux ans et quatre mois. « Non, cinq. Le 13, ça en fera cinq », rectifie-t-elle. Les comptes ont leur importance. Yurani, infirmière de métier, est arrivée de son pays d'origine, la Colombie, avec ses enfants de 12 et 7 ans. Tous avec des visas de tourisme. C'est comme ça que ça marche et pas autrement, lui a-t-on dit. On atterrit en touristes puis on reste. On reste et on se fond dans la masse, on « n'existe pas » juridiquement, mais on travaille. Dans l'agriculture, la construction, l'hôtellerie et la restauration, les soins et les services de nettoyage à domicile. Des secteurs où il est possible de travailler sans « exister ».

« Vivre sans papiers, c'est très dur. Cela implique de devoir être prête à tout endurer, jusqu'à la maltraitance, l'humiliation. Cela veut dire s'échiner à la tâche, être très mal payée, ne presque jamais voir sa famille, ne pas avoir de liens sociaux, ne pas avoir de vie », confie Yurani.

Son profil, celui d'une femme d'origine latino-américaine appartenant à la tranche d'âge de 30 à 60 ans, employée dans les soins et le travail domestique, est aujourd'hui représentatif d'une grande partie de la population migrante en situation irrégulière en Espagne. Une population difficile à quantifier – environ 700.000 personnes, selon certaines estimations – qui, contrairement à ce que l'on croit généralement, arrivent le plus souvent non pas sur des embarcations de fortune via la Méditerranée, ni en franchissant physiquement les frontières, mais par les aéroports, comme n'importe quel autre touriste.

Une fois entrées, ces personnes subsistent du mieux qu'elles peuvent, avec toutes les limitations qu'implique la vie dans la clandestinité, jusqu'à ce qu'elles trouvent – avec un peu de chance – un moyen de régulariser leur situation. Deux ans et cinq mois plus tard, Yurani vient d'y parvenir.

« Lorsque j'ai appris que ma demande d'“arraigo” avait été acceptée, j'ai pleuré de joie. Je ne pensais qu'à une seule chose : ça y est, nous existons enfin, nous avons une carte d'identité ».

Le terme « arraigo » vient de « prendre racine » et désigne une notion juridique propre au système espagnol, la seule procédure ordinaire qui permette, sous réserve de remplir certaines conditions, de régulariser tous ces travailleurs invisibles et de leur accorder un permis pour séjourner et travailler dans le pays. Ce qu'ils et elles faisaient déjà, mais cette fois sans crainte et avec des papiers en règle.

En 2025, le gouvernement espagnol a décidé de s'engager dans cette voie, à contre-courant de la tendance anti-immigration mondiale actuelle, en élargissant et en facilitant les possibilités pour des personnes comme Yurani de se sortir de leur situation irrégulière.

Une voie de sortie

La procédure d'arraigo a été instituée en 2005 comme une solution à un problème qui, en réalité, a été engendré par le système lui-même. « Notre modèle migratoire est un modèle de porte étroite et semi-fermée, qui offre peu de voies d'entrée légales. Or, le fait d'avoir une économie très attractive parallèlement à une porte d'entrée étroite incite directement les gens à immigrer de manière irrégulière », explique dans un entretien avec Equal Times Gonzalo Fanjul, chercheur spécialisé dans la pauvreté et le développement et directeur de la Fondation porCausa.

L'arraigo n'était toutefois pas la première option. L'Espagne, à l'instar d'autres pays européens (Italie, Portugal, Grèce, France), a d'abord tenté des régularisations extraordinaires. Il s'agissait dans ce cas de procédures exceptionnelles et massives visant à régulariser en bloc des centaines de ressortissants étrangers. En Espagne, neuf régularisations extraordinaires ont été menées entre 1986 et 2005, sous des gouvernements de différents bords, jusqu'à ce que la Commission européenne n'intervienne. Tout en reconnaissant la nécessité d'intégrer ces personnes, elle a proposé que la régularisation se fasse au cas par cas et non en bloc.

C'est ainsi qu'a vu le jour le concept d'arraigo, à savoir la possibilité de demander un permis de séjour et de travail temporaire, à condition de pouvoir prouver que l'on réside en Espagne depuis au moins trois ans et que l'on y a établi des liens, qu'ils soient familiaux, professionnels (en fournissant un contrat de travail provisoire) ou sociaux (en fournissant une attestation d'intégration délivrée par la municipalité).

« L'arraigo est une voie de sortie », souligne M. Fanjul. « Imaginez une baignoire dans laquelle l'eau coule en continu : l'arraigo est comme un trop-plein qui empêche la baignoire de déborder et que la situation ne devienne comme aux États-Unis, où une population indéterminée comprise entre 12 et 15 millions de personnes vit depuis des décennies en situation irrégulière. »

Depuis 2005, l'arraigo a connu différentes réformes, mais la plus « ambitieuse et complète » – selon les termes de la ministre des Migrations, Elma Saiz – a eu lieu en 2024 et est entrée en vigueur en mai 2025. La norme prévoit jusqu'à cinq modalités d'arraigo : en plus de la régularisation sociale, familiale et de deuxième chance (pour les étrangers qui ont perdu leur ancien permis pour des raisons administratives), la régularisation est surtout facilitée par la voie socio-professionnelle (à condition de disposer d'un contrat d'au moins 20 heures semaine) et socio-éducative (en s'inscrivant à une formation professionnelle ou secondaire non obligatoire).

Un autre aspect important est que la durée de séjour obligatoire en Espagne pour la régularisation est écourtée de trois à deux ans, ce qui représente une année de moins d'insécurité, de précarité et de travail non déclaré.

La nouvelle réglementation espagnole se démarque de la politique actuelle de rejet des migrants économiques. Le problème, estiment les acteurs sociaux, est qu'elle laisse les demandeurs d'asile sans protection. Pour tenter de décourager ce recours, la réglementation pousse directement vers l'irrégularité les personnes dont la demande d'asile est rejetée. Ces personnes ne seront de fait pas éligibles à l'arraigo sans être passées par le calvaire de deux années sans papiers.

C'est précisément ce que craint le plus Sara María Viafra. Pharmacienne d'origine colombienne de 52 ans, elle est arrivée en Espagne en 2022, après avoir fui les menaces de la guérilla. Elle est arrivée avec un visa touristique, car elle ne pouvait pas faire autrement. Ce n'est qu'une fois dans le pays qu'elle a déposé une demande d'asile, ce qui lui a permis d'obtenir la « carte rouge (tarjeta roja) » qui autorise les demandeurs de séjourner et de travailler légalement pendant que leur demande est traitée.

C'est ainsi que Sara travaille, avec une autre collègue paraguayenne, en tant que soignante auprès d'une femme atteinte de sclérose en plaques et de sa mère atteinte d'Alzheimer. Un emploi qu'elle risque de perdre après trois ans si sa demande d'asile est rejetée. « Si ma demande est refusée, je vous avoue sincèrement que je n'oserais pas sortir dans la rue. L'idée de passer deux ans sans papiers me fait très peur. »

Des cas comme celui de Sara ont conduit plusieurs organisations à saisir la Cour suprême, et d'autres à réclamer une nouvelle régularisation extraordinaire – une pétition qui a déjà recueilli le soutien de 600.000 signatures citoyennes – afin de pouvoir traiter tous ces cas.

« Il s'agit de personnes qui travaillaient, cotisaient, payaient des impôts et que nous avons soudainement placées dans une situation irrégulière pendant deux ans, avant de les ramener à la régularité. Cela n'a aucun sens », explique Elena Muñoz, coordinatrice nationale du département juridique de la Commission espagnole d'aide aux réfugiés (CEAR).

Des propos que partage Antonio Borrego, l'avocat de Sara à l'Asociación Málaga Acoge. « Dans l'hypothèse où sa demande d'asile se verrait rejetée, Sara ne disposerait plus que de deux options : faire appel de cette décision et prolonger l'agonie, ou attendre deux ans dans l'irrégularité. Une punition gratuite. »

Mettre fin à l'irrégularité

En 2024, le nombre total de régularisations accordées en vertu de l'arraigo en Espagne a atteint 223.396 cas. Pour cette année, le gouvernement estime que la nouvelle réforme permettra de régulariser en moyenne 300.000 personnes. Les syndicats ont toutefois revu leurs attentes à la baisse, étant donné que de nombreuses nouvelles demandes sont déjà retardées en raison d'un manque de ressources dans les offices des étrangers. Le renforcement des effectifs n'a pas été à la hauteur de la norme.

Malgré cela, les syndicats sont généralement favorables à cette approche. Du côté de l'UGT, Patricia Ruiz, secrétaire à la santé au travail, reconnait que « la réforme représente une avancée réelle et concrète en matière d'immigration ; il est nécessaire de reconnaître à ces personnes la possibilité d'être des citoyens à part entière, puisqu'elles contribuent à l'économie ».

La question qui se pose face aux nouvelles dispositions de l'arraigo est de savoir pourquoi une procédure censée sortir les personnes de l'irrégularité continue de contraindre celles-ci – ainsi que les demandeurs d'asile – à passer deux ans sur ce territoire dans la clandestinité, les condamnant à vivre dans la précarité de l'économie informelle, avec tous les abus que cela suppose. Il est bien connu que le statut de migrant irrégulier est aujourd'hui l'un des déterminants les plus défavorables de la vulnérabilité sociale et juridique, que leur statut irrégulier fait de ces personnes des citoyens de troisième ordre, restreignant leurs droits, limitant leur accès à la justice, à la santé ou à l'éducation, ainsi qu'aux aides publiques, rendant difficile leur accès au logement et les conduisant au chômage et à l'exploitation.

Cette conjonction de difficultés explique leurs niveaux très élevés d'exclusion sociale, 81 % contre 68 % pour les ressortissants de pays non membres de l'UE en situation régulière, soit 26 % de la population espagnole. Le sort des enfants sans papiers est également dramatique. Pour eux, l'irrégularité est synonyme de peur et de précarité, mais aussi de manque d'opportunités puisqu'ils ne peuvent pas obtenir de diplômes, de bourses d'études ou d'aides publiques.

Pour Juan Iglesias, sociologue et chercheur à l'Institut des migrations internationales de l'université de Comillas, l'irrégularité persiste dans la mesure où tous ces travailleurs invisibles, précaires, productifs et sans droits soutiennent le système.

« Personne ne veut le dire explicitement, mais l'immigration irrégulière telle qu'elle existe a été fondamentale pour notre marché du travail, pour la croissance de notre économie, pour les grandes entreprises, pour les petits employeurs, pour les familles qui doivent répondre à leurs besoins en matière de soins. Nous sommes tous concernés. »

À plus long terme, toutefois, l'irrégularité est également préjudiciable pour le pays dans son ensemble. Selon une étude de la Fundación porCausa, l'Espagne perd chaque année au moins 3.400 euros en impôts et cotisations pour chaque travailleur sans papiers.

« Vous aurez beau augmenter la taille du trop-plein, le problème fondamental est que la baignoire continue de se remplir de personnes arrivant de manière irrégulière. Le fait est que nous avons un modèle migratoire défaillant. Ce qu'il faut, c'est faciliter des voies de migration sûres, légales et ordonnées : visas de recherche d'emploi, mécanismes de recrutement à l'origine, modèles de mobilité temporaire. Il s'agit de programmes pas toujours faciles à mettre en œuvre. Dans certains pays, il faut composer avec des institutions faibles et un manque de ressources financières. Le principal problème n'est cependant pas d'ordre technique ou économique, mais politique. Le système est étouffé par une prudence pathologique, du fait qu'il s'agit d'un enjeu hautement inflammable. »

Le risque d'un retour en arrière


Quatre mois à peine après l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur l'immigration, les groupes politiques de droite et d'extrême droite PP et Vox se sont alliés pour voter au Congrès en faveur d'une proposition visant à « restreindre la régularisation des immigrés par le biais de l'arraigo ». La proposition, bien qu'elle n'ait pas été adoptée, reflète un positionnement clair : l'intention de profiter de ce potentiel « inflammable », de l'attiser suffisamment pour rallier le soutien de la population.

« Ceux qui soutiennent ces arguments contre le droit à la régularisation le font soit par ignorance, soit par pure hypocrisie. Ils savent comment fonctionne le système, mais ils préfèrent alimenter les narratifs xénophobes à des fins électoralistes », souligne M. Iglesias.

« La suppression de l'arraigo ferait beaucoup de tort aux migrants, mais elle ferait un tort extraordinaire à la société dans son ensemble, elle engendrerait un véritable chaos. Elle créerait des poches de marginalité, des sociétés de deuxième et troisième classe, elle rendrait nos sociétés plus difficiles, plus insécurisées, plus pauvres », a déclaré Gonzalo Fanjul.

L'arraigo ne constitue pas une garantie de conditions justes et égales. Il n'est pas toujours facile de faire pousser des racines dans une terre aride. Comme le montre l'étude Un arraigo sobre el alambreL'arraigo sur le fil »), réalisée par Juan Iglesias et d'autres auteurs, si les migrants, une fois régularisés, parviennent à une bonne intégration socioculturelle, l'intégration économique et professionnelle, en revanche, est loin d'être simple. Même avec des papiers, ils continuent de faire l'objet d'une ségrégation, qui se traduit par des emplois, des salaires et des logements moins bons. Il s'agit d'un enracinement précaire, néanmoins, rappelle M. Iglesias, la démarche « s'inscrit dans le sens de la dignité ».

En définitive, que l'on modifie ou non le dispositif d'arraigo, « ce qui ne changera pas », insiste le sociologue, « c'est notre besoin structurel de main-d'œuvre, d'immigration. Ils continueront à venir travailler, mais dans de moins bonnes conditions, avec plus d'informalité, avec moins de droits, comme aux États-Unis ».

17.11.2025 à 12:24

Mauvaises vibrations : la nouvelle norme sur les vibrations mécaniques est-elle à la hauteur ?

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Principale cause de blessure au travail en Suède, les lésions dues à l'exposition régulière aux vibrations mécaniques toucheraient des dizaines, voire des centaines de milliers de travailleurs dans le monde, alors que personne ou presque n'en parle.
Ces lésions dues aux vibrations transmises aux mains et aux bras (également connues comme syndrome vibratoire mains-bras ou HAVS, selon l'acronyme anglais) résultent généralement d'une exposition prolongée aux vibrations produites par le type (…)

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Texte intégral (2284 mots)

Principale cause de blessure au travail en Suède, les lésions dues à l'exposition régulière aux vibrations mécaniques toucheraient des dizaines, voire des centaines de milliers de travailleurs dans le monde, alors que personne ou presque n'en parle.

Ces lésions dues aux vibrations transmises aux mains et aux bras (également connues comme syndrome vibratoire mains-bras ou HAVS, selon l'acronyme anglais) résultent généralement d'une exposition prolongée aux vibrations produites par le type de machines-outils portatives (meuleuses, pilonneuses, scies rotatives, clés à chocs et perforateurs, pour n'en citer que quelques-unes) utilisées par les travailleurs dans des secteurs tels que la construction, l'industrie manufacturière, l'industrie de la pierre et la sylviculture.

« On voit des jeunes d'à peine 19 ans qui souffrent de séquelles à vie en raison de l'utilisation de ces machines », déplore Johan Torstensson Aas, coordinateur santé et sécurité pour Byggnads, un syndicat suédois représentant plus de 100.000 travailleurs de la construction.

Les types de lésions et de maladies causées par le syndrome HAVS affectent les mains, les poignets et les bras, ce qui a un impact à la fois sur la capacité d'une personne à accomplir son travail et à effectuer des tâches quotidiennes simples.

La lésion professionnelle la plus courante est un trouble communément désigné comme « doigt blanc dû aux vibrations ». Il s'agit d'une variante du phénomène de Raynaud dans lequel l'utilisation d'outils à main vibrants endommage de manière permanente les vaisseaux sanguins, les nerfs et les muscles, entraînant un blanchiment des doigts, ainsi qu'une diminution de la force de préhension et de la dextérité des doigts. D'autres symptômes incluent le syndrome du canal carpien et le syndrome de Dupuytren, également appelé « maladie des Vikings », qui se caractérise par la formation de bosses dans la paume de la main, entraînant une déformation progressive d'un ou plusieurs doigts vers la paume.

Après des années de discussions et des décennies de recherche et de sensibilisation sur ce sujet, qui ont abouti, en 2023, à la 15e Conférence internationale sur les vibrations main-bras à Nancy, en France, où les participants ont discuté de la manière d'évaluer les chocs mécaniques transmis à la main (en anglais « hand transmitted mechanical shock » ou HTS) et les vibrations à haute fréquence (également appelées « ultra-vibrations » ou UV), une nouvelle norme visant à protéger les travailleurs contre ces traumatismes fait actuellement l'objet d'un vote final. La norme qui en résultera devrait être rendue publique d'ici janvier 2026.

La norme ISO 5349-3, parfois désignée sous la référence 5349 Partie 3 ou sous son titre complet Vibrations mécaniques – Mesurage et évaluation de l'exposition des individus aux vibrations transmises à la main – Partie 3 : Évaluation de chocs isolés ou répétés en utilisant la gamme de fréquences couverte par l'ISO 5349-1, est un addendum à l'ISO 5349-1, qui a été publiée pour la première fois en 1986 avant d'être mise à jour en 2001. La norme ISO 5349-1 décrit les critères généraux pour mesurer les vibrations en vue de l'évaluation du risque de HAVS, mais elle n'inclut pas les chocs. La norme ISO 5349-3 prévoit pour la première fois de mesurer les fréquences de vibration jusqu'à 1250 Hz ainsi que les HTS (il convient toutefois de noter qu'il n'existe aucune recommandation sur ce qui constitue un niveau de choc sûr, dans la mesure où ce niveau n'a jamais été mesuré auparavant).

Le chercheur suédois Hans Lindell est une éminence mondiale en matière d'impact de l'exposition humaine aux vibrations et aux chocs transmis par la main, ayant travaillé sur cette question pendant plus de 35 ans. Entre 2014 et 2024, il a dirigé le projet de recherche pionnier « Zero-Vibrations Related Injuries », qui visait à éliminer toutes les blessures liées aux vibrations sur le lieu de travail. Aujourd'hui, il poursuit ses recherches dans le cadre du Research Institute of Sweden (RISE), tout en animant le Comité technique de l'ISO (ISO/TC 108/SC 4/WG 3) chargé d'élaborer cette nouvelle norme. Selon lui, le nouveau Réglement européen sur les machines, qui remplacera la directive européenne existante sur les machines et deviendra une loi nationale dans les 27 États membres de l'UE le 20 janvier 2027, a donné l'impulsion nécessaire à l'élaboration de la norme ISO 5349-3.

« La norme actuelle, ISO 5349 Partie 1, ne prend pas en compte les risques liés aux pics d'accélération », explique M. Lindell. Ces risques sont toutefois pris en compte dans le nouveau Règlement sur les machines, qui impose aux fabricants et aux fournisseurs de machines de déclarer l'amplitude maximale de l'accélération résultant de vibrations répétitives. La norme ISO 5349-1 est une norme harmonisée, ce qui signifie qu'elle soutient le Règlement sur les machines en établissant une présomption de conformité. La norme a toutefois dû être mise à jour afin d'être conforme au nouveau Règlement.

Mais voilà où les choses se compliquent. « D'une part, cette nouvelle norme est une excellente initiative », signale M. Lindell. « Il est enfin reconnu que les accélérations maximales, les chocs et les vibrations impulsives ont un impact sur la santé des opérateurs de machines. »

Cependant, la nouvelle norme ne tient pas compte des chocs à haute fréquence supérieurs à 1.250 Hz, qui, selon M. Lindell, constituent la grande majorité des chocs et sont de loin les plus dangereux. Il explique qu'étant donné le délai de 42 mois accordé entre l'adoption du nouveau Règlement sur les machines en 2023 et son entrée en vigueur en 2027, l'industrie des outils électriques ne considérait pas être en mesure de mettre à jour ses produits ou ses équipements de mesure suffisamment rapidement si des valeurs plus basses étaient fixées. Un compromis a donc été trouvé. « Par conséquent, cette nouvelle norme [Partie 3] ne couvrira qu'environ 5 % des vibrations [de choc] qu'elle visait à prévenir. Ce qui est évidemment problématique. »

En réponse à cela, M. Lindell et son Comité technique ISO planchent actuellement sur une nouvelle norme, ISO 5349 Partie 4, qui vise à mesurer les ultra-vibrations jusqu'à 10.000 Hz, couvrant ainsi la majeure partie des vibrations de choc. « La norme ISO 5349-4 présente l'avantage d'être très moderne, car nous ne devrons plus nous appuyer sur une norme de mesure/équipement [ISO 8041 sur la réponse humaine aux vibrations] qui remonte à près de 40 ans et qui est vraiment obsolète. » Cependant, « cela nécessitera la mise à niveau de tous les systèmes de mesure actuellement présents sur le marché », explique Torstensson Aas. « C'est ce qui fait actuellement l'objet de discussions et c'est à ce niveau que nous devons exercer une pression [sur l'industrie] ».

Un problème subsiste toutefois, voire plusieurs. « Alors que les fabricants doivent désormais indiquer la valeur moyenne de l'amplitude maximale dans le mode d'emploi de leurs produits, aucune limite n'est encore fixée quant à l'intensité des vibrations d'une machine », explique Torstensson Aas, qui note qu'il existe :

« des machines si puissantes qu'une personne ne peut les manipuler que pendant 30 secondes, sans que cela ne pose de problème en termes de leur commercialisation. Comment est-ce possible ? Même si on respecte les règles, des travailleurs continueront à se blesser. »

Il y a également la question de l'accès des travailleurs et des employeurs aux règles mêmes qui sont censées garantir la santé et la sécurité des opérateurs de machines. « On ne peut pas s'assurer que les normes sont respectées si les gens n'y ont pas accès », explique le syndicaliste suédois, faisant référence au fait que les normes sont des documents élaborés en privé et protégés par le droit d'auteur, et qui doivent être achetés. Bien qu'un récent arrêt de la Cour européenne de justice ait statué que le grand public devait avoir librement accès aux normes harmonisées, « cela reste compliqué. Il faut déposer une demande, et même dans ce cas, l'accès est limité à la lecture seule. Il est essentiel que l'accès aux normes soit libre et ouvert », affirme Torstensson Aas.

Tout ceci soulève la question : pourquoi les fabricants sont-ils autorisés à lancer des produits aussi dangereux sur le marché ? Bien que le guide officiel pour l'application de la directive machines stipule que les fabricants doivent « concevoir et mettre en œuvre des mesures visant à réduire la génération de vibrations à la source », les mesures prises sont loin d'être suffisantes, selon les défenseurs de la santé et de la sécurité au travail. Et ce, malgré le fait que le projet Zero Vibration ait développé plusieurs prototypes d'outils à faibles vibrations et d'accessoires anti-vibrations pour les machines existantes. Parmi les exemples, on peut citer un amortisseur de vibrations à calibrage automatique (ATVA) pour les marteaux pneumatiques, l'insertion d'une bague d'équilibrage à roulement à billes pour réduire les vibrations sur les machines rotatives, ou encore l'application d'une fine couche de mousse polymère sur les machines existantes.

Toutes ces solutions sont peu coûteuses – l'option à roulement à billes revient à environ 1 € par unité une fois produite à grande échelle – et ont eu un impact considérable sur les vibrations : il a été démontré que le revêtement en polymère réduisait jusqu'à 80 % les pics d'accélération des vibrations à haute fréquence. Pourtant, dans l'ensemble, les fabricants n'utilisent toujours pas ces options.

« Les effets néfastes des vibrations sont largement connus, mais même lorsque les coûts sont faibles, le fait est que les personnes qui achètent ces outils ne sont pas celles qui les utilisent, de sorte que très souvent, elles optent simplement pour le prix le plus bas », explique M. Lindell. Ce qui a pour conséquence, toujours selon M. Lindell, que le marché des machines à faibles vibrations est peu développé et que les incitations pour les fabricants à réduire les vibrations sont limitées. M. Torstensson Aas partage cet avis : «

Les fabricants de ces machines répondent à la demande des clients. Si personne ne demande des machines à faibles vibrations ou des mesures de réduction des vibrations et qu'aucune réglementation ne les y oblige, les fabricants ne se donneront pas la peine de le faire. »

Cela revient en somme à transférer « la responsabilité de protéger les travailleurs aux travailleurs et aux employeurs, ce qui est une tâche impossible dans la plupart des lieux de travail », explique M. Lindell.

Il évoque aussi un autre obstacle : « Ces blessures touchent une catégorie de travailleurs dont la voix n'est peut-être pas très entendue. Si ce type de blessures touchait des cols blancs, nous ne serions certainement pas dans cette situation », affirme-t-il, établissant un parallèle avec les efforts considérables déployés en Suède il y a quelques années pour protéger les travailleurs sensibles aux champs électromagnétiques émis par les appareils électroniques.

« Bien qu'il n'existe aucune preuve médicale réelle à ce sujet, par pure précaution, les employeurs et l'industrie ont déployé des efforts considérables pour réduire ces émissions électriques provenant des écrans d'ordinateur. Si l'on compare cela à ce qui est fait aujourd'hui pour les lésions dues aux vibrations, le contraste est frappant. En effet, malgré des preuves médicales abondantes depuis plus de 100 ans, très peu de mesures ont été prises. »

Pour Torstensson Aas, il est urgent et essentiel d'introduire des limites strictes sur les vibrations des machines, mais aussi sur le niveau d'UV. « Ce que je ne comprends vraiment pas, et c'est peut-être la plus grande faille des normes et des règles, c'est comment est-il possible de commercialiser un produit dangereux, susceptible de rendre les gens malades et de les blesser à vie, alors qu'il existe d'autres options ? Nous avons des limites sur le bruit, la vitesse, les émissions dans l'atmosphère, alors pourquoi n'y a-t-il pas de limites concernant les vibrations de ce type d'outils ? Pourquoi existe-t-il deux produits qui font exactement la même chose, mais dont l'un peut être utilisé pendant huit heures sans causer de blessures et l'autre seulement pendant 15 minutes en raison de la puissance de ses vibrations ? Les fabricants devraient être tenus de respecter des limites claires afin de garantir la santé et la sécurité des travailleurs », insiste le syndicaliste suédois.

14.11.2025 à 05:00

La précarité des pompiers forestiers et le manque de vision face au changement climatique laissent l'Europe à la merci d'incendies de plus en plus incontrôlables

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Été après été, les feux de forêt ravagent des zones de plus en plus étendues de l'Europe. Depuis le début de l'année 2025, plus d'un million d'hectares sont partis en fumée sur le continent, dont plus de la moitié entre le Portugal (278.121 hectares) et l'Espagne (391.938 hectares), où les incendies dévastateurs d'août et septembre derniers ont révélé de manière tragique la profonde précarité des conditions de travail et des ressources, de même que dans certains cas, une préparation (…)

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Été après été, les feux de forêt ravagent des zones de plus en plus étendues de l'Europe. Depuis le début de l'année 2025, plus d'un million d'hectares sont partis en fumée sur le continent, dont plus de la moitié entre le Portugal (278.121 hectares) et l'Espagne (391.938 hectares), où les incendies dévastateurs d'août et septembre derniers ont révélé de manière tragique la profonde précarité des conditions de travail et des ressources, de même que dans certains cas, une préparation insuffisante des effectifs.

Leur situation scandaleuse place ces travailleurs, et la société dans son ensemble, dans une situation de risque potentiel injustifié face aux incendies d'été qui, sous l'effet du changement climatique, deviennent plus importants, plus voraces et plus difficiles à maîtriser, et touchent des latitudes de plus en plus septentrionales du continent.

Les Européens – et leurs responsables politiques – n'en sont pas encore pleinement conscients, mais ces incendies ne sont pas comme avant. « Malheureusement, la tendance est à des incendies de plus en plus graves, non pas en quantité, mais en ampleur », explique dans un entretien avec Equal Times Roberto Cribeiro, agent environnemental de la Xunta (le gouvernement régional de Galice, au nord-ouest de l'Espagne) pour la comarque de Ferrolterra.

« Les incendies de cinquième génération, qui saturent les dispositifs d'urgence en raison de la simultanéité des foyers et de leur extrême virulence, et ceux de sixième génération, de plus en plus imprévisibles, modifient les conditions météorologiques de la zone et sont, pour un temps, inextinguibles. Sous l'effet du changement climatique, ces incendies surviennent de plus en plus au nord et cessent d'être l'apanage du pourtour méditerranéen », avertit-il.

M. Cribeiro possède plus de 30 années d'expérience dans le nord-ouest de la péninsule ibérique, la région où se concentrent les plus grandes plantations d'eucalyptus du continent. Pendant des heures, nous avons arpenté avec lui les pistes de montagne de la Sierra de la Capelada, sur la côte nord-ouest de l'Espagne, où la culture de ces arbres à croissance rapide et économiquement rentables, arrivés d'Australie il y a un siècle et demi et convoités par les industries du bois et du papier, a jusqu'à présent permis de limiter le nombre d'incendies, tout en introduisant un important facteur de risque. « L'eucalyptus est pyrophile, c'est-à-dire qu'il brûle facilement et survit aux flammes, suivant une stratégie évolutive qui consiste à éliminer les autres espèces concurrentes », explique M. Cribeiro.

L'agent déplore le dépeuplement, l'exode rural et l'absence de gestion adéquate des terres, autant d'éléments qui rendent la prévention plus difficile que jamais. En attendant, il prévient que pas même la côte nord humide de l'Espagne n'est épargnée. En effet, on dénombre en été de plus en plus de jours où sévissent les redoutables conditions dîtes « 30/30/30 » (soit plus de 30 degrés de température, moins de 30 % d'humidité et des vents de plus de 30 km/h, généralement en provenance de l'Atlantique).

Le risque d'une Europe en proie aux flammes

« Les incendies sur lesquels je suis intervenu en 2005 n'étaient pas ceux de 2015, ni ceux de cette année en Galice », convient Ángel Rubio, pompier forestier du gouvernement régional d'Andalousie (au sud de l'Espagne) et coordinateur chargé de l'action climatique et de la transition écologique juste auprès de l'UGT. « Ces incendies laissent présager le pire pour l'avenir. J'ignore si ces phénomènes majeurs pourraient toucher d'autres régions d'Europe de la même manière, mais nous avons assisté à l'apparition simultanée d'incendies dans les pays de l'arc méditerranéen, ce qui a obligé des pays présentant un risque moindre à transférer leurs ressources de secours, sans que le système européen ne s'effondre pour l'instant, et je ne suis d'ailleurs pas sûr si ce scénario pourrait se produire à court terme », a déclaré M. Rubio à Equal Times.

Ce n'est pas de la science-fiction, insiste-t-il : « Nous avons déjà vécu des phases de simultanéité du Portugal, de l'Espagne, de la France et de l'Italie aux Balkans, à la Grèce et à la Turquie. Si l'Europe centrale venait s'y ajouter, entraînant un possible effondrement du système tout entier, cela dépendrait avant tout de la météo »... et donc, du changement climatique.

« C'est précisément là, au centre de l'Europe, que se trouvent les grandes réserves forestières d'Europe, et si une situation de blocage anticyclonique se produit, avec des vagues de chaleur continues et un manque de précipitations, on obtient alors un cocktail parfait capable d'engendrer un scénario assez complexe », explique-t-il.

Les pays d'Europe centrale et septentrionale ne sont pas encore habitués ni préparés à des incendies de cette ampleur : « Pourvu que je me trompe, mais au vu de la rapidité avec laquelle les incendies ont évolué depuis le début du siècle, et de la manière dont nous sommes passés en Espagne de la lutte contre les incendies de forêt à la nécessité de nous concentrer sur la protection et l'évacuation des populations, je ne considère pas impossible, d'ici cinq ou six ans, un scénario dans lequel l'Europe entière serait débordée. » « Cela mérite réflexion », insiste-t-il, « car ces dernières années, l'évolution a été exponentielle ».

Avec une telle précarité, impossible d'éteindre les incendies en hiver

La péninsule ibérique a déjà connu des incendies de forêt aux proportions dantesques, tels que ceux survenus en 2017 au Portugal et, en particulier, ceux qui ont fait rage en 2025 en Espagne, où l'émoi social a été immense, et ce pendant plusieurs semaines. Les médias n'ont cessé de répéter qu'en réalité, « les incendies sont éteints en hiver », car ce qui est apparu au grand jour, c'est une réalité du travail insoutenable, qui perdure depuis des années, sans améliorations : la précarité scandaleuse, la saisonnalité et le manque de ressources des pompiers forestiers, qui souffrent non seulement de salaires indignes pour un travail à haut risque, mais aussi d'un manque d'équipement adéquat et, bien souvent, d'un manque de formation professionnelle adéquate, sans compter une organisation du travail qui se traduit par des heures de travail littéralement exténuantes.

Pour un pays qui depuis trois décennies ne cesse d'accroître sa masse forestière (laquelle représente aujourd'hui 56 % de son territoire), l'Espagne n'investit que 0,08 % de son PIB dans la prévention et l'extinction des incendies. À cela s'ajoute le fait que cette compétence relève des gouvernements autonomes, de sorte que chaque région dispose d'une gestion et de ressources différentes.

« Si on se représentait la structure d'aménagement et de gestion du territoire telle une chaise, la précarité existante représenterait un pied cassé », affirme lors d'un entretien avec Equal Times Anxo Pernas, responsable galicien des pompiers forestiers au sein de la centrale syndicale espagnole CCOO.

Il met en garde contre l'incompatibilité des approches, même dans des communautés limitrophes dirigées par des gouvernements de même bord politique (en l'occurrence, de droite) : « En Galice, on tend vers le public, et en Castille-et-Léon vers le néolibéralisme le plus crasse, avec une détérioration totale du modèle de gestion », basé sur la privatisation, la temporalité et une réduction radicale des dépenses. « En tant que gestionnaire public, ce que vous ne pouvez pas faire, c'est vous désengager et affirmer que la Castille-et-Léon ne peut pas se permettre de maintenir un service de prévention et d'extinction des incendies toute l'année », rappelle-t-il. Un propos d'ailleurs partagé en 2018 par son conseiller régional à l'environnement, qui parlait d'“absurdité”, de “gâchis” et de “dilapidation de fonds publics”. »

« Pour eux, il n'y a que la rentabilité économique qui compte, or la Constitution garantit un usage social de l'environnement ». Pour le protéger, il faudrait « des conditions professionnelles, et non des conditions minimales » et ne pas « jouer avec un service qui ne relève, en partie, guère plus que du volontariat ».

Il est également nécessaire de « gérer le territoire de l'Espagne vide », car à l'heure actuelle, estime-t-il, les investissements sont réalisés lorsque le mal est déjà fait, et « est-ce que nous gagnons quoi que ce soit en dépensant des millions dans l'extinction alors que nous ne faisons pas d'investissements dans la prévention » ? Il s'agit de trouver le juste milieu. Si seulement les corps de sapeurs-pompiers étaient inactifs toute la journée, mais maintenus en service de garde tout au long de l'année. Un tel cas de figure supposerait qu'il y ait surtout de très petits incendies, maîtrisés, ce qui représenterait une gestion efficace du territoire : empêcher la formation d'incendies si importants que, au lieu de les éteindre, nous devrions nous concentrer sur l'évacuation des zones habitées.

Le Portugal trace la voie à suivre, mais ce n'est pas suffisant

Bien que le traumatisme de l'été ait donné lieu à des initiatives prometteuses, dans de nombreuses régions espagnoles, la leçon n'a pas encore été tirée, contrairement à ce qui s'est passé au Portugal, le pays européen le plus touché par ce problème jusqu'à présent. « Les incendies de 2017 ont marqué une rupture profonde dans le modèle de gestion et ont conduit à une réforme structurelle du système », a expliqué dans un entretien avec Equal Times Bruno Reis, pompier de Covilhã et délégué du Syndicat des travailleurs de l'administration locale (STAL).

Une agence unique a été mise sur pied pour coordonner la prévention, l'extinction et la récupération des zones touchées, ainsi qu'un système de gestion intégrée des incendies de forêt, ce qui a impliqué « une professionnalisation accrue des agents de la protection civile, une augmentation des équipes permanentes, une modernisation technologique et une amélioration de la coordination opérationnelle ». Le résultat n'a pas tardé à se faire sentir et « entre 2018 et 2022, nous avons constaté une réduction significative de la superficie moyenne des zones incendiées et une augmentation de l'efficacité de notre réponse sur le terrain », précise M. Reis.

Pour ce pompier, il faut sortir du court-termisme budgétaire et « privilégier la prévention et la gestion active du territoire, avec une professionnalisation complète » de l'ensemble des personnels impliqués.

Il s'agit de « mettre en œuvre un changement de paradigme, de passer d'une approche essentiellement réactive à une vision proactive et adaptative » aux nouvelles circonstances, dit-il, et ici la précarité « a une incidence directe sur l'efficacité et la sécurité des opérations de prévention et de lutte contre les incendies de forêt » : les bas salaires, les contrats temporaires, la pénurie de ressources adéquates et les cadences de travail épuisantes entraînent une fatigue chronique et une forte rotation du personnel, ce qui se traduit par une « perte de l'expérience accumulée ». De fait, « l'atténuation de la précarité ne doit pas être abordée comme un enjeu du travail », conclut M. Reis, « mais bien comme un élément structurel de l'efficacité opérationnelle et de la sécurité collective ».

L'austérité tue. Il faut plus de pompiers dans la région méditerranéenne

Après l'Espagne et le Portugal, en 2025, l'Italie et la Grèce ont également connu des incendies de forêt simultanés avec respectivement 84.141 et 47.819 hectares brûlés. En Italie, les pompiers s'occupent principalement des zones urbaines, alors que la prévention dans les zones forestières est assurée par des volontaires et les carabiniers. Ainsi, la coordination – au niveau de l'État – est bonne, mais la précarité des conditions de travail complique la relève générationnelle pour ces tâches, explique Nunzio de Nigris, représentant syndical de la Confédération générale italienne du travail pour la fonction publique (FP-CGIL).

« Nos besoins les plus urgents concernent la pénurie de personnel », qui nous oblige souvent à déplacer des ressources d'une région à l'autre, en fonction de l'urgence, et « la pénurie d'équipements de sécurité », qui complique les tâches de décontamination à la suite d'interventions sur des incendies.

En Grèce, qui a connu cet été « des dizaines de départs de feu chaque jour dans tout le pays », bien que seuls quelques-uns se soient transformés en incendies de grande ampleur, le gros problème réside dans « l'excès d'heures supplémentaires, dû à l'état d'urgence permanent et à l'attribution de tours de garde illégaux », a expliqué à Equal Times Nikos Lavranos, président de la Fédération panhellénique des syndicats de sapeurs-pompiers (POEYPS).

Le manque d'effectifs est pesant : la Grèce compte environ 15.500 pompiers permanents et 2.500 pompiers de renfort saisonniers. Cependant, au moins 3.500 nouvelles recrues seraient nécessaires au cours des deux ou trois prochaines années pour compenser les pertes d'effectifs en cours. « En définitive, les pompiers éteignent le feu avec tous les moyens disponibles, mais la pratique des heures supplémentaires non rémunérées doit cesser, et un cadre juridique complet doit être mis en place pour garantir leur sécurité et leur santé au travail, afin de réduire le nombre de décès et de blessures que nous avons malheureusement subis à nouveau cette année », insiste M. Lavranos. « Le changement climatique ne laisse pas de place à la complaisance », poursuit-il.

Un avis partagé par Pablo Sánchez Centellas, coordinateur pour les autorités locales, les pompiers et les services publics à la Fédération syndicale européenne des services publics (EPSU), à Bruxelles. « Chaque année – et en 2025, nous avons déjà atteint un record – la superficie des forêts détruites continue d'augmenter, alors que les investissements locaux nécessaires ne sont toujours pas à la hauteur », déplore-t-il. « Nous avons besoin d'un engagement sérieux de la part des autorités, ce qui implique qu'il faille mettre fin aux mesures d'austérité qui limitent la bonne marche de ces activités. L'austérité tue non seulement les travailleurs, mais aussi la planète », a-t-il conclu.

12.11.2025 à 09:20

« Un emploi décent et un cadre de droit » : Comment la formation et la syndicalisation peuvent-elles aider l'autonomisation des femmes en migration au Sénégal

Mathilde Dorcadie
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À Dakar, dans les locaux de l'UNSAS, la deuxième centrale syndicale du Sénégal, l'air brûlant est chargé de rires et de voix féminines, mais portent également le souvenir de récits parfois douloureux. C'est ici, que depuis 2022, le RAFEM, le Réseau d'Appui aux Femmes et Enfants en Migration s'est, petit à petit, construit avec une idée : accompagner des dizaines de femmes de tout horizon dans leur quête d'intégration et d'autonomie.
« La migration est avant tout un mouvement de (…)

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Texte intégral (1769 mots)

À Dakar, dans les locaux de l'UNSAS, la deuxième centrale syndicale du Sénégal, l'air brûlant est chargé de rires et de voix féminines, mais portent également le souvenir de récits parfois douloureux. C'est ici, que depuis 2022, le RAFEM, le Réseau d'Appui aux Femmes et Enfants en Migration s'est, petit à petit, construit avec une idée : accompagner des dizaines de femmes de tout horizon dans leur quête d'intégration et d'autonomie.

« La migration est avant tout un mouvement de main-d'œuvre », rappelle d'emblée Fambaye Ndoye, présidente du RAFEM et responsable du département de la protection sociale à l'UNSAS. « Si l'on interroge les causes profondes [des mouvements migratoires], on trouve essentiellement la quête d'un travail, si possible décent. Il était donc logique que les syndicats s'engagent ».

Le Sénégal est souvent présenté, à juste titre, comme étant un pays d'émigration importante. D'après l'Organisation internationale des migrations (OIM) et l'OCDE, près de 50% des candidats au départ déclarent que celui-ci est motivé par le besoin de sortir du chômage ou du manque d'opportunités de travail. Si une grande partie d'entre eux se tournent vers l'Europe (France, Italie, Espagne) ou vers les Etats-Unis et les pays du Golfe, près d'un tiers des Sénégalais émigrent pour travailler sur le continent, dans des pays comme la Gambie, le Mali ou la Mauritanie.

Mais le Sénégal est aussi un pays de destination des travailleurs migrants, en majorité venus d'Afrique de l'Ouest (Guinée, Mali, Gambie, Mauritanie). Une réalité liée en partie à la « libre circulation » en vigueur entre les pays de la CEDEAO, et une relative stabilité politique au sein de la région.

Campagnes de sensibilisation aux droits des migrants

L'UNSAS n'a pas attendu la crise méditerranéenne de la fin des années 2010, qui a vu de nombreux migrants mourir en mer, pour se saisir de la question. Dès 2007, la centrale collabore avec le syndicat espagnol CCOO et l'Organisation internationale du travail (OIT) sur des projets liant migration et conditions de travail, puis, lors du congrès de la Confédération syndicale internationale (CSI) à Dakar, où Fambaye Ndoye développe son expertise de ses questions et entame une première phase de sensibilisation avec de nombreux acteurs, développe des projets pour le RSMMS (le Réseau syndical pour les migrations dans l'espace méditerranéen et subsaharien) et ATUM-Net (African Trade Union Migration Network)

S'ensuivent des actions sur les « sites de départ », ces plages d'où s'élancent les embarcations précaires vers les Canaries. L'UNSAS alerte sur les dangers de la migration irrégulière, mobilise les autorités religieuses et coutumières. « Il y a eu beaucoup de morts, beaucoup de disparus, les jeunes se lançaient dans un mouvement de suicide collectif », raconte-t-elle.

« Ça nous a fait un tilt. Nous avons suivi ensuite des formations de renforcement de capacités, puis nous avons mis en place le premier réseau intersyndical sur la migration avec le BIT ». En 2018, Mme Ndoye mène également une grande campagne pour interpeller les ambassades du Golfe sur les conditions de travail de la diaspora, notamment des travailleuses domestiques.

La bascule vers les femmes migrantes

Puis vient la crise sanitaire et économique causée par la Covid-19. En 2020, alors que la Convention 190 de l'OIT contre les violences et le harcèlement en milieu de travail est adoptée, l'UNSAS décide d'enquêter sur les réalités spécifiques des femmes migrantes, internes au niveau du Sénégal, à l'étranger ou « de retour ». Avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert, une étude est lancée.

Intitulée Voix des travailleuses migrantes du Sénégal, elle repose sur une méthodologie inédite : des entretiens audio via WhatsApp, réalisés en pleine pandémie. « Nous avons recueilli plus de 60 témoignages, souvent interrompus par les larmes », raconte Mme Ndoye. Au final, 20 récits sont publiés, dévoilant la dureté des parcours : exploitation, absence de droits, vulnérabilité et isolement. « Après ces histoires, nous ne pouvions pas rester les bras croisés », tranche Mme Ndoye.

Un obstacle juridique surgit cependant : la loi ne permet pas aux migrantes de créer leur propre syndicat. L'UNSAS contourne la difficulté en adossant une structure associative.

« On s'est dit qu'on ne pouvait pas créer un syndicat de migrantes et diriger ce syndicat n'étant pas nous-mêmes migrantes. Il fallait vraiment penser à une autre forme d'organisation ».

Le RAFEM est ainsi créé avec pour mission d'organiser, d'accompagner et de viser l'autonomisation des femmes migrantes. Soutenu par la Fondation Friedrich Ebert et des partenaires comme le Fonds pour les femmes francophones (XOESE), le réseau lance son premier programme : « 3F » pour « Formation, Formalisation, Financement ».

Trente-cinq femmes, sénégalaises de retour ou immigrées venues de Guinée, du Togo, du Mali, du Cameroun, de la RD Congo, de la Mauritanie, du Bénin, du Cap-Vert ou de la Sierra Leone, intègrent la cohorte inaugurale. Leur parcours commence par des formations sur leurs droits en général et des cours d'éducation financière. Puis vient le temps de l'apprentissage pratique : les femmes se forment à de nouveaux métiers de l'artisanat, tels que la teinture de tissus, la fabrication de savon ou d'eau de javel. Le groupe de femmes a choisi lui-même les activités qu'elles souhaitaient apprendre.

Fatma Ba, migrante de retour d'Arabie saoudite, raconte : « Je ne savais pas faire de savon ni du batik. C'est ici que j'ai tout appris. Cela m'a permis de diversifier mes activités, et même de former d'autres femmes ».

Avec d'autres camarades, elle intègre un GIE (un Groupement d'intérêt économique), créé par le RAFEM pour légaliser les activités commerciales. Certaines vendent désormais leurs produits sur les marchés, d'autres transmettent leurs compétences en tant que formatrices, ce qui est un débouché supplémentaire vers l'autonomisation.

« En tout cas, moi, je ne vais pas faire partie de celles qui vont retourner [à l'étranger], parce que j'ai des choses à faire ici », souligne Mme Ba.

Mme Ndoye explique le principe de la démarche : « On ne peut pas se contenter de dire aux gens ''Ne partez pas'', alors que vous ne les accompagnez pas à trouver du boulot. Les syndicats doivent être en amont de l'emploi. C'est-à-dire que nous devons mieux nous investir dans la création d'opportunités. S'il n'y a pas de travail, il n'y a pas de travailleurs. Donc, pas de syndicat. Nous avons aussi cette mission. C'était l'idée du RAFEM, puisque le syndicat encadre les travailleurs, on s'est dit que nous devions aussi ''créer'' des travailleurs. »

Le RAFEM ne se limite pas aux aspects économiques. Avec le soutien du service juridique de l'UNSAS, il accompagne aussi les migrantes dans leurs démarches administratives, qu'il s'agisse de régularisation de leurs statuts ou même d'affaires matrimoniales ou fiscales. « Sans intégration, je pense que les migrants ne se sentent pas vraiment à l'aise pour développer une activité économique, que ce soit dans le formel ou dans l'informel. Le syndicat, c'est la première cellule d'intégration sociale », explique-t-elle encore.

Un réseau multiculturel et solidaire et des défis persistants

La diversité du réseau pose des défis, notamment linguistiques. Les Sierra-Léonaises parlent anglais, les Congolaises ou Camerounaises jonglent entre français et langues locales. « Mais avec Google Traduction, on se débrouille », plaisante Mme Ndoye. La perte de participantes en cours de route est par ailleurs inévitable : certaines retournent dans leur pays d'origine, d'autres repartent en migration pour suivre une autre opportunité.

Pour autant, le RAFEM poursuit sa route. Une deuxième cohorte de femmes est en projet. « On ne va pas refaire les mêmes activités professionnelles, on veut diversifier », assure la coordinatrice qui expose des pistes comme les métiers de la restauration ou du tourisme. L'UNSAS et le RAFEM sont à la recherche de partenaires pour soutenir la formation de ce nouveau groupe d'une trentaine de femmes. La stabilité financière du projet est également un objet de préoccupation, car les fonds propres du syndicat sont limités, bien qu'il continue à enregistrer l'affiliation de nouveaux membres, dont les participantes de la cohorte.

En avril 2024, une conférence régionale à Dakar a donné une visibilité inédite au RAFEM. Ministère du Travail, Ministère de la Femme et Ville de Dakar manifestent leur intérêt pour ce projet pilote et innovant. « La mairesse s'est engagée à intégrer le RAFEM dans les programmes sociaux de la ville », se félicite Ndoye, qui parle de déposer un projet auprès du fonds municipal pour l'entrepreneuriat féminin.

Tandis qu'une certaine reconnaissance institutionnelle se dessine, le modèle inspire aussi au-delà des frontières. Des camarades syndicalistes d'autres pays africains, invitées à célébrer la Journée internationale de la Femme Africaine en 2024 et 2025, ont exprimé leur souhait de créer des réseaux similaires. Un moment inspirant, à l'image du RAFEM, puisque, comme le conclut Fambaye Ndoye : « Nous sommes composées de plusieurs nationalités, nous voulons incarner vraiment l'unité africaine en miniature ».

10.11.2025 à 09:37

La génération qui a oublié pourquoi il faut se syndiquer (et les raisons de continuer à le faire)

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Dans un monde globalisé, où la majorité des jeunes se voit confrontée à une pénurie criante de perspectives d'emploi, les conditions de travail se sont dégradées à un point tel qu'il est difficile, voire impossible, pour des millions de jeunes comme moi de devenir indépendants. Le loyer représente, dans beaucoup de cas, plus de la moitié du salaire, alors que l'inflation étrangle les revenus et que les conditions de travail confinant à l'esclavage moderne cessent d'être l'exception pour (…)

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Dans un monde globalisé, où la majorité des jeunes se voit confrontée à une pénurie criante de perspectives d'emploi, les conditions de travail se sont dégradées à un point tel qu'il est difficile, voire impossible, pour des millions de jeunes comme moi de devenir indépendants.

Le loyer représente, dans beaucoup de cas, plus de la moitié du salaire, alors que l'inflation étrangle les revenus et que les conditions de travail confinant à l'esclavage moderne cessent d'être l'exception pour devenir la norme.

Dans ce contexte, alors que les syndicats devraient être identifiés comme les défenseurs incontestés des travailleurs, plus que jamais indispensables, l'adhésion des jeunes s'effrite d'année en année, à l'échelle mondiale. Pourquoi, en des temps aussi cruciaux que ceux que nous vivons, les jeunes ne se sentent-ils pas attirés par la syndicalisation ? Comment expliquer ce désintérêt croissant pour le syndicalisme ?

En réalité, de nombreux jeunes perçoivent le modèle syndical comme archaïque, voire inutile. Mais si nous nous arrêtions un instant pour y réfléchir sérieusement : n'avons-nous vraiment pas besoin de syndicats à l'heure d'affronter le processus long, fastidieux et incertain de la recherche d'un emploi décent ? Sommes-nous réellement satisfaits de ces emplois précaires et informels, dépourvus de droits et de conditions de travail décentes ? Difficile de répondre par l'affirmative.

Ce qui ne fait pas de doute, c'est que nous traversons un moment historique marqué par la poussée d'une droite de plus en plus réactionnaire, qui érode la conscience sociale et la conscience de classe. Simultanément, les modes de consommation mondialisés engendrent un désengagement socio-économique : alors qu'une moitié du monde trouve refuge dans une illusion de bien-être entretenue par la consommation, l'autre moitié voit ses conditions de travail se dégrader de jour en jour.

Mais ne nous faisons pas d'illusions : le fait que nous puissions nous permettre d'acheter chaque semaine de nouveaux vêtements à des prix absurdement bas ne signifie pas que nous ne fassions plus partie de la classe travailleuse. De fait, nos salaires dépendent toujours de tiers, et ceux qui nous paient aujourd'hui peuvent nous licencier du jour au lendemain sans état d'âme.

La lutte pour des conditions de travail décentes ne relève pas de l'idéologie. Il en va de la dignité des travailleurs, ni plus ni moins. Et plus nous croirons au discours trompeur qui voudrait que nous appartenions à une classe moyenne stable, insensible aux risques professionnels, plus l'apathie sera grande et moins nous serons conscients que nous devons effectivement continuer à nous battre pour nos droits en tant que travailleuses et travailleurs.

Selon la région du monde où l'on vit, les conditions d'emploi peuvent sembler meilleures ou pires. Mais ce dont je ne doute pas, c'est qu'il est toujours possible de les améliorer : par exemple, lorsqu'il s'agit de formaliser un emploi (pour lequel il est essentiel que les travailleurs s'organisent) ; ou de plaider en faveur d'un travail décent ; d'une rémunération adaptée à la formation et au niveau de vie du pays dans lequel on vit ; de meilleures conditions de travail... d'une semaine de travail de moins de 40 heures (objectif qui nous unit à une grande partie des jeunes).

Face à ces défis et à cette réalité, il est nécessaire de répartir les responsabilités. Nous ne pouvons pas faire porter tout le poids aux jeunes. Nous ne pouvons pas espérer nous organiser si nous ne disposons pas de syndicats qui nous écoutent, qui nous incluent, qui nous intègrent réellement dans leurs structures. Je voudrais ici m'adresser plus particulièrement à nos collègues les plus expérimentés : je serais tentée de comparer le modèle syndical actuel à un arbre dont les racines se sont affaiblies. Peut-être voyons-nous encore aujourd'hui des feuilles vertes, peut-être le tronc semble-t-il solide, mais si l'on ne prend pas soin de ce qui se trouve dans le sol – favorisant ainsi le dialogue et le renouvellement intergénérationnel –, l'arbre tout entier s'affaiblira inexorablement et finira par tomber.

Et c'est exactement ce qui est en train de se produire. Beaucoup de syndicats ne se rendent pas compte que, sans jeunes dans leurs rangs, ce modèle est voué à disparaître. Le taux de syndicalisation des jeunes ne cesse de baisser. Si des dispositions ne sont pas prises rapidement, ce qui semble aujourd'hui être une crise deviendra une extinction annoncée. Il est du devoir des syndicats non seulement de défendre et d'obtenir des droits pour tous les travailleurs, mais aussi de mobiliser, d'organiser, de former et de donner une voix et des espaces réels aux nouvelles générations. Car pour nous, les plus jeunes, il est important de comprendre pourquoi un syndicat reste, aujourd'hui encore, notre outil le plus puissant pour lutter en faveur du travail décent, des droits des travailleurs et des droits syndicaux pour tous. D'où l'importance de considérer ce syndicat comme le nôtre, celui de tous les jeunes.

07.11.2025 à 06:00

Les vendeurs ambulants, « épine dorsale des systèmes alimentaires urbains » en Asie du Sud-Est, sont-ils préparés aux conséquences du changement climatique ?

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Loan (nom d'emprunt), la quarantaine, vit de la vente ambulante de jus d'orange pressé. Son étal se trouve dans une zone industrielle de Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam. Pour répondre à la demande des travailleuses et travailleurs des usines proches, elle doit presser les oranges à la main à longueur de journée. Elle se sent souvent accablée par la foule de problèmes auxquels elle se heurte au quotidien : que ce soit le fait de devoir passer des journées entières debout, l'irrégularité de ses (…)

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Loan (nom d'emprunt), la quarantaine, vit de la vente ambulante de jus d'orange pressé. Son étal se trouve dans une zone industrielle de Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam. Pour répondre à la demande des travailleuses et travailleurs des usines proches, elle doit presser les oranges à la main à longueur de journée. Elle se sent souvent accablée par la foule de problèmes auxquels elle se heurte au quotidien : que ce soit le fait de devoir passer des journées entières debout, l'irrégularité de ses revenus dû au manque d'aides publiques ou encore les harcèlements constants de la part des pouvoirs publics locaux.

Ces jours-ci, toutefois, un autre obstacle majeur vient s'ajouter à sa liste déjà longue : le changement climatique. « Lorsqu'il pleut à verse et que les rues s'inondent, je dois pousser ma moto chargée de marchandises à travers les flots », explique Loan. « C'est à la fois épuisant et dangereux. J'ai été à deux doigts de déraper avec ma moto. »

Les choses ne sont guère plus faciles lorsqu'il fait chaud. « Les jours ensoleillés, le travail est tout aussi éreintant », dit-elle. « Au moment de la fermeture quand je me prépare à rentrer, je suis exténuée », ajoute-t-elle.

Pour les personnes qui vivent de la vente ambulante, les événements climatiques extrêmes peuvent perturber, voire paralyser, l'activité commerciale et entraîner des baisses de revenus et des pertes parfois lourdes. Les urgences climatiques peuvent aussi occasionner un stress thermique, des infections cutanées ainsi que des maladies d'origine hydrique, des affections respiratoires, la fatigue, voire des glissements et des chutes. « Les vendeurs de rue sont l'épine dorsale des systèmes alimentaires urbains », souligne Nash Tysmans, organisatrice au sein de StreetNet International (SNI), une alliance mondiale d'organisations représentant les travailleuses et travailleurs du secteur de la vente ambulante. « Ils sont aussi parmi les plus vulnérables face aux impacts climatiques croissants », poursuit-elle.

Une nouvelle étude intitulée Weathering the ChangeRésister au changement ») publiée par SNI en juillet 2025, offre la première analyse régionale de l'impact des changements climatiques sur les vendeurs ambulants en Asie du Sud-Est. Les chercheurs de trois pays – Cambodge, Vienam et Laos – ont conclu que les urgences climatiques non seulement érodent le revenu des vendeurs de nourriture ambulants mais les exposent à des risques sanitaires, contraignant beaucoup d'entre eux – en particulier les femmes – à travailler dans des conditions potentiellement nuisibles pour leur santé.

L'étude a fait ressortir plusieurs similarités entre les trois pays concernés. Premièrement, que les vendeurs ambulants représentent une majorité écrasante de la main-d'œuvre informelle. D'après SNI, le secteur de la vente ambulante absorberait approximativement 80 % des travailleurs informels au Cambodge et 68 % au Vietnam. Au Laos, les vendeurs ambulants représentent 45 % de la main-d'œuvre informelle.

Pourtant, au Vietnam comme au Laos, la vente ambulante est en grande partie illégale et les revendications de ces travailleurs sont largement ignorées par les décideurs politiques. Figure d'exception parmi ces trois pays, le Cambodge se distingue pour avoir passé, en décembre, 2024 une loi qui vise à formaliser la vente ambulante en enregistrant les marchands qui la pratiquent.

« Face à l'intensification des phénomènes climatiques extrêmes à travers l'Asie du Sud-Est, il est impératif que les gouvernements reconnaissent la vente ambulante comme un travail essentiel, garantissant aux travailleurs des droits et une protection sociale résilients aux changements climatiques », a déclaré Nash Tysmans.

D'autre part, aucun des pays étudiés ne dispose d'une législation complète visant à protéger les droits des vendeurs de rue, tandis que les réglementations locales censées régir la vente ambulante engendrent dans bien des cas des difficultés supplémentaires pour les travailleuses et travailleurs concernés.

« Les vendeurs de rue paient un impôt au gouvernement », explique Pao Vorn, président de l'association syndicale cambodgienne IDEA (Independent Democracy of Informal Economic Association). « Nous devons donc exercer une pression sur le gouvernement pour qu'il promulgue des lois qui les protègent », précise-t-il.

Le droit d'adhérer à un syndicat est essentiel pour permettre aux vendeurs ambulants de négocier leurs cotisations. Au Laos, les vendeurs de rue n'ont pas pu se syndiquer jusqu'en 2019, année où le gouvernement laotien a modifié la loi afin de reconnaître les droits des travailleurs du secteur informel.

Au Vietnam, les vendeurs ambulants ne pouvaient pas adhérer à un syndicat jusqu'à récemment. Une nouvelle loi entrée en vigueur en juillet 2025 accorde à tous les travailleurs vietnamiens, y compris ceux de l'économie informelle, le droit d'adhérer à un syndicat. Selon le professeur Thanh Pham de l'Université ouverte de Hô Chi Minh-Ville, qui a mené des recherches sur le commerce de rue au Vietnam dans le cadre du rapport SNI, de nouvelles formes de syndicats voient le jour pour les travailleurs de l'économie informelle, notamment les vendeurs de rue, les coiffeurs, les vendeurs de billets de loterie, les conducteurs de motos-taxis et les travailleurs domestiques. « Ces syndicats apportent certaines formes de soutien aux vendeurs de rue », explique M. Pham. « Cependant, leur rôle reste limité », ajoute-t-il. « Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour renforcer et développer ces syndicats, tant en nombre qu'en portée. »

Les femmes subissent de plein fouet les effets du changement climatique

Un deuxième point commun entre les trois pays étudiés est que la majorité des vendeurs de rue sont des femmes. Selon un rapport de WIEGO (Women in Informal Employment Globalizing and Organizing) basé sur l'enquête sur la population active de 2007 menée dans les villes vietnamiennes de Hanoï et Hô Chi Minh-Ville, environ 70 % des quelque 291.000 vendeurs de rue interrogés étaient des femmes. Selon le recensement économique du Cambodge de 2022, les femmes représentent 75 % des quelque 77.000 vendeurs de rue du pays. Au Laos, plus de 90 % des vendeurs sur les marchés alimentaires frais à travers le pays sont des femmes, selon un rapport de l'ONU Femmes de 2017.

Ces chiffres confirment que les femmes sont les plus touchées par les événements climatiques, étant amenées à concilier leurs responsabilités familiales et domestiques avec leur activité de vente ambulante. Le rapport « Weathering the Change » indique que les vendeuses ambulantes subissent une perte de revenus plus importante que leurs homologues masculins, dans la mesure où elles sont contraintes de rester à domicile plus souvent. Elles courent également des risques physiques plus importants quand elles doivent transporter des marchandises à travers des zones inondées. De plus, elles disposent généralement de moins de solutions de rechange en cas de catastrophe climatique, ce qui les oblige à travailler malgré la maladie et l'épuisement.

Un troisième point commun entre les vendeurs ambulants au Cambodge, au Vietnam et au Laos est le fait que, malgré leur rôle essentiel, ils ne reçoivent que peu ou pas d'aide publique spécifique pour faire face aux chocs climatiques, ce qui ne fait qu'ajouter à leur extrême vulnérabilité. Selon le rapport du SNI, les vendeurs de rue affirment bénéficier d'un « soutien officiel minimal de la part des pouvoirs publics ou des organisations sociales face aux risques climatiques ». Toujours d'après le même rapport, « la plupart des programmes d'aide sont soit sans lien avec les conditions climatiques extrêmes, soit inaccessibles en raison de restrictions d'éligibilité ou de procédures de demande complexes ». Les événements climatiques non seulement réduisent considérablement les revenus des vendeurs, mais les exposent également à des risques sanitaires accrus, contraignant nombre d'entre eux à travailler dans des conditions dangereuses.

Lorsque des catastrophes surviennent, les vendeurs dépendent de leurs économies personnelles ou doivent emprunter auprès de leur famille et de leurs amis, ce qui entraîne une instabilité financière et un endettement personnel.

Au Cambodge et au Laos, les vendeurs de rue peuvent s'inscrire à la Caisse nationale de sécurité sociale, mais peu le font en raison du manque de sensibilisation et de la complexité du processus d'inscription. Qui plus est, les programmes de sécurité sociale de ces deux pays ne tiennent pas compte des urgences climatiques. « Le gouvernement devrait élargir la portée de la protection sociale pour les vendeurs de rue », a souligné M. Vorn, de l'IDEA.

Selon le professeur Pham, les vendeurs de rue au Vietnam n'ont pas accès aux régimes officiels de sécurité sociale et ne peuvent bénéficier d'une aide que s'ils appartiennent à un groupe vulnérable, comme les ménages pauvres ou les personnes en situation de handicap. Pour faire face aux chocs climatiques, ils doivent donc compter sur des réseaux d'entraide informels, tels que leurs proches ou les membres de leur syndicat de vendeurs ambulants. « Ce soutien est toutefois limité », ajoute-t-il.

« Les initiatives personnelles des vendeurs de rue ont leurs limites »

Faute d'un soutien adéquat de la part des pouvoirs publics, les vendeurs ambulants de nourriture au Cambodge, au Laos et au Vietnam sont contraints de recourir à des moyens informels pour faire face aux événements climatiques et à la perte de revenus qui en résulte. Ainsi, ils adaptent leur offre alimentaire en fonction des conditions météorologiques, évitent de commander des quantités excessives de produits frais, transforment les viandes et poissons de moindre qualité en produits transformés et semi-transformés tels que des saucisses ou de la viande et du poisson séchés, consomment leurs propres produits et effectuent même des livraisons à domicile pour leurs clients réguliers.

Tuyet (nom d'emprunt) est une vendeuse de rue âgée d'une trentaine d'années qui vend du café dans la même zone industrielle de Hô Chi Minh-Ville que Loan. « En cas de fortes pluies, nous ne pouvons rien vendre, car les travailleurs ne peuvent pas se rendre à notre échoppe », explique Tuyet. « Nous nous soutenons mutuellement en achetant les unes chez les autres », ajoute-t-elle. « Je préfère acheter auprès des femmes qui vendent ici, car c'est une façon de nous entraider. »

Les vendeurs de rue doivent également supporter des coûts supplémentaires pour se protéger et protéger leurs produits, comme l'achat ou la location de tentes en plastique, de parapluies, de bâches, de ventilateurs, de glacières et d'autres articles qui peuvent les aider à faire face à la chaleur extrême ou aux fortes pluies. « Les initiatives personnelles des vendeurs de rue ont leurs limites », insiste Mme Tysmans.

Un aspect que le rapport n'a pas beaucoup approfondi est l'impact des catastrophes climatiques sur la production et l'approvisionnement en produits agricoles, les coûts des intrants associés et les répercussions sur les vendeurs ambulants de nourriture.

« Les urgences climatiques telles que les sécheresses, l'intrusion saline, les fortes pluies et les inondations perturbent de plus en plus la production et l'approvisionnement en fruits et légumes », explique M. Pham. « Ces événements entraînent souvent des pénuries soudaines et une volatilité des prix », ajoute-t-il.

Il développe son propos à l'aide d'exemples concrets provenant du sud et du centre du Vietnam. Dans le delta du Mékong, situé dans le sud du Vietnam, les récoltes de fruits tels que la noix de coco, la mangue et le fruit du dragon, ainsi que celles de légumes comme la citrouille, les épinards, la tomate et le chou-rave, ont toutes diminué en raison de la sécheresse et de l'intrusion saline. Dans les provinces centrales, les typhons et les inondations ont endommagé les terres agricoles, limitant l'approvisionnement en produits tels que le chou, les tomates, les carottes et les pommes de terre.

Ces perturbations entraînent également une augmentation des coûts de transport et de logistique. Étant donné que la clientèle des vendeurs de rue est composée essentiellement de personnes à faibles et moyens revenus, qui tendent à être particulièrement sensibles aux prix, les vendeurs de rue s'efforcent de maintenir des prix stables ou de ne les augmenter que légèrement, afin de ne pas perdre de clients. « La forte augmentation des prix des intrants réduit leurs marges bénéficiaires, leur causant par-là même des pertes de revenus », explique M. Pham.

Dans son rapport, le SNI a également formulé plusieurs recommandations, dont la formalisation et la légalisation du commerce de rue afin de permettre aux vendeurs ambulants d'accéder à la protection sociale et aux services publics, la création de programmes d'adaptation au changement climatique destinés spécifiquement aux travailleurs de l'économie informelle, ainsi que l'extension des programmes de sécurité sociale existants afin de couvrir les besoins en matière de soins de santé et de soutien au revenu liés au climat. Des zones de vente désignées, protégées des intempéries et équipées des services essentiels, permettraient aux vendeurs de rue de continuer à exercer leur activité malgré des conditions climatiques défavorables, tandis que des politiques sensibles au genre répondraient aux besoins spécifiques des femmes et à leurs responsabilités familiales.

Mme Tysmans a indiqué que les conclusions de ce rapport seront examinées avec les participants des trois pays lors d'une série d'ateliers sur le changement climatique et la protection sociale organisés par le SNI en novembre. « L'objectif est d'examiner ensemble les recommandations et de les utiliser comme référence pour la planification », a-t-elle précisé. « La justice climatique implique de protéger les travailleurs touchés en premier et le plus durement par la crise climatique. »

05.11.2025 à 10:59

Elsa Arnaiz Chico : « On ne peut exiger des citoyens qu'ils s'expriment davantage, qu'ils participent davantage, s'ils sont appauvris »

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Elsa Arnaiz Chico est présidente de l'association Talento para el Futuro, une plateforme qui fédère une centaine d'organisations de la société civile et qui met l'accent sur l'autonomisation de la jeunesse et, plus spécifiquement, sur la promotion de la participation des jeunes dans les processus de prise de décision.
Souvent de passage à Bruxelles pour nouer des liens avec d'autres organisations de la société civile et rencontrer des représentants des institutions communautaires (UE), (…)

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Elsa Arnaiz Chico est présidente de l'association Talento para el Futuro, une plateforme qui fédère une centaine d'organisations de la société civile et qui met l'accent sur l'autonomisation de la jeunesse et, plus spécifiquement, sur la promotion de la participation des jeunes dans les processus de prise de décision.

Souvent de passage à Bruxelles pour nouer des liens avec d'autres organisations de la société civile et rencontrer des représentants des institutions communautaires (UE), elle a accepté de répondre aux questions d'Equal Times sur le rôle des jeunes (comme collectif civique et effectif) pour le présent et l'avenir de nos démocraties et du monde du travail, ainsi que sur leur rôle pour réduire le fossé entre les générations. L'analyste, professeure d'université et activiste, a aussi saisi cette occasion pour évoquer certaines revendications spécifiques adressées aux gouvernants, aux administrations et aux générations précédentes.

Vu depuis votre poste au sein de la plateforme citoyenne Talento para el Futuro, quelle est votre analyse de l'autonomisation de la société civile, et des jeunes en particulier, compte tenu du fait que l'indépendance économique constitue un facteur clé ?

En effet, il est très important que la société civile dispose des ressources nécessaires. On ne peut pas exiger des citoyens qu'ils s'expriment davantage, qu'ils participent davantage, s'ils sont appauvris. En Espagne, une partie non négligeable de la population est menacée d'exclusion sociale, alors même qu'elle a un emploi.

Si l'on veut comprendre, par exemple, comment fonctionnent le Congrès des députés espagnol ou les institutions européennes (pour ensuite pouvoir peser sur les politiques qui nous affectent), il faut y consacrer du temps, et sans les ressources nécessaires [alors] l'autonomisation se limitera à quelques « tweets » et aux réseaux sociaux.

L'autonomisation politique et la véritable participation citoyenne restent marginales en raison du manque de ressources, en particulier chez les plus jeunes. Autrement dit, les personnes qui débattent de l'avenir du logement ne sont pas celles qui sont confrontées au problème du logement. Les personnes vivant dans un sous-sol à peine éclairé n'ont même pas la possibilité d'en débattre, car elles pensent uniquement à arriver à la fin du mois.

Pour l'immense majorité des personnes, indépendance économique et emploi sont étroitement liés. Comment les jeunes perçoivent-ils le monde du travail ?

Actuellement, je crois qu'il existe une conception très paternaliste (qui consiste à nous traiter comme des garnements capricieux) chaque fois que nous abordons les conditions de travail en évoquant un emploi qui fait sens : nous ne voulons pas vivre uniquement pour travailler ; nous voulons travailler et vivre. Il faut s'opposer à ce discours. En Espagne, les jeunes citoyens sont très instruits, mais ils se heurtent à la réalité d'un monde du travail où ils ne trouvent pas d'emploi ou, s'ils en trouvent un, c'est à travers le piège des faux stagiaires ou des faux indépendants.

Atteindre un avenir désirable dans une démocratie, dans une société, n'est possible que si ses citoyens ont un emploi de qualité. Et je ne parle pas seulement de travailler dans l'entreprise de technologies la plus prestigieuse (même si, pourquoi pas), mais aussi de toucher un salaire digne, de travailler moins d'heures, d'avoir un travail qui a du sens, de ne pas prendre le balayeur, la caissière de supermarché, les agriculteurs de haut… Il faut repenser l'avenir du travail, qui ne se limite pas à l'automatisation, et aspirer à un meilleur avenir du travail.

Pour changer la trajectoire d'une réalité qui semble partir dans une autre direction, quelle serait la stratégie à adopter ?

D'une part, il serait important que l'administration ne se contente pas de les certifier, mais facilite et encourage la création de plus de B Corp (« Benefit Corporation »), à savoir des entreprises qui ne cherchent pas uniquement le profit économique, mais qui ont également un objet, un impact social (et environnemental) positif. Il faudrait également que les gens prennent conscience qu'il existe d'autres façons de construire cet avenir du travail. Il est essentiel de multiplier les exemples de ce type, tout comme les opportunités, et de faire en sorte que les jeunes sachent qu'ils peuvent évoluer pour aller vers des emplois dans ce type d'entreprises.

Il convient également d'aborder le discours sur la trop grande charge fiscale qui empêcherait les entrepreneurs de verser des salaires dignes, ou sur le fait que l'augmentation du salaire minimum serait une mauvaise nouvelle… Je pense que nous pouvons parvenir à instaurer la semaine de quatre jours et nous pouvons tenter de la mettre en place progressivement. Il faut continuer à mettre certaines questions sur la table, ce qui n'a rien d'un caprice, mais exigent un effort de pédagogie.

En dernier lieu, du moins dans le cas de l'Espagne, la formation professionnelle doit être davantage valorisée. La stigmatisation qui veut que ces formations soient « réservées aux jeunes qui n'ont pas pu aller à l'université » est en train de disparaître, car l'obsession de l'accès à l'université nous fait du tort. Parallèlement, nous devons repenser le rôle de l'université : elle ne doit pas seulement former des travailleurs, mais aussi des individus. Ne devrait-on pas intégrer davantage d'éthique et de philosophie, même dans les filières techniques ? Et, bien sûr, combler le fossé entre l'université publique et privée.

Comment restaurer la confiance des citoyens dans la politique, la démocratie et les institutions ?

Il convient de commencer là où l'on peut réellement avoir le plus grand impact (dans le cas de Talento para el Futuro, en Espagne) et de montrer que la participation citoyenne est un élément fondamental pour construire cet avenir démocratique désirable qui semble aujourd'hui de plus en plus inaccessible. Il est indispensable que cette participation citoyenne soit réelle. Et pour qu'elle soit réelle, il faut se rapprocher du citoyen, s'adapter à sa réalité et faire preuve de pédagogie.

À propos de la communication intergénérationnelle, comment peut-on l'améliorer ?

En prenant le temps, pour permettre une véritable conversation, et en y consacrant l'espace nécessaire, pas derrière des portes closes. Souvent, le fossé se résorbe en optant pour la simplicité. En effet, il ne s'agit pas seulement de s'adresser à un ministre (même si cela vaut la peine également), mais aussi à son voisin, à son beau-frère que l'on n'apprécie pas nécessairement, etc. Ces beaux-frères ou ces personnes plus âgées d'autres générations doivent également se montrer ouverts et disposés à écouter.

À l'instar des relations que l'on tisse avec les politiciens pour échanger sur la législation et les politiques publiques, entretenez-vous des contacts similaires avec les syndicats pour discuter du monde du travail ?

Nous avons collaboré sur quelques projets, notamment sur un projet qui fait le lien entre l'avenir du travail et l'économie circulaire, mais les contacts ont tendance à être plus fréquents avec la branche jeunesse des syndicats. Je pense que les syndicats sont une structure qui peine à se renouveler, surtout en Espagne. Ils sont perçus comme une structure du siècle dernier…

Pourtant, lorsque l'on évoque, par exemple, le travail sur les plateformes, la précarité professionnelle qui y est déjà associée et la nécessité pour les travailleurs de s'organiser (pour modifier cette réalité hostile), on finit par avoir besoin d'un syndicat ou en créer un, n'est-ce pas ?

Il ne fait aucun doute que les syndicats, pour les questions liées au travail, et les organisations de la société civile sont essentiels, entre autres, pour contrebalancer le poids des lobbies.

Il est toutefois important de comprendre qu'il ne faut pas attendre d'arriver à une situation catastrophique (peu importe qu'il s'agisse des livreurs ou du logement), pour mener une action collective (essentielle pour obtenir des changements). Le fait de s'affilier à un syndicat ne devrait pas être considéré comme une action « de gauche ». Il faut comprendre cette dimension collective comme faisant partie intégrante de notre vie citoyenne, de notre quotidien, chose qui tend à se perdre (dans nos sociétés de plus en plus individualisées). Dans le même temps, il convient de fournir les espaces et les opportunités (c'est-à-dire le temps) nécessaires.

Quels sont vos conseils pour une action civique efficace ?

Il faudrait réintroduire ce cours que l'on appelait « Éducation à la citoyenneté, » dont le but n'était pas d'endoctriner, mais d'enseigner, et qui m'a permis, par exemple, de comprendre le rôle des syndicats. Il est très important de donner une visibilité : souvent, il ne s'agit pas seulement d'un cours, mais aussi d'avoir l'occasion de rencontrer ces personnes, qu'il s'agisse d'un syndicaliste, d'un député, etc. Savoir, par exemple, où se trouve son siège et comment y adhérer. Comment peut-on faire partie d'un collectif si l'on en ignore l'existence ?

Il faut aussi que les jeunes comprennent que nous, citoyens, disposons d'un grand pouvoir lorsque nous nous organisons, et que cela ne se résume pas à une vision conflictuelle (organisation citoyenne contre l'institution), mais simplement à échanger davantage entre nous. [Les partis et les syndicats devraient] adopter une approche plus authentique et sincère en disant « écoute, je souhaite vraiment que tu fasses partie de ce projet, car je veux que tu comprennes que la démocratie se construit au travers de cette dimension collective qui consiste à comprendre que nous avons tous une responsabilité ».

Il faut comprendre et aller à la rencontre des jeunes là où ils se trouvent, trouver de nouvelles façons de communiquer avec eux. Malheureusement, les entités les plus autoritaires sont celles qui y parviennent le mieux.

Dans ce contexte, les « chambres d'écho » semblent indissociables de l'addiction au téléphone portable. Où le bât blesse-t-il ?

À un moment donné, les réseaux sociaux ont permis la création d'une agora numérique et ont favorisé certains mouvements mondiaux. Malheureusement, le pouvoir corrompt : on voit aujourd'hui que ce qui rapporte de l'argent (pour les dirigeants de ces réseaux) est un algorithme polarisateur dont le but est de créer ces chambres d'écho dans lesquelles les gens se mettent de plus en plus en colère. Le problème est encore plus grave lorsque ces forums ne sont pas ouverts.

Les réseaux comme TikTok posent de sérieux problèmes, car ils sont très addictifs. Les créateurs de contenu savent parfaitement ce qu'ils doivent faire et ces chambres d'écho prennent de plus en plus d'ampleur. Les jeunes commencent à avoir des référents qui ne savent pas du tout de quoi ils parlent, mais qui s'expriment avec l'autorité que leur confère le fait d'avoir autant d'abonnés.

Pour les libérer de leur téléphone portable, il faut leur offrir une alternative, créer des espaces culturels, des espaces collectifs qui soient intéressants pour les jeunes citoyens. Le problème est que les loisirs sont de plus en plus privatisés.

Par contre, si le discours ambiant ressasse sans cesse que c'est la fin du monde, il est normal que l'on veuille s'évader, que l'on n'ait pas envie de lire un livre ou de participer à un club de discussion.

Comment vous rebellez-vous contre cela ? Quelles sont vos propositions pour changer de cap ?

Nous soutenons, par exemple, l'interdiction du défilement infini (scrolling) et que cette restriction soit appliquée par défaut, dès la phase de conception. Il importe également d'étudier l'effet des smartphones sur le cerveau des plus petits. Des recherches supplémentaires sont nécessaires, car il est très difficile de savoir quelles propositions avancer si nous ne connaissons pas les impacts exacts.

La télévision publique doit se réinventer et proposer des programmes destinés aux publics plus jeunes. J'en reviens également à ce que je disais précédemment : il est important de proposer des loisirs alternatifs. Il faudrait davantage de rues piétonnes, davantage de rues où les jeunes peuvent jouer au basket, où les jeunes de 25 ans peuvent prendre un café qui ne soit pas un café de spécialité… Retrouver les choses simples, comme être à l'extérieur et se regarder dans les yeux.

Et puis, pour finir, il faut se dire que le problème de l'addiction au téléphone portable, de ces chambres d'écho, de cette polarisation, ne concerne pas seulement les jeunes, mais bien chacun d'entre nous.

Pour terminer, les technologies permettent déjà de vivre dans des bulles personnalisées (triées par goûts, par lieu de résidence). Comment une société civile active peut-elle neutraliser cela ?

Malheureusement, il faut passer par des solutions réglementaires, même si elles ne nous plaisent pas, même si les entreprises technologiques nous sortent l'argument de la liberté d'expression. Il ne faut pas oublier que ce sont justement ces PDG qui la contrôlent.

Même si cela peut sembler utopique, il est essentiel de disposer d'une réglementation sur les droits numériques, car la vie sur les plateformes numériques est aussi la vie réelle, au même titre que nous avons une déclaration des droits humains. Les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous, sinon, une fois encore, peu importe ce que font l'Espagne ou l'Union européenne, si les choses fonctionnent autrement ailleurs.

Un volet d'éducation numérique doit également être intégré à la formation des jeunes et des citoyens, car nous sommes plongés (bien que personne ne veuille l'admettre) dans une guerre numérique. Cette guerre ne se livre pas avec des chars, mais elle est marquée par la polarisation et la reconstruction interne de la démocratie. Il est réconfortant de penser que la politique reste assez humaine. Nous devons donc nous efforcer de rapprocher nos positions.

03.11.2025 à 11:59

« Je suis un survivant, pas une victime » : En Pologne, les réfugiés veulent travailler dignement, pas subir et survivre

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En Pologne, des réfugiés venus du Moyen-Orient et d'Afrique tentent de reconstruire leur vie au milieu de la précarité : avec des aides publiques minimales, des possibilités limitées d'apprentissage de la langue et des perspectives d'intégration restreintes, beaucoup acceptent des emplois mal rémunérés, avec des journées de travail à rallonge et la crainte constante de perdre leur emploi du jour au lendemain. Rares sont celles et ceux qui parviennent à accéder à des conditions de vie (…)

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Texte intégral (2226 mots)

En Pologne, des réfugiés venus du Moyen-Orient et d'Afrique tentent de reconstruire leur vie au milieu de la précarité : avec des aides publiques minimales, des possibilités limitées d'apprentissage de la langue et des perspectives d'intégration restreintes, beaucoup acceptent des emplois mal rémunérés, avec des journées de travail à rallonge et la crainte constante de perdre leur emploi du jour au lendemain. Rares sont celles et ceux qui parviennent à accéder à des conditions de vie décentes. Ils constituent l'exception plutôt que la règle. La majorité d'entre eux aspirent à reconstruire leur vie conformément à leurs aspirations et leurs capacités.

Suhaib, réfugié algérien, rêve de pouvoir exercer son métier de coiffeur. Dans le jardin d'une maison d'accueil pour réfugiés, il taille la barbe d'un de ses compagnons. Jazdów (Varsovie), 25 mai 2025.
Photo: Hanna Jarzabek

« J'ai beaucoup de chance », affirme avec le sourire Abdelsalem, un Yéménite de 24 ans. « J'ai toujours trouvé des emplois où j'étais respecté et apprécié, mais je sais aussi que mon cas est une exception. La plupart de mes amis ont vécu des situations très difficiles. J'ai pu loger deux mois dans un appartement d'accueil de la Fondation Kuchnia Konfliktu, ce qui m'a permis d'économiser de l'argent, de chercher un logement et de travailler à mon compte. Aujourd'hui, je travaille en tant que mécanicien, mais j'ai l'intention d'apprendre le polonais et de reprendre mes études de dentisterie. »

Abdelsalem vit à Varsovie et travaille comme mécanicien – dix heures par jour, sept jours sur sept – pour la plateforme de trottinettes électriques Dott. Sur cette photo, on le voit en train de préparer des plats pour le Veggie Burger Fest, une collecte de fonds organisée par Solatorium et la fondation Kuchnia Konfliktu. 24 mai 2025.
Photo: Hanna Jarzabek

Abdelsalem vivait depuis des années en Russie, où il travaillait et faisait des études de dentisterie. Il a quitté la Russie pour éviter d'être envoyé sur le front ukrainien. « Si j'ai quitté mon pays pour fuir la guerre, ce n'était pas pour me retrouver à me battre dans une autre guerre, en plus du côté de l'agresseur », explique-t-il.

Il n'avait d'autre choix que de traverser la frontière de la Biélorussie vers la Pologne, en passant par la forêt de Białowieza. Lors de sa deuxième tentative, il a réussi à entrer et à demander l'asile. Il a passé plusieurs mois dans un centre de détention, puis dans un centre ouvert, avant d'être enregistré dans un système qui semble conçu pour décourager les réfugiés et les pousser à quitter le pays, déplorent les personnes concernées. Ceux qui restent acceptent souvent des emplois mal rémunérés dans des conditions difficiles : un cercle vicieux qui les empêche d'accéder à des emplois correspondant à leur formation et à leurs aspirations.

Le premier obstacle majeur est le logement attribué par le bureau des étrangers : la plupart des centres pour migrants sont situés dans des zones boisées, éloignées des centres urbains, où les opportunités d'emploi sont rares et les transports publics limités.

Vue aérienne du centre ouvert pour migrants à Podkowa Lesna (au sud-ouest de Varsovie). 23 juillet 2025.
Photo: Hanna Jarzabek

De nombreux réfugiés cherchent à déménager dans des villes plus importantes, en particulier Varsovie, où les loyers sont bien au-dessus de leurs moyens. Trouver un employeur qui propose un emploi et un logement semble donc être la seule issue.

« Tout d'abord, j'avais besoin d'un endroit où je me sentirais en sécurité », explique Mohammad (nom d'emprunt), un réfugié somalien. « Quand j'y suis parvenu, j'ai commencé à réfléchir à la manière de reconstruire ma vie. Le travail ne procure pas seulement des revenus, il permet également de rencontrer des personnes et d'apprendre la langue et la culture. Comment y parvenir si l'on est confiné dans un centre isolé ? Il était impératif de quitter cet endroit coûte que coûte. »

Vue sur la caserne militaire depuis une chambre du centre ouvert pour migrants, dans la localité de Grupa Grudziądz. Après avoir déposé sa demande d'asile, Mohammad y a passé près de sept mois à attendre sa carte de séjour et son permis de travail. 21 mars 2025.
Photo: Hanna Jarzabek

Mohammad a fini par décrocher un emploi dans un entrepôt à proximité de l'aéroport de Varsovie-Modlin, à une quarantaine de kilomètres du centre. Il n'y avait pas un seul Polonais parmi ses collègues. Il travaillait dix heures par jour, pour un salaire inférieur au salaire minimum. « Je travaillais, dormais et me préparais à manger, c'est tout. Il n'y avait ni supermarché ni transports publics à proximité », se souvient-il. Une fois par semaine, le patron les emmenait faire les courses. Un jour, on lui a annoncé qu'on n'avait plus besoin de lui et qu'il devait partir le lendemain, perdant du même coup son logement et son emploi.

« Nous avons observé de nombreux cas de personnes qui se sont littéralement retrouvées à la rue du jour au lendemain », expliquent Adam et Marta, de l'organisation Kuchnia Konfliktu. « Quand ils arrivent dans nos foyers d'accueil, ils commencent tout d'abord par dormir et reprendre des forces. Ensuite, nous les aidons à rédiger leur curriculum vitae, pour leur permettre de reconstruire leur histoire et de reconnaître leurs capacités, mais ils parviennent rarement à trouver un emploi correspondant à leur expérience. La plupart finissent comme livreurs de repas, un travail physique, mal rémunéré et dépourvu de protection sociale, et en plus la crainte constante de le perdre. »

Danya, réfugié iranien, photographié dans le foyer d'accueil de la fondation Kuchnia Konfliktu. Actuellement, Danya vit seul et travaille pour son compte en tant que mécanicien de trottinette électrique. Il aspire à pouvoir un jour exercer à nouveau son métier de coiffeur. 23 mai 2025.
Photo: Hanna Jarzabek

Danya a perdu son premier emploi de coursier parce qu'il n'atteignait pas la vitesse exigée par l'entreprise. Il utilisait un vélo conventionnel prêté par Kuchnia Konflictu. Dans ce secteur, les travailleurs doivent venir avec leur propre véhicule et ne signent pas de contrat de travail avec la plateforme, mais plutôt un accord de « location » avec un intermédiaire.

Dans d'autres secteurs, tels que les entrepôts ou les abattoirs, des contrats existent, mais ils sont généralement informels : une partie écrite et une partie verbale, avec des paiements en espèces, sans relevé des heures travaillées, expliquent Adam et Marta.

Ezra, réfugié ougandais de 39 ans, a trouvé un emploi dans une usine de viande, dans la ville d'Elk, à quelque 220 kilomètres de Varsovie. Il travaillait entre dix et quatorze heures par jour, avec un salaire inférieur au salaire minimum pour une journée de huit heures. Les choses se passaient bien jusqu'au jour où la police lui a annoncé qu'il allait être expulsé car son visa ne serait pas renouvelé. « Cela faisait sept mois que je travaillais, je n'ai pas compris. Aujourd'hui, je soupçonne mon employeur de ne pas avoir payé mes cotisations sociales », dit-il.

Ezra, au Veggie Burger Fest. 24 mai 2025.
Photo: Hanna Jarzabek

Dans son cas, la seule façon d'éviter la déportation a été d'introduire une demande d'asile. Pendant trois mois, la fondation Kuchnia Konfliktu lui a fourni un logement et des bons alimentaires. « J'avais un toit au-dessus de ma tête mais je vivais dans la crainte. Je n'ai pas mis le nez dehors durant tout ce temps », se souvient-il. Le bureau des étrangers a émis un ordre pour son transfert dans un centre situé à 300 kilomètres de Varsovie. Une fois que le permis de travail lui a été délivré, il est retourné dans la capitale et a trouvé une place dans la construction, logement compris. « Un mois plus tard, un garde est venu me trouver et m'a dit : “On n'a plus besoin de toi, va chercher tes affaires.” Je suis parvenu à négocier une nuit de plus, le temps de faire appel à l'aide de Kuchnia Konfliktu », raconte-il.

Il est difficile de quantifier cette main-d'œuvre. Beaucoup ne sont pas enregistrés et ne sont souvent pas pris en compte dans les statistiques, car contrairement aux Ukrainiens, ils constituent une minorité. Cependant, la présence des migrants sur le marché du travail ne cesse de croître : ils représentaient 7 % de la main-d'œuvre en 2024 (plus d'un million) contre 1,2 % en 2015 et 4,6 % en 2021, selon l'institut polonais de la sécurité sociale (ZUS). Selon les estimations de l'OIT, les migrants constituent 9 % de la main-d'œuvre en Europe centrale.

Aujourd'hui, Ezra vit seul, travaille comme coursier et bien que son emploi soit précaire et ses revenus variables, il a le sentiment d'avoir enfin le contrôle sur sa vie. Il envisage de passer son permis de conduire afin de pouvoir travailler dans un véhicule motorisé, dans l'espoir de pouvoir un jour se réunir avec sa femme et ses quatre enfants.


La production de cet article a été rendue possible grâce à une subvention du fonds IJ4EU.
L'International Press Institute (IPI), le European Journalism Centre (EJC) et les autres partenaires du fonds IJ4EU ne sont pas responsables du contenu publié ni de l'usage qui en est fait.

31.10.2025 à 07:00

Pour mettre fin à l'invisibilisation des difficiles conditions de travail des ouvrières agricoles de Tunisie, un syndicat sensibilise et accompagne le changement

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Comparée à d'autres pays du Sud, la Tunisie jouit d'une forte tradition syndicale. De fait, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) est considérée comme le syndicat le plus influent du monde arabe et son rôle a été déterminant dans la révolution de 2011, qui a débouché sur ce que l'on a appelé les « Printemps arabes ». Pourtant, un secteur était resté dans l'angle mort du syndicalisme tunisien en quelque sorte, alors même qu'il était l'un des plus durement touchés par l'exploitation : (…)

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Comparée à d'autres pays du Sud, la Tunisie jouit d'une forte tradition syndicale. De fait, l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) est considérée comme le syndicat le plus influent du monde arabe et son rôle a été déterminant dans la révolution de 2011, qui a débouché sur ce que l'on a appelé les « Printemps arabes ». Pourtant, un secteur était resté dans l'angle mort du syndicalisme tunisien en quelque sorte, alors même qu'il était l'un des plus durement touchés par l'exploitation : celui des travailleuses agricoles. Cette situation a changé depuis 2021, grâce à la création d'un syndicat des femmes ouvrières dans le secteur agricole (FOSA), dont les sections sont présentes dans sept provinces agricoles différentes du pays.

« La création du syndicat a été très importante pour nous, car elle nous a fourni un outil pour défendre nos droits, ce qui était vraiment nécessaire au vu des abus dont nous sommes victimes », explique Munira Laheg, secrétaire adjointe et porte-parole de la section de Sidi Bouzid, la province où le syndicat a vu le jour, chapeauté par l'UGTT. Selon une étude du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) publiée en 2023, 92 % des ouvrières agricoles travaillent dans l'économie informelle et ne bénéficient d'aucune couverture sociale. En outre, 98 % d'entre elles perçoivent un salaire inférieur au salaire minimum dans le secteur agricole, qui est de 20 dinars par jour (environ 6 euros ou 6,8 dollars américains), et 78 % déclarent avoir subi une forme de violence au travail, y compris sexuelle.

« Les conditions de travail sont particulièrement pénibles, surtout en été. Nous ne nous arrêtons jamais, même s'il y a une vague de chaleur et que les températures dépassent les 40 ou 45 degrés », explique Munira Laheg.

À 46 ans, elle a déjà passé plus de vingt ans à travailler dans les champs comme journalière. En général, la journée de travail commence à 6 heures du matin et se termine à 13 heures. Souvent, les propriétaires des cultures ne respectent pas les temps de repos prévus par la loi et les poussent à atteindre un quota déterminé de fruits ou de légumes à récolter. Le fait que ce soit le wasit (ou intermédiaire) qui les contacte et leur verse leur salaire donne souvent lieu à des abus. Le wasit est chargé de les acheminer vers les champs en camion et, en échange, il empoche un pourcentage de leur salaire, généralement près de 30 %, soit environ cinq dinars (1,5 euro ou 1,74 dollar US).

En Tunisie, le secteur agricole, et en particulier celui des journaliers, est très féminisé. « Les salaires sont si bas et les conditions tellement pénibles que, par question d'honneur, les hommes refusent de faire ces travaux. C'est pourquoi la plupart des journaliers sont des femmes », explique Hind Omri, syndicaliste vétérane et activiste de l'Association tunisienne d'aide à la création et au travail (ATTAC), qui a contribué à la création du syndicat FOSA. Selon les données fournies par le gouvernement tunisien, sur le million de travailleurs agricoles que compte la Tunisie, 62 % sont des femmes, mais, dans certaines régions et certains secteurs, ce chiffre avoisine les 90 %. Ces données divergent de celles déjà disponibles sur l'ensemble de l'économie tunisienne. D'après les données de l'Organisation internationale du Travail (OIT), les hommes représentent plus de 60 % de la population active du pays, tandis que les femmes n'en représentent que 40 %.

Mme Laheg se dit satisfaite de l'évolution du nombre d'adhérentes au syndicat. Au moment de sa création, il comptait environ 86 adhérentes et aujourd'hui, quatre ans plus tard, « nous sommes près de 500 », affirme-t-elle. Si les ouvrières des plantations sont généralement des femmes, les propriétaires des terres, eux, sont majoritairement des hommes, car, traditionnellement, le patriarcat (et la charia ou loi islamique) a privé les femmes de la possibilité d'hériter de la terre après le décès de leurs parents. « C'était comme ça avant, mais aujourd'hui, les choses commencent à changer et des femmes commencent à hériter et posséder des terres », constate Mme Laheg. Parvenir à l'égalité des sexes en matière d'héritage est toutefois l'un des grands combats contemporains du féminisme tunisien.

Formulation de revendications

Pendant des décennies, la Tunisie a été considérée comme le pays du monde arabe où les femmes jouissaient du plus grand nombre de droits. Cette situation découle de l'adoption en 1956 d'un Code de la famille très progressiste pour l'époque qui, par exemple, interdisait la polygamie et le mariage forcé.

Cette législation a placé la Tunisie à l'avant-garde des droits des femmes et a permis des progrès rapides dans de nombreux domaines, notamment leur intégration dans le monde du travail. Plus récemment, en 2017, le Parlement tunisien a adopté une loi contre la violence sexiste qui compte parmi les plus avancées au monde. Cependant, l'évolution des mentalités n'a pas toujours suivi le rythme des changements législatifs, et l'État n'a pas toujours déployé les mêmes efforts pour veiller à l'application de ses propres lois.

En témoigne, par exemple, le nombre élevé d'accidents meurtriers dont sont victimes les travailleuses agricoles lors de leur acheminement vers les champs. La situation est si grave que Mme Omri n'hésite pas à placer la réduction des accidents au rang de priorité majeure des organisations qui défendent les droits des journalières.

Ces travailleuses « sont souvent transportées vers les champs à l'arrière de camions, debout, comme du bétail, sans aucune mesure de sécurité. C'est la raison pour laquelle des accidents très graves se produisent fréquemment », déplore cette activiste.

Selon les données recueillies par le FTDES depuis 2015, 69 accidents de la route ont été recensés dans le cadre du transport en camion des travailleuses, causant la mort de 55 personnes et en blessant 835 autres.

Pendant plusieurs années, la société civile a fait pression sur le gouvernement tunisien pour qu'il veille à la sécurité des journalières et empêche la circulation des « camions de la mort ». Ses efforts ont été récompensés par l'adoption de la loi 51 en 2019, qui réglemente le transport des ouvrières agricoles. Un an plus tard, le gouvernement signait également un décret établissant une série de mesures concrètes pour mettre en œuvre la nouvelle législation. Pourtant, cinq ans plus tard, la réalité des journalières n'a guère changé.

« La loi est bonne, le problème est que l'État n'a pas mis en place les mécanismes de contrôle nécessaires pour qu'elle soit effective. Par conséquent, ni les propriétaires des terres cultivées ni les wasits n'ont été contraints de changer le système », déplore Mme Omri, l'activiste et syndicaliste de Sidi Bouzid.

L'année dernière, un autre décret a également été adopté afin de mettre en place une protection sociale pour les travailleuses, comprenant une couverture santé, mais il n'a toujours pas été appliqué.

Une action concertée de l'UGTT pourrait inciter le gouvernement à mettre en place les moyens nécessaires pour mener à bien les inspections et faire respecter la réglementation. Or, les relations entre la centrale syndicale et Kaïs Saïed, président de la Tunisie, se sont fortement détériorées. Début août, une manifestation de partisans du président qui accusaient l'UGTT de corruption s'est terminée devant le siège du syndicat et des altercations ont éclaté avec les syndicalistes. La centrale syndicale a interprété la volonté des manifestants comme une tentative de prendre d'assaut le bâtiment et a convoqué une manifestation deux semaines plus tard, au cours de laquelle son secrétaire général, Noureddine Taboubi, a lancé un message de défiance aux autorités.

« À présent, le ton entre le gouvernement et l'UGTT s'est apaisé et il semble que les deux parties aient décidé de mettre fin à l'escalade des tensions. Cependant, à tout moment, le conflit pourrait éclater à nouveau », déclare Tarek Kahlaoui, professeur de sciences politiques à la Mediterranean School of Business de Tunis.

Les journalières se plaignent également de ne disposer d'aucune protection contre les produits chimiques utilisés comme pesticides dans les cultures. On dénombre plus de 200 pesticides autorisés en Tunisie, dont une cinquantaine qui est interdite dans l'Union européenne, à l'instar du malathion, que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) reconnaît comme cancérigène. Outre des tumeurs, ces produits chimiques peuvent provoquer des éruptions cutanées, des problèmes d'infertilité ou des malformations chez les fœtus.

« Il est fréquent que des ouvrières agricoles se présentent à la pharmacie avec des difficultés à respirer ou des démangeaisons cutanées ou oculaires en raison de leur exposition aux pesticides », explique Monia Mannai, pharmacienne à Ghardimaou, une localité du nord-ouest du pays où l'agriculture constitue un pilier de l'économie.

« Dans cette région, les taux de certaines maladies potentiellement liées à l'utilisation de pesticides sont exceptionnellement élevés. Par exemple, le cancer de la thyroïde et des poumons, la bronchite chronique, l'infertilité ou l'eczéma cutané », précise-t-elle.

Malgré ces difficultés, Mme Laheg envisage l'avenir avec optimisme. « Les changements ne sont pas acquis du jour au lendemain. Grâce à la création du syndicat, par exemple, nous avons déjà réussi à augmenter le salaire, qui est passé de 15 à 17 dinars », explique-t-elle au cours d'une conversation téléphonique. « Le plus important est que de plus en plus de journalières prennent conscience de leurs droits et souhaitent les défendre collectivement. C'est ainsi que surviendront les changements », conclut-elle.

29.10.2025 à 09:40

« Prenez-le ou perdez-le » : Pourquoi le congé parental des hommes reste-t-il à la traine et comment y remédier

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Lorsque Javier Parra Villegas, originaire d'Espagne, est devenu père en Allemagne, la décision de prendre une période de congé ne lui a pas causé d'angoisse particulière. C'était normal. « En Allemagne, c'est très facile... l'aide sociale, en particulier pour les parents, est meilleure que dans beaucoup d'autres pays, même dans la zone euro », explique-t-il dans un entretien avec Equal Times. « Il suffit de remplir quelques formulaires et de soumettre les documents nécessaires. »
Pendant (…)

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Texte intégral (3634 mots)

Lorsque Javier Parra Villegas, originaire d'Espagne, est devenu père en Allemagne, la décision de prendre une période de congé ne lui a pas causé d'angoisse particulière. C'était normal. « En Allemagne, c'est très facile... l'aide sociale, en particulier pour les parents, est meilleure que dans beaucoup d'autres pays, même dans la zone euro », explique-t-il dans un entretien avec Equal Times. « Il suffit de remplir quelques formulaires et de soumettre les documents nécessaires. »

Pendant ses deux mois de congé, début 2021, il a touché environ 60 % de son salaire, et surtout, il a fait confiance aux règles et à la culture. M. Parra, qui travaille en tant qu'éducateur de la petite enfance salarié, explique que pour les employés, le système est à la fois simple et sûr : « Ici, les hommes ont le droit de demander un congé de paternité. En Espagne, il y avait, et je pense qu'il reste encore aujourd'hui, la peur de perdre son emploi. Ici, votre place est respectée », insiste-t-il. Par la suite, il a négocié deux mois supplémentaires (non rémunérés) pour rester avec sa fille avant que celle-ci n'aille à l'école. Ce qu'il conseille à l'Espagne : un revenu de remplacement qui permette de vivre, une protection de l'emploi crédible et un temps de planification pour les employeurs.

L'expérience de Javier Parra permet de tirer une leçon plus générale : si la rémunération est faible et la protection insuffisante, la plupart des pères ne prendront pas congé. Et lorsque les hommes ne prennent pas de congé parental, la charge des soins incombe par défaut aux femmes, avec des conséquences durables sur leur salaire et la continuité de leur carrière. Le fait que les droits soient perçus comme utilisables est tout aussi important que la loi elle-même.

Cette tendance se confirme à l'aune de l'écart mondial. Les chiffres les plus récents de l'Organisation internationale du travail (OIT) révèlent une arithmétique persistante : à l'échelle mondiale, les mères comptent en moyenne 24,7 semaines de congé parental rémunéré, contre 2,2 semaines pour les pères. La note d'information de l'OIT de 2025 intitulée Congés parentaux rémunérés – Combler l'écart entre hommes et femmes attribue ces écarts à la faible reconnaissance des droits individuels des pères.

Des signes de progrès sont toutefois observables. En 2024, 121 des 186 pays reconnaissaient le congé de paternité, 37 l'avaient ajouté au cours de la décennie précédente et 31 avaient créé ou prolongé le congé parental, preuve que le rôle des hommes dans les soins aux enfants est en train d'être inscrit dans les textes de loi, ce qui pourrait contribuer à faire évoluer les normes sociales.

À ce titre, il convient de souligner l'exemple de l'Espagne, avec une incidence sur le long terme. En effet, d'après une étude réalisée en 2021 par la Barcelona School of Economics, les enfants nés après l'introduction du congé de paternité en 2007 affichent des attitudes plus égalitaires et sont moins susceptibles de se conformer au modèle traditionnel de « l'homme soutien de famille ».

Le paysage juridique évolue lui aussi. Ainsi, en juin 2024, la Conférence internationale du travail a adopté une résolution concernant le travail décent et l'économie du soin. Celle-ci reconnaît les soins comme un aspect fondamental du bien-être humain, social, économique et environnemental, ainsi que du développement durable. La résolution appelle les gouvernements, les employeurs et les travailleurs à concevoir et à mettre en œuvre des politiques et des systèmes de soins intégrés et cohérents en faveur du travail décent et de l'égalité de genre, à investir dans des services de soins de qualité, à créer des emplois décents pour les travailleurs des soins et à promouvoir le partage équitable des responsabilités en matière de soins entre les femmes et les hommes.

En août 2025, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a reconnu les soins comme un droit humain à part entière, précisant l'obligation des États de « respecter et garantir le droit aux soins », d'adopter des mesures législatives pour en assurer l'efficacité et de poursuivre leur mise en œuvre progressive en mettant l'accent sur l'égalité et les groupes vulnérables. Cet avis de la CIDH confère aux défenseurs un moyen de pression, faisant du congé parental rémunéré une partie intégrante du socle de protection sociale plutôt qu'un avantage facultatif accordé selon le bon vouloir de l'employeur.

Ce qui fonctionne : conception, preuves et pratique

En comparant les pratiques dans des dizaines de pays, on constate désormais une convergence vers une formule éprouvée : des semaines (de congé parental) individuelles, non transférables (selon le principe « use-it-or-lose-it ») pour les pères, d'une durée significative et assorties d'une rémunération décente, reposant sur un financement commun ou public, une protection de l'emploi robuste et la simplicité administrative. Les pays qui suivent cette approche constatent une augmentation du recours aux congés pour soins chez les hommes ; en revanche, les systèmes qui rendent les congés transférables, faiblement rémunérés, non rémunérés ou financés par l'employeur voient ce recours reculer.

Spécialiste de la protection de la maternité et de la conciliation travail-famille à l'OIT et membre de l'équipe de chercheurs à l'origine de la note d'information 2025 de l'OIT, Laura Addati identifie une tension récurrente dans les débats politiques : le débat s'articule autour d'une préoccupation largement répandue, à savoir que l'extension des droits au congé pour soins aux pères et aux hommes, en particulier au moment de l'accouchement, pourrait nuire aux besoins biologiques des mères. Selon ce point de vue, les mères devraient bénéficier de plus de congés parce qu'elles vivent la grossesse, l'accouchement et souvent l'allaitement – des réalités physiques que les pères ne partagent pas.

Or, les données disponibles montrent que les deux parents tirent profit du partage des responsabilités de soins et de la prise de congés, à condition qu'une protection adéquate de la maternité soit garantie à toutes les mères. « Il est essentiel de mettre en évidence ce scénario gagnant-gagnant », poursuit Mme Addati.

Maria Tsirantonaki, conseillère politique auprès de la Confédération syndicale internationale (CSI), estime que les États doivent commencer par rendre l'accès aux soins universel : « Au minimum, les États doivent mettre en place des systèmes complets de soins et de prise en charge, assortis d'un cadre politique et réglementaire qui garantisse que le système est complet et réglementé. »

« Nous voulons nous assurer que toutes les personnes ayant des besoins et des responsabilités en matière de soins, indépendamment de leur milieu socio-économique, y ont effectivement accès. Il s'agit d'un service public essentiel que les gouvernements doivent fournir pour que les personnes puissent participer de manière équitable au monde du travail et, plus largement, à la société. »

S'agissant du recours aux congés, Mme Tsirantonaki ne mâche pas ses mots : ce qui compte le plus, c'est la rémunération. « L'essentiel est qu'il soit rémunéré... dans les sociétés très patriarcales, s'il n'est pas rémunéré, les hommes ne prendront pas cette décision. » La non-transférabilité est tout aussi importante : « Lorsqu'il est partagé équitablement et non transférable – si vous ne le prenez pas, vous le perdez (« use-it-or-lose-it ») – l'incitation est forte. » Et l'effet peut être transformateur : « Lorsque les politiques sont conçues pour inciter les hommes à assumer un rôle plus actif, cela peut, à long terme, modifier les normes et les stéréotypes sexistes tenaces concernant les rôles liés aux soins. »

En guise de mise en garde, elle cite en exemple les pays où le congé maternité légal n'est pas rémunéré, tels que les États-Unis : « Les femmes occupant des emplois très faiblement rémunérés reprennent le travail deux semaines après l'accouchement, car elles ne peuvent pas se permettre de perdre leur revenu, ce qui est inhumain. »

La culture d'entreprise est également importante. Le recours au congé augmente lorsqu'une partie est légalement réservée au congé de paternité, lorsque des jours supplémentaires sont prévus si les deux parents prennent leur congé, lorsque la flexibilité est réelle (temps partiel, par jour/heure) et lorsque les petites et moyennes entreprises bénéficient d'une aide financière par le biais d'un fonds commun ou d'une assurance.

Une leçon des pays nordiques

Les pays nordiques fournissent les preuves les plus détaillées de la manière dont les choix conceptuels influent sur les résultats. Ils partagent un modèle commun : du temps dédié à chaque parent, un revenu de remplacement adéquat et un financement collectif par le truchement de l'assurance sociale. Cependant, chaque pays calibre le système différemment.

Ainsi, en 2000, l'Islande a innové avec sa formule « 3+3+3 » : trois mois de congé parental égal pour les deux parents, avec trois mois supplémentaires pouvant être partagés entre les parents, le tout subventionné par un fonds d'assurance national financé par les employeurs. Lorsque l'Islande a introduit ce modèle, la participation des pères a connu une forte augmentation ; à son pic, environ 90 % des pères éligibles ont pris les trois mois de congé auxquels ils avaient droit. Cependant, par la suite, lorsque le gouvernement a plafonné les prestations, de nombreux pères, en particulier ceux de la tranche supérieure des revenus, ont choisi de ne pas y avoir recours, montrant à quel point le maintien du salaire intégral est déterminant pour la prise de congés par les hommes.

La Suède, pour sa part, offre 480 jours par enfant. Les 90 premiers jours sont réservés à chaque parent et ne peuvent être transférés. Le paiement se fait en deux tranches : 390 jours à des taux liés au revenu et 90 jours à un taux forfaitaire de base. Dans le cadre d'une nouvelle mesure introduite en 2024, la Suède autorise désormais les parents à céder jusqu'à 45 jours à un autre aidant, tel qu'un grand-parent, sans toucher aux quotas non transférables qui incitent les pères à prendre un congé. Malgré cela, les pères suédois ne prennent actuellement qu'environ 30 % du nombre total de jours auxquels ils ont droit. Un résultat que les autorités voient non pas comme un échec politique, mais plutôt comme la preuve que le cadre juridique est déjà égalitaire en termes de genre et que les obstacles restants sont d'ordre culturel et sectoriel, tout particulièrement dans les industries à prédominance masculine.

La Finlande, en 2022, a pris la décision la plus audacieuse en adoptant une approche entièrement neutre en matière de genre. Chaque parent bénéficie de 160 jours (environ six mois et demi), dont 63 jours peuvent être transférés à son partenaire. Le système est délibérément simple : des quotas égaux pour chaque parent, et ce afin de normaliser le partage des responsabilités en matière de soins tout en préservant le droit individuel de chaque parent à prendre congé.

La leçon à tirer des pays nordiques n'est pas de copier-coller des institutions, mais de mettre en place des mesures incitatives : du temps réservé aux pères, un remplacement salarial élevé, un financement commun et une simplification administrative rendent l'absence des hommes normale et gérable pour les entreprises.

L'Espagne a récemment accompli un progrès significatif. En juillet 2025, le pays a adopté le décret-loi royal 9/2025, qui prolonge le congé de naissance et le congé parental de 16 à 19 semaines par parent, entièrement rémunérés et financés à 100 % par la sécurité sociale, et qui rend ce droit individuel, égalitaire et non transférable – se rapprochant ainsi des normes européennes et des normes de l'OIT et dépassant le seuil de référence de 18 semaines de rémunération intégrale prévu par la recommandation n° 191 de l'OIT sur la protection de la maternité.

La réforme s'attaque de front à ce que Laura Addati nomme le débat « biologie vs soins » : une protection adéquate de la maternité reste en place, mais les pères disposent désormais d'un droit égal et non transférable qui les positionne comme des co-parents à part entière et qui est, par ailleurs, non négociable au sein du foyer. Des études montrent que cela a bien un effet sur les perceptions des enfants en termes d'égalité et donc contribue à remodeler les normes d'une génération à l'autre.

Des lacunes subsistent, mais les arguments sont clairs

Les travailleurs, hommes compris, ont également besoin de temps rémunéré pour s'occuper de leurs proches âgés (selon les Nations Unies, au cours de la prochaine décennie, le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus dans le monde dépassera celui des enfants en bas âge) et de leurs proches handicapés (une population également en augmentation), et pourtant, cette dimension des soins reste largement ignorée dans les normes internationales et les législations nationales. L'architecture normative est la plus solide en matière de maternité ; il n'existe aucune norme mondiale actualisée qui reconnaisse et subventionne les congés payés pour les personnes aidantes, avec une couverture universelle et transférable.

L'OIT n'a pas encore produit d'études comparables sur les congés pour soins aux personnes âgées ou aux personnes en situation de handicap. Or, selon Mme Addati, les principes conceptuels qui ont fait leurs preuves dans le cas du congé parental pourraient s'appliquer à toutes les formes de congé pour soins, en fonction des différents contextes nationaux : droits individuels et non transférables, remplacement adéquat du revenu, financement par la sécurité sociale afin que les employeurs n'aient pas à supporter les coûts directs, couverture inclusive, modalités flexibles et protection solide de l'emploi. La résolution de l'OIT de 2024 propose également des principes fondamentaux pour l'élaboration des politiques : la fourniture, l'accès et la réception des soins doivent être fondés sur les principes de non-discrimination, de solidarité, de durabilité, d'équité, d'universalité et de coresponsabilité sociale.

Par ailleurs, Mme Addati insiste sur la nécessité de services de garde d'enfants et de soins de longue durée de haute qualité et inclusifs pour les personnes en situation de handicap, fournis par des prestataires de soins qualifiés :

« Les familles ne sont pas en mesure de répondre seules aux besoins croissants en matière de soins, même avec les meilleurs congés ou les modalités de travail les plus flexibles. Un financement durable de ces services et de ces emplois est indispensable. »

Mme Tsirantonaki partage cet avis, tout en soulignant la nécessité de mettre en place des mesures combinées sur le lieu de travail : « Une combinaison est toujours préférable, par exemple l'octroi de congés rémunérés pour soins et des modalités de travail flexibles, car il n'existe pas de solution unique qui convienne à tout le monde. »

La lacune structurelle la plus flagrante concerne la couverture. De nombreux systèmes manquent de couvrir adéquatement les travailleurs indépendants, les travailleurs informels et les travailleurs de l'économie des plateformes. Ce point a son importance, dans la mesure où les pères appartenant à ces catégories sont beaucoup moins susceptibles de prendre un congé parental lorsque le financement est assuré directement par des employeurs individuels plutôt que par des fonds communs d'assurance sociale. La note d'information de l'OIT identifie cette lacune comme structurelle et critique, soulignant que seul un petit nombre de pays ont étendu le congé paternité et parental rémunéré à ces groupes.

Mme Tsirantonaki est catégorique : « La clé réside dans un socle de protection sociale. Il faut à tout prix un socle, c'est-à-dire des prestations minimales pour tous les travailleurs, indépendamment de leur statut professionnel. Les politiques de protection sociale doivent garantir la sécurité des revenus pendant les congés de maternité, de paternité et parentaux. Il n'est pas acceptable que les travailleurs du secteur formel ayant un employeur bénéficient de tous ces droits, tandis que les travailleurs de l'économie informelle, qui représentent la majorité de la main-d'œuvre mondiale, n'ont rien. »

Si le congé parental des hommes reste marginal (jours symboliques, faible rémunération, financement par l'employeur, blocs transférables), les femmes continuent d'en supporter le coût en termes de revenus et d'emploi. Cependant, lorsque le congé parental des hommes est réservé, correctement rémunéré, financé par des fonds publics et protégé, son utilisation augmente, les lieux de travail s'adaptent, les perspectives d'emploi des femmes s'élargissent et les enfants découvrent un autre modèle de paternité.

Trois lacunes apparaissent régulièrement dans les débats politiques et cadrent parfaitement avec l'ordre du jour des prochains forums internationaux. En mai 2026, l'OIT organisera une réunion tripartite d'experts sur la protection de la paternité et de la parentalité et les autres congés pour soins. Cet événement réunira des représentants des gouvernements, des employeurs et des organisations de travailleurs afin d'examiner comment les normes internationales du travail peuvent mieux soutenir les responsabilités liées aux soins tout au long de la vie. Cette réunion sera aussi l'occasion d'aborder les lacunes persistantes en matière de couverture, de conception et de financement qui privent des millions de travailleurs d'une protection adéquate.

Les thèmes récurrents sont clairs : Codifier les droits individuels et non transférables de chaque parent (congé de paternité et congé parental). Ensuite, garantir une rémunération adéquate via l'assurance sociale ou les budgets publics (et non uniquement par l'employeur), ainsi qu'une protection solide de l'emploi et une mise en œuvre efficace (dispositions anti-représailles, renversement de la charge de preuve). Enfin, garantir une couverture universelle indépendamment du statut professionnel (travailleurs indépendants, travailleurs informels, travailleurs des plateformes et travailleurs atypiques) ou du statut migratoire, avec des droits dès le premier jour et la transférabilité et légiférer sur les congés rémunérés pour les aidants qui s'occupent de personnes âgées ou de personnes handicapées en utilisant les mêmes principes conceptuels.

L'argument budgétaire est pragmatique : combler l'écart entre les congés rémunérés des deux parents est une mesure modeste sur le plan financier par rapport aux avantages qui en découlent : gains en termes d'emploi, réduction de la pauvreté, réduction de l'écart entre les femmes et les hommes, en particulier dans le cadre d'un financement commun. Selon un rapport de l'OCDE publié en 2024, la réduction des écarts en matière de participation au marché du travail pourrait ajouter 0,10 point de pourcentage à la croissance économique annuelle, ce qui se traduirait par une augmentation de jusqu'à 3,9 % du PIB par habitant d'ici 2060.

Le bénéfice, en fin de compte, est d'ordre culturel. Lorsque les pères prennent un congé réel – de plusieurs mois, et non de quelques jours ; rémunéré, et non symbolique –, les normes qui attribuent les tâches domestiques aux femmes commencent à s'effriter. Les politiques à elles seules ne garantissent pas un tel changement, mais sans politiques adéquates, celui-ci ne peut pas se produire.

28.10.2025 à 04:00

Le travail des enfants dans l'agriculture en Égypte, un fléau social au service des exportations agricoles vers l'Europe

Benjamin Adam
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Chaque jour, à trois heures du matin, Mariam, 11 ans, est réveillée par la voix de sa mère qui la presse de se lever et de s'habiller. La jeune fille ouvre les yeux, lasse et insatisfaite de n'avoir fait qu'un court sommeil. Elle sait qu'elle doit se dépêcher si elle ne veut pas perdre sa journée de travail. Rapidement, elle se prépare avec sa mère, avant qu'elles ne soient séparées dans deux camions distincts qui les emmènent vers les fermes désertiques en bordure du village Taha al-Ameda, (…)

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Chaque jour, à trois heures du matin, Mariam, 11 ans, est réveillée par la voix de sa mère qui la presse de se lever et de s'habiller. La jeune fille ouvre les yeux, lasse et insatisfaite de n'avoir fait qu'un court sommeil. Elle sait qu'elle doit se dépêcher si elle ne veut pas perdre sa journée de travail. Rapidement, elle se prépare avec sa mère, avant qu'elles ne soient séparées dans deux camions distincts qui les emmènent vers les fermes désertiques en bordure du village Taha al-Ameda, dans le gouvernorat de Minya, situé à 260 kilomètres au sud du Caire.

Dans le camion, la petite Mariam est assise avec une vingtaine d'autres jeunes filles et enfants, âgés de 9 à 16 ans. Elle est en route vers un champ, pour y passer la journée à récolter des oignons, tandis que sa mère part de son côté avec d'autres femmes pour moissonner le blé. Avant de monter dans le camion, la mère n'oublie pas de donner quelques instructions à sa fille : « Ne t'assois pas sur la porte extérieure, tiens-toi à tes amies, reste au milieu du camion ».

Mariam est l'une de ces millions d'enfants travaillant en Égypte, notamment dans le secteur agricole, pour servir une stratégie de l'État basée sur l'exportation croissante de produits agricoles, notamment vers l'Europe.

Si les chiffres de l'Agence centrale de la mobilisation publique et des statistiques (CAPMAS) – une agence gouvernementale – publiés en 2019, révèlent que plus de 1,8 million d'enfants (âgés de 6 à 16 ans) travaillent en Égypte, dont 64 % dans le secteur agricole, des chercheurs, comme Abdel Mawla Ismail, président de l'Association égyptienne pour les droits collectifs, ainsi que d'autres estimations, suggèrent que le nombre d'enfants travaillant uniquement dans l'agriculture dépasserait les 3 millions.

Selon le chercheur, « la société civile estime que les chiffres officiels sont inexacts, car ils excluent d'importants secteurs non visibles du travail des enfants et ne reflètent pas fidèlement le nombre d'enfants qui travaillent dans les zones rurales, allant jusqu'à nier l'existence même de ce phénomène ».

Des conditions de travail difficiles

Le trajet dure près de deux heures sur des routes non pavées, jusqu'à ce qu'elle atteigne la ferme où elle travaillera. Chaque jour, elle prie pour sa survie, bien consciente des accidents fréquents auxquels elle est exposée. En juin dernier, le camion dans lequel elle se trouvait avec sa mère a été impliqué dans un accident, et sa mère a été blessée, l'empêchant de travailler pendant deux semaines. Quant à Mariam, elle n'a subi que quelques contusions, pas assez graves pour la laisser à la maison sans travailler.

Vers six heures du matin, la fillette commence à récolter des oignons. Elle n'ose pas s'arrêter, tandis que le superviseur leur crie dessus pour qu'elles continuent. « Nous travaillons sous un soleil brûlant et sans protection. Parfois, nous coupons les tuyaux d'irrigation pour boire de l'eau. Elle est aussi chaude que celle que nous utilisons pour nous laver », raconte la mère de Mariam, sa fille à ses côtés.

« J'envoie ma fille travailler dans l'agriculture, parce que nous n'avons pas de revenus, et nous devons travailler toutes les deux pour subvenir aux besoins de la famille. Elle va récolter l'ail, les pommes de terre, les tomates... Moi, je vais récolter le blé, les melons et les raisins. Certains propriétaires de champs préfèrent les jeunes filles, car leur salaire journalier n'est pas élevé ».

La mère de Mariam vit avec ses quatre enfants – Mariam, l'aînée, un garçon et deux filles – dans un appartement de deux-pièces dans le village Taha al Ameda. Elle a perdu son mari d'une insuffisance rénale il y a quatre ans, ce qui l'a laissée dans une situation tragique. « Ici, dans le village, nous sommes toutes des travailleuses temporaires sans emploi fixe. Nous sortons avec d'autres femmes pour travailler dans les champs cultivés. La bonification du désert voisin nous a offert une opportunité, mais le travail est difficile », déclare la femme de 36 ans.

Une longue cicatrice noire est visible sur son visage : « C'est à cause du soufre, pendant la récolte des betteraves. Devant moi, une autre femme récoltait et jetait les tubercules derrière elle. Mais sans voir, elle les a jetées sur moi. Les betteraves sont aspergées du soufre pour qu'il mûrisse rapidement. C'est ce qui m'a brûlé le visage ».

Mariam travaille de six heures du matin à trois heures de l'après-midi, avant de charger les récoltes sur de grands camions pendant une heure, et de rentrer chez elle à 18h. Tout cela pour un salaire journalier de 100 livres égyptiennes (environ 1,80 euro). Sa mère, quant à elle, reçoit entre 130 et 150 livres (2,50 à 2,80 euros) par jour.

Elles travaillent toutes les deux six jours par semaine, et n'ont que le vendredi comme jour de repos pour récupérer. « Si nous n'avions pas ce jour de congé, nous ne pourrions pas continuer à travailler, nous nous effondrerions », confie la mère de famille.

Si Mariam et sa mère prient chaque jour pour rentrer sans un grave accident, ce n'est pas le cas pour d'autres. Le 28 juin dernier, 18 jeunes filles, majoritairement mineures, ont trouvé la mort dans un accident de la route dans le gouvernorat de Menoufiya dans le Delta, alors qu'elles se rendaient au travail dans une ferme pour la récolte du raisin dans une zone désertique voisine. Les médias indépendants les ont surnommées les « martyres à 130 livres », en référence à leur salaire journalier.

L'accident a suscité un débat houleux dans le pays concernant la situation misérable dans laquelle se trouve la campagne égyptienne, en raison des politiques économiques adoptées par le gouvernement égyptien sous la direction du Fonds Monétaire International (FMI) depuis 2016, qui ont augmenté le travail des enfants dans le pays.

La mère de Mariam est restée horrifiée en lisant cette nouvelle et commente : « Nous pourrions faire face au même sort. Chaque jour, nous sortons travailler et nous avons l'impression que c'est la fin. Et on craint aussi les accidents au travail ».

Le travail des enfants : un problème endémique

Ce que les jeunes filles et la mère de Mariam ne savent pas, c'est qu'une partie des camions qu'elles chargent à la fin de leur dure journée de travail, sans droits, est certainement destinée à l'Europe. L'Égypte consolide sa position de fournisseur agricole majeur pour le marché européen.

Selon le ministère de l'Agriculture, l'UE est la destination numéro un pour les produits agricoles égyptiens. Le 13 octobre, le ministère a annoncé un volume d'exportations agricoles de 7.5 millions de tonnes depuis le début de l'année, avec l'UE en tête des destinataires. Parmi les marchandises phares, on retrouve les agrumes, les pommes de terre, la tomate, le raisin, la fraise et autres.

Pour soutenir cette croissance fulgurante, l'Égypte et l'Italie ont lancé la ligne de livraison maritime par transport roulier (appelé RoRo ou Roll-on/Roll-off). Ce nouveau corridor maritime rapide est spécifiquement conçu pour le transport accéléré des fruits et des légumes frais vers les marchés européens. Ces exportations, encouragées par l'État, sont devenues une source essentielle de devises pour le pays. L'État égyptien adopte une stratégie pour hausser les exportations à 100 milliards de dollars par an. Cette stratégie est basée sur les produits agricoles.

« En raison de l'exportation massive, notamment vers l'Europe, le gouvernement a élargi sa politique de bonification du désert pour créer de grandes fermes agricoles, notamment pour la culture du raisin, des oranges, des oignons, etc., ce qui a aggravé le problème du travail informel et de l'exploitation, en particulier des enfants, dans les zones rurales », explique à Equal Times, Abdel Mawla Ismail.

« Le travail des enfants et des femmes est l'un des aspects sombres du secteur agricole en Égypte. Il est largement répandu dans de nombreuses cultures qui nécessitent une main-d'œuvre intensive et n'offrant pas de salaire journalier élevé », note ce chercheur.

L'exploitation d'enfants dans le travail ne se limite pas sur l'Égypte, puisqu'il y aurait près de 138 millions d'enfants dans le monde qui travaillent, selon les dernières estimations de l'Organisation internationale du Travail (OIT), publié en 2024.

Outre les enfants, il y a 5 millions de femmes travaillant dans l'agriculture, (selon un recensement mené en 2010 -dernier recensement en date, des travailleurs dans le secteur agricole), et « aucune d'entre elles n'a d'assurance sociale, ni d'assurance-maladie, rien. Elles travaillent toute la journée et dans certains cas, 10 heures par jour », dit Abdel Mawla, affirmant que l'espérance de vie de ces travailleuses ne dépasse pas les 50 ans.

De son côté, le chef du syndicat des agriculteurs, Abdel Fattah Abdel Aziz, a précisé : « Aujourd'hui, il existe une interdiction du travail des enfants en dessous de 15 ans. Il y a le Conseil national de l'enfance et de la maternité. Mais en même temps, il n'y a pas de suivi réel. Combien d'enfants travaillent vraiment ? Il n'y a pas de système d'observation précis. Et c'est ça le problème ».

Le recours au travail des enfants est particulièrement important dans la récolte du jasmin dont la majorité de la production est destinée à l'Europe. Depuis des années, l'Égypte se place comme leader mondial de la production du jasmin avec environ 60% du marché mondial, et comme le premier exportateur de cette fleur vers l'Europe, surtout pour le groupe français LVMH. Une enquête publiée en mai 2024 par le média britannique, BBC, sur le travail des enfants comme cueilleur de jasmin, a mis en lumière ce phénomène.

« Dès le début du mois de juin jusqu'à fin novembre, des milliers d'enfants récoltent chaque nuit cette fleur qui entre dans la composition de beaucoup de parfums. Ils travaillent dans des conditions difficiles, sans protection et pour un prix misérable », précise Abdel Mawla Ismail.

« Les producteurs du jasmin, comme pour certaines autres cultures, ont recours aux enfants pour leur petite taille, et parce qu'ils sont plus agiles pour ramasser sans trop se baisser », ajoute-t-il. Si le prix d'un kilo de jasmin en France dépasse les 80 euros, en Égypte, il atteint à peine 100 livres égyptiennes (moins de 2 euros). Le cueilleur touche seulement les deux tiers (soit 1,2 euro par kilo). Un prix imposé par les grossistes qui exportent leur produit en Europe.

Ce travail a des conséquences néfastes sur les enfants. « Les enfants qui travaillent comme ça, souffrent d'une mauvaise santé, et quelquefois de maladies chroniques à cause de l'utilisation des pesticides et de l'exposition prolongée au soleil. Aussi, beaucoup ne peuvent pas aller à l'école », dit le syndicaliste.

Selon des estimations officielles, il y a 18,4 millions d'Égyptiens à partir de 10 ans, sont analphabètes, dont la plupart se trouvent dans des gouvernorats considérés ruraux.

Après une journée épuisante sous un soleil de plomb, Mariam et sa mère rentrent chez elles avec 230 livres égyptiennes (3,50 euros) en poche. Une somme à peine suffisante pour nourrir une famille de six personnes. Demain, elles se lèveront à nouveau, prêtes à récolter des produits qui, très probablement, prendront le chemin de l'Europe.

24.10.2025 à 08:19

En Indonésie, une réelle politique de soutien aux aidantes et aux soignantes se fait encore attendre

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Après l'accident vasculaire cérébral de son père, la responsabilité de prendre soin de lui est retombée sur Muhar Yati. Pendant plusieurs mois, Mme Yati, âgée d'une trentaine d'années, et qui souffre elle-même d'un handicap, a dû prodiguer des soins physiques et psychologiques à domicile pour aider son père à se rétablir, ne recevant qu'un soutien minimal de la part du système de santé national ou de sa famille.
C'est un défi récurrent auquel sont confrontées les femmes en Indonésie qui, (…)

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Après l'accident vasculaire cérébral de son père, la responsabilité de prendre soin de lui est retombée sur Muhar Yati. Pendant plusieurs mois, Mme Yati, âgée d'une trentaine d'années, et qui souffre elle-même d'un handicap, a dû prodiguer des soins physiques et psychologiques à domicile pour aider son père à se rétablir, ne recevant qu'un soutien minimal de la part du système de santé national ou de sa famille.

C'est un défi récurrent auquel sont confrontées les femmes en Indonésie qui, comme Mme Yati, doivent supporter le fardeau de s'occuper des enfants, des personnes âgées, handicapées ou en mauvaise santé.

« La charge mentale des soins est généralement supportée par les femmes. Outre leur contribution financière, les hommes peuvent apporter leur soutien de nombreuses façons, mais ils ne le font pas, car ils sont paralysés par le préjugé qui veut que les soins sont l'apanage des femmes », explique Putri, une autre aidante indonésienne qui s'occupe d'un enfant malade, dans un article publié par l'ONG de santé publique, Noora Health.

En Indonésie, il est estimé que 36 millions de femmes travaillent de façon informelle en fournissant des soins aux personnes qui en ont besoin. Jusqu'à présent, l'État n'a pas vraiment fait grand-chose pour les soutenir.

« Des millions de femmes et filles indonésiennes travaillent dans des foyers privés [comme employées de maison et aides-soignantes à domicile], mais, malgré leur rôle essentiel dans l'économie, elles ne sont toujours pas protégées par la législation indonésienne du travail », explique Negar Mohtashami Khojasteh, experte en droits humains pour Human Rights Watch (HRW).

En 2004, une loi historique, qui aurait été la première à étendre la protection des travailleurs à l'économie des soins, a été proposée au Parlement indonésien. Le projet de loi sur la protection des travailleurs domestiques (PPRT ou Perlindungan Pekerja Rumah Tangga) aurait, pour la première fois, protégé les travailleurs domestiques contre l'exploitation économique, notamment les contrats de travail verbaux omniprésents, les salaires souvent très inférieurs au minimum légal et les longues journées de travail. Il aurait également eu pour effet de protéger les travailleurs contre les violences physiques et sexuelles dans le monde du travail et de reconnaître enfin légalement le travail domestique comme un travail formel, avec des contrats de travail transparents et écrits, l'accès à la Sécurité sociale, ainsi que les protections sociales mentionnées ci-dessus.

Cependant, 21 ans plus tard, le PPRT, qui prévoit des protections pour les travailleurs des soins à temps partiel ou résidant chez l'employeur, n'a jamais été soumis au vote, alors même qu'il avait été désigné à plusieurs reprises comme une législation prioritaire, essuyant des revers et des reports depuis des années. Selon les défenseurs de cette loi, les craintes liées au coût de la mise en œuvre du salaire minimum, à la responsabilisation des employeurs et au manque d'urgence électorale sont des facteurs déterminants pour expliquer pourquoi le projet de loi n'a pas encore été adopté. D'aucuns estiment que le fait que de nombreux députés emploient des travailleurs domestiques qui travaillent probablement aussi de manière informelle constitue un autre facteur. Pour les travailleurs domestiques, cela signifie deux décennies supplémentaires de travail dans des conditions difficiles, et ce, malgré la croissance économique spectaculaire de l'Indonésie.

« Pour les travailleurs domestiques, rien n'a changé », déclare Lita Anggraini, coordinatrice nationale de JALA PRT, une organisation de défense des droits des travailleurs domestiques. Ils continuent à travailler sans limites d'heures, sans jours de congé hebdomadaires et sans pauses ni sécurité sociale. Les défenseurs des travailleurs qualifient leurs conditions de travail d'esclavage moderne.

Le fait que cette loi n'ait pas été adoptée contraste avec les efforts croissants déployés par le gouvernement pour donner une reconnaissance l'économie des soins au sens large. Selon Tirta Sutejo, directrice de la lutte contre la pauvreté et de l'autonomisation des collectivités à l'Agence nationale de planification du développement (Bappenas), le développement de l'économie des soins est l'une des priorités du Plan national de développement à long terme 2025-2045. L'objectif est de s'attaquer aux obstacles structurels au sein de l'écosystème du travail, en particulier ceux auxquels font face les femmes.

Au moment où l'Indonésie s'apprête à mettre en œuvre la feuille de route destinée à protéger les travailleurs du secteur des soins et à mieux reconnaître ce type de travail, l'incapacité à protéger les aides-soignantes et les travailleurs domestiques pourrait limiter l'efficacité de l'ensemble du processus.

« En Indonésie, par le passé, lorsque nous parlions des travailleurs domestiques, cette activité n'était pas considérée comme un travail et nous les appelions simplement des “aides”, leur travail étant considéré comme d'un statut inférieur », explique Sulistri Afrileston, vice-présidente chargée de la protection sociale au sein de la Confédération indonésienne des syndicats (KSBSI). « Mais la société et la culture sont en train de changer et les travailleurs domestiques devraient percevoir un salaire décent, être couverts par la Sécurité sociale, bénéficier d'une protection en matière de sécurité et santé au travail, mais surtout, ces personnes doivent être respectées en tant que travailleurs. »

Une reconnaissance croissante pour l'économie des soins

L'Organisation internationale du Travail (OIT) estime que la grande majorité des aides-soignants indonésienne, qu'il s'agisse de travailleurs domestiques chargés de la cuisine et du ménage ou d'aides-soignants à domicile s'occupant d'enfants, de personnes handicapées ou âgées, sont des femmes. En réalité, ce schéma se répète presque partout dans le monde : la responsabilité de s'occuper des personnes et des ménages est sous-payée, sous-valorisée et, trop souvent, entièrement non rémunérée. Cette responsabilité pèse de manière disproportionnée sur les épaules des femmes, qui, dans de nombreux cas, n'ont accès à aucun soutien syndical et travaillent souvent dans des conditions précaires et dangereuses.

En 2022, dans la foulée de la présidence indonésienne du G20, l'OIT a lancé un projet visant à remédier à la situation des droits du travail des femmes en Indonésie, à travers l'élaboration d'une feuille de route et d'une stratégie nationales permettant au gouvernement d'investir dans des politiques en faveur de l'économie des soins et d'entamer un processus visant à garantir la protection des mères, le congé parental, l'éducation de la petite enfance et les soins de longue durée. En 2024, cette feuille de route a été publiée, avec le soutien du ministère indonésien de l'Autonomisation des femmes et de la Protection de l'enfance.

« La feuille de route associe la question de l'économie et de la productivité à celle de l'égalité des sexes et au cadre de l'économie des soins », explique Early Dewi Nuriana, responsable national des projets de l'OIT pour l'économie des soins en Indonésie.

L'Indonésie est actuellement un pays relativement jeune, avec une population dont l'âge moyen se situe autour de 30 ans. Mais cela est en train de changer. Selon la Fédération des syndicats des cols bleus (Federasi Serikat Pekerja Kerah Biru), en Indonésie, 2,7 % des personnes les plus âgées ont besoin de soins de longue durée, sans toutefois avoir accès à des services de qualité, publics et de longue durée. En outre, la demande de services d'aide et de soutien pour les personnes handicapées devrait augmenter considérablement.

Aussi, à mesure que davantage de femmes entrent sur le marché du travail, la demande de services de garde d'enfants augmentera également. Les familles moins nombreuses pourraient également ne pas être en mesure de fournir des soins à domicile aux membres âgés ou dépendants de leur famille. La difficulté réside dans le fait qu'il n'existe pratiquement aucune infrastructure sur laquelle s'appuyer.

« Lorsque nous parlons d'économie des soins, la question se pose de savoir qui paiera pour ces services », explique Mme Nuriana « En Indonésie, nous disposons d'un système de protection sociale limité : une assurance maladie nationale et une assurance chômage réduite qui ne couvre que les accidents et les décès. Même nos retraites ne sont pas encore universelles et le congé de maternité n'est accessible qu'aux personnes qui ont un contrat de travail à durée indéterminée, ce qui est très rare. »

Le défi tient en grande partie à la communication, déclare Gita Lingga, assistante principale en communication et gestion de l'information à l'OIT Indonésie. Dans le cadre de ce projet, son équipe a lancé des campagnes sur les médias sociaux et hors ligne visant à sensibiliser le public au fardeau que supportent déjà les femmes aidantes et à l'importance que revêt la valorisation de ce travail.

« L'égalité des sexes n'est pas seulement une question sociale ou culturelle, c'est aussi une question économique », explique Mme Lingga. « C'est le message principal que nous souhaitons transmettre aux citoyens : soutenir les travailleurs du secteur des soins profite à la fois aux hommes et aux femmes. »

Ce travail consiste également à sensibiliser les journalistes et les responsables des collectivités locales, et à trouver des moyens créatifs de combattre les préjugés culturels et sociaux profondément enracinés, par exemple en discutant avec les imams des mosquées locales de l'importance de partager avec leur jama'ah (congrégation) les responsabilités domestiques entre les hommes et les femmes.

La feuille de route en est encore au stade de la planification et de la phase pilote, en partie parce qu'un nouveau gouvernement a été élu en Indonésie en février 2025. Cependant, Mmes Nuriana et Lingga estiment que la garde d'enfants est un domaine dans lequel des progrès rapides sont possibles. Elles ont contribué à soutenir certaines initiatives pilotes destinées à fournir des services de garde d'enfants sur certains lieux de travail. Un projet, lancé cette année, se focalise sur trois régions : Karawang (la plus grande zone industrielle d'Indonésie) et deux régions où les services de garde d'enfants font défaut, Batang et Probolinggo. Piloté par l'Association des employeurs indonésiens (APINDO), le projet vise à guider les entreprises qui connaissent un taux d'absentéisme élevé chez les femmes en vue de développer et de mettre en œuvre des solutions innovantes pour la garde d'enfants.

De son côté, la KSBSI a collaboré avec une entreprise productrice d'huile de palme afin que celle-ci fournisse des services de garde d'enfants à son personnel, composé principalement de femmes, dans le cadre d'un projet dans la province de Kalimantan occidental, sur l'île de Bornéo. La KSBSI espère reproduire ce modèle avec d'autres entreprises.

L'OIT Indonésie considère que les initiatives visant à mettre en place une certification nationale en matière de garde d'enfants constituent une étape essentielle pour professionnaliser ce type de travail et faire en sorte que la garde d'enfants soit également considérée comme un travail décent.

« La garde d'enfants est devenue le sujet le plus fréquemment sollicité par le gouvernement, en raison de son lien direct avec la participation des femmes au marché du travail », explique Mme Nuriana. « La prochaine étape consiste à soutenir le gouvernement dans l'élaboration d'une carte des professions relatives aux soins et d'une norme nationale pour les travailleurs des services de garde d'enfants. »

Ne pas abandonner les travailleurs domestiques

Pour les travailleurs domestiques, attendre encore 20 ans, après avoir déjà lutté pendant plus de deux décennies, semble un fardeau injuste. Si l'Indonésie avait adopté le projet de loi PPRT en 2004, au moment où il a été proposé pour la première fois, le pays serait peut-être aujourd'hui plus à même de relever les défis croissants liés à la garde d'enfants, aux soins aux personnes âgées et à d'autres aspects de l'économie des soins.

« Aucun changement significatif n'est intervenu dans la vie des travailleurs domestiques au cours des 20 dernières années », déclare Mme Anggraini, de JALA PRT.

L'inaction a plutôt entraîné d'innombrables abus, tant en termes de vols de salaire que de violations des droits humains, explique Mme Khojasteh de l'organisation HRW.

« Les travailleurs domestiques sont nombreux à avoir subi d'horribles abus psychologiques, physiques et sexuels de la part de leurs employeurs », ajoute Mme Khojasteh. « Le gouvernement indonésien ne devrait pas retarder davantage l'adoption du projet de loi. »

Pour Mme Anggraini et les membres de son organisation, la crainte est que, malgré l'attention croissante portée à l'économie des soins et à l'élaboration d'une nouvelle feuille de route, les travailleurs domestiques et les aides à domicile soient une fois de plus ignorés ou que le vote sur la législation soit reporté, comme cela s'est déjà produit par le passé. En réalité, JALA PRT et d'autres organisations estiment que la collaboration entre les ministères et les travailleurs sur la feuille de route pour l'économie des soins laisse à désirer.

« Des conflits d'intérêts surgissent parmi de nombreux fonctionnaires, membres de la Chambre des représentants, le gouvernement et les employeurs », explique Mme Anggraini. « Ils ne souhaitent aucun changement au statu quo, qui leur confère des privilèges en tant qu'employeurs. »

La seule alternative ? Continuer la lutte, car, selon JALA PRT, la seule façon pour les travailleurs domestiques d'obtenir des droits est de passer à l'action.

« Nous menons des actions de sensibilisation, de lobbying, des auditions, des campagnes et sommes présents sur les médias sociaux », explique Mme Anggraini. Dans ce contexte, elle estime qu'une sensibilisation accrue est la clé. « Avec un peu de chance, nous bénéficierons d'un soutien renforcé de la part des médias de masse et du public. »

22.10.2025 à 08:52

Au Liban, le travail essentiel des chiffonniers syriens dans l'économie circulaire

Thomas Abgrall
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Sur un chemin de terre cahoteux, près du camp palestinien de Sabra, ceinture de misère au sud de Beyrouth, Hamid, 22 ans, pousse péniblement un chariot où s'entassent d'énormes sacs de jute pleins à craquer qui font deux fois sa taille. Le t-shirt noirci par la crasse et les mains calleuses, il s'adosse contre un muret et s'offre une pause cigarette en plein cagnard. Mais il ne s'attarde pas trop : le dos plié en deux, il descend les sacs et les dépose sur une balance en fer dans une boura (…)

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Sur un chemin de terre cahoteux, près du camp palestinien de Sabra, ceinture de misère au sud de Beyrouth, Hamid, 22 ans, pousse péniblement un chariot où s'entassent d'énormes sacs de jute pleins à craquer qui font deux fois sa taille. Le t-shirt noirci par la crasse et les mains calleuses, il s'adosse contre un muret et s'offre une pause cigarette en plein cagnard. Mais il ne s'attarde pas trop : le dos plié en deux, il descend les sacs et les dépose sur une balance en fer dans une boura (en arabe, « terrain vague »), un centre de collecte informel qui achète les matériaux récupérés par les chiffonniers dans les bennes à ordure.

Il existe des dizaines de bourat dans la capitale libanaise. En face de la balance, assis sur un siège de bureau, un jeune homme, jean troué, qui tire sur une chicha, tient la comptabilité sur un grand carnet noir. Pour son premier passage de la journée, Hamid a récolté 24 kilos de bouteilles en plastique, 9 kilos d'autres matières plastiques, 32 kilos de carton et 2kilos d'aluminium. L'équivalent de 6 dollars américains (environ 5,10 euros). Il fait deux à trois passages quotidiens, et porte entre 100 et 150 kilos par jour. Il gagne environ 350 dollars par mois (environ 300 euros), un peu plus que le salaire minium libanais (de 312 dollars dans le secteur privé).

« Je marche de 9h du matin à 23h pour collecter des déchets. C'est un travail très fatigant, je n'ai pas de sécurité sociale en cas d'accident. Deux enfants sont morts en 2022 alors qu'ils triaient des déchets, ils ont été écrasés par des camions-poubelles », raconte le jeune syrien, qui vit au Liban depuis 2012. « Je me fais aussi régulièrement insulter, parfois battre par des gens dans la rue, mais il faut bien manger, payer le loyer ».

Hamid fait partie des chiffonniers du bas de l'échelle : ceux qui ont réussi à faire des économies au fil des ans ont pu s'acheter des motocyclettes, des Tuk Tuk, voire des pick-up, et collectent principalement des déchets dans les industries, supermarchés, ou garages des matériaux à plus forte valeur ajoutée.

Tribus bédouines syriennes

Dans la boura de Sabra, le propriétaire est un Libanais qui travaille dans le secteur depuis 1975. « J'ai commencé à l'âge de 14 ans avec mon père qui a acheté le terrain de la boura, il n'y avait que des champs de citronniers ici. Les métaux sont récupérés depuis très longtemps, et constituent l'une des principales exportations libanaises, mais c'est depuis les années 2000 que les chiffonniers se sont mis à récupérer plastique et carton, qui ont pourtant moins de valeur que les métaux », affirme le propriétaire, qui souhaite rester anonyme.

« Ce sont d'abord des tribus bédouines d'Alep qui ont commencé à travailler dans le secteur, puis de Raqqa et de Deir ez-Zor, notamment quand de nombreux villages ont été occupés par l'État islamique [entre 2014 et 2016, ndlr] ». Les prix des matières recyclables vendues par Hamid varient selon le cours international des matières premières.

Chaque jour, les propriétaires de bourat reçoivent sur un groupe WhatsApp les tarifs d'une vingtaine de matériaux recyclables : cuivre rouge, cuivre jaune, acier inoxydable, journaux, cartons, canettes de Pepsi, bouteilles en plastique, nylon, aluminium, plomb, piles, climatiseurs et radiateurs, batteries de voiture… Une fois qu'Hamid a récupéré son dû, des adolescents qui travaillent dans la boura répartissent les recyclables dans différents tas, puis les chargent dans des camions.

Beaucoup de mineurs déscolarisés travaillent dans le secteur, ils ont souvent arrêté l'école à la fin de l'enseignement primaire.

Les métaux sont expédiés dans un plus grand centre de collecte à Sabra, puis exportés, principalement vers la Turquie. Le plastique et le carton sont principalement vendus à des entreprises de recyclage locales. Le plastique peut également être revendu à des grossistes qui détiennent des licences exclusives pour l'export. Ces derniers réalisent généralement les plus grands bénéfices dans la chaîne du tri.

C'est par exemple le cas de la famille Chaaban, l'un des principaux traders de plastique, rencontrée dans une zone industrielle à Choueifat, au sud de Beyrouth. « Nous achetons la tonne de plastique à 200 dollars US, nous le broyons avec des machines et revendons les granulés à 325 dollars la tonne à l'étranger, en Grèce, en Égypte ou en Turquie », explique Mohammad Chaaban, l'un des gérants de l'entreprise.

Des initiatives d'ONG locales

Les chiffonniers constituent un maillon essentiel dans l'économie circulaire, car les Libanais ne trient pas leurs déchets. « Moins de 5 % d'entre eux pratiquent le tri à la source, par négligence et par manque de sensibilisation », explique Georges Bitar, fondateur de l'ONG Live Love recycle, qui a lancé en 2018 une application pour récupérer les matières recyclables dans les foyers et entreprises.

Moyennant trois dollars par semaine, des employés de l'ONG emportent jusqu'à trois sacs de matières recyclées d'environ 4.000 foyers. Ces dernières sont ensuite séparées dans un centre de traitement, puis revendues. Quelques initiatives comme celles de Live Love Recycle se sont lancées après une catastrophique crise des déchets en 2015-2016, et des usines de tri ont été construites avec le soutien de donateurs internationaux, mais nombre d'entre elles se sont arrêtées, notamment faute de rentabilité.

« Depuis deux ans, le prix des matières recyclables a baissé : la tonne de plastique est passée de 450 à 200 dollars, la tonne de papier de 110 à 80 dollars et la tonne d'acier de 350 à 200 dollars. Les coûts de l'essence sont aussi très élevés, ce qui impacte nos coûts du transports. »

« Enfin, avec la crise économique depuis 2020, les ménages ont réduit leur consommation, en particulier de matières recyclables », note Georges Bitar.

Selon la Banque mondiale, le taux de matières recyclables dans les déchets solides libanais est passé d'environ 45 % à 25 % entre 2017 et 2021, tandis que les déchets organiques ont augmenté de 50 à 70 %. Live Love Recycle a employé 436 réfugiés syriens à temps partiel en 2018 avec le soutien du Programme alimentaire mondial (PAM). Aujourd'hui, ils ne sont plus là, mais l'ONG planifie de créer 100 nouveaux emplois à temps plein et d'ouvrir 30 nouveaux points de collecte, avec le soutien du Regional Development and Protection Program (RDPP).

« On ne baisse pas les bras malgré la situation morose du marché », assure Georges Bitar. Le Liban demeure cependant loin de modèles de coopératives de chiffonniers comme il en existe au Maroc ou au Brésil.

Les défaillances de l'État

L'État libanais, lui, ne fait rien pour favoriser le recyclage, bien au contraire. Sa gestion des déchets repose principalement sur l'enfouissement des déchets non séparés dans des décharges centralisées gérées par des entreprises privées. À Beyrouth, deux ont été inaugurées en 2016, celles de Costa Brava, au sud de la capitale, et de Jdeidé, au nord de Beyrouth. Elles sont régulièrement saturées, puis agrandies, dans une fuite en avant périlleuse.

Les entreprises qui ont gagné les appels d'offre pour gérer ces décharges n'ont aucune obligation de tri préalable. Les camions-poubelles compactent les déchets des bennes à ordure et les recrachent tels quels dans les décharges. Avant 2020, il existait deux centres de traitement à proximité de ces décharges : l'un a été détruit par l'explosion du port de Beyrouth en 2020, et n'est toujours pas opérationnel, tandis que le second, vétuste, ne fonctionne plus depuis que le contrat avec l'entrepreneur gestionnaire a expiré.

En théorie, 25 % des déchets pourraient être recyclables, mais moins de 8 % le sont en pratique, selon des chiffres de 2024 fournis par Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), un établissement public libanais chargé de la mise en place d'une stratégie nationale pour la gestion des déchets.

L'État libanais tend à se décharger sur les municipalités, qui selon différents textes de loi, sont responsables de la gestion des déchets solides. Mais leurs moyens financiers sont limités : leurs ressources, faibles, dépendent essentiellement de fonds gouvernementaux. Et elles sont déjà endettées pour sous-traiter à des sociétés privées la collecte des déchets, ne disposant pas de moyens humains et logistiques pour traiter les déchets à la source. Quelques exceptions existent toutefois dans certaines unions de municipalités, notamment au nord du Liban.

Conditions de travail dégradées et retours en Syrie

Le rôle clé des chiffonniers n'a cessé de diminuer récemment. Plus de 90 % d'entre eux sont Syriens, le reste des collecteurs étant Palestiniens et Kurdes. Parmi les milliers de chiffonniers travaillant dans le secteur, une partie importante est retournée en Syrie après la chute de Bachar al-Assad, il y a près d'un an.

Dans le quartier de Hay-Lejja, à l'ouest de Beyrouth, des chiffonniers entrent et sortent d'un étroit passage entre deux bâtiments qui conduit à une impasse. À l'abri des regards, se niche une boura dans un local plongé dans la pénombre, au pied d'un immeuble de dix étages. Des dizaines de chiffonniers habitent et travaillent là depuis plus de 15 ans, tous membres du même clan, les Bou Hamad, originaires de villages autour de Raqqa.

« Nous sommes une tribu d'environ 40.000 personnes, qui travaillons dans les déchets, la plomberie ou la construction. Beaucoup d'entre nous étaient recherchés par le régime, et sont maintenant retournés en Syrie. Même s'il n'y a pas autant de travail qu'au Liban, nous n'avons pas à payer de loyer, nous sommes propriétaires de nos tentes », indique Abou Hassan, un gaillard aux yeux hallucinés qui semble être le responsable de la boura.

Les conditions de travail n'ont aussi cessé de se dégrader, expliquent les chiffonniers. Abou Hamza, un autre trieur de déchets, casquette à l'envers vissée sur le crâne, raconte :

« La municipalité a fait fermer des bourat dans le quartier, et nous harcèle de plus en plus. Ces derniers mois, elle a confisqué 13 motocyclettes et un camion. Nous avons dû les racheter à prix fort, à plusieurs centaines de dollars ».

Des conflits latents existent aussi entre les propriétaires libanais de bourat, associés à des gangs, qui font parfois régner la terreur pour que des chiffonniers n'empiètent pas sur le territoire.

« Plusieurs membres de notre boura se sont fait kidnapper par un gang d'un autre quartier. Ils ont été menacés par des chiens, frappés à coups de couteau, pendus à l'envers pendant plusieurs jours à des crocs de boucher, et privés de nourriture », témoigne l'un d'entre eux. Certains sont même obligés de payer une somme mensuelle pour être « protégés » dans leur zone par des caïds de quartier.

Alors que l'obscurité tombe sur Beyrouth, l'équipe de nuit de la boura de Hay-Lejja, composée essentiellement de jeunes adolescents, s'active pour commencer sa besogne. Munis de lampes frontales, ils grimpent dans les bennes à ordures, plongent la tête la première dedans et éventrent les sacs-poubelles avec agilité pour trier chaque matière recyclable dans différents bacs en carton. Ils ont jusqu'à l'aube pour récupérer le plus de déchets valorisables avant le passage des camions-poubelles. Comme chaque nuit, leur course contre la montre a commencé, et durera jusqu'au petit matin.

21.10.2025 à 11:49

Alex J. Wood, sociologue : « Nous avons besoin de formules de représentation alternatives, qui donnent aux travailleurs free-lances une voix fonctionnelle »

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Bien que le travail indépendant ait toujours existé dans de nombreux métiers, ces dernières années, dans le secteur des services surtout, un nombre croissant de professionnels semble se lancer dans le travail en free-lance, alors même que de nombreuses entreprises ont augmenté la charge de travail qu'elles délèguent à des prestataires externes d'une façon qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années.
Un changement de mentalité semble bouleverser le monde du travail. La gestion (…)

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Bien que le travail indépendant ait toujours existé dans de nombreux métiers, ces dernières années, dans le secteur des services surtout, un nombre croissant de professionnels semble se lancer dans le travail en free-lance, alors même que de nombreuses entreprises ont augmenté la charge de travail qu'elles délèguent à des prestataires externes d'une façon qui aurait été inimaginable il y a encore quelques années.

Un changement de mentalité semble bouleverser le monde du travail. La gestion à court terme et par projets, qui privilégie les relations de travail ponctuelles, remplace le modèle traditionnel qui consistait à investir dans la formation et la pérennisation de son propre personnel au sein de la structure et de la culture interne de chaque entreprise plus particulièrement. Il semble de plus en plus courant que les économies de coûts dictent les décisions des entreprises, disposées à ne payer que pour un travail spécifique lorsqu'elles en ont besoin, au point qu'il est devenu normal de combiner du personnel permanent et la sous-traitance vers des free-lances.

Cela n'augure rien de bon pour la qualité et la stabilité des emplois, dans ce qui semble être une tendance qui pourrait préfigurer l'avenir du monde du travail. Pour nous aider à comprendre ce phénomène, Equal Times a demandé l'avis de l'un des spécialistes qui connaît le mieux l'impact social et économique de ces transformations, le sociologue britannique Alex J. Wood, chercheur et maître de conférences en sociologie économique à l'université de Cambridge (Royaume-Uni). Il est également ancien membre de l'équipe qui a créé l'Indice du travail en ligne de l'université d'Oxford, un outil qui a permis de mesurer pour la première fois, entre 2016 et 2024, les fluctuations de l'activité professionnelle de tous les free-lances des cinq plus grandes plateformes spécialisées dans ce domaine dans le monde anglophone (ainsi que de plusieurs portails en espagnol et en russe entre 2020 et 2024), soit plus de 70 % du marché mondial des indépendants en activité.

On a l'impression que les travailleurs sont de plus en plus nombreux à choisir ou à être contraints de devenir indépendants. Que disent les données à ce sujet ?

Je pense qu'il y a bel et bien une tendance à la hausse du travail indépendant dans les pays capitalistes occidentaux, mais il est également vrai que la véritable augmentation forte des chiffres s'est produite entre l'année 2000 et la pandémie de Covid-19.

Aujourd'hui, dans la plupart des pays, le nombre de travailleurs indépendants recommence à augmenter, mais pas nécessairement aussi fortement qu'avant la pandémie ni de manière uniforme. En outre, tout dépend des réglementations, des habitudes sur la façon de faire des affaires et de la manière dont chaque économie est réglementée en général à chaque endroit. En Scandinavie, par exemple, les pratiques en matière d'emploi sont généralement moins fragmentées, avec des marchés du travail très réglementés, avec pour conséquence que les entreprises ont beaucoup moins tendance à recourir à des travailleurs indépendants.

Est-ce que cela signifie donc que plus la réglementation du travail est stricte, moins il y a de free-lances ?

Oui, naturellement, même si le type de secteurs dominants dans chaque économie nationale est également déterminant. Par exemple, le Royaume-Uni est fortement axé sur les services, ce qui présente un grand potentiel pour que ces services soient proposés à travers l'auto-emploi, alors que dans une économie plus axée sur la production industrielle, comme l'Allemagne, ce potentiel est beaucoup plus faible.

Selon certains chercheurs, la technologie constitue un facteur historique de rupture dans les conditions de travail. Comment son utilisation influence-t-elle la précarisation et la tendance à l'augmentation du nombre de travailleurs indépendants ?

La numérisation accroît la capacité à fragmenter le travail dans l'espace, mais aussi à permettre à des personnes qui ne sont pas des employés (même éparpillées un peu partout dans le pays ou dans le monde) de contribuer au processus de travail. Cela explique la forte augmentation du travail indépendant entre l'année 2000 et la pandémie, du fait de l'utilisation croissante des ordinateurs et de la numérisation du travail.

Après quoi, ces dernières années, nous avons assisté au développement de plateformes numériques de travail, telles qu'Uber, Just Eat, Deliveroo, etc., ainsi que de plateformes pour travailleurs indépendants, telles qu'Upwork et Fiverr. Elles permettent de réduire les coûts de recherche des travailleurs free-lance, grâce à leurs algorithmes qui garantissent un accès à une main-d'œuvre disponible. Ce phénomène coïncide avec un affaiblissement des réglementations du travail et de la capacité des syndicats de faire pression sur les entreprises pour qu'elles ne sous-traitent pas la charge de travail à des travailleurs non syndiqués.

Ce lien entre technologie et précarisation rappelle le vieil adage « diviser pour mieux régner », puisque, face à cette fragmentation du travail, il est très difficile de bénéficier d'une représentation syndicale ou de négociations collectives, et la technologie permet à de nombreuses entreprises de dire : « voilà notre façon de travailler : c'est à prendre ou à laisser ». Pensez-vous que, dans ce sens, les entreprises se servent consciemment des technologies comme d'un élément de rupture à leur avantage ?

Je pense que oui. Nous avons réalisé une étude sur les free-lances au Royaume-Uni auprès de travailleurs indépendants qui utilisaient des plateformes telles qu'Uber et des plateformes pour free-lances. Dans le cas d'Upwork, nous avons observé des niveaux de soutien aux syndicats vraiment élevés ; bien plus élevés, en fait, que ceux généralement observés chez les employés conventionnels. Certains travailleurs déclaraient même vouloir créer leur propre syndicat, ce qui montre clairement qu'il existe une volonté de représentation syndicale. Je pense que nous devons demander à ces travailleurs s'ils estiment que des conseils du travail similaires à ceux qui existent dans l'industrie allemande devraient être mis en place pour les travailleurs des plateformes : un conseil dans lequel certains travailleurs seraient élus comme représentants, avec pour objectif d'être consultés et d'avoir un droit de veto sur les décisions importantes. Cette idée recueille en fait un soutien plus large que les syndicats, car je pense que les gens reconnaissent qu'il est très difficile de mettre en place un syndicat de travailleurs free-lance, alors qu'avec les plateformes, il est aisé d'imaginer comment ce type de conseil pourrait fonctionner. Nous avons besoin de formules de représentation alternatives, qui donnent aux travailleurs une voix fonctionnelle, sans que celle-ci dépende de leur capacité à mettre en place un syndicat.

Les entreprises qui passent d'une force de travail salariée à un système reposant de plus en plus sur des free-lances externes s'orientent-elles vers une conception beaucoup plus court-termiste de leur activité ? Pourquoi, selon vous, préfèrent-elles accepter cette volatilité plutôt que d'investir dans la constitution d'équipes stables ?

Ce changement de mentalité est bel et bien en cours, et je pense qu'il s'explique en grande partie par le déclin de ce que le sociologue Wolfgang Streeck qualifie de « contraintes bénéfiques » pour les employeurs. En effet, si on laisse le choix aux entreprises, elles opteront pour la voie de la facilité, car elles se concentrent sur le cours de leurs actions et la rentabilité à court terme, même si cela se fait au détriment de leurs intérêts sur le long terme.

Wolfgang Streeck est un Allemand évoquant l'expérience allemande où, traditionnellement, les conseils du travail et les syndicats ont réussi à limiter la capacité des employeurs à choisir ce chemin de la facilité, les obligeant donc à investir dans leurs travailleurs et à leur dispenser des formations. Une fois que vous avez formé vos travailleurs, vous avez tout intérêt à leur offrir une plus grande sécurité d'emploi et des conditions de travail de qualité, car vous ne voulez pas qu'ils s'en aillent.

Effectivement, nous avons constaté un véritable déclin de ces contraintes bénéfiques, ce qui signifie que certaines entreprises considèrent les agences et les plateformes qui leur fournissent des free-lances comme un moyen de réduire immédiatement leurs coûts du travail, même si cela nuit à leur productivité. Cela s'explique en partie par le fait que, dans les années 80 et 90, le cours des actions s'est progressivement imposé comme l'étalon de la rentabilité à long terme des entreprises. Or, l'un des moyens d'augmenter le cours d'une action consiste à réduire les coûts du travail, même si cela se révèle ne pas être bénéfique pour l'entreprise dans la pratique. Je pense donc que le déclin de la réglementation des marchés financiers et le recours croissant aux fonds de capital-risque et aux fonds d'investissement jouent un rôle dans cette évolution. Ces prédateurs financiers issus de Wall Street ont influencé de nombreuses décisions de gestion, au lieu de laisser les dirigeants sur le terrain prendre ce type de décisions stratégiques.

Cela signifie donc que ce changement de paradigme dans les entreprises n'est pas un phénomène récent, mais qu'il remonte à une époque antérieure à Internet, à cette obsession néolibérale qui consiste à évaluer les entreprises en fonction du cours de leurs actions, qui fluctue quotidiennement.

Oui, il n'y a aucun doute que ce changement était déjà en cours dans le passé, tant en termes de déclin des syndicats que de ces contraintes bénéfiques, auxquelles s'ajoute le rôle croissant de la déréglementation des marchés financiers. L'économiste David Weil, qui faisait partie de l'administration Obama, explique les différentes manières dont les entreprises ont réagi à cette focalisation sur le cours des actions, en exploitant justement cette dislocation du travail, c'est-à-dire en ayant recours à des agences d'intérim et à des travailleurs indépendants. Puis sont arrivées les années 2000, avec une numérisation croissante, et aujourd'hui, dans les années 2020, avec l'émergence des plateformes de travail, de nouvelles formes de fragmentation de l'emploi apparaissent, grâce à l'utilisation de travailleurs des plateformes et de travailleurs free-lances à une échelle beaucoup plus grande, car les coûts liés à la recherche d'employés, à leur embauche et au contrôle de leur travail ont été considérablement réduits grâce à la technologie.

Du côté des travailleurs, observe-t-on également un changement de paradigme dans leur relation avec les entreprises ?

Je pense que, envers et contre tout, les gens tentent constamment de s'organiser et de créer des communautés, ce qui entraîne un certain degré de régulation informelle. Par exemple, nous voyons comment certains travailleurs dressent directement leur propre liste noire énonçant leurs pires clients et déconseillent à leurs confrères de travailler pour eux ou indiquent que personne ne devrait accepter tel travail pour moins de tel montant. Les syndicats jouissent également d'un large soutien, même s'il est difficile de les organiser dans ce type de travail. Je pense que la frustration que ressentent les gens face à la précarité de leur emploi les pousse à rechercher des alternatives qui ne sont pas proposées par les partis progressistes, ce qui amène certains vers les idées de l'extrême droite la plus populiste et conduit les gens à attribuer à tort la détérioration de leurs conditions de vie à l'immigration.

De fait, la détérioration des démocraties a commencé à partir de la crise financière de 2008 et le meilleur moyen de défendre la démocratie est probablement de maintenir des conditions de travail dignes. Vos données sociologiques le montrent-elles d'une manière ou d'une autre ?

Oui, et je pense que c'est ce que nous devons faire pour offrir une alternative aux gens, car je ne pense pas que mettre un terme à l'immigration améliorera de quelque manière que ce soit la qualité de vie des gens. Et si l'idée est d'offrir une alternative, il faut sans aucun doute que le système garantisse la démocratie sur le lieu de travail par l'intermédiaire de conseils du travail et de syndicats, ce qui, en réalité, améliorera les conditions de travail des gens et leur offrira une plus grande sécurité professionnelle et matérielle.

Le plus curieux est que cela profiterait également aux entreprises elles-mêmes. Cependant, il n'existe pas de réglementation du travail spécifique aux travailleurs indépendants. En 2024, l'UE a adopté sa Directive sur le travail des plateformes , mais celle-ci ne s'appliquera qu'aux travailleurs des plateformes. En tant que société, comment devrions-nous faire face à ces lacunes réglementaires ?

Tout à fait. De fait, j'ai participé à certaines discussions avec les législateurs européens portant sur cette directive et je leur ai fait remarquer qu'elle était plutôt bonne, mais qu'elle ne s'appliquait qu'aux travailleurs qui ont été contraints de recevoir la définition de travailleurs indépendants à ce moment-là, et non à ceux qui sont véritablement free-lance. Je pense donc que ce qu'il convient de dire est similaire à ce que nous dirions face à un cas d'évasion fiscale, à savoir qu'une entreprise ne peut pas affirmer « oh, eh bien, il s'agit de travailleurs indépendants » ou qu'elle a simplement sous-traité le travail à des tiers et qu'il ne lui incombe pas de s'assurer qu'ils perçoivent le salaire minimum. Non. Si une entreprise crée un quelconque travail, elle est tenue de payer, au moins, le salaire minimum, qui a justement été fixé à cet effet, afin de garantir que personne ne gagne moins que ce montant, y compris les travailleurs indépendants.

Et si vous êtes un travailleur indépendant sur une plateforme et que vous ne gagnez pas le salaire minimum avec les missions que vous recevez en moyenne, je pense que vous devriez pouvoir faire valoir que vos tarifs sont trop bas et réclamer que la plateforme les augmente. Et l'un des moyens d'y parvenir est de passer par les conseils du travail que nous avons évoqués tout à l'heure. Il s'agit de démocratiser les plateformes, mais aussi de faire en sorte que les droits du travail s'appliquent réellement à tous les travailleurs, y compris les free-lances. Toute personne effectuant un travail rémunéré doit pouvoir bénéficier de ses droits fondamentaux en matière de travail, y compris le salaire minimum.

Comment tout cela peut-il être garanti ?

Je pense que les plateformes de travail doivent disposer d'un conseil élu par les travailleurs, consulté sur les changements qui interviennent sur les plateformes, mais également habilité à examiner les prix et les tarifs fixés pour les différentes tâches, et ce, de façon à garantir qu'ils sont suffisamment élevés pour couvrir les besoins des travailleurs et, bien sûr, qu'ils couvrent le salaire minimum.

L'État devrait-il garantir cela d'une manière ou d'une autre ?

Oui, exactement : il faut que cette couverture légale soit étendue aux personnes qui sont véritablement des travailleurs indépendants, mais qui travaillent à travers des plateformes.

Pour finir, quelles sont les actions que les travailleurs peuvent entreprendre pour que cette protection devienne réalité ? Que recommanderiez-vous aux travailleurs indépendants pour faire avancer les choses dans cette direction ?

Avant tout, qu'ils adhèrent à un syndicat, ou qu'ils créent des communautés de travailleurs, ou de nouveaux syndicats, qu'ils adhèrent à un parti politique ou qu'ils en créent un nouveau, et qu'ils fassent ensuite évoluer la situation vers plus de protection des droits et donnent une plus grande voix à tous ces travailleurs indépendants.

17.10.2025 à 06:00

Le Sénégal peut-il jouer la carte du tourisme durable pour élever le niveau général dans le secteur et favoriser l'emploi ?

Momar Dieng
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Avec sa capitale riche de culture et d'histoire, Dakar, ses côtes de sable fin bordées de stations balnéaires, ses villages de pêche pittoresques, l'architecture historique de Saint-Louis classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, ou encore ses mangroves, les rizières et forêts de Casamance et autres sites naturels remarquables, le Sénégal possède de très nombreux atouts touristiques et souhaite depuis longtemps faire de ceux-ci un levier de relance économique.
En 2024, le pays aurait (…)

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Avec sa capitale riche de culture et d'histoire, Dakar, ses côtes de sable fin bordées de stations balnéaires, ses villages de pêche pittoresques, l'architecture historique de Saint-Louis classée au patrimoine mondial de l'UNESCO, ou encore ses mangroves, les rizières et forêts de Casamance et autres sites naturels remarquables, le Sénégal possède de très nombreux atouts touristiques et souhaite depuis longtemps faire de ceux-ci un levier de relance économique.

En 2024, le pays aurait enregistré la venue de près de 2,26 millions de visiteurs, d'après le ministère du Tourisme et de l'Artisanat. Nombreux venus d'Europe (23%) et d'Afrique (74%), pour du tourisme culturel, mais aussi d'affaires, religieux ou pour des événements sportifs. Entre 2019 et 2024, les recettes générées par le secteur ont connu une hausse de 86,2 %, d'après la Cellule des études, de la planification et du suivi du ministère (CEPS/MTA). Le secteur représente environ 7% du PIB et de nombreux observateurs s'accordent à dire qu'il y a encore un potentiel à développer.

Toutefois, plusieurs acteurs du secteur rencontrés lors d'une enquête d'Equal Times, alertent sur des obstacles majeurs liés aux conditions de travail dans ce secteur, qui compte aussi un grand nombre de travailleurs informels, sans contrats en bonne et due forme.

Une réalité contrastée sur le terrain

Le secrétaire général de l'hôtellerie de la centrale syndicale CNTS, Mamadou Diouf, dénonce le recours massif des employeurs aux contrats saisonniers « qui ne répondent pas aux normes fixées par la loi. » Selon lui, « les licenciements, très fréquents, sont souvent décidés sur la base de soi-disant motifs économiques et sans tenir compte des procédures légales. Et ces licenciés sont parfois remplacés par des prestataires de services ou des journaliers ».

Sur 120.000 travailleurs recensés au niveau du ministère du tourisme, « je suppose que seul le tiers – soit 40.000 - bénéficie de contrats à durée indéterminée », avance-t-il.

Lors des conflits sociaux, le responsable du secteur tourisme à la CNTS-FC (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal/Forces du changement), un autre syndicat, El Hadji Ndiaye, fustige lui la partialité d'inspecteurs du travail trop souvent favorables aux employeurs.

« Quand il y a un conflit entre un employé et son patron, ils ne convoquent souvent que le travailleur. Le patron, lui, il peut parfois envoyer son chauffeur le représenter. Ces pratiques ne sont pas acceptables », s'indigne-t-il.

L'Etat est donc largement attendu pour amener le secteur à des standards internationaux en termes de qualité de l'offre et d'exemplarité du secteur. Un chantier potentiel pour Vision 2050 le nouveau document de référence pour les politiques publiques, depuis l'arrivée d'un nouveau gouvernement en avril 2024. Ce dernier souhaiterait atteindre l'objectif de 500.000 emplois liés à ce secteur et lui faire atteindre la part de 10% dans le PIB national.

Ce ne sera pas simple, avertit Faouzou Dème. Ce consultant et ex-candidat à la direction de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), membre de plusieurs cabinets ministériels à partir des années 2000, milite pour une vision globale du secteur. « Le tourisme est à la fois un produit d'exportation et de consommation interne [64% des activités touristiques sont ‘consommées' par des nationaux, contre 36% par des touristes internationaux, ndlr]. Cela veut dire qu'il s'accommode de la culture, de l'artisanat, de tout ce que nous avons comme valeurs et qui nous identifie », explique-t-il. Le 6 septembre 2025, le gouvernement suivant cette logique a en effet renommé le ministère en « ministère de la Culture, de l'Artisanat et du Tourisme ». Une appellation nouvelle pour connecter davantage le secteur touristique à des secteurs qui pourraient créer une synergie positive.

Les réformes ont commencé et un nouveau Code du tourisme serait en gestation pour renforcer une réglementation capable de favoriser un développement durable dans tout l'écosystème. « Le tourisme est un secteur porteur qui crée des emplois et de la richesse, mais cela n'est pas possible sans des investisseurs privés », rappelle toutefois Faouzou Dème, qui plaide pour l'inclusion de tous les acteurs.

Concernant les conditions de travail, le gouvernement actuel a aussi fait le ménage dans de vieilles pratiques en abrogeant par exemple l'arrêté colonial 41-87 du 26 juin 1953, qui faisait travailler les agents du secteur touristique 50 heures par semaine pour 40 heures effectivement payées. « Il y a des résistances chez certains patrons, mais la mesure est globalement appliquée », se réjouit El Hadji Ndiaye.

Mamadou Diouf estime cette abrogation salutaire, au regard de son injustice, mais beaucoup reste à faire d'après lui. Notamment l'entrée en vigueur du « Pacte de stabilité sociale du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration », pourtant signé depuis avril 2021 entre le gouvernement, le patronat et les représentants des travailleurs (dont la CNTS et la CNTS/FC). Ce Pacte, – intervenu après les difficultés dues à la crise du Covid-19–, est un compromis entre plusieurs objectifs : protéger les emplois existants, assurer le paiement régulier des salaires des travailleurs, actualiser la convention collective nationale de l'hôtellerie, suspendre les préavis de grève, soutenir les entreprises touristiques par l'ouverture d'une ligne de crédit bancaire, etc. Mais ses mesures n'ont jamais été mises en œuvre, au grand dam des signataires.

Du côté des partenaires sociaux, on œuvrent aussi pour répondre aux doléances des travailleurs : « Un accord signé avec le patronat institue désormais une prime mensuelle de nourriture entre 17 mille et 24 mille francs CFA [entre 26 et 37 euros environ], selon les catégories, et pour tous les travailleurs des secteurs de l'hôtellerie. Cet accord de branche est un acquis majeur dans notre combat pour la dignité des camarades travailleurs », ajoute El Hadji Ndiaye.

L'écotourisme : entre espoirs et incertitudes

Aux côtés du tourisme classique international, Faouzou Dème préconise une intensification du tourisme rural intégré pour ses nombreux atouts, dont le développement des zones éloignées. « Les populations en profiteraient en gagnant de l'argent à partir des activités dans leur propre terroir. En même temps, la nature et la faune seraient préservées dans les zones défavorisées », souligne-t-il.

En Casamance, zone d'évasion touristique par excellence, Ousmane Sané est un promoteur de l'écotourisme depuis que « le tourisme classique a montré ses limites. » Il travaille avec deux employés – un jardinier et une cuisinière – et des membres de sa famille en exploitant un campement d'environ deux hectares à Niafrang, un village de la Basse-Casamance, situé non loin de la frontière gambienne.

« Ma clientèle est principalement occidentale. Mais il y a aussi des Africains qui passent, dont des Gambiens et des Sénégalais. Il y a du confort, mais nous ne visons pas une certaine modernité. D'ailleurs, la plupart de nos clients acceptent de s'impliquer dans des activités ou projets de préservation de l'environnement. »

Dans cette partie du Sénégal, l'écotourisme souffre toutefois de plusieurs maux dont l'enclavement, l'état des routes, la vétusté des moyens de transport et les prix élevés pratiqués par les transporteurs, indique Ousmane Sané. Dans d'autres parties du pays, il doit aussi affronter « l'industrialisation », notamment la bétonisation effrénée de paysages touristiques, ou encore l'exploitation du zircon, un minerai qu'on trouve dans le sable, qui affecte les terres.

Auteur du livre-enquête Le tourisme au Sénégal, radioscopie d'un secteur (éd. Nuit & Jour, 2025), Mamadou Pouye Tita, souligne : « L'écotourisme doit être la marque de fabrique du tourisme local. Il crée une attraction touristique autour de nos valeurs, de nos spécificités en tant que peuple, de nos richesses culturelles et de nos potentialités agricoles et environnementales. »

Sans écarter l'option des gros investissements, Mamadou Pouye Tita préconise une plus grande attention à l'endroit du tourisme intérieur « car aucun pays ne doit compter sur l'extérieur pour développer le tourisme », citant en référence à la fermeture des frontières imposée par le Covid-19 entre 2019 et 2020, qui a beaucoup fait souffrir le secteur.

À cet égard, le retour des campements impliquant étroitement les villageois dans leur gestion, modèle d'écotourisme « qui avait bien marché » en Casamance et dans les îles du Saloum, reste une option pertinente pour le tourisme intérieur, souligne-t-il. « Malheureusement, l'Etat n'ayant pas été vigilant, ce concept a été récupéré et dévoyé par des hommes d'affaires qui en ont fait des campements privés. »

Des obstacles majeurs qu'il reste à lever

Le tourisme au Sénégal fait face à une série d'obstacles structurels qui freinent encore sa pleine expansion. Parmi ces défis, trois se détachent nettement : la nécessité d'une meilleure formation professionnelle des acteurs du secteur, la lutte contre le sous-emploi et la cherté de la destination, ainsi que la sécurisation des sites touristiques.

À la tête des syndicats d'initiative de Thiès et Diourbel, des structures locales qui s'occupent de la mise en valeur et de l'animation touristique, Boubacar Sabaly, plaide pour un renforcement de la qualité de la formation professionnelle. Il souligne que « se jouent ici le présent et l'avenir du tourisme sénégalais ». Sans un personnel qualifié, il devient difficile pour le pays d'offrir une expérience touristique répondant aux standards internationaux et susceptible de rivaliser avec d'autres destinations africaines ou mondiales. Faouzou Dème, insiste lui aussi sur la nécessité d'investir dans la formation et la planification rigoureuse, rappelant que « si on veut 500.000 emplois, il faut […] une école de formation qui forme des employés, selon les besoins de l'évolution de la capacité litière ».

Les chiffres rapportés par l'expert Mamadou Pouye Tita sont éloquents : malgré l'augmentation des capacités d'accueil en nombre de lits (de 27.658 en 2014 à 41.500 en 2022), le niveau de l'emploi direct généré par le secteur hôtelier est resté stagnant sur la même période, autour de 28.035. Ce constat révèle « une grave situation de sous-emploi » avec moins d'un « emploi créé par chambre d'hôtel ».

Autrement dit, la croissance quantitative du parc hôtelier ne s'est pas traduite par une amélioration qualitative en termes d'opportunités professionnelles.

Les prix élevés pratiqués dans certains d'endroits constituent un autre frein de taille, surtout pour les touristes africains. Sémou Dione, guide touristique professionnel depuis de nombreuses années, l'explique clairement : « Avec la rareté de la clientèle due en grande partie à la cherté de la destination, et la faiblesse de la promotion du Sénégal, on comprend pourquoi le secteur du tourisme est en difficulté. » Mamadou Pouye Tita dénonce notamment le cumul des taxes sur le billet d'avion qui dépasse souvent le prix hors taxe du billet lui-même. Une telle fiscalité décourage les visiteurs potentiels et place le Sénégal en situation de désavantage. À cela s'ajoutent des problèmes récurrents d' « insalubrité et l'envahissement humain et animal, » sur certains sites, comme le relève Boubacar Sabaly, également directeur-général de l'hôtel Les Bougainvillées de Saly.

En outre, la question de la sécurité constitue une préoccupation croissante pour les acteurs du secteur. Faouzou Dème rappelle que « le touriste ne voyage pas dans les pays instables, dans les zones où il n'y a pas de sécurité ». Cette remarque s'est trouvée confirmée par une série d'incidents survenus en 2025 : en janvier, l'hôtel Riu Baobab de Pointe Sarène, un des derniers fleurons du tourisme haut de gamme, a été l'objet d'un braquage par des bandits armés, et en août, un vol et une agression armée ont été signalés à la résidence Les Diamantines de Saly. Ces épisodes ternissent l'image d'une destination sûre, mais qui se veut toujours plus accueillante.

16.10.2025 à 13:54

Au Guatemala, une jeunesse sacrifiée par l'insécurité économique et la faiblesse de la démocratie

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Près de trois décennies se sont écoulées depuis la fin de la guerre civile au Guatemala (1960-1996), mais la précarité généralisée de l'emploi, qui touche surtout les plus jeunes, continue d'assombrir les perspectives de vie d'une grande partie de la population, comme pour les générations précédentes. Depuis le début du siècle, sept gouvernements se sont succédé, sans apporter d'améliorations notables au quotidien des Guatémaltèques.
De fait, selon une enquête de 2021 sur la perception au (…)

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Près de trois décennies se sont écoulées depuis la fin de la guerre civile au Guatemala (1960-1996), mais la précarité généralisée de l'emploi, qui touche surtout les plus jeunes, continue d'assombrir les perspectives de vie d'une grande partie de la population, comme pour les générations précédentes. Depuis le début du siècle, sept gouvernements se sont succédé, sans apporter d'améliorations notables au quotidien des Guatémaltèques.

De fait, selon une enquête de 2021 sur la perception au sein de la population du modèle démocratique du pays, 52 % seulement des Guatémaltèques considèrent qu'il s'agit de la meilleure forme de gouvernement possible. Les opinions favorables à un hypothétique coup d'État, justifié par la corruption excessive du gouvernement, atteignaient 51 % il y a cinq ans. Aux élections de 2023, le soutien crucial des jeunes et de la population autochtone a porté au pouvoir le sociologue Bernardo Arévalo et son Movimiento Semilla, qui promettait de combattre la corruption endémique au sein de la société guatémaltèque, de défendre les droits humains et de renforcer l'État de droit dans le pays le plus peuplé d'Amérique centrale.

L'espoir suscité par sa victoire s'est toutefois évaporé depuis son accession au pouvoir, il y a 21 mois, et pour cause. Le gouvernement fait l'objet d'un harcèlement systématique de la part d'une justice sous la coupe du « Pacte des corrompus », une alliance entre parlementaires accusés de délits, politiciens d'extrême droite et des membres de l'élite économique guatémaltèque et d'organisations de narcotrafiquants qui exercent leur emprise sur l'exécutif et ont pour figure de proue la procureure générale, Consuelo Porras, principale instigatrice des manœuvres de harcèlement et de démolition.

Cependant, le président Arévalo pêche, lui aussi, par manque de créativité, d'esprit de corps et de capacité à mettre en œuvre ses projets et à rallier le soutien de la population. Et c'est d'autant plus regrettable que l'échec de son gouvernement ouvre la porte aux dérives démagogiques et à une plus grande ingérence des milieux d'affaires dans les décisions publiques.

Une économie « piégée »

Un instantané de la situation macroéconomique du pays pourrait conduire à des conclusions hâtives. Au cours des 15 dernières années, le taux de croissance moyen du produit intérieur brut (PIB) a été de 3,5 %, or pour réduire la pauvreté et garantir un travail décent, il faudrait un taux soutenu de 7 %, sans compter que la croissance du PIB est essentiellement portée par la consommation. Qui plus est, la santé macroéconomique est étayée par le dynamisme du principal « produit » d'exportation du Guatemala, à savoir ses migrants. En 2024, les transferts de fonds des migrants ont augmenté de 8,6 %, en glissement annuel, pour atteindre 21,51 milliards USD. Leur absence ou leur forte diminution se traduirait par une crise de la balance des paiements, des réserves internationales et du taux de change du quetzal par rapport aux monnaies étrangères.

Il y a quelques années, lorsque l'ambassadeur du Japon a visité l'ASIES – le centre de recherche où je travaille – il m'a demandé pourquoi, alors que le Guatemala est un pays riche en ressources naturelles et possède des avantages comparatifs et concurrentiels avérés, il y avait tant de pauvreté. Je lui ai répondu qu'à mon avis, plusieurs facteurs étaient en cause, dont l'inégalité, la faiblesse des institutions fiscales et publiques, la fragilité de l'État de droit et la corruption, notamment.

Juan Alberto Fuentes Knight, éminent économiste, ancien ministre des Finances publiques et ancien président d'OXFAM, qui a également participé à la fondation du Movimiento Semilla et a été la cible d'une persécution judiciaire de la part d'un parquet spécial contre l'impunité, lui-même contrôlé par le « Pacte des corrompus », explique dans son livre La economía atrapadaL'économie piégée ») que les grands consortiums familiaux qui dominent l'économie guatémaltèque conditionnent sa croissance.

J'ajouterais même qu'à travers leurs pratiques oligopolistiques, ces grands consortiums conditionnent également la croissance des petites et moyennes entreprises. Les entreprises sont la force dominante au Guatemala, bien plus que dans n'importe quel autre pays d'Amérique latine ou des Caraïbes, et leurs « relations » avec l'État, loin de favoriser une croissance inclusive, « donnent lieu à une économie piégée dans une trajectoire de croissance lente et inégale, avec une création d'emplois limitée ».

M. Fuentes Knight note que la stratégie de développement adoptée depuis 1986 a abouti à un État extrêmement lié au pouvoir économique, avec peu ou pas de marge de manœuvre pour promouvoir les intérêts de la société dans son ensemble, ce qui se traduit par « des taux élevés de chômage, d'inégalité et de pauvreté, des migrations massives et des activités illicites qui, faute d'alternatives, gagnent en attrait ».

Un développement bridé par la fuite des talents

Cet État entravé offre des opportunités minimales aux jeunes dans un pays où 32 % de la population a moins de 15 ans et où 28 % a entre 15 et 29 ans. Avec 60 % de ses habitants âgés de moins de 30 ans, le Guatemala présente le meilleur bonus démographique du continent. En d'autres termes, le pays se trouve dans une phase où la population en âge de travailler est supérieure à la population économiquement dépendante, ce qui représente une grande opportunité démographique pour le développement du pays. Or, force est de constater que la durée prévisible de ce phénomène, qui a commencé en 1977 et devrait se terminer en 2069, est déjà dépassée de moitié et peu de choses sont faites pour en tirer parti.

C'est ce que confirme l'enquête de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) de 2022 sur les migrations internationales et les envois de fonds des Guatémaltèques. Celle-ci montre que 88 % des personnes qui envoient des fonds depuis l'étranger ont émigré pendant leurs années productives et que 49 % d'entre elles avaient entre 15 et 24 ans lorsqu'elles ont entrepris le pénible et dangereux voyage vers le nord.

La population migrante aux États-Unis a été scolarisée pendant neuf ans en moyenne, alors que la moyenne nationale est de 6,6 ans, ce qui représente une perte importante d'une population jeune relativement éduquée.

Les perspectives d'emploi dans le pays sont peu réjouissantes, en particulier pour les jeunes. Le taux de chômage est faible, cependant le taux de travail informel est très élevé (78 % des actifs n'étaient pas inscrits à la sécurité sociale en 2023) et la productivité très faible (l'économie informelle n'a généré que 20 % du PIB au cours de l'année en question). Le revenu moyen de la population active était de 309 USD par mois, bien en deçà du minimum de 466 USD nécessaire à l'obtention du panier alimentaire de base en 2023.

En 2022, année qui a précédé les élections, l'ASIES a présenté une série de propositions dans le cadre du programme Guatemala caminaLe Guatemala en marche »), lesquelles devaient contribuer à l'élaboration des plans de gouvernement des partis participants. L'une de ces propositions, signée Carmen Ortiz, était intitulée Jóvenes y participación política : dos tendencias y un retoJeunes et participation politique : deux tendances, un défi »), qui reflète déjà l'apparente apathie, le désintérêt et même un supposé rejet de la politique et des politiciens de la part de la jeunesse guatémaltèque. Selon Mme Ortiz, les priorités des jeunes guatémaltèques tournent autour d'un emploi décent, d'un sentiment de sécurité et d'appartenance, du progrès et de la recherche d'un but dans la vie, alors que la conviction que le pays n'offre pas de débouchés fait apparaître la migration comme la seule alternative de vie possible.

En 2023, le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale a annoncé qu'il réviserait la politique nationale pour l'emploi décent (PNED) adoptée en 2017. Le gouvernement actuel a poursuivi ce processus, même si, après un an et demi, il reste inachevé, de sorte que seules des mesures isolées et de portée limitée ont été mises en œuvre.

Propositions pour un travail décent

Les propositions que nous avons élaborées dans le cadre de Guatemala Camina 2022, reprises dans le document Trabajo decente para los jóvenesUn travail décent pour les jeunes »), sont regroupées sous deux grands axes : améliorer l'accès à une éducation de qualité et faciliter l'intégration des jeunes sur le marché du travail.

Le premier axe comprend l'augmentation de la couverture du cycle secondaire diversifié, auquel seul un jeune sur quatre en âge de fréquenter l'école secondaire a actuellement accès ; la réduction de l'échec scolaire, qui touche un élève sur quatre du secondaire diversifié, et qui est aggravé par le fait que les écoles publiques n'admettent pas les redoublants ; la révision des programmes du cycle diversifié afin de les adapter aux catégories professionnelles prioritaires de la PNED (Politique nationale pour l'emploi digne) ; l'augmentation des possibilités de stages ou de formations en entreprise pour les élèves du secondaire diversifié, en sensibilisant les entreprises à la nécessité de réaliser de véritables stages et de ne pas leur confier des tâches non pertinentes ; la fourniture, dans le cadre du système éducatif, d'une orientation professionnelle et d'une orientation sur les droits du travail ; l'augmentation des ressources publiques – actuellement négligeables – destinées aux bourses d'études dans l'enseignement secondaire, l'extension de la couverture de la formation professionnelle dans les programmes courts et complémentaires et l'augmentation des fonds alloués à la bourse « Mi Primer Empleo » (« Mon premier emploi »), afin qu'elle soit assortie d'un contrat d'apprentissage, c'est-à-dire de mécanismes de tutorat et de contrôle qui garantissent l'utilité éducative de cette initiative, qui subventionne pendant quatre mois 51 % du coût salarial des jeunes nouvellement embauchés, afin de favoriser leur intégration sur le marché du travail en tant qu'apprentis.

Pour ce qui est du deuxième axe, nous proposons de mener des campagnes de sensibilisation afin que les employeurs et les agences de recrutement éradiquent les pratiques discriminatoires qui affectent les jeunes sur la base du lieu de résidence, du fait d'avoir étudié dans une école publique, de la tenue vestimentaire ou de l'orientation sexuelle, entre autres facteurs de discrimination qui stigmatisent et excluent de nombreux jeunes de l'accès à l'emploi formel.

Nous proposons en outre de renforcer le service national de l'emploi, en y intégrant une formation aux compétences non techniques (soft skills) et aux droits du travail, ainsi que de renforcer l'inspection du travail, pour une meilleure protection des droits des travailleurs, en particulier les droits les plus fondamentaux que sont la liberté syndicale et la négociation collective.

Le Guatemala peut-il se permettre de tourner le dos à ses jeunes alors qu'ils sont parmi les plus attachés à la démocratie et qu'ils ont été déterminants dans l'élection de Bernardo Arévalo ? Pour combien de temps encore va-t-on laisser passer l'aubaine que représente le bonus démographique pour la croissance immédiate et future du pays ?

15.10.2025 à 17:21

Vies et luttes des dockers du port de Dunkerque (Podcast)

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Texte intégral (2273 mots)

15.10.2025 à 11:38

Le « plan de paix » de Trump n'est qu'une mascarade

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Les plans de paix qui ont échoué ne manquent pas dans la Palestine occupée, tous comprenant des phases et des calendriers détaillés, depuis la présidence de Jimmy Carter. Ils se terminent tous de la même manière. Israël obtient ce qu'il veut au départ — dans le dernier cas, la libération des captifs israéliens restants — tout en ignorant et en violant toutes les autres phases jusqu'à ce qu'il reprenne ses attaques contre le peuple palestinien.
C'est un jeu sadique. Un manège mortel. Ce (…)

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Texte intégral (1921 mots)

Les plans de paix qui ont échoué ne manquent pas dans la Palestine occupée, tous comprenant des phases et des calendriers détaillés, depuis la présidence de Jimmy Carter. Ils se terminent tous de la même manière. Israël obtient ce qu'il veut au départ — dans le dernier cas, la libération des captifs israéliens restants — tout en ignorant et en violant toutes les autres phases jusqu'à ce qu'il reprenne ses attaques contre le peuple palestinien.

C'est un jeu sadique. Un manège mortel. Ce cessez-le-feu, comme ceux du passé, n'est qu'une pause publicitaire. Un moment où le condamné est autorisé à fumer une cigarette avant d'être abattu sous une pluie de balles. Une fois les captifs israéliens libérés, le génocide continuera. Je ne sais pas dans combien de temps. Espérons que le massacre de masse sera retardé d'au moins quelques semaines. Mais une pause dans le génocide est le mieux que nous puissions espérer. Israël est sur le point de vider Gaza, qui a été pratiquement rayée de la carte après deux ans de bombardements incessants. Il n'est pas question de l'arrêter. C'est l'aboutissement du rêve sioniste.

Les États-Unis, qui ont accordé à Israël une aide militaire colossale de 22 milliards de dollars depuis le 7 octobre 2023, ne fermeront pas leur pipeline, le seul outil susceptible de mettre fin au génocide.

Comme toujours, Israël accusera le Hamas et les Palestiniens de ne pas respecter l'accord, très probablement en refusant – à tort ou à raison – de désarmer, comme l'exige la proposition.

Washington, condamnant la violation présumée du Hamas, donnera le feu vert à Israël pour poursuivre son génocide afin de créer le fantasme de Trump d'une Riviera de Gaza et d'une « zone économique spéciale » avec la réinstallation « volontaire » des Palestiniens en échange de jetons numériques.

Ce n'est pas une voie viable vers la paix

Parmi les innombrables plans de paix proposés au fil des décennies, celui qui est actuellement sur la table est le moins sérieux. Hormis l'exigence que le Hamas libère les captifs dans les 72 heures suivant le début du cessez-le-feu [ce qui a été fait le 13 octobre, ndlr], il manque de précisions et de calendriers contraignants. Il est truffé de clauses permettant à Israël de dénoncer l'accord. Et c'est là tout le problème. Il n'est pas conçu pour être une voie viable vers la paix, ce que la plupart des dirigeants israéliens comprennent.

Le journal israélien le plus diffusé, Israel Hayom, fondé par le défunt magnat des casinos Sheldon Adelson pour servir de porte-parole au Premier ministre Benjamin Netanyahu et défendre le sionisme messianique, a conseillé à ses lecteurs de ne pas s'inquiéter du plan Trump, car il ne s'agit que de « rhétorique ». […]

Comment est-il possible qu'une proposition de paix ignore l'avis consultatif rendu en juillet 2024 par la Cour internationale de justice, qui réitérait que l'occupation israélienne est illégale et doit cesser ?

Comment peut-elle omettre de mentionner le droit des Palestiniens à l'autodétermination ? Pourquoi les Palestiniens, qui ont le droit, en vertu du droit international, de mener une lutte armée contre une puissance occupante, devraient-ils déposer les armes alors qu'Israël, la force d'occupation illégale, n'est pas tenu de le faire ?

De quel droit les États-Unis peuvent-ils mettre en place un « gouvernement de transition temporaire » – le soi-disant « Conseil de paix » de Trump et Tony Blair – qui met de côté le droit des Palestiniens à l'autodétermination ? […]

Comment les Palestiniens sont-ils censés se résigner à accepter une « barrière de sécurité » israélienne aux frontières de Gaza, confirmation que l'occupation va se poursuivre ?

Comment une proposition peut-elle ignorer le génocide au ralenti et l'annexion de la Cisjordanie ?

Pourquoi Israël, qui a détruit Gaza, n'est-il pas tenu de payer des réparations ?

Que doivent penser les Palestiniens de la demande formulée dans la proposition visant à « déradicaliser » la population de Gaza ? Comment cela pourrait-il être réalisé ? Par des camps de rééducation ? Une censure généralisée ? La réécriture des programmes scolaires ? L'arrestation des imams fautifs dans les mosquées ?

Et qu'en est-il de la rhétorique incendiaire régulièrement employée par les dirigeants israéliens qui décrivent les Palestiniens comme des « animaux humains » et leurs enfants comme des « petits serpents » ?

« Tout Gaza et tous les enfants de Gaza devraient mourir de faim », a déclaré le rabbin israélien Ronen Shaulov. « Je n'ai aucune pitié pour ceux qui, dans quelques années, grandiront et n'auront aucune pitié pour nous. Seule une cinquième colonne stupide, qui déteste Israël, a de la pitié pour les futurs terroristes, même s'ils sont encore jeunes et affamés aujourd'hui. J'espère qu'ils mourront de faim, et si quelqu'un a un problème avec ce que j'ai dit, c'est son problème. »

Les violations des accords de paix par Israël ont des précédents historiques

Les accords de Camp David, signés en 1978 par le président égyptien Anwar Sadat et le Premier ministre israélien Menachem Begin — sans la participation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) — ont conduit au traité de paix égypto-israélien de 1979, qui a normalisé les relations diplomatiques entre Israël et l'Égypte.

Les phases suivantes des accords de Camp David, qui comprenaient la promesse d'Israël de résoudre la question palestinienne avec la Jordanie et l'Égypte, d'autoriser l'autonomie palestinienne en Cisjordanie et à Gaza dans un délai de cinq ans et de mettre fin à la construction de colonies israéliennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, n'ont jamais été mises en œuvre.

Les premiers accords d'Oslo, signés en 1993, ont vu l'OLP reconnaître le droit d'Israël à exister et Israël reconnaître l'OLP comme le représentant légitime du peuple palestinien. Cependant, il s'ensuivit une perte de pouvoir de l'OLP et sa transformation en une force de police coloniale.

Oslo II, signé en 1995, détaillait le processus menant à la paix et à la création d'un État palestinien. Mais lui aussi fut mort-né. Il stipulait que toute discussion sur les « colonies » juives illégales devait être reportée jusqu'aux négociations sur le statut « final ».

À cette date, le retrait militaire israélien de la Cisjordanie occupée devait être achevé. Le pouvoir devait être transféré d'Israël à l'Autorité palestinienne, censée être temporaire. Au lieu de cela, la Cisjordanie a été divisée en zones A, B et C. L'Autorité palestinienne avait un pouvoir limité dans les zones A et B, tandis qu'Israël contrôlait l'ensemble de la zone C, soit plus de 60 % de la Cisjordanie.

Le droit des réfugiés palestiniens à retourner sur les terres historiques que les colons juifs leur avaient prises en 1948 lors de la création d'Israël – un droit inscrit dans le droit international – a été abandonné par le premier responsable de l'OLP, Yasser Arafat. Cela a immédiatement aliéné de nombreux Palestiniens, en particulier ceux de Gaza, où 75 % de la population est composée de réfugiés ou de descendants de réfugiés.

En conséquence, de nombreux Palestiniens ont abandonné l'OLP au profit du Hamas. Le philosophe palestinien Edward Said a qualifié les accords d'Oslo d'« instrument de capitulation palestinienne, de Versailles palestinien » et a fustigé Arafat en le qualifiant de « Pétain des Palestiniens ».

Les retraits militaires israéliens prévus dans le cadre des accords d'Oslo n'ont jamais eu lieu. Il y avait environ 250.000 colons juifs en Cisjordanie lorsque les accords d'Oslo ont été signés. Leur nombre est aujourd'hui passé à au moins 700.000.

Le journaliste britannique Robert Fisk a qualifié Oslo de « simulacre, de mensonge, de stratagème visant à piéger Arafat et l'OLP afin qu'ils renoncent à tout ce qu'ils avaient recherché et pour quoi ils s'étaient battus pendant plus d'un quart de siècle, une méthode visant à créer de faux espoirs afin d'émasculer l'aspiration à la création d'un État ».

Israël a rompu unilatéralement le dernier cessez-le-feu de deux mois le 18 mars dernier en lançant des frappes aériennes surprises sur Gaza.

Le bureau de Netanyahu a affirmé que la reprise de la campagne militaire était une réponse au refus du Hamas de libérer les otages, à son rejet des propositions de prolongation du cessez-le-feu et à ses efforts de réarmement. Israël a tué plus de 400 personnes lors de l'assaut initial mené pendant la nuit et en a blessé plus de 500, massacrant et blessant des gens dans leur sommeil.

L'attaque a fait échouer la deuxième phase de l'accord, qui aurait vu le Hamas libérer les captifs masculins encore en vie, civils et soldats, en échange de prisonniers palestiniens et de l'établissement d'un cessez-le-feu permanent, ainsi que de la levée éventuelle du blocus israélien de Gaza.

Israël mène des attaques meurtrières contre Gaza depuis des décennies, qualifiant cyniquement les bombardements de « tonte de la pelouse ». Aucun accord de paix ou de cessez-le-feu n'a jamais fait obstacle à cela. Celui-ci ne fera pas exception.
Cette saga sanglante n'est pas terminée. Les objectifs d'Israël restent inchangés : la dépossession et l'effacement des Palestiniens de leur terre.

La seule paix qu'Israël entend offrir aux Palestiniens est celle de la tombe.


Ceci est une version abrégée d'un article qui a été publié pour la première fois par Chris Hedges sur Substack le 11 octobre 2025.

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