Jusqu'ici, l'expression "Gen Z" servait surtout, en Occident notamment, à décrire une génération née entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000, parfois décrite comme apolitique et dont les manières déconcertaient ses aînés dans le monde universitaire ou professionnel.
Elle désigne désormais des mouvements éruptifs de jeunes frustrés par les inégalités qui ont, en quelques semaines d'été et d'automne, multiplié les manifestations et ébranlé des gouvernements sur trois continents où la jeunesse est nombreuse (Afrique, où près de 60% de la population a moins de 25 ans selon l'ONU, Asie, Amérique latine). Et marqué l'actualité internationale en faisant chuter deux d'entre eux, au Népal et à Madagsacar.
La révolte des jeunes dans l'histoire des sociétés n'est pas une nouveauté, jusqu'à celles de ces dernières décennies (mouvement des Indignés en Espagne, printemps arabes...). Mais celle estampillée "Gen Z", nom popularisé pour la première fois dans des manifestations l'an dernier au Kenya, apparaît novatrice à plusieurs niveaux.
D'abord par sa vitesse de diffusion via des appels à manifester relayés sur Discord, Instagram ou Tiktok qui ont dopé les mobilisations en temps réel, portées au départ par une jeunesse hyperconnecté, très active à défaut d'être majoritaire, puis étendues à d'autres catégories.
Ensuite par son aspiration à dépasser les revendications locales pour devenir "le nouveau visage revendiqué d'une révolte mondiale et générationnelle", explique Cécile Van de Velde, sociologue spécialiste de la jeunesse et professeure à l'Université de Montréal.
Du local au global
Une unité portée par l'appellation "Gen Z", déclinée en variantes locales, et un emblème devenu commun: le drapeau de tête mort à chapeau de paille de One Piece, série manga japonaise au succès planétaire, que les journalistes de l'AFP ont vu flotter cette année en manifestation dans plus d'une dizaine de pays, brandis par ces mouvements spontanés.
"J'ai grandi avec One Piece, comme la grande majorité de la Gen Z, donc c'est devenu un symbole pour nous", a expliqué à l'AFP "Kai", 26 ans, un manifestant malgache anonyme, en soulignant le "message" évident porté par cet emblème pirate: la lutte contre les "gouvernements qui oppriment".
La révolte de Madagascar a suivi de peu celle au Népal. "Le Népal a ouvert la voie. On a vu ce qu'il s'est passé, le drapeau levé, les liens ont été faits avec One Piece. Et on s'est dit: c'est bon, ras-le-bol", a témoigné à l'AFP Elliot Randriamandrato, un des porte-paroles du mouvement.
Au départ, les étincelles étaient des revendications bien locales: les bas salaires, le chômage et les violences policières en Indonésie, la corruption des élites et l'interdiction des réseaux sociaux au Népal, les coupures d'eau et d'électricité à Madagascar, les inégalités dans l'éducation et la santé au Maroc, la criminalité et la crise politique permanente au Pérou, les nouvelles taxes au Kenya...
"Dans les déclencheurs des mobilisations, il y a d'abord la volonté des jeunes de défendre des biens communs essentiels, leur refus d'être dépossédés de manière très concrète d'éléments de survie de base: santé, sécurité, représentation politique", explique Mme Van de Velde.
"Mais ces revendications locales montrent des aspirations très communes contre la spoliation et les abus des Etats, et de l'oligarchie économique et politique qui les dirigent", ajoute-t-elle.
Résultats mitigés
Mais avec quelle efficacité? Les résultats restent jusqu'ici très inaboutis.
A Madagascar, l'armée a pris le pouvoir après la fuite du président et a nommé un gouvernement faisant la part belle au sérail politique, qui rebute la Gen Z.
A l'inverse au Népal, les activistes ont choisi la Première ministre intérimaire, l'ex-cheffe de la Cour suprême Sushila Karki, désignée après un vote sur la plateforme Discord. Elle a depuis nommé une commission pour faire la lumière sur la mort de jeunes tués lors des manifestations.
Au Maroc, les manifestants ont obtenu quelques mesures de modernisation de la vie publique et des efforts budgétaires, avec notamment la création et la rénovation d'hôpitaux.
Après ces quelques mois de révoltes échevelées, les mobilisations se sont pour l'heure taries.
Et si des noyaux de militants "Gen Z" sont organisés, leur caractère spontané, horizontal et peu structuré, ainsi que leur absence de leadership, ne leur permet pas pour l'heure de proposer un projet politique au-delà des revendications initiales.
La répression policière massive et parfois meurtrière des manifestations a également empêché ces mouvements d'aller plus avant. Fin octobre, plus de 2.400 personnes, dont plus de 1.400 placées en détention, faisaient l'objet de poursuites à la suite des manifestations au Maroc.
Au Népal, "on est dans la deuxième phase du mouvement" qui mène jusqu'aux élections prévue mars 2026, a expliqué à l'AFP un des manifestants, Yujan Rajbhandari. Quelques figures ont émergé mais elles n'ont pas rejoint le gouvernement. Le mouvement, qui continue à cibler la corruption, sensibilise désormais à l'inscription sur les listes électorales, sur le terrain comme en ligne.
Yujan Rajbhandari le promet: "On n'arrêtera pas."
burs-clv-emd/fal/hba
Texte intégral (904 mots)
Jusqu'ici, l'expression "Gen Z" servait surtout, en Occident notamment, à décrire une génération née entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000, parfois décrite comme apolitique et dont les manières déconcertaient ses aînés dans le monde universitaire ou professionnel.
Elle désigne désormais des mouvements éruptifs de jeunes frustrés par les inégalités qui ont, en quelques semaines d'été et d'automne, multiplié les manifestations et ébranlé des gouvernements sur trois continents où la jeunesse est nombreuse (Afrique, où près de 60% de la population a moins de 25 ans selon l'ONU, Asie, Amérique latine). Et marqué l'actualité internationale en faisant chuter deux d'entre eux, au Népal et à Madagsacar.
La révolte des jeunes dans l'histoire des sociétés n'est pas une nouveauté, jusqu'à celles de ces dernières décennies (mouvement des Indignés en Espagne, printemps arabes...). Mais celle estampillée "Gen Z", nom popularisé pour la première fois dans des manifestations l'an dernier au Kenya, apparaît novatrice à plusieurs niveaux.
D'abord par sa vitesse de diffusion via des appels à manifester relayés sur Discord, Instagram ou Tiktok qui ont dopé les mobilisations en temps réel, portées au départ par une jeunesse hyperconnecté, très active à défaut d'être majoritaire, puis étendues à d'autres catégories.
Ensuite par son aspiration à dépasser les revendications locales pour devenir "le nouveau visage revendiqué d'une révolte mondiale et générationnelle", explique Cécile Van de Velde, sociologue spécialiste de la jeunesse et professeure à l'Université de Montréal.
Du local au global
Une unité portée par l'appellation "Gen Z", déclinée en variantes locales, et un emblème devenu commun: le drapeau de tête mort à chapeau de paille de One Piece, série manga japonaise au succès planétaire, que les journalistes de l'AFP ont vu flotter cette année en manifestation dans plus d'une dizaine de pays, brandis par ces mouvements spontanés.
"J'ai grandi avec One Piece, comme la grande majorité de la Gen Z, donc c'est devenu un symbole pour nous", a expliqué à l'AFP "Kai", 26 ans, un manifestant malgache anonyme, en soulignant le "message" évident porté par cet emblème pirate: la lutte contre les "gouvernements qui oppriment".
La révolte de Madagascar a suivi de peu celle au Népal. "Le Népal a ouvert la voie. On a vu ce qu'il s'est passé, le drapeau levé, les liens ont été faits avec One Piece. Et on s'est dit: c'est bon, ras-le-bol", a témoigné à l'AFP Elliot Randriamandrato, un des porte-paroles du mouvement.
Au départ, les étincelles étaient des revendications bien locales: les bas salaires, le chômage et les violences policières en Indonésie, la corruption des élites et l'interdiction des réseaux sociaux au Népal, les coupures d'eau et d'électricité à Madagascar, les inégalités dans l'éducation et la santé au Maroc, la criminalité et la crise politique permanente au Pérou, les nouvelles taxes au Kenya...
"Dans les déclencheurs des mobilisations, il y a d'abord la volonté des jeunes de défendre des biens communs essentiels, leur refus d'être dépossédés de manière très concrète d'éléments de survie de base: santé, sécurité, représentation politique", explique Mme Van de Velde.
"Mais ces revendications locales montrent des aspirations très communes contre la spoliation et les abus des Etats, et de l'oligarchie économique et politique qui les dirigent", ajoute-t-elle.
Résultats mitigés
Mais avec quelle efficacité? Les résultats restent jusqu'ici très inaboutis.
A Madagascar, l'armée a pris le pouvoir après la fuite du président et a nommé un gouvernement faisant la part belle au sérail politique, qui rebute la Gen Z.
A l'inverse au Népal, les activistes ont choisi la Première ministre intérimaire, l'ex-cheffe de la Cour suprême Sushila Karki, désignée après un vote sur la plateforme Discord. Elle a depuis nommé une commission pour faire la lumière sur la mort de jeunes tués lors des manifestations.
Au Maroc, les manifestants ont obtenu quelques mesures de modernisation de la vie publique et des efforts budgétaires, avec notamment la création et la rénovation d'hôpitaux.
Après ces quelques mois de révoltes échevelées, les mobilisations se sont pour l'heure taries.
Et si des noyaux de militants "Gen Z" sont organisés, leur caractère spontané, horizontal et peu structuré, ainsi que leur absence de leadership, ne leur permet pas pour l'heure de proposer un projet politique au-delà des revendications initiales.
La répression policière massive et parfois meurtrière des manifestations a également empêché ces mouvements d'aller plus avant. Fin octobre, plus de 2.400 personnes, dont plus de 1.400 placées en détention, faisaient l'objet de poursuites à la suite des manifestations au Maroc.
Au Népal, "on est dans la deuxième phase du mouvement" qui mène jusqu'aux élections prévue mars 2026, a expliqué à l'AFP un des manifestants, Yujan Rajbhandari. Quelques figures ont émergé mais elles n'ont pas rejoint le gouvernement. Le mouvement, qui continue à cibler la corruption, sensibilise désormais à l'inscription sur les listes électorales, sur le terrain comme en ligne.
Yujan Rajbhandari le promet: "On n'arrêtera pas."
burs-clv-emd/fal/hba