22.11.2024 à 11:02
Banjo Damilola
#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Dans cet article, la journaliste du Nigeria, Banjo Damilola, évalue l’impact du data-journalisme sur le continent pour mettre les gouvernants devant leurs responsabilités, notamment sur les féminicides au Kenya par exemple, et relève les nombreux obstacles et défis du secteur.
Début 2024, le studio de données Odipo Dev, basé à Nairobi, s’est associé au collectif de data-journalisme Africa Data Hub pour comprendre l’épidémie continue de féminicides au Kenya. Dans le cadre du projet, appelé Silencing Women (Réduire les femmes au silence), les deux groupes ont créé une base de données historique qui regroupe les noms et circonstances du décès de plus 500 femmes victimes de violence domestique dans le pays entre 2016 et 2023.
“Lorsque nous avons publié la base de données, nous avons constaté que nos conclusions démystifiaient ce qui était dit sur ces femmes”, déclare Felix Kiprono, responsable des médias chez Odipo Dev. Il explique que les données réfutaient pour la première fois, grâce à des statistiques, l’hypothèse selon laquelle les victimes se mettaient elles-mêmes en danger. “Nous avons constaté que 75 % (sur les 500 cas) des femmes sont tuées par leur mari ou leur compagnon.”
Le travail réalisé dans le cadre du projet a eu un impact presque immédiat sur le système judiciaire du pays. Quelques mois seulement après le lancement du projet, une présidente du tribunal au Kenya a fait référence à la base de données Silencing Women en déterminant la peine d’un homme jugé coupable du meurtre d’une femme d’affaires assassinée à son domicile en 2018.
Pour Kiprono, c’est juste un exemple qui illustre tous les efforts déployés pour que les dirigeants au Kenya rendent des comptes. “Les données révèlent bien des choses”, ajoute-t-il. “Elles permettent de mieux comprendre une situation. Elles servent de point de référence. Lorsque vous les compilez, il se passe quelque chose. Vous commencez à avoir une vue d’ensemble.”
Le projet Silencing Women n’est certainement pas un phénomène à part. Sur tout le continent, le data-journalisme a également beaucoup de succès et devient rapidement un outil puissant source de transparence, de redevabilité et d’impact social. Pourtant, en Afrique, le data-journalisme se heurte encore à de nombreux obstacles, notamment le manque d’accès à des informations fiables, surtout auprès des gouvernements répressifs, la nécessité de former davantage de personnes pour enrichir la base de connaissances de la génération actuelle de journalistes, et également de la suivante, et un manque de soutien financier pour alimenter ce secteur.
La pandémie de COVID-19 a été un tournant pour de nombreuses plateformes de data-journalisme en Afrique. Pour The Outlier, un site basé en Afrique du Sud, elle a marqué l’essor de ses enquêtes basées sur des données. “Nous n’avions rien d’autre à faire”, se rappelle Alastair Otter, co-fondateur du projet. Nous avons donc commencé à créer des tableaux de bord pour suivre l’impact de la pandémie.
Ces tableaux de bord sont devenus une source cruciale d’informations pour les Sud-Africains, en proposant des bulletins d’informations hebdomadaires qui replaçaient en contexte les chiffres du gouvernement et indiquaient les taux d’hospitalisation, de décès et de vaccination. Ils collectaient et interprétaient des données pour indiquer les variations et les tendances, mais également pour surveiller les interventions du gouvernement et la mise en œuvre des programmes d’aide.
Ces informations étaient alors gratuitement mises à la disposition d’autres organes de presse qui les utilisaient dans le cadre de leurs enquêtes. Otter ajoute qu’ils avaient généré environ 40 graphiques pour toute l’Afrique du Sud, aux niveaux national et provincial, et que l’équipe avait collecté des dons d’une valeur d’environ 120 000 rands (l’équivalent de 6 700 dollars américains) pour couvrir les coûts de stockage. (The Outlier a cessé d’actualiser le tableau de bord en 2022, mais a publié un récapitulatif de deux années de visualisations de données sur le COVID-19 dans son article Deux années de coronavirus en Afrique du Sud (Two Years of Coronavirus in South Africa).)
“Les données sont un allier très puissant”, ajoute Otter. “Je ne dis pas qu’elles sont toujours justes, car elles peuvent être déformées, mais si elles sont traitées correctement et de manière responsable, elles peuvent donner à ceux qui les utilisent les moyens de faire avancer les choses.” (Note de la rédaction : Alastair Otter a travaillé pour GIJN de 2018 à 2022.)
Alors que The Outlier a commencé à exploiter des données pendant la pandémie, d’autres plateformes de données en Afrique tiraient déjà parti de leur expertise en matière de traitement de vastes ensembles de données pour aider les gens à mieux comprendre leur nouveau monde. Au Nigeria, Dataphyte a surveillé les fonds d’aide et la distribution de matériel de secours dans tout le pays, Nukta Africa a surveillé l’impact de la pandémie sur plusieurs secteurs, ainsi que le comportement des Tanzaniens face à leur nouvelle réalité, et, via Open Cities Lab, Africa Data Hub a lutté contre la désinformation en utilisant des données, puis développé des outils pour assurer le suivi des cas d’infection et des taux de vaccination.
Africa Women Journalism Project (Projet de journalisme par les femmes en Afrique, AWJP), une plateforme de data-journalisme dirigée par des femmes, qui enquête sur les problèmes dans tout le continent, a réalisé un reportage sur les dépenses publiques liées au COVID-19 au Kenya, en Ouganda et au Nigeria. Le projet a révélé la mauvaise gestion de fonds destinés aux services de santé. Cette enquête basée sur des données a provoqué un tollé et donné lieu à des discussions sur les moyens d’améliorer la transparence des dépenses du gouvernement.
Un des rapports d’AWJP a examiné l’état de préparation des comtés du Kenya face au virus alors que le nombre de victimes était à la hausse et que la deuxième vague touchait le pays. Le rapport, publié en partenariat avec The Star, un site web d’actualités au Kenya, a révélé que les gouvernements des comtés n’étaient pas suffisamment préparés à faire face à une recrudescence des cas de COVID-19. Le rapport avait interrogé les données du Kenya National Bureau of Statistics (Bureau national des statistiques du Kenya) et de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (Institut pour les indicateurs et l’évaluation de la santé, IHME) afin d’établir des projections et de reconstituer des scénarios à l’échelle des comtés.
Il y a une grande différence entre des données brutes et des informations digestibles et concrètes qui permettent de former des opinions et de prendre des décisions éclairées. Au Nigeria, Dataphyte, un centre de données fondé par Joshua Olufemi, essaie de convertir des données complexes en histoires faciles à comprendre pour aider les Nigérians à prendre des décisions en connaissance de cause. “Le journalisme traditionnel parvient rarement à vulgariser des problèmes complexes”, déclare Olufemi, en ajoutant que Dataphyte change cet état de fait en utilisant des données comme un outil de communication, plutôt que comme un accessoire.
Cette approche permet à l’organisation d’orienter les conversations et elle fournit au public des données précieuses susceptibles d’influencer non seulement l’engagement civique, mais également les points de vue personnels. Cela a été confirmé lorsque l’équipe a utilisé des données historiques pour communiquer des informations clés sur les résultats des élections de 2023 au Nigeria. Olufemi explique que le projet devait s’inscrire dans le cadre d’une réponse à la propagande et aux sondages manipulés utilisés par les hommes politiques pour influencer l’opinion du public avant l’élection.
“Nous ne nous contentons pas de faire des enquêtes, nous apportons des preuves qui permettent d’exiger des dirigeants en place qu’ils rendent des comptes”, dit-il. “Ainsi, pour nous, la science de la décision représente un avantage au niveau local dont bénéficie notre audience lorsqu’elle doit prendre des décisions concernant ses moyens de subsistance, son style de vie et son existence.”
En Tanzanie, Nukta Africa a également adopté la narration basée sur des données. La plateforme, dirigée par Nuzulack Dausen, utilise des visualisations de données et des infographies pour permettre à des communautés qui parlent le swahili de prendre plus facilement connaissance de problèmes complexes liés notamment à la santé publique et à l’éducation.
“Nous avons voulu contribuer à la création d’une société qui peut prendre des décisions basées sur des données”, explique Dausen. “Parfois, nous créons des icônes pour simplifier la visualisation des données qui sont alors plus faciles à comprendre. Il arrive aussi que les icônes disponibles ne reflètent pas non plus notre réalité. Nous concevons donc nos propres icônes pour illustrer ces réalités.”
Par ailleurs, des sites de data-journalisme en Afrique mettent en place des structures garantissant une redevabilité systématique.
Par exemple, Africa Data Hub a créé une extension Chrome qui met en surbrillance les noms associés à des scandales de corruption dès qu’ils apparaissent dans des enquêtes ou des recherches sur le web. Les utilisateurs peuvent cliquer sur ces noms pour accéder aux allégations de corruption à l’encontre de ces personnes, ce qui permet de renforcer les efforts de promotion de la transparence.
The Outlier a fait un travail semblable pour traiter le problème persistant des toilettes à fosse en Afrique du Sud. Après plusieurs incidents très médiatisés liés au décès d’enfants dans ces toilettes extérieures, le président Cyril Ramaphosa a demandé le retrait progressif des toilettes à fosse dans les écoles. Il a donné trois mois au ministère de l’Éducation pour mettre un plan en place, mais l’intervention du gouvernement n’a pas été à la hauteur de ses promesses. En 2021, un tribunal sud-africain a ordonné au gouvernement de supprimer toutes les toilettes à fosse et de les remplacer par des installations modernes, en exigeant des rapports d’avancement trimestriels.
En combinant les données du gouvernement et le travail de terrain, The Outlier surveille les progrès du gouvernement en matière d’amélioration des installations sanitaires et d’autres infrastructures scolaires. Section27, un cabinet d’avocats spécialisé dans les droits humains, utilise ces conclusions pour étayer les preuves nécessaires afin de vérifier les rapports du gouvernement au tribunal.
Malgré ces avancées, le data-journalisme en Afrique se heurte encore à des obstacles de taille. L’un des plus importants est l’accès à des données fiables. “Les gouvernements limitent souvent l’accès aux données, ce qui complique la tâche des journalistes qui recherchent les informations dont ils ont besoin”, explique Olufemi. Ce manque de transparence est un problème courant qui touche l’ensemble du continent, que les données soient indisponibles, difficiles à obtenir ou qu’elles manquent d’intégrité à l’échelle locale.
Les lacunes en matière de compétences techniques posent également problème. Nombreux sont les journalistes qui n’ont pas la formation requise pour pouvoir analyser et interpréter des ensembles de données complexes. “Nous manquons de data-journalistes qualifiés”, explique Dausen. “Parfois, nous devons faire appel à des sous-traitants qui nous aident à analyser les données, car nos ressources n’ont pas les compétences requises.”
Catherine Gicheru, directrice d’AWJP, explique que les restrictions du gouvernement et le manque de compétences techniques compliquent la tâche des journalistes qui souhaitent réaliser des enquêtes basées sur des données. “Beaucoup de femmes journalistes n’ont tout simplement ni la formation ni le niveau de connaissance des données nécessaires pour se lancer dans des analyses et interpréter les chiffres”, ajoute-t-elle.
Pour surmonter ces obstacles, AWJP, comme bien d’autres plateformes de data-journalisme en Afrique, propose des services de formation et de mentorat en plus des narrations et des enquêtes. AWJP enseigne aux femmes journalistes les compétences nécessaires pour analyser les données, créer des visualisations et réaliser des enquêtes convaincantes via des ateliers et des mentorats individuels. Lorsqu’il est difficile d’accéder aux données, les journalistes d’AWJP font appel à d’autres stratégies, telles que la production participative de données ou la collecte de récits de première main auprès des communautés.
On peut citer, par exemple, le travail d’AWJP sur la violence sexiste au Nigeria, dans le cadre duquel des journalistes ont eu des difficultés à accéder à des données officielles sur des cas signalés, indique Gicheru. Les journalistes ont dû lancer des initiatives locales en collectant des témoignages de femmes et en demandant à la population de participer à la collecte de données qui ne figuraient pas dans les documents du gouvernement.
“En faisant preuve de créativité, il est toujours possible de rassembler et d’utiliser des informations”, ajoute-t-elle.
“L’accès aux informations et la disponibilité des données posent toujours un problème majeur”, ajoute Kamtchang. Il constate qu’en 2024, huit des 29 pays africains bénéficiant de lois en vigueur sur l’accès aux informations sont francophones. “Ces lois n’ont toutefois pas évolué pour s’adapter aux défis que représentent actuellement les données ouvertes”, constate-t-il.
Le data-journalisme n’est donc pas encore très répandu en Afrique francophone. Mais Data Cameroon persévère. Ils proposent régulièrement des bourses pour les écoles de data-journalisme, avec le soutien de partenaires comme le Center for Advanced Defence Studies (Centre supérieur d’études de défense nationale, C4ADS) basé à Washington, DC, une organisation à but non lucratif spécialisée dans les réseaux illégaux à l’échelle mondiale.
“Nous sollicitons l’aide des analystes de données de C4ADS, qui développent les capacités lorsque la bourse est octroyée et soutiennent ensuite ceux qui en bénéficient dans leurs travaux de collecte et d’analyse des données”, explique Kamtchang. Parmi les enquêtes réalisées dans le cadre de ces initiatives de formation, l’une d’entre elles expose les milliards investis par des hommes politiques et hommes d’affaires centrafricains dans des propriétés à Dubaï, ainsi que l’implication de Boko Haram et d’autres groupes armés non étatiques dans des enlèvements dans le bassin du lac Tchad.
Le plus grand défi auquel les rédactions de data-journalisme sont confrontées est sans doute le financement. Alors que ce problème touche l’ensemble du secteur du journalisme, il affecte particulièrement les organes de presse qui s’appuient sur des données. Olufemi, le fondateur de Dataphyte, explique que le financement des enquêtes basées sur des données est insuffisant.
Chez The Outlier, Otter confirme cet état de fait en ajoutant que le financement est un problème persistant. Le data-journalisme nécessite de nombreuses ressources, des outils coûteux, des logiciels et de la formation. Les data-journalistes dépendent essentiellement de subventions et de financement externe pour se maintenir à flot.
“Le data-journalisme présente beaucoup de difficultés”, déclare Otter. “Nous devons trouver des moyens créatifs de générer des revenus, via des formations, des événements ou des collaborations avec des ONG.”
Banjo Damilola est une journaliste d’investigation du Nigeria. Elle a enquêté sur la corruption dans le système judiciaire et documenté les malversations au sein de la police nigériane, des tribunaux et de l’administration pénitentiaire. Elle a reçu une mention élogieuse du Centre Wole Soyinka pour le journalisme d’investigation et a été finaliste du prix 2019 de la Fondation Thompson pour les jeunes journalistes.
21.11.2024 à 11:50
Josiane Kouagheu
#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Dans cet article, la journaliste d’investigation Josiane Kouagheu, dresse le profil du Collectif de journalistes basé au Cameroun, The Museba Project, membre de GIJN, qui a une double mission : former des journalistes dans un premier temps et ensuite les encourager à travailler ensemble.
En septembre 2018, le journaliste d’investigation camerounais chevronné Christian Locka a rencontré la journaliste d’investigation colombienne María Teresa Ronderos à Londres. Ils participaient tous les deux à une formation consacrée aux enquêtes sur les flux financiers illicites, organisée à City, University of London dans le quartier d’Islington, juste au nord de la « Cité de Londres », le district financier historique de la capitale.
À cette occasion, Ronderos annonça à Locka qu’elle était en train de mettre sur pied un projet avec des amis et des collègues, à savoir un organe de presse spécialisé dans les investigations collaboratives et transfrontalières en Amérique latine appelé El CLIP, lequel fut lancé l’année suivante sous la forme initiale d’un groupe de trois journalistes expérimentés originaires d’Argentine, de Colombie et du Costa Rica.
Cette rencontre s’est avérée fatidique, car source d’inspiration des propres ambitions de Locka, et parce que, plus tard, il allait collaborer avec Ronderos dans le cadre d’investigations transfrontalières.
“À cette époque, je recherchais partout au Cameroun et en Afrique centrale des journalistes qui souhaitaient réaliser des enquêtes, mais il y en avait peu”, indique Locka. “Pourtant, c’est une région sujette aux scandales, au crime organisé, à la corruption et aux abus des droits humains.”
“Riche paysage médiatique”
Dans la sous-région d’Afrique centrale, les journalistes sont souvent menacés dans le cadre de leur travail. Nombre d’entre eux ont été tués, harcelés, emprisonnés et contraints à l’exile. Reporters sans frontières (RSF) a placé le Cameroun en 130e position sur 180 pays dans son classement mondial de la liberté de la presse 2024. Dans son rapport, RSF a indiqué que bien que le Cameroun bénéficie en Afrique d’un des “paysages médiatiques les plus riches”, avec plus de 600 journaux, environ 200 stations de radio et plus de 60 chaînes de télévision, ce pays est également l’un des plus dangereux du continent pour les journalistes. Trois journalistes ont été tués au Cameroun en 2023.
On peut citer l’affaire bien connue de l’assassinat d’Arsène Salomon Mbani Zogo. Le 22 janvier 2023, le corps mutilé du célèbre animateur radio de 50 ans, connu sous le nom de “Martinez Zogo”, était découvert dans un quartier proche de Yaounde, la capitale du Cameroun. Il avait également été torturé. Avant sa mort, il avait dénoncé la corruption du gouvernement. Depuis, plus de 15 suspects ont été arrêtés, parmi lesquels plusieurs membres des services de renseignement camerounais et un puissant homme d’affaires.
D’après le Comité pour la protection des journalistes, “les attaques ciblant la presse se sont multipliées alors que le Cameroun se prépare aux élections de 2025 à l’issue desquelles il n’est pas exclu que le mandat de [Paul] Biya, un des plus vieux dirigeants élus en exercice au monde, soit renouvelé pour sept années supplémentaires”. À l’heure actuelle, six journalistes camerounais sont en détention.
Double mission
Après son voyage à Londres, Christian Locka était convaincu qu’en mettant en place un réseau de journalistes d’investigation bien formé et qui travaillent ensemble au sein de la région, il pourrait protéger ces derniers. Il a commencé à faire part de son idée à des collègues de la République démocratique du Congo (RDC) et de la République centrafricaine intéressés par le journalisme d’investigation. Dans les deux pays, la liberté de la presse est tout aussi fragile. Le gouvernement, des groupes armés et des hommes d’affaires aisés ciblent régulièrement les journalistes.
En 2020, Locka a lancé The Museba Project dans le cadre du MUSEBA Journalism Project, un media à but non-lucratif qui assure la promotion du journalisme d’investigation en Afrique centrale et dans la région des Grands Lacs, en regroupant des journalistes indépendants de la région. The MUSEBA Journalism Project est membre de GIJN depuis 2021. (Museba signifie “trompette” dans une des langues locale pratiquées sur la côte du Cameroun.)
Depuis sa création, The Museba Project a une double mission, à savoir celle de former des journalistes dans un premier temps, et ensuite de les encourager à travailler ensemble. “Dans cet environnement, empreint de peur et de manque de confiance en soi, la priorité n’est pas forcément de se lancer dans des investigations”, déclare Locka.
Avant chaque session de formation, l’équipe identifie les journalistes souhaitant faire du journalisme d’investigation en contactant les rédacteurs en chef ou les responsables d’organes de presse dans les pays hôtes. Tout d’abord, l’organisation demande aux journalistes de préparer individuellement au moins deux idées d’enquête qu’ils passeront ensemble en revue, pour les encourager à se familiariser avec cette pratique.
Pendant la formation, les formateurs aux parcours divers et provenant des quatre coins du monde (Africains, Camerounais, Américains et Européens) partagent leurs connaissances et leurs expériences avec les journalistes. Ils repartent de zéro, en leur enseignant les rudiments du journalisme d’investigation, pour qu’ils sachent notamment comment se protéger et protéger leurs sources. Les participants apprennent également à rechercher des sujets d’enquête, à les présenter et à rédiger une enquête.
“J’ai trouvé cette expérience enrichissante à tous les niveaux, et particulièrement comment élaborer une enquête et raconter une histoire intéressante”, déclare Saïbe Kabila, une journaliste d’investigation congolaise qui a rejoint The Museba Project en juin 2024, après un stage de formation à Lubumbashi, la deuxième ville de la RDC.
“Je pense que cet média est unique. Il propose un journalisme d’investigation rigoureux qui dit la vérité, souvent cachée dans nos régions, via des reportages intéressants et captivants”, ajoute Kabila.
En quatre ans, MUSEBA a formé plus de 100 journalistes originaires du Cameroun, de la RDC et de la République centrafricaine. Après chaque formation, les journalistes y ayant assisté peuvent demander à adhérer à l’organisation.
Collaboration internationale
Le principal avantage que présente The Museba Project est qu’il facilite la création de réseaux entre les journalistes. “Nous montrons aux journalistes qu’en collaborant, ils gagnent du temps, sont mieux protégés, dépensent moins d’argent et optimisent leurs travaux de recherche”, explique Locka. “Cela n’existait pas avant. C’est notre principal atout.”
La rédaction a déjà participé à de nombreux projets de collaboration internationaux et nationaux avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et El CLIP. En 2020, The Museba Project a contribué à l’enquête transfrontalière Migrants d’un autre monde (Migrants from Another World) à propos des Africains et Asiatiques qui, expulsés de leur pays, traversent l’Amérique latine en affrontant tous les dangers et difficultés que cela implique pour atteindre les États-Unis. Le projet a regroupé 18 organes de presse dans 14 pays, dont l’OCCRP, El CLIP et Bellingcat. The Museba Project a raconté l’histoire des camerounais qui ont perdu la vie durant ce voyage.
En 2023, The Museba Project a collaboré avec The Examination, une rédaction à but non lucratif basée aux États-Unis (et nouveau membre de GIJN), pour révéler dans quelle mesure le recyclage de batteries en plomb par des entreprises indiennes nuit gravement à la santé des populations locales au Cameroun et au Congo-Brazzaville. Le reportage a été sélectionné pour recevoir le prix Online Journalism Award 2024 dans la catégorie de l’excellence des reportages sur la justice sociale.
Pour Will Fitzgibbon, journaliste d’expérience et coordinateur de partenariats pour The Examination, qui a travaillé avec le média en tant que partenaire et formateur, The Museba project “tente de créer quelque chose d’inédit, ce qui n’est pas simple dans un paysage politique et économique”.
“The Museba Project joue un rôle essentiel et sert de source et de facteur d’unification pour le journalisme d’investigation dans la région. Il encourage et forme des journalistes non seulement camerounais mais également tchadiens, congolais et d’autres pays où la liberté de la presse est menacée”, explique-t-il.
“Mur d’insécurité”
Un des problèmes majeurs auquel se heurte The Museba Project est la peur qui règne parmi les journalistes dans la région. Alors que certains de leurs collègues sont kidnappés, assassinés, emprisonnés ou harcelés, nombre d’entre eux ne souhaitent pas poursuivre dans la voie du journalisme d’investigation. Plusieurs journalistes formés par eux ont abandonné le terrain.
“Nous rencontrons de plus en plus de journalistes qui abandonnent”, remarque Locka. “C’est un problème, car ce sont de jeunes talentueux et qui souhaitent vraiment voir les choses changer, mais ils sont confrontés à un mur d’insécurité.”
Ceux qui persistent sont également exposés à beaucoup de risques. Parmi les nombreux journalistes de Museba qui ont été harcelés, l’un d’entre eux, originaire de la RDC, a dû s’exiler au Canada.
Durant son enquête “Comment le bois de rose est volé au Cameroun, blanchi au Nigeria et exporté en Chine” (How Rosewood is Stolen in Cameroon, Laundered in Nigeria, and Exported to China), Locka a reçu plusieurs menaces et même des appels d’un des trafiquants les plus notoires au Nigeria. Après la publication de l’enquête, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (“CITES”) a suspendu le commerce de ce type de bois au Cameroun. Deux ans plus tard, le gouvernement a ouvert une enquête sur le trafic de bois de rose entre les deux pays.
“La tâche d’un journaliste d’investigation compétent est de restaurer la vérité”, déclare Fiacre Salabé, chef de bureau pour The Museba Project en République centrafricaine. Depuis qu’il a rejoint l’organisation en 2021, il a publié des enquêtes sur des entreprises chinoises et les redevances forestières. Après la publication d’une enquête sur un ministre corrompu, il a été victime de violences physiques, de persécutions et a reçu des menaces de mort. “J’ai quitté le pays pour m’installer au Cameroun pendant deux ans, entre 2022 et 2024. Cela à suffi à calmer un peu les menaces”, ajoute Salabé.
Jeune organisation
Le développement de Museba n’est pas freiné uniquement par la sécurité des journalistes et l’éternel problème de l’accès à des sources. Comme c’est le cas de nombreuses rédactions dans le monde entier, l’organisation manque de financement. Au début, les journalistes utilisaient leurs fonds personnels pour financer leur travail.
Au fil des ans, le projet a reçu des subventions de fondations et d’autres organisations, telles que le European Journalism Fund et le Pulitzer Center. Dans certains cas, des ONG ont sollicité The Museba Project pour leur former des journalistes.
Toutefois, le média se trouve actuellement à la croisée des chemins et elle espère diversifier ses sources de revenus pour devenir financièrement indépendante. D’après Locka, ils envisagent, par exemple, de produire des documentaires qu’ils pourront vendre. “En tant que jeune organisation, nous avons besoin de soutien. Ceux qui souhaitent nous soutenir peuvent nous contacter”, dit-il.
“Alors que les influenceurs et autres lanceurs d’alerte ont monopolisé l’actualité brûlante, le pays a désormais besoin de journalistes qui prennent le temps d’enquêter”, explique le professeur Thomas Atenga qui enseigne dans le département de communication de l’université de Douala au Cameroun. “The Museba Project est une initiative qui mérite d’être encouragée.”
Pour Locka, malgré ces difficultés financières, The Museba Project ambitionne de former une armée de journalistes d’investigation qui pourront enquêter sur la corruption, les violations des droits humains, les flux financiers illégaux, et bien plus.
L’objectif n’est pas d’inciter le plus de journalistes possible à rejoindre l’organe de presse, dit-il, mais de promouvoir le journalisme d’investigation, ses principes fondamentaux et ses techniques, et de sensibiliser autant de personnes que possible à l’importance de cette spécialisation qui n’est pas encore très développée dans la région.
“Si nous parvenons à augmenter le nombre de journalistes d’investigation d’ici 5 à 10 ans, il sera difficile de faire taire toutes ces voix”, ajoute Locka. “Nous sommes conscients du danger, mais nous poursuivons par choix en prenant toutes les précautions possibles. L’essentiel c’est que nous ayons semé la graine du journalisme d’investigation.”
Josiane Kouagheu est une journaliste d’investigation primée et une écrivaine camerounaise.
20.11.2024 à 09:52
Benon Herbert Oluka ,
#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Dans cette interview « 10 questions à », découvrez les conseils et le parcours inspirant du journaliste d’investigation malawien, Golden Matonga.
Le journaliste d’investigation malawien Golden Matonga porte plusieurs casquettes journalistiques. Il est responsable des enquêtes pour PIJ-Malawi (Platform for Investigative Journalism) et assume actuellement la fonction de directeur général par intérim de l’organisation, pendant que son fondateur, Gregory Gondwe, est en congé sabbatique pour étudier à l’Université Stanford aux États-Unis dans le cadre d’une bourse John S. Knight.
Matonga est également le vice-président de MISA (Media Institute of Southern Africa), une organisation à but non lucratif dont le siège social est en Namibie et qui promeut la liberté de la presse et le droit à la liberté d’expression; mais aussi le président de la branche de MISA au Malawi.
Bénéficiaire en 2023 de la bourse Hubert Humphrey à l’université d’État de l’Arizona aux États-Unis, Matonga est également un membre de l’ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists), et il a participé à de nombreuses enquêtes à fort impact, notamment les investigations retentissantes de Pandora Papers et de FinCEN Files. Dans son pays d’origine, Matonga a joué un rôle prédominant dans des enquêtes sur la corruption et les abus de pouvoir.
Cette année, entre mai et juin, Matonga s’est rendu aux États-Unis pour couvrir l’élection pour The Continent, un journal panafricain fondé en 2020 qui est diffusé au public principalement via WhatsApp. Son travail a également été publié dans le New York Times, le Financial Times et le Mail & Guardian.
Dans cette interview, qui s’inscrit dans une série d’interviews de journalistes d’investigation bien connus, menées par GIJN, Matonga parle de son expérience en matière d’enquêtes collaboratives en Afrique et ailleurs, des leçons qu’il a tirées durant ses 17 ans de carrière, et il donne des conseils qui, selon lui, peuvent améliorer le journalisme d’investigation en Afrique.
GIJN : Parmi toutes les enquêtes que vous avez réalisées, quelle est celle que vous avez préférée et pourquoi ?
Golden Matonga : C’est une question intéressante. En fait, on finit par aimer toutes les enquêtes comme des enfants, mais une de nos investigations principales réalisée dans le cadre de la PIJ (Platform for Investigative Journalism) est une série d’enquêtes liées à une entité commerciale ou à un homme d’affaires. Cette enquête s’articule autour de plusieurs éléments; c’est important pour nous parce qu’elle sert souvent de point de référence pour notre travail. Je ne dirais pas que c’est l’enquête que je préfère, mais c’est celle qui définit vraiment le travail que nous avons achevé jusqu’à présent au Malawi. (L’homme d’affaires du Royaume-Unis au cœur de cette enquête a été arrêté en octobre 2021 par la NCA (National Crime Agency) au Royaume-Uni. Le bureau de lutte contre la corruption du Malawi a ensuite classé les affaires de corruption impliquant les soi-disant partenaires malawiens de l’homme d’affaires, mais en août 2024, une de ces décisions a été contestée au tribunal par un groupe local de lutte contre la corruption.)
GIJN : Quels sont les principaux défis que vous avez dû relever en tant que journaliste d’investigation dans votre pays ? Dans votre cas, puisque vous avez également réalisé des enquêtes collaboratives sur tout le continent, quel sont les problèmes qui, à votre avis, freinent les investigations sur le continent ?
GM : Au Malawi, le problème majeur est toujours le fléau du secret auquel les journalistes doivent faire face dès qu’ils essaient de travailler avec des sources qui occupent des postes dans la fonction publique. Même lorsque la loi a mis en place un cadre permettant aux journalistes d’accéder à des informations avec notamment, au Malawi, la loi sur l’accès aux informations qui correspond aux lois sur la liberté d’expression dans certains pays occidentaux, les responsables sont encore peu disposés à fournir des informations, et surtout à un journaliste d’investigation. Lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ont affaire à un journaliste d’investigation à la recherche d’informations, ils sont très réticents et cela complique vraiment la situation.
Nous avons également remarqué que dans un pays avec, relativement parlant, de fortes valeurs démocratiques, comme le Malawi, il arrive encore que des journalistes d’investigation soient arrêtés. Notre équipe en a fait l’expérience. Un de nos directeurs (Gregory Gondwe) a été arrêté, il a subi des menaces physiques de mort et a dû s’exiler d’urgence à un moment donné en raison des menaces de mort dont il avait fait l’objet. Ce sont les problèmes graves auxquels nous devons faire face en tant que journalistes.
À l’heure actuelle, l’un des obstacles majeurs qui freinent le journalisme d’investigation en Afrique, et pas des moindres, est le cadre juridique, à savoir la loi sur la cybersécurité. Dans plusieurs pays africains, cette loi est de plus en plus utilisée pour étouffer le journalisme d’investigation, la liberté d’expression et en général le public, en augmentant l’autocensure. Cela signifie que les personnes supposées pouvoir s’exprimer en ligne ne peuvent pas le faire par peur de représailles. Cela a un effet paralysant sur la démocratie, mais également sur les journalistes d’investigation, car les éventuels lanceurs d’alertes ont peur de parler. En outre, même ceux qui sont devenus des lanceurs d’alertes peuvent être parfois arrêtés. Je me souviens d’un incident durant lequel le gouvernement a voulu nous forcer, via les forces de police, à révéler le nom de nos lanceurs d’alertes et des sources de notre enquête. La loi sur la cybersécurité est ainsi devenue une menace pour le journalisme d’investigation sur le continent.
GIJN : Au niveau personnel, en tant que journaliste d’investigation, quel est le plus grand défi que vous ayez dû relever ? Comment l’avez-vous surmonté et quelles leçons en avez-vous tirées ?
GM : En tant que journaliste d’investigation, je me suis trouvé dans des situations parmi les plus difficiles lorsque j’ai eu la possibilité de publier, à certaines étapes de ma carrière, des enquêtes que la direction de certains journaux pour lesquels j’avais travaillé percevait comme une menace pour les intérêts commerciaux de leur activité. Je me suis également trouvé dans des situations compliquées, là encore en raison du cadre légal bien évidemment, lorsque j’ai été menacé d’être arrêté. Ces épisodes auraient pu nous empêcher de poursuivre notre carrière de journaliste d’investigation, mais nous avons dû persévérer en formant des coalitions et en mettant en place des plateformes comme PIJ, qui n’ont aucun intérêt commercial et qui bénéficient du soutien renforcé de partenaires dans le secteur de la gouvernance. Voilà donc mon expérience, les difficultés que j’ai rencontrées et comment je les ai surmontées. Je pense que le plus important a été de pouvoir constituer une coalition d’alliés en interne, au Malawi, pour nous assurer qu’ils protègent les ressources fournies pour le travail de journalisme d’investigation que nous prévoyions d’entreprendre, mais également de mobiliser des partenaires en externe qui nous permettraient de publier nos enquêtes ailleurs si leur publication n’était pas autorisée dans le pays.
Le groupe IJ Hub, basé en Afrique du Sud, a été un de ces alliés clés, et l’une des structures de soutien essentielles pour le journalisme d’investigation au Malawi et pour moi personnellement. Ils nous ont aidés en nous fournissant des ressources pour faire notre travail, mais ils se sont également manifestés et nous ont apporté un soutien précieux lorsque nous étions menacés. L’institut MISA (Media Institute of Southern Africa), qui est aussi présent au Malawi, a également soutenu très activement le travail des journalistes. Il se trouve que je fais actuellement également partie de l’institut MISA. J’ai donc pu apprécier à sa juste valeur le rôle qu’il a joué en veillant à accompagner les journalistes qui subissent des menaces. Il est à mon avis absolument essentiel que nous continuions à établir ces partenariats pour nous assurer que les journalistes d’investigation se sentent en sécurité et bénéficient du soutien nécessaire pour continuer à assumer leur rôle crucial de garant de la redevabilité.
Au-delà du continent, nous avons bénéficié du soutien du CPJ (Comité pour la Protection des Journalistes). Chaque fois que les membres d’une communauté de médias au Malawi ont été menacés, CPJ a apporté son soutien pour garantir la sécurité des journalistes. L’ICIJ a également déployé des efforts considérables pour soutenir la collaboration sur le continent et au-delà. Le modèle de l’ICIJ s’est assuré que les journalistes africains peuvent réaliser des enquêtes sur les affaires africaines. De même, en leur fournissant un support technique essentiel, nous avons pu collaborer en exploitant les points forts de chacun pour garantir la qualité du journalisme d’investigation. Ainsi, que ce soit sur le plan régional ou mondial, l’ICIJ a joué un rôle absolument crucial et des centres comme PIJ ont tiré profit du travail d’investigation qu’ils ont réalisé avec l’ICIJ.
Sur le continent africain, je pense qu’en tant que journalistes nous devons examiner un point critique, à savoir notre mode de collaboration à l’échelle régionale, mais également continentale. Il semble que les journalistes africains collaborent davantage avec leurs collègues occidentaux qu’entre eux à l’échelle régionale, dans le cadre d’une collaboration entre les journalistes d’Afrique de l’Ouest et ceux d’Afrique australe, par exemple. Jusqu’à présent, la plupart des collaborations interafricaines ont été placées sous l’égide de l’ICIJ, lorsque des journalistes ouest-africains collaborent avec des journalistes d’Afrique australe. Toutefois, je pense que nous devons déployer davantage d’efforts pour garantir la collaboration au sein de nos propres rangs, sur le continent.
GIJN : Vous avez interviewé de nombreuses personnes dans le cadre de vos enquêtes d’investigation. Quel est le meilleur conseil que vous pouvez donner pour réussir une interview ?
GM : Je pense que pour réussir une interview, il est essentiel de la préparer et de faire des recherches au préalable. Le meilleur conseil que je puisse donner est donc de faire des recherches et de bien connaître le sujet. Une bonne interview sera toujours le résultat de bonnes recherches préalable.
GIJN : Quel est l’outil, la base de données ou l’application que vous préférez utiliser pour enquêter ?
GM : J’adore le travail collaboratif, donc toute application qui facilite cela est ma préférée. Qu’il s’agisse d’iHub de l’ICIJ ou d’un document Google qui va m’aider à co-éditer une enquête avec mes collègues, je suis toujours impatient de savoir comment nous pouvons exploiter les outils collaboratifs à notre disposition, car je reconnais les avantages considérables de la collaboration.
GIJN : Quel est le meilleur conseil que l’on vous a donné jusqu’à présent durant votre carrière et quels sont ceux que vous donneriez à un futur journaliste d’investigation ?
GM : Le meilleur conseil qui m’ait jamais été donné au cours de ma carrière est de faire preuve de patience dans mon travail. J’ai toujours été impatient de publier mes enquêtes. Pourtant, en travaillant trop vite, nous passons à côté de beaucoup de détails. Il est donc important de prendre le temps nécessaire pour réaliser une enquête. Il faut faire preuve de rigueur pour traiter un sujet du mieux possible tout en bénéficiant d’une protection juridique, et surtout être capable de tempérer son enthousiasme.
J’encourage toujours les personnes qui souhaitent devenir des journalistes d’investigation à se lancer, tout simplement. Commencez à travailler et apprenez auprès des meilleurs. Vous vous perfectionnerez au fil du temps. Personne ne réussit sa carrière de journaliste d’investigation sans expérience. Vous devez renforcer la confiance de vos sources et continuer à publier des enquêtes.
GIJN : Dites-moi maintenant quelqu’un vous a donné le goût du journalisme d’investigation. Quel journaliste admirez-vous et pourquoi ?
GM : Dans le domaine du journalisme en général, j’admirais un ancien correspondant étranger à la BBC originaire du Malawi, le défunt Raphael Tenthani. Il écrivait également une chronique politique que j’appréciais beaucoup, comme tout ce qu’il écrivait d’ailleurs. Mais, en fin de compte, c’est grâce à Mabvuto Banda que j’ai commencé à me passionner pour le journalisme d’investigation. Il a été un journaliste d’investigation prolifique au Malawi et son travail, au Malawi et dans le monde entier, m’a inspiré au point de vouloir atteindre le même niveau d’exigence. En tant que journaliste, il a achevé un travail important au Malawi et c’est pour l’impact qu’il a eu, et sa capacité à tenir les individus puissants pour responsables de leurs actes, que je l’ai admiré au plus haut point et que je le considère comme un éventuel modèle.
De nombreux journalistes africains font un travail exceptionnel et très intéressant dont je suis vraiment fier et que je me réjouis de lire. J’ai également aimé travailler avec Simon Allison du journal The Continent. Je vais aussi dire un mot sur mon collègue Gregory Gondwe, un des journalistes les plus courageux qui existent à l’heure actuelle. Son travail intègre est toujours une source d’inspiration, tout comme sa profonde détermination à persévérer et à publier des enquêtes, quelles qu’en soient les conséquences. Je pense que c’est l’état d’esprit dont devraient essayer de faire preuve de nombreux journalistes.
GIJN : Quelle est la pire erreur que vous ayez commise et quelles leçons en avez-vous tirées ?
GM : Au début de ma carrière de journaliste, j’étais toujours impatient d’écrire des enquêtes, mais je n’étais pas assez rigoureux quand il s’agissait de vérifier les faits. Je me suis trouvé dans des situations embarrassantes où j’avais mal orthographié le nom de personnes mentionnées dans mes enquêtes. Il faut être rigoureux quand on travaille pour un journal imprimé, car il est impossible de revenir en arrière pour modifier le nom d’une personne. Cela doit nous servir de leçon à nous les journalistes et nous inciter à faire notre travail consciencieusement en veillant à bien lire et relire nos productions écrites avant de les soumettre. Le processus de filtrage des informations doit également être très rigoureux, car si un journaliste fait une erreur, le rédacteur en chef ou rédacteur en chef adjoint doivent pouvoir la repérer.
GIJN : Comment évitez-vous l’épuisement professionnel dans votre métier ?
GM : L’épuisement professionnel est un problème grave et je pense que la plupart des rédactions (en Afrique) ne s’investissent pas suffisamment pour éviter que leurs équipes n’en souffrent pas. Outre l’aspect physique de l’épuisement, il y a également l’aspect mental. On s’épuise à rechercher des sujets d’enquête, à se débattre avec les sources pour obtenir des informations et parfois à lire les commentaires. La négativité que déclenchent parfois certaines enquêtes peut occasionner du stress mental pour les journalistes.
Je ne pense pas avoir eu besoin de faire appel à des méthodes spécifiques pour éviter l’épuisement professionnel. Toutefois, dès que j’en ai l’occasion, j’essaie autant que je le peux de prendre une distance vis-à-vis de mon travail, de me concentrer sur des activités autres que le journalisme et d’avoir des activités sociales.
GIJN : En matière de journalisme d’investigation en Afrique, qu’est-ce qui vous frustre le plus et vous espérez voir changer rapidement ?
GM : En dénonçant des abus de pouvoir ou la corruption, on pourrait espérer que d’autres aspects de la structure de gouvernance, les autorités chargées de l’application de la loi, vont s’atteler au problème et veiller à ce que les personnes que les journalistes d’investigation ont exposées rendent des comptes. Pourtant, dans bien des cas, ces autorités, ou alors d’autres parties prenantes comme la société civile, ne donnent aucune suite aux révélations. Cela devient alors très problématique pour le journalisme d’investigation sur le continent. L’effet de votre enquête se limite alors à des réactions sur les réseaux sociaux ou de la part de vos followers. C’est donc, à mon avis, une réalité très frustrante pour un journaliste d’investigation.
Benon Herbert Oluka est le responsable Afrique de GIJN. Journaliste multimédia ougandais, il est cofondateur de The Watchdog, un centre de journalisme d’investigation dans son pays d’origine, et membre de l’African Investigative Publishing Collective. M. Oluka a été reporter et rédacteur en chef pour les journaux The East African, Daily Monitor et The Observer. Il a également travaillé au bureau de l’Afrique subsaharienne de l’agence de presse Reuters à Johannesburg, en Afrique du Sud, et au programme Newsday de la BBC World Service Radio à Londres, au Royaume-Uni. En tant que journaliste indépendant, les travaux d’Oluka ont été publiés dans The Africa Report, Africa Review, Mail & Guardian Africa, Mongabay et ZAM magazine.
19.11.2024 à 09:53
Ekpali Saint, Patrick Egwu,
#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Dans cet article, les journalistes Patrick Egwu et Ekpali Saint se penchent sur la montée en puissance du journalisme cross-border sur le continent africain, mais aussi sur les freins et défis à surmonter.
Tout comme leurs homologues aux quatre coins du monde, les organisations et journalistes d’investigation africains font appel à des partenaires transfrontaliers pour partager des ressources, traiter des volumes considérables de données et optimiser l’impact de leurs enquêtes. Cette collaboration a lieu dans des environnements parmi les plus difficiles et dangereux au monde pour les journalistes d’investigation.
Au cours des dix dernières années, des enquêtes transfrontalières complexes, comme Swazi Secrets, West Africa Leaks et des projets d’enquêtes régionales sur l’environnement, tels que InfoCongo et InfoNile, ont réunis des journalistes et des chercheurs de presque douze pays africains, avec et sans partenaires médias d’autres continents.
Un nombre croissant d’organisations en Afrique se consacrent à l’établissement de collaborations dans le cadre d’investigations, que ce soit dans plusieurs secteurs en mettant en contact des scientifiques et des journalistes, au-delà des frontières en servant de réseau régional, via des formations, en aidant les journalistes d’investigation à limiter les risques que présente la publication dans des pays dangereux et en fournissant des fonds ou en aidant les journalistes d’investigation à en lever.
GIJN a contacté des journalistes et organisations qui soutiennent des projets d’investigation transfrontaliers dans leurs régions, notamment l’Afrique australe, les Grands Lacs en Afrique de l’Est et le bassin du Nil, pour discuter de leurs projets, expériences et défis, ainsi que des outils de collaboration qu’ils utilisent.
CENOZO : #WestAfricaLeaks et au-delà
L’enquête West Africa Leaks publiée en 2018 et qui a révélé comment des corporations et individus puissants en Afrique de l’Ouest ont caché des milliards à l’étranger, a été menée par ce qui fut à l’époque la collaboration la plus importante de journalistes dans la région. Basée sur une analyse de toutes les références concernant l’Afrique de l’Ouest dans les 27,5 millions de documents de l’ICIJ (International Consortium for Investigative Journalism) liés aux fuites importantes de données, dont Offshore Leaks, Panama Papers et Paradise Papers, c’était la première fois que l’ICIJ se concentrait sur une région spécifique et coordonnait une collaboration impliquant une douzaine de journalistes dans 11 pays.
Un des partenaires de l’ICIJ en Afrique de l’Ouest était la CENOZO, la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest, une association régionale de journalistes d’investigation basée au Burkina Faso. Créée en 2015, la CENOZO sert de plateforme de réseau de journalistes ouest-africains et les aide à publier des enquêtes lorsqu’ils font face à trop de dangers s’ils les publient dans leur pays, les finance et les forme aux techniques d’investigation.
“Le problème majeur auxquels sont confrontés les journalistes dans notre région est le manque de ressources et de compétences pour réaliser des enquêtes approfondies sur des problèmes d’intérêt public,” déclare Ignace Sossou, le responsable des programmes de la CENOZO. Il ajoute qu’à l’heure actuelle, le problème qui les préoccupe le plus est celui de la dégradation de la sécurité en Afrique de l’Ouest, le manque accru d’accès aux sources et la démotivation des journalistes. En Afrique de l’Ouest, la sécurité et le climat politique sont fragiles, surtout dans la région du Sahel, où des terroristes armés sévissent dans plusieurs pays.
Les journalistes de la CENOZO ont également participé aux projets Shadow Diplomats et Pandora Papers, et aux enquêtes FinCEN Files coordonnés par l’ICIJ. En 2023, la CENOZO s’est associée avec le CCIJ (Center for Collaborative Investigative Journalism), un centre à but non lucratif axé sur les données et les contenus visuels, pour renforcer le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest.
IJ Hub : Encourager les enquêtes en Afrique australe
L’enquête Swazi Secrets, qui portait sur ce que l’ICIJ a décrit comme la fuite la plus importante de ce type provenant d’une cellule de renseignement financier dans un pays africain, a exposé les transactions et personnes à l’origine d’une économie régionale illégale, et impliqué certains individus parmi les plus connus en Afrique australe dans le domaine de la politique et des affaires.
Plus de 890 000 documents internes de l’EFIU (Eswatini Financial Intelligence Unit) ont été divulgués. L’organisation Distributed Denial of Secrets à but non lucratif les a obtenus et partagés avec l’ICIJ et sept partenaires médias. Trente-huit journalistes originaires de 11 pays, y compris l’Afrique du Sud, le Nigeria et la Zambie, ont participé à l’enquête.
Pour l’enquête Swazi Secrets, le partenaire média basé en Afrique du Sud était l’organisation amaBhungane Centre for Investigative Journalism sud-africaine indépendante, à but non lucratif et membre de GIJN, qui a fait ses débuts en tant qu’unité d’investigation pour le journal Mail & Guardian.
En 2019, amaBhungane a lancé IJ Hub pour soutenir les rédactions d’investigation dans la région en développant les capacités, en proposant un soutien éditorial et en partageant la collecte de fonds et les risques. Mis en place à l’origine sous la forme d’un incubateur chez amaBhungane, IJ Hub a été détaché de la rédaction en 2021 et compte actuellement sept centres membres dans six pays : Afrique du Sud, Lesotho, Eswatini, Zambie, Malawi et Namibie.
Cette année, trois membres de l’équipe d’IJ Hub, à savoir amaBhungane, MakanDay en Zambie et Inhlase en Eswatini, ont collaboré avec l’ICIJ dans le cadre de l’enquête Swazi Secrets. Ils ont exposé l’éventuelle implication de l’Eswatini qui aurait favorisé l’économie de contrebande d’or en Afrique australe, facilitée par des contrôles insuffisants pour lutter contre le blanchiment d’argent, ainsi que par les hommes politiques et les courtiers en énergie sud-africains impliqués. L’enquête a également révélé l’existence de deux raffineries fantômes qui ont acheminé des millions de dollars à destination de Dubaï, via l’Eswatini.
Troye Lund, la directrice générale d’IJ Hub, explique que l’enquête Swazi Secrets a permis aux journalistes “d’exploiter leurs ressources mutuelles pour un succès partagé”.
Elle ajoute que c’est l’accès aux informations qui leur a posé le plus problème, car il est “quasiment impossible” dans la plupart de ces pays. Par exemple, en Eswatini, la dernière monarchie absolue en Afrique, il est non seulement très difficile d’obtenir des informations, mais c’est également très dangereux. “Il faut contourner le problème et trouver des journalistes très expérimentés qui connaissent bien le processus”, explique-t-elle. Après l’enquête Swazi Secrets, les législateurs en Eswatini ont réprimé encore davantage la liberté de la presse dans le but d’empêcher d’autres fuites.
Lund a également édité une enquête collaborative sur une ONG chrétienne basée aux États-Unis, qui révèle que les fondateurs de l’organisme de bienfaisance ont empoché les dons destinés aux enfants malawiens pour financer leur train de vie opulent. L’enquête a été publiée par l’organisation malawienne PIJ (Platform for Investigative Journalism) avec le soutien éditorial d’IJ Hub et OpenUP/Africa Data Hub.
Les journalistes participant à ce projet ont collecté des documents financiers et des déclarations de revenus du Malawi et des États-Unis.
Après la publication de l’enquête, “l’organe de supervision des ONG au Malawi a ouvert une enquête sur l’organisme de bienfaisance, qui s’est traduite par la suppression de son statut de certification aux États-Unis et une enquête judiciaire. Plusieurs donateurs ont (également) désinvesti leur apport”, ajoute Lund.
Lund explique que, pour être efficace, une enquête doit mettre en relation des journalistes de différentes unités d’investigation qui réalisent une enquête et un rédacteur en chef spécialisé dans les investigations.
“Le rédacteur en chef spécialisé dirige les discussions autour du sujet principal de l’enquête, et des réunions hebdomadaires, ou plus fréquentes, sont organisées avec le rédacteur en chef afin de s’assurer du bon déroulement de l’enquête et de son orientation”, explique Lund.
“Le rédacteur en chef est expérimenté et peut animer des discussions sur la marche à suivre et la gestion des informations.”
InfoNile : ‘Géojournalisme’ dans le bassin du Nil
Les enquêtes d’investigation transfrontalières peuvent enrichir les connaissances et les compétences des journalistes qui partagent des idées, des ressources et des outils, mais elles peuvent également mettre les journalistes en relation avec des experts sur un sujet.
Le groupe InfoNile qui enquête sur des problèmes dans le bassin du Nil, une région qui regroupe 11 pays africains dont l’Égypte, le Soudan, l’Érythrée et l’Éthiopie, a été fondé en 2017 et est composé d’un “groupe transfrontalier de géojournalistes” qui réalise des enquêtes cruciales sur la question de l’eau sur le plus long fleuve du monde, et met en relation des chercheurs, des scientifiques, des journalistes et le public.
Sa co-fondatrice Annika McGinnis souligne que le journalisme transfrontalier a contribué à démasquer des voies commerciales transnationales. Leur enquête Dépossédés : saisies de terres et suppression de l’accès à l’eau dans le bassin du Nil (Sucked Dry: Land Grabs and Water Access in the Nile River Basin) a révélé que des investisseurs étrangers acquièrent de très vastes étendues de territoire en Éthiopie, en déplaçant par là même des communautés, pour cultiver des fleurs et les exporter en réalisant d’énormes bénéfices. Le projet a regroupé au sein d’une équipe plus de 10 rédacteurs en chef, journalistes d’investigation, data-journalistes, concepteurs et traducteurs de sept pays, et il a remporté le 3e prix dans la catégorie des enquêtes d’investigation exceptionnelles (Outstanding Investigative Reporting) du prix 2020 Fetisov Journalism Awards.
“La collaboration transfrontalière, c’est la solution”, confirme McGinnis. “C’est le seul moyen d’exposer à une plus grande échelle la réalité de ces problèmes transfrontaliers et de suivre la trace du commerce transnational.”
McGinnis explique qu’InfoNile a vu le jour dans le cadre d’un projet de recherche appelé Open Water Diplomacy Lab, qui s’est intéressé à comment les médias enquêtaient dans le bassin du Nil sur les problèmes régionaux liés à l’eau. Il a découvert que, dans la majorité des pays, l’enquête adoptait “un point de vue très nationaliste plutôt qu’une perspective transfrontalière”. InfoNile est là pour combler cette lacune.
Alors qu’à l’origine InfoNile s’est concentré sur la question de l’eau, le groupe a rapidement compris que son approche lui permettrait de couvrir de nombreux sujets concernant la région. Par exemple, InfoNile s’est associé à l’organe de presse Oxpeckers Investigative Journalism Network, basé en Afrique du Sud et qui se spécialise dans l’environnement, pour couvrir le trafic d’espèces sauvages, et a réalisé de nombreuses enquêtes.
“Les espèces sauvages et produits qui en sont dérivés peuvent être obtenus d’un pays à un autre via des canaux illégaux et exportés à l’étranger ou dans une autre région. Il est important de couvrir ce commerce transnational sous un angle transnational”, ajoute McGinnis.
En 2022, InfoNile a lancé la plateforme NileWell qui met en relation des journalistes spécialisés dans l’environnement et des chercheurs dans le bassin du Nil. 233 chercheurs et plus de 500 journalistes sont enregistrés. InfoNile a également mis en place un programme mensuel appelé Science Wednesday, dans le cadre duquel des scientifiques spécialisés dans l’environnement ou l’eau présentent leurs travaux à un réseau de journalistes. Cette initiative aide les journalistes à trouver des idées d’enquête et donne aux scientifiques l’opportunité d’expliquer ou de clarifier certains termes scientifiques.
“Nous pensons que pour résoudre ces problèmes environnementaux, nous avons besoin d’expertise scientifique que nous devons pouvoir utiliser et convertir dans un format exploitable et compris de tous”, déclare McGinnis.
Le groupe InfoNile est basé en Ouganda, mais pour surmonter les éventuelles barrières linguistiques, il possède dans chaque pays du bassin du Nil un groupe de coordinateurs compétents en matière de journalisme environnemental et d’investigation. Ces derniers parlent la langue locale, peuvent communiquer avec les journalistes dans leur pays, facilitent le déploiement des programmes d’InfoNile, comme des formations, dans la langue principale de la région, et invitent des experts locaux.
L’IA et des outils de traduction comme Google Translate aident InfoNile à traduire la première ébauche d’une enquête d’une langue vers une autre. “Ce n’est pas l’idéal”, reconnaît McGinnis. “Mais cela nous permet de trouver davantage de points communs. Chaque méthode présente des problèmes, et les accents ne sont parfois pas toujours bien convertis ou la traduction n’est pas toujours correcte, par exemple. C’est un domaine que nous essayons constamment d’améliorer.”
Sécurité, outils, formation
Lorsque les journalistes d’investigation sont menacés dans leur propre pays, les investigations transfrontalières peuvent renforcer leur sécurité et atténuer les menaces, car l’enquête peut être publiée par plusieurs organes de presse, dans divers pays.
Un des principaux objectifs de la CENOZO est de proposer une plateforme pour les journalistes qui ne peuvent pas utiliser leur nom pour des raisons de sécurité ou lorsque la presse locale ne traite pas de sujets sensibles.
“En se regroupant, on répartit les risques”, déclare Gilbert Bukeyeneza, le fondateur d’Ukweli Coalition. “Il est plus facile de cibler un journaliste que plusieurs journalistes ou plusieurs organes de presse”, ajoute-t-il. L’entité Ukweli Coalition, dont le nom est dérivé d’un mot swahili qui signifie ‘fait’ ou ‘vérité’, a été fondé en mai 2023 pour soutenir le journalisme transfrontalier en Afrique de l’Est, et particulièrement dans la région des Grands Lacs. “La région des Grands Lacs est la partie francophone de l’Afrique de l’Est et de loin la moins évoluée en matière de liberté de la presse et de projets médias qui soutiennent les journalistes”, explique Bukeyeneza, journaliste depuis 12 ans. “Les journalistes de la région manquent sérieusement de financement. Ils n’ont aucun moyen d’agir.”
En juillet 2024, le centre Ukweli Coalition, en partenariat avec Africa Uncensored, a organisé un atelier pour 10 journalistes du Burundi et de la République démocratique du Congo, ce qui représente la première activité de la coalition depuis son lancement.
Les outils numériques jouent un rôle primordial dans la réussite des projets de journalisme d’investigation collaboratifs transfrontaliers, surtout en aidant les journalistes à toucher un plus grand public.
Lund explique que le centre de membres d’IJ Hub et Oxpeckers Investigative Environmental Journalism, la première unité de journalisme environnemental d’investigation en Afrique ont développé plusieurs outils d’investigation transfrontaliers. #WildEye est un des outils clés capable d’assurer le “suivi des saisies, des arrestations, des affaires judiciaires et des condamnations pour des crimes liés aux espèces sauvages et à l’environnement dans le monde entier”. #PowerTracker est un autre outil qui “assure le suivi des projets d’énergies renouvelables et du démantèlement des usines de charbon en Afrique subsaharienne”.
McGinnis, la co-fondatrice d’InfoNile explore actuellement l’outil d’IA Claude for Sheets qui aide à rédiger des formules dans Google Sheets. “Cet outil est utile lorsque les données ne sont pas organisées ou qu’elles comprennent de long blocs de texte, et que vous essayez de comprendre leur signification ou de les classer d’une manière ou d’une autre”, explique-t-elle.
Souvent, les enquêtes collaboratives prennent plus de temps que les enquêtes traditionnelles, car les journalistes de divers pays doivent coordonner différents calendriers. Par ailleurs, puisque les articles sont souvent plus longs, il faut davantage de temps pour les rédiger et les éditer.
McGinnis explique que les enquêtes d’InfoNile peuvent durer trois mois, six mois, voire un an, selon le projet. “C’est la nature des enquêtes collaboratives. Nous ne nous contentons jamais de la première ébauche. Nous demandons toujours aux journalistes de trouver davantage d’informations, de creuser”, ajoute-t-elle.
Lund confirme. “Les collaborations transfrontalières demandent beaucoup de temps et de patience. Parfois, nous sommes frustrés par leur complexité. Il arrive que nous devions repousser la date de publication prévue de plusieurs semaines ou mois”, dit-elle.
McGinnis et Lund rappellent que, de par sa nature, le journalisme d’investigation transfrontalier nécessite des formations régulières. Alors qu’InfoNile a formé plus de 300 journalistes et accordé des subventions à environ 200 journalistes, au cours des 12 derniers mois, IJ Hub a organisé 34 ateliers, formé 667 participants et mis en place environ 12 bourses.
“La relation avec les journalistes est très interactive et concrète. Nous souhaitons que les formations soient sur mesure et sur le terrain, qu’elles correspondent aux besoins des équipes ou de chaque individu et qu’elles leur permettent de développer leurs compétences”, ajoute Lund. “Le potentiel des collaborations transfrontalières est énorme et nous aimerions nous y consacrer davantage, tant que des financements restent disponibles.”
Patrick Egwu est un journaliste indépendant d’origine nigériane qui a réalisé des reportages à Chicago, Toronto, Johannesburg, Berlin et Lagos pour un certain nombre de publications, dont le Globe and Mail, Foreign Policy, NPR, Rest of World, Daily Maverick, World Politics Review, America Magazine et d’autres.
Ekpali Saint est un journaliste indépendant basé au Nigeria. Il couvre le changement climatique, l’agriculture, l’environnement, la religion, l’éducation et d’autres questions liées au développement. Son travail a été publié dans Al Jazeera, openDemocracy, FairPlanet, African Arguments, America Magazine, Religion Unplugged et Down to Earth.
18.11.2024 à 12:18
Benon Herbert Oluka, Maxime Domegni
#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique. Pour cet article en forme d’état des lieux, les responsables des éditions Afrique francophone et anglophone de GIJN ont interrogé quelques unes des 26 organisations membres de GIJN sur le continent pour savoir ce qui rend le journalisme d’investigation unique en Afrique.
Les journalistes d’investigation en Afrique doivent faire face à de nombreux obstacles : gouvernements répressifs, entreprises qui tentent de les réduire au silence, restrictions en matière de voyages et de visas, agressions physiques, poursuites judiciaires telles que les poursuites-bâillons, financement limité, faiblesse de capacité et de formation.
Pourtant, ils trouvent des moyens de surmonter ces difficultés. Les journalistes d’investigation africains ont toujours produit des articles percutants – année après année – tout en élaborant des stratégies pour accroître leur audience.
Les journalistes d’investigation sont menacés partout dans le monde, mais dans de nombreux pays africains, c’est une situation particulièrement dangereuse. Des journalistes d’investigation africains ont payé de leur vie leurs efforts pour demander des comptes aux dirigeants – au Ghana, au Cameroun, au Rwanda et dans plusieurs autres pays. Près de 50 journalistes africains croupissent en prison, selon le dernier décompte du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). De nombreux journalistes africains ont dû éviter la mort ou l’emprisonnement en s’exilant.
Coïncidant avec la Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes, les 450 participants de 55 pays à la Conférence africaine sur le journalisme d’investigation (AIJC), qui s’est tenue récemment à Johannesburg (Afrique du Sud), ont publié une déclaration visant à attirer « de toute urgence » l’attention sur les conditions dangereuses dans lesquelles les journalistes travaillent dans de nombreuses régions du continent, en demandant aux gouvernements de libérer les journalistes emprisonnés et aux organisations internationales de mettre en place un mécanisme de poursuite des crimes commis contre les journalistes en Afrique.
Ces dangers n’ont pas empêché les journalistes d’investigation africains de faire un travail difficile et exceptionnel. Parmi les exemples récents d’investigations notables en provenance d’Afrique, on peut citer :
GIJN a pour mission de fournir l’ossature organisationnelle du journalisme d’investigation et compte 26 membres basés en Afrique, répartis de manière très large – de la Gambie en Afrique de l’Ouest à la Tunisie au nord, en passant par le Zimbabwe et le Mozambique au sud-est. Pour cet article, GIJN s’est entretenu avec des responsables de rédaction, des rédacteurs en chef et des journalistes de ses organisations membres africaines sur ce qui distingue le journalisme d’investigation sur le continent et sur les défis auxquels ils sont confrontés.
Qu’est-ce qui rend le journalisme d’investigation unique en Afrique ?
Plusieurs membres de GIJN ont cité la résilience comme une qualité qui caractérise le journalisme d’investigation mené en Afrique, alors qu’ils sont confrontés à de graves violations de leurs droits – et pire encore – dans l’exercice de leur travail.
Le directeur exécutif d’Inkyfada, basé en Tunisie, Malek Khadhraoui, fait remarquer que « le meilleur journalisme d’investigation dans la région MENA se distingue par sa résilience, sa collaboration et le courage nécessaire pour opérer dans un environnement extrêmement difficile », où « l’autoritarisme, la censure et les menaces à l’encontre des journalistes sont monnaie courante ».
« Le journalisme d’investigation ici est également profondément lié à la justice sociale et à l’engagement communautaire », ajoute-t-il.
La justice sociale est un élément important du journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest également. « Ce qui distingue le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest, c’est qu’il s’attache à dénoncer la corruption, les violations des droits de l’homme et les problèmes environnementaux qui sont souvent profondément enracinés dans la région », explique Gideon Sarpong, cofondateur d’iWatch Africa au Ghana. « Les journalistes de la région doivent faire face à d’énormes pressions politiques, sociales et économiques pour mettre en lumière des sujets cruciaux, souvent au péril de leur vie ».
La rédactrice en chef de New Narratives au Liberia, Prue Clarke, travaille avec une poignée de reporters courageux qui ne laissent pas l’intimidation – un risque professionnel important – entraver leur travail. « L’accès à l’information et la lutte contre les menaces sont des facteurs dominants dans la région », explique Prue Clarke. « Mais lorsque le journalisme est bien fait, il peut avoir un impact considérable.
Rahma Behi, chef du département des enquêtes internationales à Alqatiba en Tunisie, explique également qu’ils poursuivent leur travail en dépit des menaces et de la montée du populisme sur le continent. «Malgré un environnement difficile marqué par la montée du populisme et des pressions gouvernementales, nous restons inébranlables dans notre quête de vérité… Même le plus petit changement alimenté par notre travail est une victoire à nos yeux.»
Défis internes et externes
Luís Nhachote, coordinateur exécutif du Centro de Jornalismo Investigativo au Mozambique, note que le journalisme d’investigation en Afrique est confronté à deux types de défis, à la fois internes – tels que les contraintes de financement et de ressources dans un environnement médiatique changeant et commercial – et externes – tels que les lois, les politiques et les environnements médiatiques restrictifs. Il cite la sécurité et l’absence de droit d’accès à l’information comme les principaux défis locaux.
Parmi les autres défis externes figurent la répression juridique et politique, l’accès restreint à l’information, les espaces de liberté d’expression de plus en plus réduits et les procès ou autres actions en justice visant à réduire au silence ou à la faillite les journalistes et leurs organisations – tels que les procès SLAPP, que Dayo Aiyetan, directeur exécutif de l’International Centre for Investigative Reporting du Nigeria, cite, avec «la répression de l’État et la répression des médias », comme des obstacles majeurs auxquels sont confrontés les journalistes au Nigeria.
Charles Mafa, directeur associé du Makanday Centre for Investigative Journalism en Zambie, déclare qu’un autre défi systémique auquel est confrontée la profession sur le continent, outre les intérêts politiques et commerciaux qui influencent la presse, est « l’absence de programme d’études pour le journalisme d’investigation dans les écoles et universités zambiens».
Behi, d’Alqatiba, estime qu’il faut accorder plus d’attention à la question de la viabilité financière du journalisme d’investigation en Tunisie et dans d’autres régions d’Afrique.
«Avec les défis économiques actuels et les restrictions sur les financements étrangers [en Tunisie], il est de plus en plus difficile d’obtenir les ressources nécessaires pour des enquêtes à long terme », explique-t-elle. « Faute de financement et de protection suffisants, de nombreux médias risquent de ne pas survivre, ce qui pourrait compromettre leur capacité à produire des reportages approfondis et de qualité. »
Khadhraoui, d’Inkyfada, également originaire de Tunisie, partage cet avis. « Si nous pouvions obtenir des sources de financement diversifiées et indépendantes, que ce soit par le biais de modèles de revenus basés sur la technologie, de subventions ou d’un soutien direct de l’audience, cela constituerait un filet de sécurité indispensable pour le journalisme d’investigation dans la région ».
En Afrique de l’Ouest, La Maison des Reporters, basée au Sénégal, a expérimenté un modèle économique basé exclusivement sur les dons du public. Elle n’accepte pas les subventions des institutions, qu’elle s’efforce de « tenir à distance », car le site opère dans un climat marqué par « la méfiance à l’égard du travail journalistique, quelle que soit sa qualité », explique Moussa Ngom, coordinateur de La Maison des Reporters. Leur défi particulier, ajoute-t-il, est de « maintenir à tout prix notre modèle économique, basé sur les dons du public et la qualité de notre production ».
Collaborer au-delà des pays – et des continents
Comme dans d’autres parties du monde, les collaborations transfrontalières en matière d’enquête sont en augmentation en Afrique – et plusieurs médias africains et associations régionales facilitent ou soutiennent activement de telles enquêtes – mais l’infrastructure pour les collaborations transfrontalières varie selon les régions, et les membres notent que davantage peut être fait pour promouvoir la collaboration intra-africaine sans partenaires internationaux.
Il est remarquable que plusieurs enquêtes collaboratives citées par les organisations membres de GIJN impliquent des partenariats avec des groupes extérieurs à l’Afrique. Makanday de Zambie, ainsi que d’autres médias d’Afrique australe, ont collaboré avec l’ICIJ pour produire l’enquête Swazi Secrets; Alqatiba de Tunisie a collaboré avec l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) sur une série d’enquêtes transfrontalières qui ont abouti aux révélations internationales Dubai Unlocked; iWatch Africa s’est associé à Lighthouse Reports des Pays-Bas pour un article sur le financement par l’Europe de pesticides interdits par l’UE au Ghana.
Collins Mtika, directeur éditorial du Centre for Investigative Journalism Malawi, souligne le fait que la concurrence pour obtenir des articles «exclusifs» reste un obstacle local à la poursuite de la collaboration. « Les journalistes d’investigation du Malawi résistent encore ou ne veulent pas collaborer avec leurs collègues », souligne-t-il. « L’intérêt de la concurrence est tellement inhérent que l’intérêt public est rarement pris en compte lors de la rédaction des articles ».
Malek Khadhraoui, d’Inkyfada, note qu’il existe une culture établie de collaborations transfrontalières dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), orchestrée par des réseaux tels que Arab Reporters for Investigative Journalism (ARIJ).
«Ces collaborations permettent aux journalistes d’aborder des sujets complexes tels que la corruption, les violations des droits de l’homme et le crime organisé, qui dépassent souvent les frontières nationales », explique-t-il. « En travaillant avec des partenaires internationaux comme l’ICIJ ou l’OCCRP, les journalistes d’investigation de la région MENA peuvent accéder à des outils avancés et à une expertise mondiale, ce qui leur permet de révéler des histoires qui pourraient autrement rester cachées en raison de restrictions locales.»
Selon M. Khadhraoui, la collaboration avec les réseaux internationaux de journalisme de redevabilibité présente un autre avantage : elle accélère l’innovation dans la région en mettant davantage l’accent sur l’utilisation du journalisme numérique et de données moderne, ainsi que sur d’autres ressources d’investigation modernes. « C’est essentiel pour découvrir les crimes financiers et la corruption qui nécessitent une analyse sophistiquée des données, faisant du journalisme d’investigation un outil vital pour la transparence et la responsabilité dans la région », note-t-il.
En Afrique de l ‘Ouest, la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) connecte déjà des journalistes d’investigation pour qu’ils travaillent ensemble dans une région très instable où quatre pays ont subi des coups d’État ces dernières années, et où le régime militaire a rendu encore plus difficile la pratique du journalisme indépendant.
Pour Oxpeckers Investigative Environmental Journalism d’Afrique du Sud, le nombre considérable d’articles produits pour leur projet de reportage #PowerTracker au cours des deux dernières années est le résultat de collaborations avec des journalistes du Mozambique, du Zimbabwe, d’Afrique du Sud, de Namibie et de la République démocratique du Congo.
L’ICIR du Nigéria collabore localement avec des organisations médiatiques complémentaires telles que Signature Television afin d’amplifier la portée de leurs enquêtes et la distribution de contenu multimédia. New Narratives a développé un réseau de plus de 10 rédactions au Libéria, au Ghana et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, où ils diffusent leur contenu, tandis que sept des centres de journalisme d’investigation d’Afrique australe sont membres de l’ IJ Hub, le point de ralliement de la région pour le journalisme collaboratif.
Il existe des plans pour améliorer et soutenir davantage d’enquêtes transfrontalières en collaboration.
Lors de l’AIJC2024, la directrice du Wits Centre for Journalism, Dinesh Balliah, a annoncé la création d’un réseau africain de journalisme d’investigation (AIJN), précisant qu’il «répondra aux besoins urgents de nombreux journalistes indépendants sur le continent, qui manquent de soutien organisationnel et d’association institutionnelle pour accéder au financement de leurs projets critiques de journalisme d’investigation ».
En Afrique de l’Est, Africa Uncensored, basé au Kenya, est le fer de lance de l’East Africa Investigative Journalism Network, qui sera lancé lors d’une conférence régionale inaugurale sur le journalisme d’investigation à Mombasa, au Kenya, au début du mois de décembre 2024.
Formation, innovation et avenir
Pour combler le manque d’opportunités de formation et de compétences, plusieurs membres africains de GIJN se sont concentrés sur le développement de compétences et de formations pour les jeunes journalistes. L’ICIR affirme avoir formé plus de 1 000 journalistes dans de nombreuses salles de rédaction et financé quelque 2 000 projets d’enquête depuis la création de l’organisation en 2010 ; iWatch Africa dit avoir formé plus de 200 journalistes, les dotant de compétences en matière de droits numériques, de journalisme de données et d’investigation (et a offert des bourses d’enquête à plusieurs journalistes).
Anton Harber, membre du conseil d’administration du GIJN et directeur général de la fondation sud-africaine Henry Nxumalo, qui accorde des subventions de journalisme d’investigation, déclare : « Notre principale réussite est d’avoir soutenu plus de 90 projets en 15 ans, dont certains ont eu un impact majeur », comme l’enquête Viewfinder sur la criminalité policière (lauréate du Global Shining Light Award en 2023 ) et l’enquête Daily Maverick sur les contrats d’influence.
Oxpeckers, le premier média d’enquête en Afrique spécialisé sur les questions environnementales, a développé ses propres ressources de formation pour l’analyse des données et la géocartographie, entre autres. Fiona Macleod, directrice exécutive d’Oxpeckers, déclare : « Nos 13 outils axés sur les données alimentent nos reportages publiés en ligne et par l’intermédiaire de nos partenaires médiatiques, les preuves sous-jacentes et autres sources étant mises à la disposition des autres médias et défenseurs de l’environnement pour qu’ils puissent les utiliser dans leur propre travail ».
D’autres outils ont été adoptés par les rédactions d’investigation africaines :
Malgré la grande diversité des réponses, il y a des points communs sur les listes de souhaits des membres de GIJN pour améliorer le journalisme de surveillance sur le continent. Il s’agit notamment de
Pour améliorer le journalisme d’investigation dans les pays africains, il est essentiel d’être proactif sur plusieurs fronts, à commencer par le recrutement et la formation de jeunes journalistes, note Collins Mtika du Centre pour le journalisme d’investigation du Malawi.
« Nous devons continuer à créer un cadre pour attirer de nouveaux journalistes et à les encadrer », explique Collins Mtika. «Nous devons également renforcer notre réseau et nos collaborations avec les journalistes d’investigation du pays et de la région… [et] nous devons participer en permanence à des ateliers internationaux et à des webinaires, afin de rester au fait des tendances en matière de journalisme d’investigation».
Benon Herbert Oluka est le responsable Afrique de GIJN. Journaliste multimédia ougandais, il est cofondateur de The Watchdog, un centre de journalisme d’investigation dans son pays d’origine, et membre de l’African Investigative Publishing Collective. M. Oluka a été reporter et rédacteur en chef pour les journaux The East African, Daily Monitor et The Observer. Il a également travaillé au bureau de l’Afrique subsaharienne de l’agence de presse Reuters à Johannesburg, en Afrique du Sud, et au programme Newsday de la BBC World Service Radio à Londres, au Royaume-Uni. En tant que journaliste indépendant, les travaux d’Oluka ont été publiés dans The Africa Report, Africa Review, Mail & Guardian Africa, Mongabay et ZAM magazine.
Maxime Domegni est responsable Afrique francophone de GIJN un journaliste primé qui possède des années d’expérience dans le journalisme d’investigation. Au cours des dix dernières années, il a travaillé, entre autres, comme rédacteur en chef du journal d’investigation togolais L’Alternative. Il a également collaboré avec différentes organisations médiatiques, notamment avec la Fondation Hirondelle, basée en Suisse, en tant que correspondant pour l’Afrique de l’Ouest du site web justiceinfo.net, et avec l’organisation néerlandaise RNW Media pour la version française du site web « This is Africa ». Il est basé à Dakar, au Sénégal, où il a travaillé pour BBC Afrique en tant que journaliste et producteur de planning pour l’Afrique francophone. M. Domegni est également membre de plusieurs organisations de journalisme d’investigation, dont la Cellule Norbert Zongo de journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), le Network of African Investigative Reporters (NAIRE) et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
12.11.2024 à 18:38
Maxime Domegni
#AfricaFocusWeek Du 18 au 24 novembre 2024, GIJN met en lumière le journalisme d’investigation en Afrique… et organise pour l’occasion un webinaire spécial, avec des journalistes chevronnés, pour vous aider à connecter vos enquêtes à l’Afrique. Rendez-vous mardi 26 novembre.
Plus que jamais, des recherches en investigation révèlent des pistes qui finissent très loin de leur point d’origine. Une enquête sur un meurtre dans une mine en République démocratique du Congo pourrait mener au siège londonien de l’une des principales sociétés diamantaires au monde. Une enquête sur la corruption au Libéria pourrait mener à un cabinet d’avocats ou à une société financière d’Amérique centrale. De même, une histoire sur le trafic d’espèces sauvages en Asie pourrait trouver son origine en Afrique du Sud.
Par conséquent, les journalistes d’investigation ont souvent besoin d’un coup de main pour mener à bien leurs enquêtes en accédant à des informations provenant de régions du monde auxquelles ils ne peuvent pas accéder facilement. En Afrique, plus que dans la plupart des autres régions du monde, les obstacles que les journalistes doivent surmonter pour réaliser des reportages en dehors de leur pays ou de leur continent sont nombreux, qu’il s’agisse de limitations financières, de restrictions en matière de visas ou de barrières technologiques. Les reporters étrangers se heurtent également à des difficultés uniques en Afrique, que les journalistes locaux ont les compétences et l’expérience nécessaires pour surmonter.
Le journalisme d’investigation collaboratif gagne donc en importance en tant qu’outil mutuellement bénéfique pour les journalistes et les rédactions désireux de raconter des histoires en Afrique ou sur l’Afrique, comme le montrent les exemples récents du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et de ses partenaires en Afrique australe, Africa Uncensored et Lighthouse Reports, le Pulitzer Center, ainsi que ce premier et ce deuxième sujetsréalisés par les équipes d’Associated Press.
Dans le prolongement de sa série Africa Focus Week (prévue du 18 au 22 novembre), GIJN est heureux de vous présenter ce webinaire au cours duquel des journalistes africains qui ont mené des enquêtes collaboratives percutantes discuteront de la manière de relier les points entre l’Afrique et votre prochain sujet d’enquête. Notre panel d’experts s’appuiera sur leurs propres expériences et connaissances pour identifier des conseils utiles pour enquêter sur les méfaits des multinationales, l’exploitation des ressources naturelles et l’impunité au-delà des frontières.
Grace Ekpu est photographe et réalisatrice de documentaires. Anciennement productrice de nouvelles à TVC News Africa et journaliste senior à la BBC, elle a rejoint en 2022 l’unité d’enquêtes internationales de l’Associated Press, où elle couvre les océans et les pêcheries grâce à son expertise visuelle.
Cynthia Gichiri est reporter et productrice à Africa Uncensored, un média d’investigation et de journalisme d’intérêt public de référence. Au cours d’une carrière où son travail a été récompensé à plusieurs reprises, elle a participé à plusieurs projets locaux et internationaux de journalisme d’investigation collaboratif.
Madeleine Ngeunga est Editor pour l’Afrique au Pulitzer Centre, qui finance des reportages et enquêtes indépendants sur des questions systémiques sous-estimées dans le monde entier, y compris en Afrique et à propos de l’Afrique.
Micah Reddy est le coordinateur pour l’Afrique du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), qui s’est associé à plusieurs centres de journalisme d’investigation et à des médias en Afrique pour réaliser des enquêtes percutantes.
La modératrice est Dinesh Balliah, directrice du Wits Centre for Journalism et organisatrice de la Conférence africaine sur le journalisme d’investigation 2024.
Surveillez notre fil Twitter @gijnAfrique et abonnez-vous à notre bulletin d’information en français pour plus de détails sur les événements à venir.
Date du webinaire : Mardi 26 novembre 2024
Heure : Trouver l’heure qu’il fera dans votre ville
21.10.2024 à 15:34
Alcyone Wemaere
GIJN en français a organisé le 7 novembre 2024 un webinaire durant lequel trois journalistes confirmés ont partagé leurs astuces pour enquêter sur le système agro-industriel.
Que ce soit en termes d’emplois ou de chiffre d’affaires, l’agro-alimentaire est la première industrie de France. Son impact majeur sur de nombreux secteurs (alimentaire, sanitaire, environnemental, social…) en fait une matière riche à enquêtes d’intérêt public.
Vous souhaitez visionner le replay de ce webinaire? Envoyez un mail à : alcyone.wemaere@gijn.org pour en demander l’accès.
Pourtant, à la mesure de son poids économique, l’agro-industrie n’est pas un terrain réputé facile pour les journalistes d’investigation. “Opacité”, “silence”, “omerta”, “pression” sont des mots qui reviennent souvent dans la bouche des journalistes couvrant le sujet, en France comme ailleurs.
Pour encourager les enquêtes sur le système agro-industriel et aider les journalistes désireux de creuser le sujet, le département francophone de GIJN, le Réseau international de journalisme d’investigation, a organisé le 7 novembre 2024 un webinaire avec plusieurs journalistes expérimentés, travaillant depuis plusieurs années sur le sujet et qui ont partagé leurs conseils et leurs techniques d’enquête :
Nicolas Legendre. Correspondant pendant plusieurs années du journal Le Monde en Bretagne et également collaborateur de Géo et XXI, il a reçu le Prix Albert Londres en 2023 pour son livre-enquête “Silence dans les champs” (éditions Arthaud), fruit de sept ans de travail et riche de plus de 300 témoignages recueillis sur le terrain.
Inès Léraud. Journaliste indépendante, membre du collectif Disclose, elle a co-cofondé Splann ! ainsi que l’Observatoire français des atteintes à la liberté de la presse (Ofalp), elle a commencé à enquêter sur le phénomène des algues vertes à partir de 2016 pour Radio France. Enquête qui a donné lieu à une BD : “Algues vertes, l’histoire interdite” (éditions Delcourt).
Robert Schmidt. Journaliste indépendant, co-fondateur du collectif We Report, il enquête, entre autres, sur les conflits d’intérêts et les questions d’environnement pour différents médias français mais aussi allemands (Mediapart, Arte…). Il a commencé à travailler sur l’enquête #WaterStories en 2017.
Modération : Alcyone Wemaëre, responsable de GIJN en français et co-encadrante du master data et investigation du CFJ et de Sciences-Po Lyon.
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09.10.2024 à 03:46
Ana P. Santos
Comment les journalistes peuvent-ils enquêter sur les féminicides sans réduire le meurtre de femmes à des statistiques criminelles, et comment produire un récit qui humanise sans sensationnaliser ?
Les articles sur le féminicide – le meurtre délibéré de femmes parce qu’elles sont des femmes – sont souvent axés sur des détails salaces et macabres, ou s’appuient uniquement sur des données concrètes pour illustrer le nombre de femmes tuées.
Alors comment les journalistes peuvent-ils faire mieux lorsqu’ils traitent de cette question cruciale, et utiliser des données sans réduire le meurtre de femmes à des statistiques criminelles, et comment peuvent-ils produire un récit qui humanise mais ne fait pas de sensationnalisme ? Lors d’une table ronde à la 13e Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (#GIJC23), Mago Torres, Rédactrice en chef – responsable data à The Examination, a discuté avec quatre journalistes de la manière de trouver un équilibre entre les statistiques et les récits personnels pour produire une narration puissante sur la question du féminicide.
Problème structurel
Pour l’enquête Justicia Machista ( « Justice sexiste »), Fabiola Torres et son équipe de Salud con Lupa, basée au Pérou, ont déposé des demandes de liberté d’information pour accéder aux dossiers judiciaires et compiler une base de données de 160 décisions de justice sur le féminicide et la tentative de féminicide entre 2018 et 2022.
Ils ont constaté que les phrases extraites des décisions de justice montraient que les justifications des juges reflétaient souvent le récit et les arguments présentés par les avocats de la défense de l’accusé, qui comprenaient des arguments pour réduire les allégations de féminicide, ou de tentative de féminicide, à des crimes moins graves, tels que les blessures physiques. Par exemple, le raisonnement selon lequel les blessures n’étant pas situées dans des zones critiques du corps d’une femme, il n’y avait pas eu d’intention de la tuer.
Les journalistes de Salud con Lupa ont noté que les tribunaux, lorsqu’ils prononçaient des condamnations, n’imposaient souvent pas les peines prévues par le code pénal pour de tels crimes. Certains juges ont estimé que si le condamné était un jeune homme ayant des enfants à charge et qu’il était encore « à un âge productif », son crime ne méritait pas l’emprisonnement à vie.
L’enquête a révélé une « vérité dérangeante », a déclaré Mme Torres. « Le profil [d’une personne qui commet] un féminicide est celui d’un homme ordinaire qui a un comportement sexiste bien ancré ». La société a tendance à réduire le problème de la violence sexiste à un groupe de « mauvais hommes », mais ce n’est pas vrai, a-t-elle ajouté. « Il s’agit d’un problème structurel.
Les conclusions de l’enquête ont été communiquées aux juges péruviens, notamment à la commission de la justice en matière de genre du pouvoir judiciaire, afin de mieux comprendre les lacunes et les incohérences du système judiciaire.
Selon Mme Torres, lorsqu’ils enquêtent sur les féminicides, les journalistes doivent aller au-delà du nombre de femmes tuées et rechercher des tendances. Par exemple, Mme Torres et son équipe ont noté qu’environ une victime de féminicide sur sept en 2021 avait d’abord été déclarée disparue : « Il y a d’abord les disparitions, puis les féminicides », a déclaré Mme Torres.
Pénurie « stupéfiante » de données
Janine Louloudi, journaliste et productrice à l’Institut méditerranéen du journalisme d’investigation (MIIR en anglais), a mené une enquête transfrontalière dans 19 salles de rédaction afin de dresser un état des lieux de la violence et des féminicides en Europe pendant la pandémie de COVID-19. Les féminicides : The Undeclared War on Women in Europe a révélé la pénurie « stupéfiante » de données actuelles sur les féminicides.
Selon l’enquête, il n’existe aucune donnée officielle sur les féminicides au niveau de l’Union Européenne après 2018, et dans toute l’Europe, seule Chypre identifie le crime spécifique de féminicide, distinct de l’homicide, dans son système juridique. Récemment, Malte a introduit une clause d’« intention féminicide » pour les meurtres de femmes. L’équipe a recueilli des données auprès de sources régionales telles que l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) et de sources nationales telles que les statistiques nationales et les données policières. Des données provenant de sources non officielles, telles que des groupes de surveillance locaux, ont également été incluses.
Les entretiens avec les survivantes et les membres de la famille des victimes ont été essentiels pour contrer le sensationnalisme des reportages sur les féminicides, qui sont considérés comme des crimes passionnels. « Chaque statistique est un moment où la vie d’une femme change », a déclaré Mme Louloudi.
Mme Louloudi et Thanasis Troboukis – un journaliste de l’organisation à but non lucratif iMEdD Lab, basée à Athènes, qui s’est chargé de l’analyse et de la visualisation des données pour l’histoire transfrontalière – ont partagé des conseils pour la collecte de données et l’établissement de comparaisons significatives.
2. Se concentrer sur les taux, pas seulement sur les chiffres absolus. La collecte de données dans différents pays implique des disparités dans les méthodologies de collecte et les calculs. Calculez les variations en pourcentage pour effectuer des comparaisons significatives.
3. Utilisez des données statistiques générales pour établir des comparaisons. Comparer les données sur les féminicides à des statistiques telles que la population permettra de contextualiser l’incidence des meurtres de femmes par rapport à l’ensemble de la population.
4. Examiner comment les données illustrent le parcours du survivant. Par exemple, une victime peut essayer d’appeler un service d’assistance téléphonique. Essayez de savoir combien d’appels sont enregistrés, a déclaré Troboukis. En outre, une femme peut déposer une plainte, et l’analyse du nombre de plaintes et des types de violence signalés peut illustrer combien d’entre elles aboutissent effectivement à une arrestation et à une condamnation.
5. D’autres questions à se poser : Votre pays reconnaît-il la violence entre partenaires intimes ? Quelles sont les lois existantes qui encadrent la violence à l’égard des femmes ? Quel est l’âge des victimes ? Quel est le sexe des victimes ?
Dans le cas de l’Afrique du Sud, l’absence de données sur les féminicides a été le premier obstacle rencontré par Laura Grant et son équipe du Media Hack Collective ; les données sur la criminalité publiées chaque année ne comptabilisent que le nombre de meurtres, sans répartition entre les hommes et les femmes.
Une présentation PowerPoint du Service de police sud-africain (SAPS) basée sur les données criminelles de 2019-20 comprenait des informations sur la relation entre la victime et le tueur, mais cette information n’était connue que dans environ un cas de meurtre sur cinq – pour les victimes hommes et femmes – cette année-là.
Pour combler les lacunes et raconter certaines de ces histoires, l’équipe de Mme Grant a compilé des articles de presse sur les meurtres de femmes et a créé une carte interactive des lieux où ces meurtres ont eu lieu – mais même certains articles de presse ne contenaient pas d’informations sur les victimes et les causes de leur décès. Ces détails manquants, a expliqué Mme Grant, sont la raison pour laquelle ils ont décidé d’intituler leur enquête #SayHerName : Les visages de l’épidémie de féminicide en Afrique du Sud. (De plus amples détails sur leur méthodologie de recherche d’articles de presse sont disponibles ici).
Selon les données du SAPS citées dans leur enquête, entre 2015 et 2020, un total de 13 815 femmes ont été assassinées, soit environ sept femmes par jour. En examinant les reportages de janvier 2018 à octobre 2020, a expliqué Mme Grant, ils ont constaté que sur le nombre de femmes de 18 ans et plus qui ont été tuées au cours de cette période, seule une petite fraction des cas avait été présentée dans les nouvelles nationales ou locales.
« Les histoires médiatiques [sur les féminicides] concernent souvent des femmes jeunes et jolies, ou des célébrités. Les détails sont salaces ou horribles », a déclaré Mme Grant, qui a ajouté que la plupart des histoires qui sont finalement rendues publiques le sont lors de journées commémoratives appelant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes.
« Il y a beaucoup d’histoires de femmes qui ne sont pas racontées. Et le fait que ces histoires ne soient pas racontées est tout aussi important », a ajouté Mme Grant.
03.10.2024 à 15:05
Alcyone Wemaere
Ce webinaire GIJN qui a eu lieu le 10 octobre 2024 plonge dans le monde des sociétés écrans, explorant comment les journalistes d’investigation peuvent démêler ces réseaux complexes.
Derrière de nombreux scandales financiers majeurs, les sociétés écrans jouent un rôle central en dissimulant les véritables propriétaires et en permettant la circulation de fonds illicites. Qu’il s’agisse de crimes financiers internationaux ou d’affaires de corruption locales, des montages financiers complexes sont fréquemment utilisés pour dissimuler les bénéficiaires d’activités illégales. Comprendre comment traquer et démasquer les sociétés écrans est essentiel pour tout journaliste travaillant sur des enquêtes financières, politiques ou d’entreprise.
Ce webinaire GIJN qui a eu lieu le 10 octobre 2024 plonge dans le monde des sociétés écrans, explorant comment les journalistes d’investigation peuvent démêler ces réseaux complexes. Des experts du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et de Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) y ontpartagé des ressources utiles pour aider les journalistes à naviguer dans ce domaine difficile, en se concentrant à la fois sur la stratégie pour enquêter et sur les conseils et outils les plus pertinents.
Karrie Kehoe est la responsable adjointe des données et de la recherche de lCIJ. Elle a commencé à travailler avec ICIJ sur le projet Fatal Extraction en 2015 et a rejoint ICIJ en tant que data-journaliste à temps plein en 2018. Karrie Kehoe a travaillé sur de nombreuses enquêtes menées par ICIJ au fil des ans, notamment Pandora Papers, Uber Files, Ericsson List, Deforestation Inc, FinCEN Files, Solitary Voices, Implant Files et les Mauritius Leaks.
Jan Strozyk est rédacteur en chef data à OCCRP et co-dirige l’équipe de recherche et data de OCCRP avec la responsable de la recherche Karina Shedrofsky. Il travaille en étroite collaboration avec les équipes data et éditoriales de OCCRP, coordonnant l’analyse des données et travaillant sur des enquêtes basées sur du data-journalisme. Avant de rejoindre OCCRP, Jan Strozyk était journaliste à la chaîne d’information publique allemande NDR, où il a travaillé sur les Luxembourg Leaks, les Panama Papers, les Paradise Papers, les FinCEN Files et d’autres enquêtes transfrontalières.
Le modérateur est Simon Bowers, rédacteur en chef des enquêtes à Finance Uncovered. Basé à Londres, il a rejoint l’organisation en novembre 2020 après avoir été pendant quatre ans coordinateur européen du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Auparavant, il a passé 19 ans au Guardian, au Royaume-Uni, où il était grand reporter et travaillait sur des enquêtes fiscales et financières.
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25.09.2024 à 19:34
Toby McIntosh
Note de la rédaction : ce guide a été préparé par Toby McIntosh, conseiller senior auprès de GIJN. De nombreux membres du staff de GIJN y ont également contribué. Merci à Alcyone Wemaëre, Andrea Arzaba, Amel Ghani, Ana Beatriz Assam, Sheikh Sabiha Alam, Holly Pate, Pınar Dağ, Gabriela Manuli, Laura Dixon, Benon Herbert Oluka, Majdoleen Hassan et Tri Joko Her Riadi. Ce guide a été édité entre autres par Nikolia Apostolou, Reed Richardson et Alexa van Sickle.
GIJN tient également à remercier Joe Lo, journaliste au sein de la rédaction de Climate Home News, et Laurie Goering, en charge de la rubrique chaleur extrême de Climate Resilience for All, pour leur contribution.
De nouveaux records de chaleur seront probablement établis cette année, éclipsant 2023, qui fût l’année la plus chaude jamais enregistrée, selon Copernicus, le centre d’observation de la Terre du programme spatial de l’Union européenne. Cela poursuit une tendance alarmante : les 10 années les plus chaudes jamais enregistrées se sont produites au cours de la dernière décennie.
Les effets négatifs de la hausse des températures sont visibles partout et offrent de nombreuses possibilités d’enquête au journalisme d’investigation.
Certains évènements ont fait les gros titres. À l’été 2024, plus de 1 300 personnes sont mortes d’une exposition extrême à la chaleur pendant le Hajj, le pèlerinage à La Mecque en Arabie saoudite. Au Mexique, des singes hurleurs sont morts de déshydratation.
L’ampleur du réchauffement climatique et de ses conséquences est considérable.
Selon un rapport de Climate Central, une ONG américaine, « 6,8 milliards de personnes – soit 78 % de la population mondiale – ont connu au moins 31 jours de chaleur extrême » au cours des 12 mois se terminant en mai 2024. Et les vagues de chaleur devraient faire environ 1,6 million de victimes d’ici à 2050, selon un rapport du Forum économique mondial paru en janvier 2024, qui a également estimé que les sécheresses causeront 3,2 millions de décès d’ici 2050.
Ces températures plus élevées sont causées par des concentrations accrues de gaz piégeant la chaleur dans l’atmosphère, principalement dues à l’utilisation humaine de combustibles fossiles. Ces émissions ont non seulement élevé les températures, mais aussi entraîné des précipitations plus intenses, des sécheresses plus violentes, des incendies de forêt plus importants et des tempêtes plus fortes.
Ce guide suggère de multiples angles pour enquêter sur les vagues de chaleur extrêmes à l’échelle mondiale.
Les sujets potentiels comprennent :
Les sites d’information locaux et régionaux enquêtent de manière spectaculaire sur ces sujets et bien d’autres encore. De grands médias tels que The Washington Post, Salon et Rolling Stone ont également donné des perspectives plus mondiales du problème.
Pour dire les choses clairement, les exemples présentés ci-dessous ne sont pas des nouvelles sur la météo ou des articles sur les derniers rapports scientifiques, bien qu’une telle couverture soit essentielle. Ce guide ne vise pas non plus à examiner les causes de l’augmentation des températures ou à documenter les impacts généralisés, tels que l’élévation du niveau des mers et le rétrécissement des glaciers. (Pour plus de conseils et de ressources sur le premier point, voir le Guide de GIJN pour enquêter sur l’élévation du niveau de la mer). Nos exemples sont des enquêtes journalistiques sur les effets de l’augmentation de la chaleur sur les humains.
Exemples
Pourquoi le choléra fait-il des milliers de morts en Afrique australe ? – The New Humanitarian
Le tueur qui traque les hommes sri-lankais – The New York Times
La chaleur et la pollution rendent le pollen plus agressif et provoquent une augmentation des allergies en été – elDiario.es (Espagne)
La dengue est de plus en plus répandue à travers le monde. Une planète plus chaude ne fera qu’empirer les choses – The Washington Post
Pour la population vieillissante du Japon, un lien troublant entre la chaleur et la démence – Japan Times
La fumée persistante des feux de forêt érode la santé mentale de l’Amérique rurale – Climate Central
La chaleur au Mexique provoque un nombre record de décès en 2023 – Quinto Elemento Lab
Pic des décès dus à la dengue en 2023 : les facteurs responsables – BBC (Bangladesh)
Comment la chaleur affecte le cerveau – The New York Times
Poursuivre les responsables de désastres climatiques en justice – The Lever
« Quand il fait si chaud, le temps est suspendu » : Survivre à la chaleur extrême en Afrique de l’Ouest – The Guardian
La chaleur fait des milliers de morts aux États-Unis chaque année. Pourquoi est-il si difficile d’établir le nombre exact de décès ? – The New York Times
Exemples
Les urgences liées à la chaleur augmentent aux États-Unis. Les hôpitaux peuvent-ils gérer l’affluence de patients ? – The New York Times
La vague de chaleur met en danger l’efficacité des médicaments – The Business Standard (Bangladesh)
Les hôpitaux poussent un cri d’alarme : La chaleur, les pannes et l’augmentation du nombre de patients font craquer les infrastructures sanitaires – The Business Standard (Bangladesh)
Le Texas sous-estime probablement le nombre de décès liés à la chaleur – Inside Climate News
Brûlures avec de l’asphalte, délire, sacs mortuaires : la chaleur extrême submerge les services d’urgences à travers les États-Unis – The Guardian
Comment s’assurer que les sans-abri ont assez d’eau dans la grande ville la plus chaude d’Amérique – Context, Fondation Thomson Reuters
Exclusif : Les trois quarts des prisons en Angleterre et au Pays de Galles sont confrontés à un risque « élevé » de surchauffe – CarbonBrief
Comment les villes américaines protègent les personnes isolées lors de vagues de chaleur – The Guardian
Exemples
40 degrés dans l’usine : la santé des ouvriers à l’ère de la chaleur extrême – Reporter Brasil
Les livreurs saoudiens cuisent dans une chaleur estivale « mortelle » – AFP
Ce que c’est que de travailler dans l’une des villes les plus chaudes d’Amérique du Sud – El Surtidor
Mort de chaleur : David est parti travailler sur un chantier de construction français. À la fin de la journée, il était mort – The Guardian
Pour les éboueurs indiens, un travail misérable et dangereux aggravé par une chaleur extrême – AP
Les États-Unis ont un plan pour protéger les travailleurs de la chaleur. Les employeurs le combattent – The Washington Post
Les ouvriers de l’industrie de l’habillement bangladais souffrent de la hausse des températures – Context
Les ouvriers de l’industrie de l’habillement sont parmi les premières victimes du réchauffement climatique – Grist
L’« effet de serre » : comment une solution climatique souvent vantée menace les ouvriers agricoles – AP
Livreur, un métier risqué sur une planète de plus en plus chaude – El Pais
La Californie réduit les contrôles de sécurité alors que les ouvriers agricoles travaillent dans une chaleur extrême – The Los Angeles Times (article payant)
« Travailler ici, c’est l’enfer » : Le décès d’un ouvrier agricole dans une chaleur de 40 degrés choque l’Italie – The Guardian
Chaleurs extrêmes : L’impact sur les vendeurs de rue – Greenpeace
Exemples
« Inégalités thermiques » – La cartographie thermique du Cap révèle d’énormes différences de température entre différents quartiers – The Daily Maverick
Lors de pics de chaleurs, les habitants des quartiers urbains les plus pauvres souffrent le plus – ecoRI (US)
L’inégalité thermique « provoque des milliers de décès non déclarés dans les pays pauvres » – The Guardian
En raison de l’inaction politique, les résidents à faible revenu de Nashville sont particulièrement confrontés à l’impact du réchauffement climatique – Inside Climate News
Sur les plages de Gaza et de Tel Aviv, deux visions d’une même vague de chaleur – Climate Home News
Luxe ou survie ? Pourquoi le manque de climatisation peut s’avérer mortel – The Telegraph
En raison des mesures de répression saoudiennes en matière de visas, les pèlerins du Hajj frappés par la vague de chaleur ont peur de demander de l’aide – Climate Home News
A Detroit, les enfants noirs asthmatiques sont les plus durement touchés par les allergies saisonnières – Bridge Detroit et Climate Central
Nous avons besoin de données de mortalité qui prennent davantage compte de l’impact du changement climatique – Nonprofit Quarterly
Au Kenya, des fausses couches dûes aux chaleurs élevées – Climate Resilience
« Je dois littéralement tout demander à mon mari » : comment un climat plus chaud change les rôles de genre – CNN (Inde)
« C’est une forme de torture » : la chaleur intense tue des dizaines de détenus dans les prisons du Texas – The Guardian
Exemples
« L’Adriatique devient tropicale » : les pêcheurs italiens luttent pour s’adapter à une mer plus chaude – The Guardian
Quantifier l’impact du changement climatique et de la chaleur extrême sur la culture du riz aux États-Unis – Agricultural and Forest Meteorology
Les agriculteurs des régions montagneuses du Pakistan s’adaptent à la hausse des températures – Dialogue Earth
Alors que la chaleur intense fait tomber les mangues, les agriculteurs s’inquiètent pour leur rendement – Bangla Tribune
La canicule fait craindre des pertes aux producteurs de crevettes – The Daily Star
Le lanceur d’alerte – Le projet Outlaw Ocean
Cinq graphiques : Comment le changement climatique fait flamber les prix des aliments dans le monde entier – CarbonBrief
Changement climatique dans le Beaujolais : le gamay peut-il disparaître ? – Rue89Lyon
Exemples
Dans le Midwest, les inondations et les vagues de chaleur généralisées sapent les systèmes de transport américains – Inside Climate News
Ponts bloqués, routes endommagées – La chaleur extrême fait des ravages sur l’infrastructure vieillissante des Etats-Unis – The Conversation
Prendre un train pendant une vague de chaleur ? Attention à la déformation des rails – Grist
Le changement climatique augmente les risques pour les sites contenant du matériel radioactif – AP
Des milliers de barrages américains pourraient ne pas résister à des pluies diluviennes – The New Scientist
Exemples
Les villes s’attaquent à la hausse des températures. Encore faut-il qu’elles évitent ce piège – The Guardian
Londres doit s’adapter aux pics de chaleur « dans les plus brefs délais » – Climate Resilience for All
Comment l’ouest américain s’adapte aux températures de plus en plus élevées – BBC
A l’arrivée de la canicule, l’eau devient une ressource précieuse – Dawn
La capitale est pleine d’arbres qui ne conviennent pas à l’environnement – Prothom Alo
La chaleur a toujours été un problème aux Philippines – et le problème va s’empirer – Rappler
Le changement climatique met les athlètes et leur sport en danger – The Conversation
Pour les athlètes, le changement climatique représente un adversaire de poids – CBC
Aux Jeux olympiques, la chaleur peut rendre les compétitions bien plus dangereuses – Inside Climate News
Une chaleur extrême frappe les Jeux olympiques. En cause : le changement climatique – The Guardian
Comment le changement climatique menace l’avenir des Jeux olympiques d’hiver – The Conversation
Alors que le monde se réchauffe, le débat sur le gazon artificiel se tend – The New Lede
Exemples
Un tiers des décès dus à l’ouragan Beryl au Texas ont été causés par la chaleur – NBC News
De l’assurance aux « jumeaux numériques », l’innovation pour réduire les risques de chaleur prend son envol – Climate Resilience for All
Manger ou rester au frais ? Les villes testent des moyens pour protéger les pauvres contre la chaleur croissante – Fondation Thomson Reuters
Comment la lutte contre les chaleurs extrêmes coûte de plus en plus cher aux Américains – USA Today
Exemples
La chaleur extrême pose un nouveau défi aux agences d’aide à Gaza – Context, Fondation Thomson Reuters
Comment une ère de chaleur extrême transforme les économies – Financial Times (article payant)
La chaleur extrême pose un « risque réel » pour l’industrie espagnole du tourisme de masse – The Guardian
Comment la hausse des températures peut influer sur les élections futures – Nonprofit Quarterly
La chaleur extrême rend les écoles plus chaudes – et l’apprentissage plus difficile – The 19th
Les touristes sont plus à risque lors de pics de chaleur – Inside Climate News
La chaleur tue des milliers de personnes, et les grands événements ne se sont pas adaptés à cette donnée – The New York Times
Les arbres aussi peuvent avoir des coups de chaleur – Sierra Club
Les saumons font face à des eaux de plus en plus chaudes – E&E News
Les vagues de chaleur et les sécheresses sont une aubaine pour les entreprises de malbouffe – tribune dans The New York Times
Le changement climatique remplit les mers grecques d’espèces envahissantes – Efymerida ton Sindakton
Le Bureau of Investigative Journalism au Royaume-Uni a parrainé un projet participatif pour montrer « comment la température dans les foyers augmente pendant une vague de chaleur – et ce que cela signifie pour la santé des habitants ». Vous pouvez lire les résultats de l’enquête dans les articles Vivre dans une maison surchauffée ou encore L’impact croissant des canicules estivales sur le logement au Royaume-Uni.
Chaleur et santé – L’Organisation mondiale de la santé.
UNICEF – Un rapport sur le nombre d’enfants touchés par la chaleur extrême.
Organisation internationale du travail – « Travailler sur une planète plus chaude », un rapport paru en 2019.
Climate Shift Index – Une carte mondiale de l’ONG américaine Climate Central.
Global Heat Health Information Network – Des ressources créées par un forum indépendant dirigé bénévolement par ses membres, dont des scientifiques et des politiques.
Sept leçons pour le journalisme à l’ère de la chaleur extrême – Les membres et anciens élèves de l’Oxford Climate Journalism Network se sont rencontrés pour évoquer la chaleur et sa couverture médiatique.
World Weather Attribution – « Travaillant avec des scientifiques du monde entier, WWA quantifie l’effet du changement climatique sur l’intensité et la probabilité d’un événement météorologique extrême qui vient d’avoir lieu, à l’aide d’observations météorologiques et de modélisation informatique. » Voir ce guide à destination des journalistes.
Quantifier l’impact du changement climatique sur la santé humaine – Un rapport de 2024 publié par le Forum économique mondial.
Changement climatique et hausse de la chaleur à l’échelle mondiale – Un rapport de 2024 produit en collaboration avec Climate Central, World Weather Attribution et le Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Vital Signs Project – Recherche sur les décès de travailleurs migrants dans les États du Golfe, y compris un rapport intitulé Killer Heat (‘Chaleur mortelle’).
Précipitations extrêmes dans un climat en voie de réchauffement – Un rapport de l’ONG américaine Climate Central, qui a également produit le guide Extreme Weather Toolkit : Extreme Heat sur la chaleur extrême.
La chaleur extrême et votre santé – Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies
Comment donner la priorité à la santé dans un monde confronté au changement climatique – un rapport de Lancet paru en 2023
Chaleur urbaine persistante – Une étude de 2023 dans Science Advances, une revue qui publie régulièrement les conclusions de scientifiques sur la chaleur.
L’impact du changement climatique sur chaque filière économique – L’Agence de protection de l’environnement (EPA) aux Etats-Unis. Également par l’EPA : L’impact du changement climatique sur la santé humaine.
L’impact du changement climatique sur notre santé et nos systèmes de soins – Le Fonds du Commonwealth
La chaleur extrême bat tous les records : pourquoi ce n’est pas un été comme un autre – The Conversation
Les humains font de plus en plus face à des températures et une humidité trop élevées – Science Advances
La tolérance humaine à la chaleur – Académie nationale des sciences (États-Unis)
La chaleur extrême à Phoenix pourrait rendre le travail en plein air « impossible » pendant près de la moitié de l’année – Climate Analytics
Système national intégré d’information sur la santé thermique
Conseils et meilleures pratiques pour visualiser la chaleur extrême – ClimateVisuals.Org
Société des journalistes environnementaux – Y est régulièrement mise à jour une liste d’articles sur les questions environnementales. Recherchez le mot-clé « chaleur ».
Chaleur extrême – Une rubrique du Guardian
« Vivre et mourir sur une planète en feu » par Jeff Goodell
« La Terre en surchauffe et le déracinement de l’Amérique » par Abrahm Lustgarten
« Comment un climat changeant transforme notre cerveau » par Clayton Page Aldern
« Les coûts cachés d’un monde qui se réchauffe » par R. Parc de Jisung
« Comment le changement climatique change le sport » par Madeleine Orr
« Vague de chaleur : un livre d’images » par Lauren Redniss
Toby McIntosh est conseiller sénior auprès du centre de ressources de GIJN, qui fournit des ressources en ligne aux journalistes du monde entier. Il était rédacteur en chef de FreedomInfo.org (2010-2017), un site Web à but non lucratif basé à Washington qui couvre les lois internationales sur la transparence. Il a travaillé chez Bloomberg BNA pendant 39 ans, a déposé de nombreuses requêtes d’accès aux documents administratifs américains et a couvert les questions de transparence gouvernementale dans le monde entier. Il est membre du comité directeur de FOIANet, un réseau de défenseurs du droit d’accès aux documents administratifs.
27.08.2024 à 16:36
Alcyone Wemaëre
Vous souhaitez vous lancer dans le journalisme d’investigation ? Que vous soyez étudiant ou autodidacte, voici dix conseils que GIJN a recueilli auprès de journalistes d’investigation du monde entier ayant également la casquette d’enseignants dans des formations à l’enquête et au data-journalisme reconnues. L’article comprend aussi des ressources clés pour qui veut devenir un journaliste d’enquête.
Le métier de journaliste d’investigation fait rêver.
Du film « Les hommes du président » – le récit de l’enquête sur le scandale du Watergate – à des long métrages plus récents comme « The Post », « Spotlight » et « She Said », Hollywood a nourri l’image du journaliste d’investigation comme un reporter intrépide qui se bat pour creuser une histoire interdite. Il y a une part de vérité dans ces films, qui ont peut-être suscité des vocations, même si la réalité de la profession est plus riche et plus complexe.
On devient rarement journaliste d’investigation du jour au lendemain. Et si les enquêtes continuent de nécessiter un travail et des méthodes de journalisme “à l’ancienne”, certains outils plus récents ou des techniques innovantes relevant, par exemple, de l’OSINT nécessitent un apprentissage.
Devenir journaliste d’investigation n’est pas hors de portée, à condition d’avoir reçu la formation nécessaire. Celle-ci peut se faire dans une école de journalisme ou en apprentissage, mais aussi, de manière moins académique, en s’appuyant sur des ressources gratuites en ligne. Une autre option consiste à apprendre le métier « sur le tas » en suivant le sillage de journalistes plus expérimentés.
La formation n’est pas tout ce dont vous aurez besoin : comme pour toute trajectoire professionnelle, il vous faudra aussi, sans doute, de la chance, des bonnes rencontres et de bons mentors.
Vous êtes étudiants et vous souhaitez faire une école de journalisme ou une formation au journalisme d’investigation ? Vous êtes déjà journaliste, ou reporter autodidacte, et vous souhaitez apprendre à réaliser des enquêtes plus approfondies ou vous lancer dans le data-journalisme ? GIJN a réuni dans cet article des conseils de journalistes d’investigation qui enseignent tous le journalisme d’enquête ou le data-journalisme. Des conseils que nous complétons par des ressources sur lesquelles vous appuyer :
Dans leur ouvrage « Principes du Journalisme », Tom Rosenstiel et Bill Kovach écrivent que le cœur du journalisme est de fournir au public des informations fiables, pertinentes et véridiques afin que chacun devienne un citoyen informé.
Mais qu’est-ce que le journalisme d’investigation ? GIJN propose une définition de la profession en notant que le terme « investigation » dans le dictionnaire est associé à l’adjectif « systématique » et implique des recherches approfondies et des reportages originaux. Une autre caractéristique du journalisme d’investigation est qu’il révèle des informations que certaines personnes ou institutions préféreraient garder cachées. En effet, si une enquête ne révèle rien d’inédit, ce n’est pas une enquête.
Mais attention, une simple fuite de document n’est pas non plus une enquête… mais peut en être le point de départ. Ainsi, si les enquêtes #PanamaPapers, #LuxLeaks ou #UberFiles ont toutes effectivement commencé par une fuite massive de données. Ces documents ont ensuite été analysés par des journalistes et utilisés pour faire parler des sources.
“Tous les journalistes n’ont pas le tempérament pour devenir journaliste d’investigation”, estime Claudine Blais, professeure de journalisme à l’Université de Montréal. L’ancienne rédactrice en chef de l’émission Enquête à Radio-Canada dit ainsi repérer rapidement, parmi ses étudiants, qui a “le profil” pour faire du journalisme d’investigation. “Ceux qui passent un appel, n’ont pas de retour et en restent là, je sais que cela ne va pas tenir la route pour une enquête”, tranche-t-elle. “Il faut être insistant, passer vingt coups de téléphone, ne pas abandonner rapidement et faire preuve de stratégies pour contourner les difficultés”, poursuit-elle en estimant qu’il faut savoir, avec ses interlocuteurs, s’arrêter à la limite “juste avant le ‘non’”.
“Si on décide de se lancer dans le journalisme d’investigation, il faut prendre cela au sérieux”, estime Hamadou Tidiane Sy, ancien vice-président de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) et directeur de l’école du journalisme E-jicom de Dakar, au Sénégal. “Faire du bon journalisme est difficile… mais faire du journalisme d’investigation est encore plus difficile”, souligne t-il. Avant d’ajouter : “Il ne faut pas penser qu’il va suffire de quelqu’un vous contacte avec “un dossier explosif” et que vous n’aurez qu’à tout balancer. Non, il y a un long travail de recoupements avant la parution d’une enquête”.
Sur le site de GIJN, la rubrique “How they did it”/”Les coulisses de l’enquête” peut vous donner un aperçu du temps et de la rigueur nécessaire pour mener à bien une investigation.
Comme dans tous les genres journalistiques, « la discipline de l’éthique » est vitale, explique Pınar Dağ, rédactrice en chef de GIJN pour la Turquie, qui est également chargée de cours à l’université Kadir Has d’Istanbul. Les journalistes doivent donc être « honnêtes, justes et courageux dans la collecte d’informations, le reportage et le processus d’interprétation », dit-elle. « L’un des codes éthiques du journalisme d’investigation consiste à faire preuve d’une grande prudence et d’une grande sensibilité pour minimiser les dommages et éviter d’impliquer des groupes vulnérables, des enfants, des animaux, des groupes défavorisés et des membres de la famille qui ne sont pas impliqués dans l’histoire », conseille-t-elle.
Au-delà de la question morale, le respect de normes éthiques élevées confère de la crédibilité à votre enquête. GIJN aborde régulièrement ce sujet, comme dans cet article : « Les journalistes ont-ils le droit de mentir pour obtenir un article ? » Le chapitre sur l’éthique de notre Guide des enquêtes citoyennes est également une excellente introduction.
Tout métier procède d’une part, sinon d’imitation, d’inspiration et le journalisme d’investigation ne fait pas exception : les enquêtes que vous lisez ou regardez nourriront celles que vous mènerez dans trois, cinq ou dix ans. Alors que les formats d’enquête n’ont jamais été aussi variés, lire, voir, écouter ces enquêtes sont une étape fondamentale dans l’apprentissage du métier de journalisme d’investigation.
Pour ne pas rater les meilleures enquêtes, inscrivez-vous à la newsletter internationale (en anglais) de GIJN ou à l’une ou l’autre des sept newsletters régionales de GIJN publiées dans différentes langues : vous y trouverez chaque mois une sélection des meilleures enquêtes parues aux quatre coins du monde.
Autres sources d’inspiration : la rubrique « Editor’s picks » pour laquelle les éditeurs régionaux de GIJN sélectionnent chaque fin d’année les meilleures enquêtes de leur région ou encore les prix Global Shining Light de GIJN qui récompensent, tous les deux ans, une enquête dans un pays en développement ou en transition, réalisée sous la menace, la contrainte ou dans des conditions difficiles.
“L’une des clés dans le journalisme d’investigation, c’est l’identification des sujets à traiter”, estime Gaëtan Gras, journaliste indépendant et professeur de journalisme d’enquête à l’IHECS, à Bruxelles. “Pour être force de proposition, il faut être proactif et effectuer une veille sur l’info pour déceler les signaux faibles : au détour d’une conversation dans le cadre de votre vie privée, en discutant avec des collègues de travail, en lisant votre journal, votre site d’information ou la concurrence, en observant le monde qui vous entoure”, détaille-t-il.
Gaëtan Gras invite, par ailleurs, les futurs journalistes d’investigation à ne pas minimiser la lecture des titres de presse étranger : “Certaines bonnes enquêtes sont des adaptations de sujets réalisés ailleurs”. De nombreux articles de GIJN s’appuient sur des études de cas avec des exemples d’enquêtes menées dans un pays qui peuvent très bien être dupliquées ailleurs dans le monde.
Joël Matriche, journaliste d’investigation au quotidien belge Le Soir, conseille de garder en tête qu’un sujet que tout le monde a déjà évoqué et qui est, en quelque sorte, tombé dans “le domaine public” n’est pas, pour autant, un sujet “mort” : “Il peut arriver que le journaliste sente que l’explication n’est pas satisfaisante, que des zones d’ombre demeurent et que cela vaudrait la pein de creuser davantage”, fait-il valoir. Cela donne parfois de bons résultats et dans le pire des cas, en multipliant les coups de téléphone, le journaliste étoffe au moins son carnet d’adresses de nouveaux contacts… qui deviendront peut-être des sources.
Mais comment savoir si vous avez identifié un bon sujet d’enquête ? Damien Brunon, responsable numérique et investigation à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille demande toujours à ses étudiants de mener une “pré-enquête” en répondant à trois questions :
Il insiste : “Il n’y a pas de bonne enquête sans bonne pré-enquête.”
Le journaliste d’investigation norvégien, Tarjei Leer-Salvesen, qui enseigne le dans les universités de Bergen et Stavanger recommande à ses étudiants d’essayer de se “faire remarquer”.
« Les rédacteurs en chef dans les rédactions ne cessent de dire aux étudiants d’apprendre un peu de tout, car cela facilite leur propre travail. Mais l’astuce, à mon avis, consiste à désobéir à cette injonction à ‘tout faire’ en réalisant quelques articles exceptionnels que le rédacteur en chef remarquera et qui lui plairont », explique-t-il.
Il illustre son propos avec plusieurs cas de figure concrets :
Lors d’une masterclass organisée par GIJN en français, le journaliste d’investigation, co-responsable du service enquête de Mediapart, Fabrice Arfi a recommandé, lui aussi, d’être « touche à tout” tout en ayant un “port d’attache éditorial”. “Je crois que cet alliage, pour un jeune journaliste, est une façon de se faire remarquer par des chefs de service, des rédactions en chef”, expliquait-il.
Le Centre de ressources de GIJN propose une série de guides et d’articles pour aider les journalistes à apprendre comment enquêter sur des sujets spécifiques comme, par exemple, la traite des êtres humains, les élections, la santé et la médecine, les crimes de guerre, ou à approfondir des techniques spécifiques comme l’interview, la recherche de sources expertes et la recherche avancée en ligne.
L’obtention d’une bourse ou d’un prix peut être une excellente occasion de se faire remarquer et de faciliter son intégration sur le marché du travail. GIJN met régulièrement à jour une liste consacrée aux bourses et aux subventions.
La phrase est un classique dans toutes les écoles de journalisme et rédactions du monde. Une enquête doit rester digeste, attrayante et intéressante pour le lecteur. “Il faut vulgariser, dé-complexifier un sujet sur lequel on passe parfois des mois, pour offrir aux lecteurs l’essentiel. Il faut éviter de le noyer dans des détails insignifiants quitte à jeter à la poubelle des jours ou des mois de travail”, recommande ainsi Gaëtan Gras.
“Quand on fait un papier d’enquête, il faut avoir une forme de sobriété dans l’écriture. (…) Je suis pour une forme de sécheresse factuelle, une sorte de brutalisme factuel dans les enquêtes”, insiste, lui aussi, Fabrice Arfi dans la masterclass organisée par GIJN.
Plusieurs articles-ressources GIJN avec des “conseils pour mieux écrire” sont disponibles sur notre site.
Les réseaux et collectifs de journalistes d’investigation peuvent se révéler très utiles pour nouer des liens en vue de collaborations mais aussi pour trouver des pairs, des mentors, des partenariats et des contacts.
Cela entretient aussi votre connaissance du secteur. Abonnez-vous, sur les réseaux sociaux, à des organisations reconnues pratiquant ou soutenant le journalisme d’investigation. La liste des membres de GIJN dans votre région peut être un bon début.
Les conférences sur le journalisme organisées dans votre région (Dataharvest, Conférence africaine sur le journalisme d’investigation…) sont une excellente façon de rencontrer des journalistes inspirants. Le ticket d’entrée peut-être élevé pour un étudiant mais ces grands événements recherchent parfois des bénévoles pour les aider en contrepartie d’un accès aux tables-rondes : renseignez-vous ! Pensez aussi à la Conférence internationale sur le journalisme d’investigation organisée par GIJN tous les deux ans : c’est le rendez-vous incontournable des journalistes d’investigation du monde entier. Pour chaque conférence, un certain nombre de journalistes des pays en développement peuvent y assister gratuitement, grâce à un programme de bourses.
Si vous avez la chance de bénéficier d’une formation initiale de plusieurs mois, voire plusieurs années : tirez-en parti au maximum ! Mais n’oubliez pas que l’apprentissage du métier se poursuit tout au long de votre vie professionnelle. Parce que le datajournalisme et le journalisme d’investigation nécessitent des savoir-faire techniques (utiliser des images satellites, retrouver des contenus en ligne qui ont disparu, vérifier des contenus, faire des recherches en sources ouvertes, analyser des données…), il est essentiel de se former en permanence, comme l’ont rappelé plusieurs des journalistes interrogés pour cet article.
GIJN propose régulièrement des webinaires gratuits avec des journalistes d’investigation reconnus qui permettent de former et d’inspirer des journalistes dans le monde entier. Une autre source d’inspiration peut être de suivre les conseils et d’utiliser les outils favoris de journalistes d’investigation renommés et primés. Enfin, les étudiants peuvent s’abonner à nos comptes X/Twitter, Facebook, Linkedin ainsi que notre liste de diffusion pour ne pas rater une opportunité.
Alcyone Wemaëre est la responsable francophone de GIJN et une journaliste française, basée à Lyon depuis 2019. Elle est une ancienne journaliste de France24 et Europe1, à Paris. Elle est professeure associée à Sciences Po Lyon, où elle est coresponsable du master de journalisme, spécialité data et investigation, créé avec le CFJ.
29.07.2024 à 12:13
Alcyone Wemaere
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation aura lieu pour la première fois en Asie l’an prochain. GIJC25 se tiendra, en effet, à Kuala Lumpur, en Malaisie, du 20 au 24 novembre 2025. Découvrez les premiers détails ainsi que le partenaire local de GIJN de cet événement.
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation (GIJC25) se tiendra à Kuala Lumpur, en Malaisie, du 20 au 24 novembre 2025.
Le Réseau international du journalisme d’investigation (GIJN) est heureux de s’associer à Malaysiakini en tant que co-organisateur local de la GIJC25. Malaysiakini est un média en ligne indépendant créé en 1999, qui a été reconnu tant au niveau local qu’international pour sa contribution au paysage médiatique, son engagement en faveur de la liberté de la presse et ses enquêtes approfondies.
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation est le plus grand rassemblement international de journalistes d’investigation et de rédacteurs en chef. GIJC25 en sera la 14ème édition. La Conférence propose des sessions de formations sur les derniers outils et techniques d’investigation, des ateliers de pointe et de nombreuses séances de réseautage et de réflexion. La date précise et le lieu exacte de la conférence en Malaisie seront annoncés un plus tard dans l’année.
C’est la première fois que le GIJN organise sa conférence internationale en Asie. Mais GIJN a déjà organisé avec succès des conférences régionales sur le continent asiatique, notamment à Manille (2014), Katmandou (2016) et Séoul (2018).
« Nous sommes extrêmement heureux d’organiser une conférence internationale en Asie avec Malaysiakini qui attirera des journalistes du monde entier », a déclaré Brant Houston, président du conseil d’administration de GIJN. « Il est crucial pour notre mission mondiale que nous travaillions avec nos collègues de Malaisie pour offrir une formation et des compétences qui seront essentielles au journalisme d’investigation à une époque qui présente tant de défis sérieux pour la pratique du journalisme.»
« Le journalisme d’investigation a mis en lumière la corruption et les abus de pouvoir, ce qui a conduit à des changements spectaculaires ici en Malaisie », a déclaré le co-fondateur de Malaysiakini, Premesh Chandran. « Depuis 25 ans, les enquêtes de Malaysiakini disent la vérité au pouvoir, et nous sommes ravis d’accueillir la plus grande communauté journalistique du monde qui partage le même chemin. La Malaisie est très multiculturelle, nous invitons tout le monde à rester un peu plus longtemps et à explorer !»
« Nous sommes honorés de ce partenariat avec Malaysiakini et ravis d’organiser notre toute première conférence internationale en Asie. Nous sommes impatients de faciliter le partage des connaissances et le travail en réseau entre les journalistes du monde entier lors de notre rassemblement mondial de 2025 en Malaisie », a déclaré Emilia Díaz-Struck, directrice exécutive de GIJN. « Dans le cadre de la mission de GIJN de renforcer les capacités des journalistes d’investigation dans le monde entier, GIJC25 poursuivra la tradition de notre conférence internationale en se concentrant sur les techniques d’enquête pratiques et avancées – partagées par des journalistes courageux qui dénoncent obstinément la corruption et les abus de pouvoir. Ce sera également l’occasion de célébrer une communauté qui continue à demander des comptes aux pouvoirs en place, malgré les menaces croissantes auxquelles les journalistes sont confrontés.»
GIJN est particulièrement heureux d’organiser la GIJC25 en Malaisie, étant donné qu’une précédente conférence régionale prévue à Kuala Lumpur en 2020 a dû être annulée en raison de la pandémie de COVID-19.
Les précédentes conférences internationales sur le journalisme d’investigation se sont tenues dans dix pays, dont le Brésil, le Danemark, l’Allemagne, la Norvège, l’Afrique du Sud et l’Ukraine. Les rencontres ont lieu tous les deux ans. La dernière GIJC, organisée en 2023 conjointement avec le Fojo Media Institute et le Föreningen Grävande Journalister en Suède, a rassemblé un nombre record de participants : plus de 2.100 personnes venues de plus de 130 pays et territoires.
Comme les années précédentes, GIJC25 proposera un solide programme de bourses pour permettre à des journalistes du Sud et d’autres régions de participer à la conférence. Les donateurs et co-sponsors qui souhaitent soutenir cet événement à fort impact peuvent contacter les organisateurs à l’adresse hello@gijn.org. Abonnez-vous au bulletin de GIJN pour recevoir les dernières mises à jour sur les inscriptions, les bourses, l’appel à propositions de sessions, et plus encore.
La Conférence internationale sur le journalisme d’investigation valorise et soutient la diversité dans le journalisme et accueille les participants sans distinction de race, de couleur, de croyance, de religion, d’identité de genre, d’orientation sexuelle, d’origine nationale, d’ascendance, de statut de citoyen ou de handicap. GIJN prévoit de fournir un environnement sûr et favorable à tous ses membres et participants à la GIJC25 ; en cas de problèmes ou de questions spécifiques, veuillez nous contacter à l’adresse hello@gijn.org. GIJN organisera également des appels téléphoniques pour recueillir les commentaires sur les questions et répondre aux préoccupations.
Article traduit par Alcyone Wemaere, avec l’aide de Deepl
Malaysiakini est un membre du GIJN et un média en ligne basé en Malaisie. Ses politiques et décisions éditoriales restent sous le contrôle total de ses rédacteurs et journalistes qui s’engagent à demander des comptes à ceux qui sont au pouvoir et à fournir les informations et les points de vue qui comptent.
The Global Investigative Journalism Network (GIJN) sert de plaque tournante internationale pour les journalistes d’investigation du monde entier, avec 250 organisations à but non lucratif membres dans 91 pays. Son personnel travaille quotidiennement dans une douzaine de langues, offrant aux journalistes de surveillance les outils, la technologie et la formation nécessaires pour dénoncer les abus de pouvoir et l’absence de responsabilité. Pour plus d’informations, contactez hello@gijn.org.
23.07.2024 à 01:07
Toby McIntosh
La « compensation carbone » est un outil controversé dans la lutte contre le réchauffement climatique. La surveillance par les journalistes est essentielle et a déjà eu un impact majeur. C’est une mission importante, mais pas facile. Mais il y a de nombreux sujets à traiter dans le monde entier, du niveau local jusqu’aux conseils d’administration des entreprises.
On parle de compensation carbone lorsqu’un projet qui réduit les émissions de gaz à effet de serre est transformé en une marchandise vendable : les « crédits carbone ». Ces crédits peuvent être utilisés par l’acheteur pour « compenser » ses propres émissions.
Le « marché volontaire » des échanges de crédits de carbone a connu une croissance rapide, mais il a ensuite traversé une mauvaise passe, en grande partie à cause des questions relatives à la crédibilité de certains des projets sous-jacents. Le marché volontaire fonctionne pratiquement sans réglementation et avec une transparence limitée.
Les compensations carbone sont de plus en plus scrutées à la loupe. Il y existe de nombreuses pistes d’investigation.
Les enquêtes peuvent être menées sur plusieurs fronts : la validité des projets de compensation carbone, qui en bénéficie et qui n’en bénéficie pas.
Il existe un potentiel de collaboration entre les journalistes du Nord et du Sud, car la plupart des projets de compensation sont créés dans les pays en développement, mais utilisés par des entreprises des pays développés.
Ce guide du GIJN est axé autour des points suivants:
Partie 1 : Qu’est-ce que les compensations carbone ?
Partie 2 : Où et comment mener des recherche sur des projets de compensations carbone.
Partie 3 : Enquêter sur la validité des projets de compensation, et autres sujets potentiels.
GIJN a également créé une liste d’articles d’investigation sur les compensations carbone, voir cette base de données correspondante.
Pour plus de détails, voir la version complète de ce guide.
Le concept de base des compensations carbone est assez simple.
« En termes simples, les compensations carbone impliquent qu’une entité qui émet des gaz à effet de serre dans l’atmosphère paie pour qu’une autre entité pollue moins », écrit Carbon Brief dans In-Depth Q&A : Les « compensations carbone » peuvent-elles contribuer à lutter contre le changement climatique ?
Commencez par planter un arbre. Comme les arbres absorbent et stockent le dioxyde de carbone (CO2), en planter davantage permet de compenser les émissions de gaz à effet de serre (GES). La quantité de dioxyde de carbone absorbée par les nouveaux arbres peut être quantifiée, sous la forme d’un crédit carbone, puis achetée et vendue.
Chaque crédit carbone représente une tonne métrique d’émissions de CO2 évitées ou éliminées de l’atmosphère.
Les projets de compensation se présentent sous de nombreuses formes et tailles. Certains résultent de l’introduction de fourneaux plus propres, de l’utilisation de techniques agricoles plus durables, de la création d’énergie solaire et éolienne et de la prévention des fuites de méthane.
Les projets de conservation des forêts sont le type de projet de compensation le plus courant.
La quantification de la valeur de réduction du carbone des compensations est très complexe. Les évaluations dépendent de prévisions concernant la nature, la technologie et les êtres humains. La mesure de ces variables est donc essentielle à l’évaluation précise des compensations.
Un autre niveau de complexité apparaît lorsque les projets de compensation sont créés pour ne pas faire quelque chose de dommageable pour l’environnement, par exemple en protégeant une forêt. L’évaluation de ce type de projet implique des questions telles que celle de savoir si la forêt risquait réellement d’être déboisée. (Pour plus de détails sur ces concepts, voir la version longue de ce guide).
Note de style : « Crédits de carbone » fait référence à la marchandise commercialisable, un actif vendable. L’expression « projets de compensation » est le terme habituel pour désigner l’activité à l’origine des crédits. Les crédits peuvent ou non être utilisés par les acheteurs pour « compenser » leurs propres émissions (compensation).
Le guide de GIJN se concentre sur la manière d’enquêter sur le « marché des crédits volontaires » (VCN) – le marché du secteur privé dans lequel les compensations sont la monnaie.
Les critiques s’inquiètent du fait que les entreprises – y compris celles de l’industrie des combustibles fossiles – utilisent les crédits carbone pour éviter de réduire leurs propres émissions.
Le marché volontaire du carbone est en grande partie non réglementé. Il n’existe pas de système centralisé pour l’évaluation des compensations. Les projets de compensation sont certifiés par des « registres » du carbone qui utilisent des méthodes quantitatives pour valider les compensations qui leur sont présentées. Le degré de validité de ces méthodologies est un point clé de la controverse et un sujet sur lequel les journalistes devront enquêter.
Il existe de nombreux autres acteurs, notamment des courtiers, des consultants et des places de marché.
Les prix des crédits de compensation spécifiques sont peu transparents. Le marché détermine la valeur des compensations, les prix dépendant de facteurs tels que la demande, l’offre, la localisation et le type de compensation.
Une compensation peut être échangée plusieurs fois, mais une fois qu’un acheteur l’a comptabilisée dans son objectif volontaire ou son objectif contraignant en matière d’émissions, la compensation est « retirée » et ne peut plus être utilisée.
L’une des principales questions qui se posent est de savoir si une mesure compensatoire donnée permettra d’obtenir les résultats bénéfiques annoncés. Étant donné que les avantages prévus reposent sur des hypothèses et des modèles complexes, il est nécessaire de fouiller dans les détails.
Les nombreuses autres intrigues possibles sont les suivantes :
Les points de départ d’une enquête sur les compensations carbone sont les suivants :
Des informations peuvent également émerger localement sur les projets dans votre pays, lorsque les développeurs de compensations ou les différents gouvernements annoncent de nouveaux accords. Les entreprises qui achètent des crédits de compensation peuvent les annoncer et les promouvoir.
Même si les projets ne sont pas annoncés publiquement, des informations les concernant sont disponibles auprès des organisations qui enregistrent les compensations.
Les compensations volontaires sont certifiées par quatre principaux « registres ».
Tous les registres proposent des bases de données consultables.
Les pages du registre contiennent des documents descriptifs, parfois longs, sur chaque projet de compensation et son développeur. La terminologie peut s’avérer compliquée, mais ces documents constituent un point de départ essentiel.
Deux bases de données contiennent des informations combinées provenant des registres.
OffsetsDB recueille et standardise les données sur les projets de compensation et est mise à jour quotidiennement. Il est réalisé par (Carbon)plan, une organisation à but non lucratif qui analyse les solutions climatiques.
Le Carbon Trading Project de l’Université de Californie à Berkeley a également consolidé les informations des registres, mais il n’est mis à jour que périodiquement.
Pour plus d’informations sur ces ressources, voir la version longue du guide du carbone du GIJN.
Que recherchez-vous sur les projets ? Voici une liste de questions de base :
L’une des principales pistes de recherche concerne la validité du projet. Comme indiqué plus haut, il y a beaucoup de questions à poser.
Que recherchez-vous ?
Certaines de ces recherches peuvent nécessiter l’intervention d’experts dans les domaines scientifiques concernés, mais certaines recherches de vérification peuvent être effectuées par des journalistes sur le terrain ou à l’aide d’images aériennes.
Il existe un large éventail de sources potentielles.
Il est important de comprendre que les experts peuvent être en désaccord sur la validité de certaines compensations carbone. Ces débats peuvent devenir techniques et difficiles à suivre pour les profanes, mais prêter attention aux détails est essentiel.
Les registres s’appuient sur des méthodologies fondées sur la recherche. Mais d’autres peuvent ne pas être d’accord avec les recherches effectuées. La science dans ce domaine est dynamique. Les journalistes ont parfois été pris entre deux feux.
Pour rendre compte de projets spécifiques, l’idéal serait de trouver des sources expertes qui puissent aider à naviguer dans les méthodologies utilisées pour évaluer les types de projets. Une recherche dans la littérature scientifique est un moyen de trouver des études et des experts pertinents.
Ne négligez pas les scientifiques locaux, les naturalistes et les défenseurs de l’environnement, qui sont autant de voix à prendre en compte.
Il est possible de réaliser de bons articles sans devoir chercher à interroger les méthodologies des registres.
En particulier pour les articles sur les compensations de reboisement, les images satellites peuvent fournir des preuves importantes sur les résultats du projet. Elles peuvent aider à répondre à des questions telles que : quelle proportion des terres concernées était boisée avant le début du projet par rapport à aujourd’hui ?
N’oubliez pas, cependant, que les données satellitaires ne fournissent qu’une partie de l’image. L’enquête doit encore intégrer les informations issues de la modélisation et des rapports de terrain.
Les visites sur les sites des projets se sont révélées précieuses.
Faites appel à l’expertise locale pour déterminer la validité du projet et son efficacité. Essayez de contacter les dirigeants des communautés locales, les exploitants forestiers, les agriculteurs, les revendeurs et les naturalistes. N’oubliez pas que certaines des personnes impliquées auront des intérêts directs, financiers ou politiques.
Les communautés locales peuvent bénéficier ou non de la compensation. L’inégalité du pouvoir de négociation entre les créateurs de la compensation et les communautés autochtones, ainsi que l’absence de consultation, ont parfois abouti à des projets douteux et à une répartition inéquitable des bénéfices.
Les reportages sur les crédits carbone devraient constituer un terrain fertile pour les collaborations entre journalistes et les collaborations transfrontalières.
De nombreux crédits sont basés sur des actions menées dans le Sud et sont achetés par des entités du Nord. Les journalistes des pays développés, qui traitent par exemple des compensations achetées par une entreprise, devraient envisager de collaborer avec des journalistes connaissant bien le terrain, qui pourraient se rendre sur place et enquêter sur les acteurs locaux. Le travail d’équipe peut aider à relever les défis de l’apprentissage sur ce sujet souvent complexe.
Une autre ligne d’enquête clé concerne les promoteurs de tout projet de compensation.
Il peut s’agir d’entrepreneurs, de courtiers et (plus rarement) de communautés locales. Ils sont incités à augmenter la valeur de l’accord, à « surcréditer ». Peu d’entre eux sont transparents quant à leurs honoraires.
Ce qu’il faut rechercher dans cette cohorte.
Autres informations clés à rechercher dans le cadre de la couverture de ces transactions.
Les gouvernements s’intéressent de plus en plus aux compensations, ce qui laisse penser que les législateurs et les régulateurs pourraient devenir des sources, et que le débat sur la manière de réglementer méritera d’être suivi.
Plusieurs initiatives ont été lancées pour encourager l’adoption de normes plus strictes sur les marchés du carbone.
(Pour plus d’informations sur la réglementation gouvernementale et l’autoréglementation, voir la version complète de ce guide).
Les groupes environnementaux, internationaux et locaux, peuvent être utiles aux journalistes.
En Amérique latine, 13 médias ont organisé le projet Opaque Carbon (Carbono Opaco) pour enquêter sur la façon dont une entreprise colombienne a cherché à « monopoliser le marché des crédits carbone dans la région ».
Le journaliste d’investigation colombien Bermúdez Liévano, également auteur du rapport A Reservation Sold Carbon Credits and Its Inhabitants Didn’t Know, recommande une « stratégie de diffusion approfondie ». Mais, ajoute-t-il, votre meilleure source pour générer de nouvelles pistes provient souvent du dernier article que vous avez publié.
Ce que vous considérez comme la dernière période de votre histoire, lorsque vous dites « fin », « publier », peut très bien être la voie vers votre prochain point d’interrogation initial », a-t-il fait remarquer. « Toutes les histoires que nous avons publiées et que nous continuerons à publier sont, d’une manière ou d’une autre, issues de personnes qui ont lu notre histoire et nous ont dit ‘J’en ai une autre pour vous’ ».
Pour une liste d’articles d’investigation sur les compensations carbone, voir la base de données correspondante de ce guide.
Toby McIntosh conseille le centre de ressources de GIJN, qui fournit des ressources à des journalistes à travers le monde. Il a été rédacteur en chef de FreedomInfo.org (2010-2017), une plateforme à but non-lucratif qui se spécialise dans la couverture des politiques de transparence dans le monde. Il a travaillé au sein de Bloomberg BNA à Washington pendant 39 ans et a introduit quantité de requêtes d’accès à l’information aux États-Unis. Il a également écrit abondamment sur les lois d’accès à l’information à travers le monde. Il siège au comité de pilotage de FOIANet, un réseau international de défenseurs des lois d’accès à l’information.
08.07.2024 à 14:37
Andrea Arzaba , Ana Beatriz Assam,
Du Mexique au Brésil, du Costa Rica au Chili, en passant par le Pérou, toute cette semaine, GIJN met un coup de projecteur sur le journalisme d’investigation en Amérique latine. À travers des focus sur des enquêtes phare de la région, des interviews de journalistes d’investigation de cette zone ou encore les retours de quelques uns des 25 membres de GIJN actifs dans la région, plongez dans un panorama complet sur le journalisme d’investigation latino-américain, ses spécificités, ses points forts, ses défis et ses perspectives d’avenir.
Le travail d’investigation n’a jamais été facile en Amérique latine. Qu’il s’agisse de réaliser des enquêtes sous des régimes autoritaires, de faire face à des risques de sécurité importants dans une région confrontée au défi supplémentaire de l’impunité, ou encore d’effectuer des reportages dans un contexte de difficultés financières persistantes et de faire face aux réactions négatives qui accompagnent la dénonciation d’actes de corruption, les conditions auxquelles sont confrontés les journalistes d’investigation dans cette region du monde sont depuis longtemps éprouvantes.
Pour (re)voir le webinaire GIJN du 9 juillet 2024 : « Comment l’Amérique latine se connecte à votre enquête – Enquêter sur la portée mondiale de la région en matière d’argent illicite, d’exploitation minière illégale, de trafic de drogue et de destruction de l’environnement » :
Au Pérou, par exemple, Gustavo Gorriti, l’un des plus grands journalistes d’investigation du pays, lutte contre une campagne d’intimidation qui, selon lui, a été lancée en représailles aux enquêtes incessantes menées par son journal sur l’affaire de corruption Odebrecht. Au Guatemala, José Rubén Zamora, journaliste et rédacteur en chef d’El Periódico, a passé près de deux ans enfermé dans une cellule pour des accusations que les groupes de défense de la liberté de la presse estiment motivées par des considérations politiques. À la fin de l’année dernière, la journaliste brésilienne Schirlei Alves a été condamnée à un an de prison et à verser plus de 80 000 dollars pour diffamation après avoir publié un rapport sur l’humiliation subie par une femme au cours d’un procès pour viol. Au Venezuela et au Nicaragua, les médias indépendants sont confrontés à la censure et de nombreux reporters travaillent en exil. Le Mexique est l’un des pays les plus meurtriers pour les journalistes, avec de nombreux meurtres ou disparitions chaque année.
Mais en dépit de cette myriade de défis, les journalistes de la région font entendre leur voix depuis des décennies et font la lumière sur des questions cruciales, grâce à des projets d’investigation qui font ce que les journalistes d’ici font le mieux : révéler « les terribles vérités cachées par le pouvoir économique et politique », comme le dit Camilo Amaya, directeur exécutif de l’association colombienne « Consejo de Redacción ».
Voici quelques exemples des projets dynamiques et diversifiés qui ont été produits récemment : L’enquête de Quinto Elemento Lab sur la façon dont la crise des personnes disparues au Mexique remet en question les récits officiels ; l’approche innovante du journalisme d’investigation d’El Surtidor au Paraguay, qui a permis à l’équipe d’exposer l’impact de la crise climatique sur la santé des travailleurs ; un documentaire Armando.info co-produit avec PBS Frontline sur un scandale de corruption qui touche à la fois le Venezuela et les États-Unis ; une enquête menée par Repórter Brasil sur la chaîne d’approvisionnement qui relie l’élevage de bétail à la déforestation en Amazonie brésilienne et qui a valu au secrétaire exécutif de l’organe, Marcel Gomes, le prix Goldman ; et le travail du Centre latino-américain de journalisme d’investigation (CLIP) sur le projet Digital Mercenaries, qui met en lumière le monde obscur des consultants politiques et leur rôle dans les campagnes de désinformation.
Lors de la COLPIN, la conférence latino-américaine sur le journalisme d’investigation, trois enquêtes ont reçu le prix Javier Valdez : une analyse médico-légale de la violence des forces de l’ordre au Pérou par IDL-Reporteros, une enquête sur la manière dont les gangs ont infiltré les prisons vénézuéliennes par Runrun.es et Connectas, et une enquête sur la mort d’enfants indigènes Yanomami au Brésil par Sumaúma.
De tels projets révèlent la capacité d’adaptation et le courage des journalistes de toute la région. Pour célébrer ces réalisations, nous avons créé la semaine « Focus sur l’Amérique latine » à GIJN, la première d’une série en cours de coups de projecteurs sur différentes régions du monde, dans laquelle tout notre contenu pendant une semaine détaillera comment les journalistes d’une région spécifique enquêtent avec les défis qui sont les leurs.
GIJN compte plus de 25 membres actifs dans la région, du Mexique au Brésil, du Costa Rica au Chili. Nous les avons interrogées sur ce qui définit le journalisme d’investigation latino-américain, sur ses points forts et sur ses perspectives d’avenir.
Les rédacteurs en chef et les journalistes nous ont dit que le journalisme d’investigation en Amérique latine est motivé par un engagement en faveur de la vérité, de la responsabilité et de la poursuite de la justice, mais que la collaboration est également au cœur du travail.
Pour Armando.info – dont certains journalistes ont été contraints de quitter le Venezuela, mais continuent de réaliser des enquêtes exil – les éléments qui définissent le journalisme d’investigation sur le continent sont, selon les termes du codirecteur Ewald Scharfenberg, « le courage, la bravoure et la persévérance ».
Teresa Mioli, de la LatAm Journalism Review du Knight Center for Journalism in the Americas, explique que les défis auxquels sont confrontés les journalistes de la région ont donné au journalisme d’investigation latino-américain ses caractéristiques distinctives.
« Là où il y a de la corruption et des abus, les journalistes d’investigation latino-américains ont réagi », souligne Teresa Mioli. « Lorsque des publications ont été reprises par le gouvernement, que des sites web ont été bloqués dans certains pays, que des journalistes ont été tués ou attaqués ou que le journalisme a été réprimé d’une manière ou d’une autre, des voix indépendantes ont répondu dans la région par le journalisme d’investigation pour découvrir qui essayait de les faire taire et d’empêcher la vérité de sortir. De cette manière, la répression a en fait renforcé les pratiques d’investigation ».
Elle cite en exemple le projet Miroslava au Mexique ou le programme Tim Lopes d’Abraji au Brésil, qui ont tous deux « émergé en réponse à l’assassinat de collègues ».
Jazmín Acuña, du journal paraguayen El Surtidor, abonde dans le même sens : « J’ai vu le meilleur journalisme d’investigation se développer malgré le siège du pouvoir politique dans des contextes de capture des médias et de concentration du pouvoir économique ; des journalistes et des médias qui voient des opérations d’influence à leur encontre et qui répondent par un journalisme plus abondant et de meilleure qualité ; des rédactions qui ont déménagé mais qui, depuis l’exil, continuent à raconter les histoires que d’autres préféreraient garder cachées ; et des collaborations radicales entre des médias de tout le continent… dans lesquelles nous dénonçons le crime organisé, les paradis fiscaux, les désinformateurs et les mercenaires qui cherchent à corrompre nos démocraties déjà fragiles. »
Certains de nos membres se sont tournés vers le passé pour expliquer comment l’histoire a façonné les types de journalisme qui ont émergé sur le continent, ainsi que les mécanismes d’adaptation des reporters qui s’entraînent dans certains environnements.
Alejandra Xanic, du Quinto Elemento Lab, basé au Mexique, a déclaré que la bataille même pour pouvoir raconter l’histoire aide les journalistes d’investigation à renforcer leur détermination, leur conférant une certaine « obstination » à mener des enquêtes même lorsque tout semble aller à l’encontre de leur but.
« Pendant longtemps, nous avons travaillé sans disposer de ce qui, dans de nombreuses autres régions, était considéré comme une évidence : l’accès à l’information publique et aux entités mettant à disposition d’énormes collections de données et de documents. Nous savions comment travailler sans accès aux dossiers judiciaires, aux informations législatives transparentes, aux informations sur les entreprises. Pendant des décennies, rien n’était disponible », explique Alejandra Xanic.
D’autres ont souligné que les turbulences politiques qu’ont traversées de nombreux pays ont été un élément déterminant et ont façonné l’attitude des journalistes d’aujourd’hui.
« La mémoire des dictatures sur le continent, comme l’horreur du plan Condor, et les conflits armés en Colombie et en Amérique centrale au siècle dernier, qui ont coûté la vie à des milliers de personnes, ont donné un caractère distinctif au journalisme d’investigation en Amérique latine », explique Jazmín Acuña d’El Surtidor. « Les journalistes latino-américains savent qu’aujourd’hui nous pouvons raconter une histoire, mais nous ne tenons jamais pour acquis que nous nous réveillerons avec cette liberté.
Cette histoire continue d’alimenter le travail d’investigation aujourd’hui. Au Brésil, à l’occasion du 60e anniversaire du coup d’État militaire, des médias tels que Agência Pública ont passé au crible cette période dans une série d’enquêtes, en mettant l’accent sur les entreprises et les organisations accusées d’être des « complices » de la dictature.
Le journalisme collaboratif semble s’être imposé relativement facilement en Amérique latine, où il a été utilisé comme un outil pour élargir les enquêtes, établir des liens et s’attaquer à des problèmes tels que la corruption, qui ne se limitent pas à un seul pays. Les grandes enquêtes collaboratives dans des affaires comme Lava Jato ou Operation Car Wash – qui a exploré un réseau tentaculaire de corruption centré sur des entreprises brésiliennes – ont franchi plusieurs frontières. L’année dernière, NarcoFiles a été l’un des plus grands projets de collaboration transfrontalière.
« Nous nous sommes rendu compte que les questions transnationales ne pouvaient pas être couvertes par des journalistes isolés ou par des médias nationaux, et les alliances étaient donc une réponse naturelle pour élargir notre champ d’action », explique Jose Luis Peñarredonda de la CLIP.
Selon Alejandra Xanic, les journalistes de la région savent comment collaborer : « Le manque de ressources a fait que cela s’est fait très naturellement, en particulier entre les médias locaux, les organisations à but non lucratif et les petits médias numériques indépendants.
Au Brésil, une équipe internationale impliquant plus de 50 journalistes de 10 pays a été montée pour enquêter sur les relations entre le gouvernement local et les individus soupçonnés d’avoir assassiné le journaliste britannique Dom Phillips et l’activiste indigène Bruno Pereira dans la région amazonienne en 2022. « Nous avons fait une enquête en Amazonie, sur les lieux du crime, et nous avons fait entendre la voix des peuples indigènes qui subissent l’oppression que Dom et Bruno dénoncent », explique Tatiana Farah, responsable de la communication de l’organisation brésilienne Abraji.
Au Mexique, l’équipe de Periodistas de a Pie est reconnaissante pour « l’héritage de journalistes exceptionnels qui savaient comment construire un savoir collaboratif ». Au Pérou, Adriana León, de l’Instituto Prensa y Sociedad (IPYS), estime que les rencontres internationales telles que COLPIN, la conférence sur le journalisme d’investigation destinée aux reporters d’Amérique latine, favorisent la collaboration entre les journalistes de différents pays.
« Lors de conférences, de webinaires et de petits rassemblements, les journalistes de la région ont souligné l’importance d’une collaboration qui traverse les frontières et les océans », ajoute Teresa Mioli. « Les grands sujets d’enquête en Amérique latine – corruption gouvernementale, crimes financiers, destruction de l’environnement – ne sont pas l’apanage d’un seul pays ou d’une seule région. »
Principales préoccupations : Attaques juridiques, sécurité et difficultés financières
Les défis auxquels sont confrontés les médias de la région sont nombreux, mais beaucoup de nos membres ont tiré la sonnette d’alarme sur les mêmes risques : plusieurs ont mentionné la viabilité financière et le harcèlement judiciaire.
Au Consejo de Redacción de Colombie, l’équipe a également souligné les menaces et la violence générales auxquelles de nombreux journalistes de la région doivent régulièrement faire face dans le cadre de leur travail. Les collègues du Mexique soulignent la menace que représente l’expansion du crime organisé.
« Le journalisme d’investigation en Amérique latine est risqué », déclare Adriana León de l’IPYS. « Les attaques contre les journalistes – menaces, meurtres, harcèlement judiciaire, entre autres – sont l’un des principaux problèmes auxquels la presse est confrontée dans la région.
Les procès intentés par les détenteurs du pouvoir restent un problème récurrent.
« Le journalisme d’investigation a besoin de temps, de ressources et du soutien des dirigeants des médias pour se développer pleinement. Si l’un de ces éléments fait défaut, les journalistes ne peuvent pas faire leur travail correctement », explique Jazmín Acuña d’El Surtidor. Le deuxième défi est l’instrumentalisation de la justice et de la loi pour persécuter et réduire au silence les journalistes, ce que l’on appelle en anglais le « lawfare ». Les détenteurs du pouvoir qui font l’objet d’une surveillance de la part des journalistes montent des dossiers pour diffamation, calomnie et autres affaires juridiques sans fondement solide, dans le but de censurer et de punir ».
Enfin, les équipes du CLIP et de Connectas soulignent un thème qui apparaît dans l’un de nos articles de cette semaine : la régression de la capacité des journalistes à accéder à l’information dans de nombreux pays. « Un autre défi auquel sont confrontés les journalistes d’investigation est de surmonter l’opacité qui règne dans la majorité des pays d’Amérique latine », explique Carlos Huertas, directeur de Connectas. « Nous constatons une tendance générale à la fermeture de l’accès aux sources d’information, en particulier aux sources officielles, ce qui rend très difficile la recherche d’articles révélant des problèmes structurels.
Selon les organisations de la région, les projets d’enquête transnationaux se multiplieront à l’avenir. Cette réaction est naturelle dans une région où la corruption gouvernementale, les crimes financiers et la destruction de l’environnement dépassent les frontières et nécessitent un effort collectif.
Scharfenberg d’Armando.info envisage « une collaboration plus profonde et plus régulière dans les projets d’enquête transnationaux », tandis que Mioli de LatAm Journalism Review voit une voie dans laquelle il y a encore « plus de collaboration entre collègues des Amériques, mais aussi avec des collègues d’Asie, d’Europe, d’Afrique ».
Chez Periodistas de a Pie, l’équipe entrevoit un avenir où les histoires locales ont un impact régional significatif – et où l’engagement intense du public et la collaboration permettent aux publications d’avoir une « connexion plus intense » avec le public.
D’autres s’attendent également à ce que le journalisme d’investigation en Amérique latine continue d’innover en utilisant de nouvelles plateformes et de nouveaux récits pour mieux se connecter avec les audiences, s’engager plus efficacement avec les lecteurs et favoriser une connexion plus profonde avec le public.
« Nous pensons que le journalisme d’investigation doit trouver sa place dans le nouvel environnement médiatique », déclare Amaya au Consejo de Redacción. « Il doit également trouver des moyens de s’engager dans des entreprises transnationales plus collaboratives alors que des dangers imminents menacent toute la région en termes d’environnement, de flux internationaux d’argent douteux et de propagation de la désinformation et de la mésinformation.
En ce qui concerne la technologie et la formation, Adriana León, de l’IPYS, s’attend à une plus grande professionnalisation qui permettra aux journalistes de continuer à enquêter sur ce que les grandes puissances veulent cacher. Peñarredonda, de CLIP, prévoit que la technologie et les outils d’IA marqueront une nouvelle ère de journalisme d’investigation à la pointe de la technologie, qui aidera les journalistes à demander des comptes aux entités puissantes.
« Les journalistes d’investigation utilisent et développent de plus en plus la technologie et les outils d’IA pour améliorer leur productivité, tirer parti de nouvelles sources d’information et faire leur travail en toute sécurité », explique-t-il. « À mesure que la technologie devient une force de plus en plus influente dans nos sociétés, nous évoluerons dans notre compréhension de son fonctionnement, de son interaction avec d’autres pouvoirs, et de ce que nous pouvons – et devons – faire pour que ses créateurs, ses vendeurs et ses colporteurs soient tenus de rendre des comptes. »
Certains espèrent que le meilleur reste à venir. Alejandra Xanic, du Mexique, déclare que les reporters de la région « ont encore beaucoup à enquêter ensemble. Nous n’en sommes qu’au stade de l’échauffement. Jazmín Acuña, d’El Surtidor, abonde dans le même sens : « Je ne sais pas où cela va nous mener, mais j’ai hâte de voir ce que cela va nous apporter.
Andrea Arzaba est la journaliste en charge de l’édition espagnole de GIJN. Elle a couvert l’Amérique latine et les communautés hispaniques des États-Unis. Elle est titulaire d’une maîtrise en études latino-américaines de l’université de Georgetown, est membre de l’International Women’s Media Foundation ainsi que du programme pour jeunes journalistes de Transparency International.
Ana Beatriz Assam est la responsable de l’édition portugaise de GIJN et une journaliste brésilienne. Elle a travaillé comme reporter indépendant pour le journal O Estado de São Paulo, couvrant principalement des sujets relatifs au journalisme de données. Elle travaille également pour l’Association brésilienne de journalisme d’investigation (Abraji) en tant que coordinatrice adjointe des cours de journalisme.
Article traduit par Alcyone Wemaere (avec Deepl)
21.06.2024 à 18:46
Emyle Watkins
Note de la rédaction : La version complète (en anglais) du guide de GIJN, rédigé par Emyle Watkins, est parue en mars 2023. Cette version abrégée a été éditée par Nikolia Apostolou en janvier 2024.
Les 1,3 milliards de personnes handicapées forment la plus importante minorité au monde, selon les Nations Unies, et n’importe qui peut à tout moment rejoindre cette communauté, quelle que soit sa nationalité ou son statut socio-économique. On ajoutera que tous les handicaps ne sont pas visibles.
Tout sujet d’enquête peut potentiellement avoir un angle lié au handicap.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fournit peut-être la définition la plus exhaustive : « Le handicap résulte de l’interaction entre les personnes atteintes d’un problème de santé, qu’il s’agisse d’une paralysie cérébrale, du syndrome de Down ou encore d’une dépression, avec des facteurs personnels et environnementaux, y compris des attitudes négatives, des transports et des bâtiments publics inaccessibles, et un soutien social limité ».
Le Centre des Etats-Unis pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) relèvent trois dimensions du handicap :
Les Nations Unies proposent également une liste des lois relatives aux personnes handicapées par pays.
Les pays qui ont signé la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CNUDPH) reconnaissent que « la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».
Selon le CDC, il existe de nombreux types de handicap, dont ceux qui affectent :
En outre, le CDC note que les handicaps peuvent être associés à des problèmes de développement qui surviennent à mesure que les enfants grandissent (par exemple, le trouble du spectre de l’autisme et le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ou TDAH). D’autres handicaps peuvent être liés à un accident ou à une blessure (par exemple, une lésion cérébrale traumatique ou une lésion de la moelle épinière), à une maladie chronique (par exemple, le diabète), comme ils peuvent être progressifs (par exemple, la dystrophie musculaire), liés à l’âge (comme la perte de mobilité ou la vision et la perte auditive), statiques (par exemple, la perte de membres) ou de nature dynamique (certaines formes de sclérose en plaques). L’autisme, le TDAH et la dyslexie sont également des exemples de neurodivergence, où les différences dans le cerveau affectent la façon dont les gens pensent et traitent l’information. Une neurodivergence n’est pas, par définition, un handicap, mais elle peut être associée à un handicap.
Pour d’autres définitions et modèles de handicap, lire la version longue de ce guide (en anglais).
Il s’agit d’une liste non exhaustive. Certains pays peuvent ne pas recueillir ou fournir d’informations pour ces bases de données.
Remarque : Il existe de nombreux groupes, réseaux ou organisations faîtières pour les communautés de personnes handicapées, dont beaucoup ne sont pas inclus ici. La liste ci-dessous est loin d’être exhaustive.
Image : Capture d’écran, Forum africain sur les personnes handicapées
Les organisations internationales dédiés à des handicaps en particulier
Le National Center on Disability and Journalism (NCDJ), aux Etats-Unis, propose un guide de style complet sur le handicap. A destination des journalistes, il peut aider à éclairer le langage et le ton à employer et vous donner une idée des mots à éviter. Il est disponible en anglais, espagnol, roumain et italien.
Offrir différentes options d’entretien aux personnes handicapées. Certaines personnes préfèrent la communication virtuelle ou la communication téléphonique, soit en raison d’obstacles pour accéder à leur communauté, soit en raison de leur santé mentale ou encore de précautions à prendre pour éviter de contracter une maladie infectieuse. Certaines personnes ont besoin de se préparer, en particulier les personnes ayant de l’anxiété, de la fatigue, un syndrome dysexécutif ou encore des troubles du traitement sensoriel, qui pourraient alors avoir du mal à répondre spontanément. Certaines personnes pourraient avoir besoin de vous voir, soit en personne soit en ligne, afin de lire sur vos lèvres, ou bien utiliser un interprète. Cette liste n’est pas exhaustive.
Carte d’invalidité au Burkina Faso : le sésame de la désillusion (Burkina Faso) 2021. Une plongée inédite dans le programme de cartes d’invalidité de ce pays d’Afrique de l’Ouest révèle les problèmes liés non seulement à l’obtention de la carte, mais aussi à la carte elle-même. Les personnes handicapées attestent des obstacles à l’obtention de la carte, y compris le coût d’évaluations coûteuses pour répondre aux exigences. Les titulaires de cette carte en dénoncent également les “avantages illusoires”.
Comment la police de Delhi a bâclé une enquête sur le viol d’une enfant handicapée (Inde) 2022. Le site d’enquête Newslaundry a réalisé une enquête en deux volets sur le viol d’une enfant de 11 ans ayant de graves troubles cognitifs. Le site a documenté de nombreuses lacunes de la part des forces de l’ordre. La police n’a pas suivi la procédure de traitement des cas de victimes handicapées et a sauté les mesures nécessaires lui permettant de fournir des preuves.
Le décès d’un homme atteint du Covid-19 réveille les pires craintes de nombreuses personnes handicapées (États-Unis) 2020. Joseph Shapiro, journaliste au sein de la rédaction de NPR, s’est penché sur le cas d’un homme quadriplégique de 46 ans qui a été transféré en unité de soins palliatifs alors qu’il était traité pour le Covid-19 et qui est finalement décédé. Sa femme pense qu’on lui a peut-être refusé un traitement qui aurait pu lui sauver la vie en raison de son handicap, et plusieurs groupes craignent que ses droits aient été violés. Cette enquête raconte comment, pendant la pandémie de Covid, de nombreuses préoccupations ont surgi concernant le rationnement des soins de santé et l’expression de préjugés médicaux envers les personnes handicapées.
Handicaps et personnes handicapées (Équateur) 2020. En Équateur, 3 000 cartes d’invalidité, qui donnent accès à certains avantages, y compris des allégements fiscaux sur les importations de véhicules et une retraite anticipée, ont été délivrées illégalement. Le journaliste Fernando Villavicencio Valencia a enquêté sur un médecin et des membres de sa famille, qui ont obtenu des cartes et utilisé les avantages pour importer des véhicules.
Quand le handicap est “à vendre” (France) 2022. Une enquête de six ans sur ces établissements qui font travailler des personnes en situation de handicap, s’éloignant de plus en plus de leur mission médico-sociale en vantant le rendement hors norme de cette main d’œuvre à bas prix. Le journaliste Thibault Petit a examiné les bas salaires et les conditions de travail déplorables de quelque 120 000 personnes handicapées. Il a constaté qu’ils reçoivent la moitié du salaire minimum ainsi que des cotisations de retraite plus faibles.
Pour plus d’études de cas, veuillez consulter la version longue de ce guide.
Emyle Watkins est une journaliste d’investigation primée basée à New York. Depuis 2021, Emyle assure la couverture de la communauté des personnes handicapées pour WBFO, la station NPR de Buffalo. La passion d’Emyle pour la couverture du handicap vient de son expérience personnelle en tant que personne handicapée et neurodivergente. Les reportages d’Emyle ont été publiés par NPR et The Pittsburgh Post-Gazette, et sont apparus dans des fils d’actualité de la BBC World News.
03.05.2024 à 09:44
Michele Barbero
À l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, ce 3 mai 2024, GIJN dresse le profil d’un de ses membres : Forbidden Stories. Fondé en 2017, le projet à but non lucratif vise à reprendre des enquêtes mises au placard en raison de menaces ou de violences afin d’envoyer le message : « Tuer le journaliste ne tue pas l’histoire ».
Le journaliste indien Shashikant Warishe savait que son enquête sur une nouvelle raffinerie controversée dans la région occidentale du Konkan suscitait la colère de personnes dangereuses.
Il avait été mis en garde par des amis et menacé par des ennemis. Mais il a continué, écrivant pour son journal local sur la spéculation foncière rampante et les risques environnementaux liés au mégaprojet, ainsi que sur la résistance opposée par de nombreux habitants de la région.
En février 2023, alors qu’il fait le plein de sa moto dans une station-service, il est fauché par un 4×4 et meurt de ses blessures peu de temps après. La police pense qu’il a été délibérément assassiné par un marchand de terres au sujet duquel Warishe venait de rédiger un article cinglant. (L’accusé, qui est toujours en détention dans l’attente de son procès, affirme qu’il s’agissait d’un « pur accident »).
Mais les enquêtes de Warishe ne sont pas mortes le jour où il a été tué. Forbidden Stories, une association à but non lucratif basée à Paris, a poursuivi son travail en collaboration avec l’Indian Express, en produisant une enquête approfondie sur la question en trois langues au début de l’année.
Fondé en 2017, la raison d’être de Forbidden Stories, membre du GIJN, est de reprendre des enquêtes mises au placard en raison de menaces ou de violences contre la presse, en les publiant accompagnées des récits expliquant comment les journalistes qui les menaient à l’origine ont été réduits au silence.
L’objectif est d' »envoyer un signal fort : tuer le journaliste ne tue pas l’histoire », explique le fondateur et directeur exécutif Laurent Richard, qui a 25 ans d’expérience dans le domaine du journalisme d’investigation.
En ce 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, cette mission est d’autant plus pertinente que de nombreux acteurs malveillants à travers le monde continuent de mettre en péril le journalisme de responsabilité et le droit du public à l’information. Le besoin est pressant : Dans de nombreuses régions du monde, des journalistes sont intimidés, emprisonnés ou tués en raison de leur travail. Dans de nombreux cas, en particulier dans les pays du Sud, cela se produit sans que grand monde ne le sache, ce qui fait que certaines enquêtes sont abandonnées à jamais.
Forbidden Stories tente de changer cela en exposant les violations des droits humains, les atteintes à l’environnement, la corruption et le crime organisé du Mexique à l’Azerbaïdjan, du Maroc aux Philippines.
Les différentes pistes que l’équipe reçoit du monde entier font l’objet d’une pré-enquête pour en évaluer la pertinence et la faisabilité, ainsi que pour confirmer que les abus subis par les journalistes sur le terrain sont bien liés à leur travail.
Ensuite, pour chaque mission, le groupe s’associe à d’autres organes de presse pour constituer et coordonner une équipe de travail qui peut compter plusieurs dizaines de journalistes. Au fil des ans, Forbidden Stories a travaillé avec 90 partenaires, parmi lesquels de petites rédactions locales connaissant bien le territoire mais aussi de grandes rédactions internationales comme Reuters et le New York Times.
Forbidden Stories a démarré sur les chapeaux de roue en coordonnant, dans le cadre de sa première initiative, 18 organes de presse qui se sont engagés à poursuivre le travail de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, qui a été assassinée en 2017. Forbidden Stories compte aujourd’hui une vingtaine de projets à son actif.
Les crimes contre l’environnement sont l’un des thèmes qui reviennent le plus souvent dans les travaux du groupe. Le reportage sur Shashikant Warishe et la nouvelle raffinerie de l’ouest de l’Inde a mis en lumière les risques de pollution liés à l’usine. Une autre enquête de grande envergure publiée en 2019, « Green Blood », s’est concentrée sur les dommages causés par l’industrie minière en Tanzanie, au Guatemala et en Inde. Parallèlement, The Bruno and Dom Project, coordonné par Forbidden Stories après l’assassinat du reporter Dom Phillips et de son collaborateur Bruno Pereira au Brésil, a mis en lumière le pillage des ressources naturelles de l’Amazonie.
Selon Richard, si l’environnement est au centre d’une grande partie des enquêtes avortées que Forbidden Stories rencontre, c’est parce qu’il est extrêmement dangereux d’enquêter sur la façon dont les entreprises et les politiques exploitent les ressources naturelles dans des pays où les niveaux de corruption et d’impunité sont élevés. Selon une étude du Comité pour la protection des journalistes, au moins 13 journalistes, voire 29, ont été tués entre 2009 et 2019 alors qu’ils travaillaient dans ce domaine, ce qui en fait l’une des activités les plus meurtrières après les reportages de guerre.
Mais l’engagement du groupe à couvrir ces sujets est également le résultat d’un choix éditorial délibéré. « Je crois que nous devons faire de plus en plus de reportages sur les crimes contre l’environnement », estime Laurent Richard. « Nous vivons une période où, en tant que citoyens, nous devons prendre des décisions importantes pour protéger la planète, mais comment pouvons-nous prendre ces décisions si nous ne disposons pas des informations nécessaires ? »
Une autre priorité de Forbidden Stories est de montrer que les crimes en question ne sont pas aussi locaux et éloignés qu’ils paraissent, mais qu’ils sont liés à la vie quotidienne de millions de personnes dans le monde entier. L’or extrait de la mine tanzanienne qui a fait l’objet d’une enquête en 2019 servait à fabriquer des produits vendus aux consommateurs occidentaux par des entreprises technologiques de premier plan. Les cartels qui tuent des journalistes et corrompent des fonctionnaires au Mexique dirigent des opérations multinationales responsables de l’inondation de l’Europe et des États-Unis avec de la drogue.
Mais Forbidden Stories ne vise pas seulement à rendre hommage aux journalistes réduits au silence et à poursuivre leur travail. Il s’agit également d’aider les journalistes menacés à poursuivre eux-mêmes leur travail. C’est l’objectif du SafeBox Network, une plateforme en ligne sécurisée où les journalistes peuvent rendre leur matériel accessible à l’équipe de Forbidden Stories, au cas où quelqu’un essaierait de les faire taire.
« L’objectif est de décourager les attaques contre ceux qui ont rejoint le réseau, en faisant savoir qu’ils partagent leurs découvertes avec Forbidden Stories et en envoyant le message que l’enquête sera publiée quoi qu’il arrive, et qu’il ne sert donc à rien de les attaquer », explique Fanny Toubin, responsable du projet SafeBox.
La plateforme a été lancée en 2022 et compte actuellement quelque 110 utilisateurs. Il est difficile d’évaluer son efficacité en matière de dissuasion de la violence à l’encontre de ses membres, mais les réactions sont encourageantes, de nombreuses personnes se sentant « moins isolées et plus soutenues », a déclaré Fanny Toubin.
Bien entendu, SafeBox est loin de garantir une sécurité totale, comme l’a montré le meurtre de Rafael Moreno, un journaliste colombien abattu par un tueur à gages en octobre 2022, quelques jours après avoir téléchargé ses articles.
Mais, déterminé à ce que sa mort ne soit pas vaine, Forbidden Stories a chargé une équipe de 30 journalistes de terminer son travail. Ensemble, ils ont produit, dans les mois qui ont suivi sa mort, une multitude d’articles qui ont fait la lumière sur la corruption et les crimes contre l’environnement dans la province de Córdoba où travaillait Rafael Moreno.
« L’idée que vous pouvez mettre vos informations à disposition pour que quelqu’un termine l’histoire est très dissuasive pour quiconque envisage de tuer ou de faire quelque chose à un journaliste », se félicite Miranda Patrucic, rédactrice en chef du projet Organized Crime and Corruption Reporting (OCCRP), lors de la conférence de l’IJF à Pérouse en avril 2024.
La gestion d’environnements extrêmement dangereux n’est pas le seul défi auquel Forbidden Stories doit faire face. L’argent est rare : le financement provient de fondations philanthropiques et de dons individuels, avec un budget annuel qui tourne actuellement autour de trois millions d’euros (3,2 millions de dollars américains). Mais les enquêtes sont difficiles, lentes et nécessitent beaucoup de ressources, relève Laurent Richard – y compris pour les frais juridiques, étant donné que les personnes mentionnées dans les articles réagissent souvent en poursuivant les auteurs en justice.
En ce qui concerne SafeBox, un autre problème auquel le groupe est confronté consiste à gagner la confiance des journalistes. « Les rassurer pour qu’ils se sentent à l’aise de partager leurs informations avec nous est un énorme défi », reconnaît Fanny Toubin.
La plateforme utilise SecureDrop, un système très fiable développé par la Freedom of the Press Foundation, qui a été testé pour détecter les bugs et les vulnérabilités. Mais les journalistes qui travaillent dans des pays où la liberté de la presse est faible vivent avec le risque constant de piratage et de surveillance en ligne, ce qui peut les rendre méfiants à l’égard d’outils tiers tels que SafeBox, a déclaré Carolyne Lunga, chercheuse sur le journalisme d’investigation collaboratif dans les pays du Sud, qui enseigne à la City University de Londres et à l’Université de Doha pour la science et la technologie.
Le meilleur moyen de convaincre des journalistes méfiants est de les rencontrer en personne. Forbidden Stories a organisé des ateliers – au Mexique, en Indonésie et au Guatemala – pour décrire sa mission, présenter SafeBox et gagner la confiance des journalistes locaux. La plateforme a enregistré une forte augmentation du nombre de ses membres après chacun de ces événements, indique Fanny Toubin.
Malgré ses ressources limitées, l’équipe de Forbidden Stories s’est agrandie. Elle a plus que doublé depuis l’année dernière pour atteindre un total de 25 employés à temps plein, et d’autres embauches sont prévues dans un avenir proche.
Ils ont du pain sur la planche. Laurent Richard souhaite que Forbidden Stories se fasse mieux connaître et renforce son réseau de partenaires, en particulier là où les journalistes sont ciblés. Renforcer les liens avec les médias locaux et mieux faire connaître l’organisation et sa mission dans ces régions est un moyen de décourager la violence à l’encontre des reporters.
Dans le cadre de ses efforts pour accroître sa portée, Forbidden Stories a rejoint GIJN en 2020 et a été l’un des partenaires de #GIJC23, la 13e conférence mondiale sur le journalisme d’investigation organisée par le GIJN en Suède l’année dernière.
De manière plus générale, Forbidden Stories vise à encourager une mentalité de journalisme collaboratif dans le monde entier, a déclaré son fondateur, en luttant contre ce qu’il a appelé l’approche du « journaliste loup solitaire ». « L’idée que vous êtes seul avec vos propres sources et vos propres histoires […] nous essayons de briser cela, sachant ce à quoi nous sommes confrontés : campagnes de désinformation, harcèlement, cybersurveillance, menaces physiques, criminalité mondiale », souligne Laurent Richard.
Les enquêtes conjointes impliquant différentes rédactions sont de plus en plus fréquentes, note Carolyne Lunga, mais « l’état d’esprit de collaboration, pour certains rédacteurs en chef, n’est pas là. Le journalisme reste très compétitif », ajoute-t-elle.
Pour sa part, l’équipe de Forbidden Stories espère également inspirer la création d’autres organisations similaires, et elle est prête à partager son expertise avec elles. « Nous ne considérons pas Forbidden Stories comme une sorte de holding, mais plutôt comme un mouvement de personnes », résume Laurent Richard. « Un modèle open source ».
Michele Barbero est un journaliste italien basé à Paris. Après plusieurs années passées à France 24, il travaille actuellement pour l’agence de presse française AFP. Ses articles ont également été publiés dans diverses publications, notamment Foreign Policy, Jacobin et Wired UK.
Traduit de l’anglais par Alcyone Wemaere (avec Deepl)
24.04.2024 à 09:00
Rowan Philp
Partout dans le monde, le data-journalisme moderne a conquis le public – et souvent a fait évoluer des politiques publiques – grâce à des preuves convaincantes et compréhensibles de l’impact du changement climatique, des mauvaises politiques gouvernementales et de la discrimination raciale ou fondée sur le sexe. Mais des lacunes subsistent.
Le journalisme d’investigation traditionnel a des angles morts – par exemple, l’incapacité générale des journalistes d’investigation à remonter jusqu’à l’origine des escrocs pour les faux appels téléphoniques, et la réticence à s’attaquer aux problèmes de violation des droits au sein des religions. Les productions basées sur les données présentent également de nombreux angles morts, qu’il s’agisse des sujets traités, de la manière d’évaluer les données ou de la façon dont aborde le récit.
Lors du sommet annuel NICAR en 2024, GIJN a demandé aux intervenants et aux participants dans les couloirs quelles étaient les lacunes en matière de data-journalisme qu’ils constataient, quels étaient les domaines peu couverts et les compétences sous-utilisées que les rédactions pouvaient aborder. Nous avons posé la même question à des sources fiables dans les pays du Sud Global.
« Nous ne faisons pas assez de narrations. Nous utilisons les données comme une fin en soi, plutôt que comme un point de départ pour un journalisme solide », a déclaré Sarah Cohen, titulaire de la chaire de journalisme de Knight à l’école de journalisme Walter Cronkite. « Je suis membre de jury [pour des prix de data-journalisme] et je peux vous dire que nous rejetons 90 % des candidatures parce qu’elles sont d’excellents exercices de données, mais pas de grandes oeuvres journalistiques. Nous avons la possibilité de faire les deux, mais si nous oublions de faire la partie pour laquelle nous sommes bons en tant que journalistes, alors quel est l’intérêt ? »
MaryJo Webster, data editor au Minneapolis Star Tribune, est d’accord : « Les données devraient être la colonne vertébrale de l’histoire, mais trop souvent elles sont devenues le corps. En fait, je pense que le terme « article de données » devrait être supprimé. Les jeunes journalistes doivent considérer les enquêtes comme des enquêtes, et les données comme une source pour rendre ces récits crédibles ». Elle a ajouté : « Nous avions l’habitude de passer trois mois sur un paragraphe – pour trouver la donnée la plus pertinente et impactante et ensuite l’humaniser ».
Cohen partage le même avis : « Les data-journalistes ont tendance à penser que leurs études sont intéressantes, mais ce n’est pas le cas, ce sont les gens qui le sont… Le véritable angle-mort que je vois chez beaucoup de journalistes de données, c’est l’aspect récit narratif en général. »
Les articles sur les données invitent souvent les lecteurs à « cliquer ici » pour consulter les sources de données, ou à « lire la suite » pour trouver des articles connexes dans une série – ou même à cliquer sur une URL. Ces articles oublient involontairement que les personnes aveugles ou malvoyantes, ou toute autre personne qui utilise un logiciel de lecture d’écran pour lire l’article sous forme de données, ne peuvent pas comprendre les liens hypertextes placés sur le texte de cette manière.
« Nous devrions tous utiliser une phrase descriptive complète, au lieu de dire simplement « cliquez ici », car sur un lecteur d’écran, cela se présente simplement par une liste », explique Helina Selemon, journaliste d’investigation au New York Amsterdam News. « Placez le lien sur des mots qui décrivent réellement ce à quoi il renvoie. Les médias ne proposent pas non plus d’informations à des niveaux de lecture inférieurs pour les personnes souffrant d’un handicap mental ».
« L’un des aspects qui me préoccupe le plus est lorsque les données nous conduisent à des conclusions erronées », a déclaré Sandra Crucianelli, formatrice en data-journalisme basée en Argentine, membre de l’ICIJ et fondatrice de Sololocal.info, lors d’une interview séparée avec GIJN. « Les données peuvent être incomplètes, obsolètes ou même incorrectement chargées dans la base de données ».
Mme Crucianelli a donné l’exemple concret d’un article sur le financement d’une campagne, dans lequel une base de données officielle indiquait qu’un donateur avait versé 1 000 000 de dollars à un parti politique. « La valeur élevée de ce chiffre nous a conduits à nous en méfier », se souvient-elle. « Nous avons retrouvé le donateur pour lui demander s’il avait réellement fait ce don. Il s’est avéré qu’il n’avait donné que 100 000 dollars. Lorsque nous avons consulté le responsable de la base de données, il nous a été répondu qu’il s’agissait d’une erreur de chargement. Imaginez que nous ayons fait un gros titre sur le million ! »
Étant donné qu’il n’est pas réaliste de vérifier chaque ligne de données, elle recommande aux journalistes de se concentrer sur les extrêmes. « Lorsque nous analysons des données, les chiffres eux-mêmes peuvent aussi mentir », a-t-elle fait remarquer. « C’est pourquoi la vérification est essentielle. Qu’est-ce qui a le plus changé au fil du temps ou qu’est-ce qui a le plus diminué ?
(Ce point a été repris dans l’article du GIJN « hallways round-up » de NICAR en 2023, qui a également noté la menace d’erreur commune que représentent les lignes vides dans les feuilles de calcul. Lire l’article de GIJN sur les 10 simples erreurs de données qui peuvent ruiner une enquête.
Combien d’organes de presse ont aujourd’hui la capacité de recruter, par exemple, un journaliste spécialisé dans l couverture des question de l’emploi, la politique locale ou l’enseignement primaire ? Dans le passé, ces journalistes spécialisés identifiaient souvent des sujets importants mais complexes – et des signaux d’alerte subtils – dans les données qu’ils recevaient de leurs sources sectorielles spécialisées, et transmettaient ces données aux responsables des enquêtes ou des données, qui demandaient alors souvent au journaliste spécialisé de se joindre à un projet d’équipe. Mike Reilley, fondateur de JournalistsToolbox.AI, explique que la réduction globale des effectifs dans les salles de rédaction a entraîné la disparition de nombreuses enquêtes basées sur des données, ainsi que la perte d’une catégorie de journalistes spécialisés capables de fournir un contexte clé sur des sujets obscurs.
« Nous devons faire preuve de créativité pour commencer à combler cette lacune – la collaboration serait certainement utile », a déclaré M. Reilley. Il a ajouté que les data editors devraient réfléchir activement aux données qu’ils pourraient négliger dans des domaines dormants, tels que l’aviation, la gestion des déchets ou les soins aux personnes âgées.
« S’il est vrai que les conséquences les plus évidentes du changement climatique, telles que les vagues de chaleur, les inondations et les sécheresses, font l’objet de nombreux reportages, il est nécessaire d’aller au-delà de ces aspects superficiels », a déclaré Hassel Fallas, analyse de données sénior à La Data Cuenta, un média indépendant latino-américain qui se concentre sur le journalisme de données lié au changement climatique et au genre, lors d’une interview séparée accordée à GIJN. « Les médias doivent approfondir l’analyse des mesures d’adaptation au changement climatique : les stratégies à long terme pour atténuer les effets du changement climatique et s’y adapter ».
Mme Fallas a ajouté : « En ne s’intéressant qu’aux conséquences les plus visibles du changement climatique, on risque de négliger la complexité de la question et ses différentes dimensions. Par exemple, l’adaptation au changement climatique va au-delà des questions environnementales et englobe des aspects socio-économiques, politiques et culturels. »
Ces dernières années, une poignée d’enquêtes très médiatisées sur le trafic de main-d’œuvre ont captivé l’attention, mettant en cause les conditions de travail abusives de migrants employés dans des lieux tels que des bases militaires américaines à l’étranger et des chaînes de restauration rapide au Moyen-Orient. Le trafic de main-d’œuvre implique souvent l’exploitation, des conditions de travail pénibles, des restrictions de voyage, voire la confiscation des passeports des travailleurs par les entreprises de main-d’œuvre qui travaillent avec des employeurs internationaux dans des pays étrangers.
Andrew Lehren, ancien responsable des enquêtes à NBC News, qui a travaillé sur plusieurs de ces enquêtes, estime que ces travaux ne représentent que la partie émergée de l’iceberg de l’exploitation des travailleurs dans le monde, et qu’il existe d’importantes données à trouver et à analyser.
« Notre dernier article portait sur des entrepôts occidentaux au Moyen-Orient où travaillaient des personnes victimes de la traite des êtres humains, mais il ne fait aucun doute qu’il ne s’agit pas d’une exception », a déclaré M. Lehren, qui est aujourd’hui directeur du département des enquêtes à l’école de journalisme CUNY de New York. « De grandes entreprises opérant dans différentes parties du monde ont une forte demande de main-d’œuvre bon marché. Les entreprises qui leur fournissent de la main-d’œuvre ont tout intérêt à faire des économies, ce qui conduit à l’exploitation de travailleurs migrants originaires de pays comme le Pakistan, le Sri Lanka, le Népal et les Philippines. Ces enquêtes prennent du temps et nécessitent une collaboration, mais elles existent ».
Les opérations d’usurpation d’identité et les escroqueries en ligne constituent un sujet potentiellement riche en données qui ne reçoit que peu d’attention de la part des journalistes. Outre le volume de textes, de courriels et d’appels conçus pour inciter les gens à divulguer leur identité ou leurs données financières, les experts estiment que les enquêtes de service public sont particulièrement importantes dans ce domaine, car de nombreuses victimes sont gênées de signaler ou d’admettre qu’elles sont tombées dans le piège de l’escroquerie.
« Il existe un certain nombre d’escroqueries organisées impliquant le vol d’identité, l’hameçonnage et le fait d’amener les gens à donner les informations de leur passeport et leurs codes de sécurité, » Jeremy Caplan, directeur de l’enseignement et de l’apprentissage à l’école supérieure de journalisme Craig Newmark de la CUNY. « Nous n’en parlons pas assez. Comment ces escroqueries fonctionnent-elles ? Qu’est-ce qui les rend possibles ? Quels sont les gangs qui se cachent derrière ces escroqueries ? Qu’est-ce que les données nous apprennent sur les tendances de la menace ? »
Et d’ajouter : « Si je vous envoie un courriel disant : “Votre fille adolescente a déposé de l’argent sur le mauvais compte de notre banque – sa date de naissance est X, et nous voulons nous assurer que l’argent est versé sur son vrai compte”, cela peut être convaincant pour beaucoup de gens ».
Il est difficile de trouver des articles d’investigation traditionnels qui révèlent un résultat positif. En revanche, le journalisme de données peut facilement révéler des résultats politiques positifs autrement inconnus ou imprévus – et ceux-ci peuvent avoir à la fois un effet de renforcement nécessaire de confiance pour le public et un effet de redevabilité pour les opposants à ces politiques.
Les organes de presse se font rarement l’écho d’améliorations spectaculaires dans les grands indicateurs, telles que les récentes baisses importantes de l’extrême pauvreté mondiale et de la mortalité infantile – qui a chuté de 59 % au cours des trois dernières décennies – ou les augmentations encourageantes, par exemple, de la représentation des femmes dans de nombreux parlements en Afrique.
Caplan, de la CUNY, a déclaré que les rédactions devraient évaluer si elles font preuve d’un parti pris pour la négativité et a averti que le public remarque lorsque l’équilibre entre les données négatives et au moins quelques données positives « n’est pas respecté ».
Il a ajouté qu’il y avait de bonnes leçons à tirer du livre « Factfulness : Ten Reasons We’re Wrong About the World – and Why Things Are Better Than You Think », de l’expert suédois en santé publique Hans Rosling, qui met les journalistes au défi de « se convaincre que les choses peuvent être à la fois meilleures et mauvaises ».
« Rosling a réalisé d’excellentes expériences sur les données qui ont montré des tendances positives au fil du temps, comme la diminution spectaculaire du nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour », raconte M. Caplan. « Nous avons tendance à penser que les choses sont bien pires que ce que les données montrent, et les médias jouent un rôle à cet égard. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les gens ne veulent pas consommer d’informations, parce que – bien qu’il y ait certainement un besoin d’informations négatives ou critiques – le public pense qu’elles sont trop négatives ».
Lorsqu’ils dénoncent les préjudices disproportionnés ou la discrimination exercée par une institution dans le cadre d’un projet majeur, les journalistes tombent souvent sur quelques données positives – une ville ou un secteur où les préjudices ont été évités ou les avantages obtenus. Selon M. Caplan, ces points devraient être explorés dans les papiers de suivi, en particulier si les raisons de ce changement positif n’ont pas été anticipées par les décideurs politiques.
« L’absence de vision dans de nombreuses salles de rédaction pour disposer d’équipes interdisciplinaires pour le data-journalisme de données est un angle-mort important », a déclaré M. Fallas de La Data Cuenta. De nombreux médias disposent d’une « unité de données », c’est-à-dire d’une personne qui est censée tout faire : recueillir des données, les analyser, les visualiser, en rendre compte, rédiger l’article et même créer un contenu viral sur TikTok. Cela ne fonctionne pas. Les projets de data-journalisme doivent être complets et impliquer dès le départ des journalistes, des analystes de données, des spécialistes de la visualisation de données, des experts en médias sociaux et des rédacteurs en chef. »
Selon Mme Fallas, cela s’applique également à la collaboration externe, notamment aux partenariats établis avec des organisations de la société civile, des universités et des experts, ainsi qu’aux partenariats médiatiques pour les projets régionaux avec des médias qui offrent des compétences et des publics différents des vôtres.
« Plutôt que de choisir tous les partenaires d’une enquête avec le même profil, il est essentiel d’identifier et de sélectionner les partenaires médiatiques en fonction des compétences nécessaires à l’enquête : analyse de données, visualisation, narration, création de podcasts, conception graphique », a-t-elle déclaré.
« La gestion des feuilles de calcul, qu’il s’agisse d’Excel ou de Google Sheets, est fondamentale pour le data-journalisme », note M. Fallas. « Cependant, de nombreux journalistes s’en tiennent aux bases de ces outils : ajouter, soustraire, identifier qui est en hausse ou en baisse. Les analyses peuvent aller bien au-delà de ces fonctions élémentaires. Il est essentiel que davantage de journalistes suivent une formation aux langages de programmation tels que R et Python. Comprendre comment appliquer les algorithmes d’apprentissage automatique ou les statistiques, telles que la régression linéaire ou l’analyse de grappes, est fondamental pour mener des analyses plus complexes avec les données. Ces outils nous permettent de mieux démêler les schémas et de trouver des réponses d’un plus grand intérêt pour le public. »
Selon M. Fallas, les journalistes doivent apprendre les outils d’IA générative « de manière critique et intelligente » en tant qu’assistants pour résoudre certaines des tâches de données de base qui prennent du temps et qui, autrement, pourraient bloquer une enquête.
« Par exemple, il y a quelques semaines à Porto Rico, j’ai animé un atelier pour des collègues au cours duquel nous avons exploré les avantages et les limites de l’utilisation de ChatGPT pour relever les défis du data-journalisme», se souvient-elle. Nous avons discuté des moyens clairs de créer des « prompts ». Nous avons mis l’accent sur une attitude réflexive, plutôt que sur un simple « copier-coller ». L’IA générative peut être un outil précieux pour apprendre des langages de programmation qui permettent d’aller plus loin. »
Rowan Philp est le reporter senior de GIJN. Il était auparavant reporter en chef pour le Sunday Times sud-africain. En tant que correspondant à l’étranger, il a réalisé des reportages sur l’actualité, la politique, la corruption et les conflits dans plus d’une vingtaine de pays du monde entier. Il a également collaboré avec des rédactions au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Afrique.
11.04.2024 à 01:57
Aïssatou Fofana
GIJN a organisé mardi 30 avril 2024 un webinaire au cours duquel trois journalistes d’investigation chevronnés ont partagé des conseils et des outils sur la manière d’enquêter sur un conflit tel que celui entre Israël et le Hamas et sur un terrain quasi impossible tel que Gaza. Voici le replay :
Sept mois après le début du conflit entre Israël et le Hamas, les journalistes qui exercent leur métier dans la région sont confrontés à des difficultés sans précédent. Selon le Comité de protection des journalistes, au 9 avril, les enquêtes préliminaires montrent qu’au moins 95 journalistes et professionnels des médias figurent parmi les 34 000 personnes tuées depuis le début du conflit, le 7 octobre, dont plus de 33 000 Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie et 1 200 en Israël. Pour les reporters sur le terrain, le risque pour la sécurité personnelle est sans précédent et s’accompagne de nombreux obstacles logistiques – comme le manque d’accès à Internet et l’impossibilité de se déplacer librement – tandis que les journalistes ont dû faire face à un tsunami de désinformation et de récits douteux.
En raison de l’environnement de travail quasi impossible à Gaza, la plupart des articles d’investigation ont jusqu’à présent été produits par des médias internationaux, qui se sont largement appuyés sur la géolocalisation, l’analyse de documents, les informations en sources ouvertes et les informations fournies par des blogueurs et des citoyens basés à Gaza, plutôt que sur des enquêtes sur le terrain.
Dans ce webinaire de GIJN, trois journalistes d’investigation chevronnés ont partagé des conseils et des outils sur la manière de travailler dans un environnement de reportage aussi périlleux, ainsi que des techniques pour enquêter sur les atrocités de la guerre.
Sarah El-Deeb est journaliste à l’Associated Press (AP) depuis 2000, avec une grande expérience du reportage au Moyen-Orient. Elle a rejoint l’équipe d’investigation mondiale de l’AP en 2021, peu avant que la Russie ne lance sa guerre contre l’Ukraine, et fait partie du projet War Crimes Watch Ukraine. Elle est l’auteur d’un chapitre sur la recherche des disparus dans le Guide du journaliste pour enquêter sur les crimes de guerre de GIJN. Plus récemment, elle a écrit des articles d’investigation sur le conflit entre Israël et le Hamas.
Peter Polack est concepteur et développeur de logiciels au sein de Forensic Architecture (FA), une agence de recherche basée à Goldsmiths, à l’Université de Londres, qui développe, utilise et diffuse de nouvelles techniques, méthodes et concepts pour enquêter sur la violence de l’État et des entreprises. Il produit des médias numériques graphiques et interactifs et a récemment travaillé sur deux enquêtes du FA : Violence humanitaire à Gaza et Destruction de l’infrastructure médicale à Gaza.
Phil Rees est directeur du Journalisme d’Investigation à Al Jazeera, où il travaille depuis 2013. Al Jazeera a largement couvert le conflit entre Israël et le Hamas. Il a également présenté ou produit plus de 100 documentaires et réalisé des reportages sur des dizaines de conflits – de la Colombie au Cambodge, en passant par Belfast et l’Irak – y compris au Moyen-Orient. Son livre Dining with Terrorists publié en 2005, « devrait être une lecture obligatoire pour tous les rédacteurs, journalistes et hommes politiques – avant qu’il ne soit trop tard », selon le British Journalism Review.
La modératrice est Rachel Oldroyd, rédactrice adjointe en charge des enquêtes au Guardian.
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25.03.2024 à 10:37
Maxime Domegni
GIJN Afrique a organisé le 16 avril 2024 un webinaire durant lequel trois journalistes d’expérience ont partagé leurs astuces pour enquêter sur l’influence française en Afrique.
Voici le REPLAY de ce webinaire :
Ancienne puissance coloniale, la France a gardé des relations étroites avec plusieurs pays africains, particulièrement ses anciennes colonies. Que ce soit sur le plan politique, économique, monétaire, militaire, éducatif, culturel, elle fait partie des pays occidentaux encore influents sur le continent.
Au cours de la période post-coloniale, cette influence est régulièrement marquée par plusieurs affaires politiques et financières qui n’ont pas toutes été révélées. Elles impliquent divers types d’acteurs : des officiels (civil et militaires), des acteurs politiques, des milieux d’affaires et d’autres réseaux.
La diversité des relations entre la France et ses anciennes colonies, ainsi que les faits qui s’y rapportent, constituent une mine d’informations que des journalistes, installés dans les deux zones, peuvent exploiter dans le cadre d’enquêtes approfondies, basées sur des faits précis et vérifiés, publiées sous forme d’articles, vidéos, podcasts, films documentaires et livres.
Pour encourager ce travail d’enquêtes journalistiques, et aider davantage les journalistes à jouer leur rôle de chiens de garde, sur les relations entre la France l’Afrique, le département francophone de GIJN, le Réseau international de journalisme d’investigation, a organisé le 16 avril un webinaire avec plusieurs journalistes expérimentés, fins observateurs des relations france-afrique et qui, depuis des décennies, y produisent des enquêtes :
Francis Laloupo. Journaliste, il a été directeur de l’Information à la radio panafricaine Africa N°1, chroniqueur et éditorialiste pour plusieurs médias. Il a dirigé plusieurs publications et rédactions sur l’Afrique, notamment Le Nouvel Afrique Asie et Continental magazine. Francis Laloupo est également enseignant de géopolitique africaine, chercheur associé à L’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) en France. Il est auteur de plusieurs ouvrages dont “Blues Démocratique, 1990-2020” (2022), “France-Afrique, la rupture maintenant ?” (2013).
Fanny Pigeaud. Journaliste, elle a été correspondante pendant plusieurs années de l’AFP et du journal Libération au Cameroun avant de rejoindre le bureau régional de l’AFP à Libreville, puis de travailler en free-lance en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui collaboratrice de médias comme Mediapart et Afrique XXI, Fanny Pigeaud publie de nombreuses enquêtes à propos de l’Afrique, particulièrement sur des relations entre la France et l’Afrique. Écrivaine, elle est co-auteure de “De la démocratie en Françafrique, une histoire de l’impérialisme électoral » (2024) et de “L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA” (2018).
Paul Deutschmann. Journaliste, il est rédacteur en chef du média d’investigation Africa Intelligence qui couvre l’Afrique depuis plus de 40 ans. Spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, il travaille sur la région depuis près d’une dizaine d’années et suit particulièrement les relations entre la France et le continent. Il a également collaboré avec le quotidien suisse Le Temps et avec la revue XXI. En parallèle, il s’intéresse aux technologies de ciblage électorale en Cote d’Ivoire et au Sénégal dans le cadre d’un projet de recherche à l’African Studies Centre Leiden (ASCL), basé aux Pays Bas.
Le modérateur est Maxime Koami Domegni, journaliste d’investigation et responsable Afrique francophone de GIJN.
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20.03.2024 à 01:04
Oumar Zombré
En 2015, 17 ans après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, était créée la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO). Profil de cette organisation qui a rejoint GIJN en 2017.
Au Burkina Faso, il est impossible de parler de journalisme d’investigation sans évoquer Norbert Zongo, une figure emblématique assassinée le 13 décembre 1998.
Norbert Zongo était le fondateur et le directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, un journal qui a fait honneur à son nom en se distinguant par ses enquêtes approfondies et en donnant la priorité à la liberté d’expression. En tant que journaliste, Zongo était connu pour son refus d’accepter des pots-de-vin et a risqué sa vie pour enquêter sur la mort suspecte d’un chauffeur qui travaillait pour le frère du président.
La mort de ce journaliste de renom – dont le corps a été retrouvé dans une voiture calcinée sur le bord de la route, avec ceux de deux collègues et de son frère – a joué un rôle important dans la transformation du paysage médiatique du Burkina Faso, pays enclavé d’Afrique de l’Ouest situé entre le Mali et le Ghana.
La lutte pour la justice et l’exigence de rendre des comptes à la suite de l’assassinat de Zongo ont progressivement permis d’améliorer la position du pays dans le classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans frontières. Deux décennies après la mort de Zongo, le Burkina Faso occupait le 41e rang mondial, sa meilleure position à ce jour. (Une détérioration très récente de la liberté de la presse et un coup d’État militaire l’ont fait chuter à la 58e place en 2023).
Mais en 2015, lorsque 18 journalistes d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale se sont réunis dans la capitale burkinabè, Ouagadougou, pour rendre hommage au combat et à l’œuvre de Zongo, il était tout à fait naturel que l’initiative qu’ils allaient décider porte son nom et reflète son dévouement à révéler la vérité et à lutter pour la justice et l’obligation de rendre des comptes. Les journalistes, avec le soutien de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et de l’ambassade du Danemark, ont créé la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO). Deux ans après sa création, la CENOZO a été acceptée comme membre du réseau mondial de journalisme d’investigation.
Après neuf ans d’activité, la CENOZO a acquis une réputation internationale pour ses activités phares, qui comprennent la formation à la pratique du journalisme d’investigation et le soutien financier et technique aux enquêtes. L’objectif principal de la cellule est d’améliorer la capacité d’investigation des journalistes dans les domaines de la corruption, du crime organisé, de la gouvernance, des violations des droits de l’homme et de l’environnement.
« Depuis que la CENOZO est devenu opérationnelle, quelque 600 journalistes ont été formés dans toute la sous-région », explique Arnaud Ouédraogo, coordinateur de la CENOZO. Ajoutant que maintenant que l’organisation a pris de l’ampleur, une centaine de journalistes en moyenne reçoivent une formation chaque année.
« Cette réalisation revêt une grande importance pour la CENOZO, car elle contribue à l’amélioration des normes journalistiques en Afrique de l’Ouest », explique M. Ouédraogo. « Compte tenu de l’environnement difficile pour les journalistes, marqué par des ressources médiatiques limitées et des programmes de formation au journalisme inadéquats, il est essentiel pour des organisations comme la nôtre de mettre en place des initiatives de formation continue. »
L’organisation a été lancée à un moment où les enquêtes transfrontalières collaboratives et approfondies devenaient monnaie courante. L’un des premiers grands projets de la CENOZO a été l’enquête West Africa Leaks, publiée en 2018.
« C’était la première fois que des journalistes d’investigation de toute l’Afrique de l’Ouest collaboraient pour produire une série d’enquêtes sur la fuite des capitaux, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale sur l’ensemble du continent », explique M. Ouédraogo. Au total, plus d’une douzaine de journalistes de 11 pays d’Afrique de l’Ouest ont collaboré avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
Viennent ensuite les Pandora Papers, une autre enquête facilitée par l’ICIJ, qui s’est penchée sur le système financier parallèle qui profite aux riches et aux puissants de ce monde.
Les journalistes de la CENOZO ont également participé aux FinCEN Files : le journaliste Moussa Aksa y a publié une enquête sur le scandale des marchés publics militaires au Niger, qu’un activiste a qualifié de « scandale du siècle ».
Fergus Shiel, directeur de la rédaction de l’ICIJ, a déclaré que l’équipe de la CENOZO avait été une « excellente collaboratrice » sur un certain nombre de projets de grande envergure. Il a loué le président du groupe, David Dembele, et la secrétaire générale, Sandrine Sawadogo, en tant qu' »experts dans la découverte de flux financiers illicites et de fraudes d’entreprises et guides pour les journalistes d’investigation à travers l’Afrique de l’Ouest ».
Ils ont, a ajouté M. Shiel, fourni « une assistance répétée pour enquêter sur les injustices en Afrique, en dépit d’obstacles permanents ».
En consultant le site de la CENOZO à l’heure actuelle, les lecteurs peuvent trouver un large éventail d’articles d’investigation traitant des défis actuels dans les pays d’Afrique de l’Ouest. D’un article sur l’échec de la réhabilitation d’anciens sites miniers au Burkina Faso, à un autre sur le trafic de cigarettes au Sahel, ou encore une enquête sur le fleuve Niger, que les reporters avertissent être « en péril ».
La CENOZO soutient le travail d’investigation des journalistes en leur fournissant des ressources financières ainsi que des formations. Les subventions varient de 500 à 3 000 euros (540 à 3 250 dollars américains) en fonction de la nature de l’enquête et de son caractère local ou transfrontalier. La CENOZO affirme que plus de 300 enquêtes ont été publiées grâce à ces subventions.
Selon M. Ouédraogo, le soutien financier au journalisme d’investigation est vital dans une région où les médias dépendent fortement de la publicité, et ont généralement du mal à financer la production d’articles de fond. Cette situation de financement précaire s’est récemment aggravée en raison de l’impact économique des crises politiques dans la région.
Du point de vue sécuritaire, la cellule soutient les journalistes en les formant à la sécurité numérique et à la sécurité des données, aux meilleures pratiques en matière de reportage et aux meilleurs moyens de communiquer en toute sécurité avec les sources. Dans certains cas particulièrement sensibles, des rédacteurs en chef, voire des avocats, peuvent aider à préparer un article pour sa publication.
L’équipe peut également intervenir pour apporter son soutien lorsque des membres de la CENOZO sont attaqués. Dans le cas du reporter nigérien Moussa Aksa, la CENOZO a fourni un soutien juridique et a contribué à sa sécurité.
« Lorsque le journaliste a publié cette enquête, il a fait l’objet d’intimidations, de menaces et de poursuites judiciaires », explique M. Ouédraogo. « L’affaire est toujours en cours au tribunal et, bien qu’il n’ait jamais été condamné, il est dans l’impossibilité de continuer à travailler. Nous l’avons soutenu, nous lui avons fourni une assistance juridique et nous avons finalement dû le déplacer de Niamey pour sa sécurité.
Enfin, la CENOZO organise des débats publics sur des questions de gouvernance. Ces tables rondes multipartites réunissent des journalistes, des représentants de la société civile et des fonctionnaires pour discuter de questions telles que la corruption, le changement climatique et les droits de l’homme.
M. Ouédraogo estime que ces différents domaines d’intervention ont contribué à révolutionner la production médiatique dans la région de l’Afrique de l’Ouest, et les personnes extérieures reconnaissent également la valeur de leur travail.
« La CENOZO joue un rôle crucial en fournissant une plateforme qui aide les journalistes à rester informés et à s’adapter à toutes les situations », explique le Dr Sita Traoré Diallo, de l’ISTIC, l’école de formation pratique en journalisme du Burkina Faso, qui a elle-même bénéficié des formations de la CENOZO au cours de sa carrière.
Pour expliquer l’ampleur du défi, elle évoque le contexte difficile du journalisme en Afrique de l’Ouest, en particulier dans la région du Sahel où, les crises sécuritaires et politiques se sont multipliées. Des groupes terroristes armés sévissent dans un certain nombre de pays, prenant pour cible les institutions de l’État, les civils qui résistent à leur idéologie et la presse. Le climat d’insécurité qui règne a conduit à des prises de pouvoir militaires qui ont encore restreint la liberté d’opinion et d’expression.
Au Burkina Faso même, « la violence croissante et l’instabilité politique ont eu un impact très négatif sur la sécurité des journalistes et l’accès à l’information », a averti RSF l’année dernière. Bien que la culture du journalisme d’investigation soit forte dans le pays, la détérioration de l’environnement sécuritaire et politique a entraîné une augmentation des pressions extérieures et de l’autocensure.
Dans ces conditions, le journalisme d’investigation exige des investissements, des sacrifices et un dévouement considérables, explique M. Traoré Diallo. « Si le journalisme d’investigation devient de plus en plus difficile, il n’est pas pour autant impossible. « Le journalisme d’investigation rend les décideurs publics prudents, car ils savent qu’ils peuvent être tenus pour responsables ».
Sandrine Sawadogo, secrétaire générale de la CENOZO, voit également des opportunités malgré les défis. « Pour nous, la situation sécuritaire actuelle est une opportunité de redévelopper le journalisme d’investigation, de se rapprocher de la population et de réduire la méfiance. Le journalisme d’investigation est confronté à des défis, mais nous restons optimistes », a-t-elle déclaré à GIJN.
La CENOZO est dotée d’un conseil d’administration composé de sept membres, originaires du Sénégal, du Mali, du Togo, du Nigeria, du Ghana et du Burkina Faso, et d’un secrétariat technique de quatre personnes, qui en assure la gestion. L’équipe travaille également avec un réseau de rédacteurs indépendants.
Les journalistes de tous horizons peuvent recevoir une formation de la CENOZO et demander des subventions. Certains des plus grands noms du journalisme d’investigation de la région sont également membres. Les demandes d’adhésion sont examinées par le conseil d’administration, et plus de 40 journalistes figurent actuellement sur la liste.
Avant que la CENOZO ne commande une enquête, la proposition est soumise à un processus d’examen au cours duquel une équipe éditoriale évalue sa pertinence, sa faisabilité, les risques associés et les antécédents du journaliste afin d’évaluer sa capacité à travailler sur le sujet. Lorsqu’un projet est retenu, la CENOZO contacte des donateurs potentiels pour aider à financer l’enquête.
En particulier, la CENOZO accorde une grande importance à l’égalité entre les hommes et les femmes, et 40 % des subventions accordées par l’organisation sont spécifiquement destinées aux femmes afin d’encourager un plus grand nombre d’entre elles à travailler sur des sujets d’investigation.
Mais la CENOZO tente également d’assurer son avenir et reconnaît la nécessité de positionner le journalisme en tant que gardien de l’intérêt public. Ceci est d’autant plus important dans le contexte du Sahel, où les gouvernements ont essayé de gagner des points en critiquant la presse qui ne se concentre que sur les problèmes.
Selon M. Ouédraogo, l’un des moyens de remédier à cette situation est d’inclure à l’avenir, une certaine forme de « journalisme de solutions » dans l’approche de ses formations.
« Le journalisme de solutions reste un travail d’investigation, mais il se concentre sur les solutions potentielles plutôt que sur les problèmes », explique-t-il. « On reprochait aux journalistes de ne jamais proposer de solutions. Aujourd’hui, un nouveau genre de journalisme est en train d’émerger, et nous essayons de le promouvoir », ajoute-t-il.
Oumar Zombré est journaliste au Burkina Faso depuis 12 ans, dont plusieurs à la radio nationale. Il travaille également comme reporter indépendant. Zombré a participé à des opérations antiterroristes au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Il a reçu des prix nationaux et internationaux, notamment le prix PaxSahel pour le journalisme de paix et le prix africain du journalisme d’investigation.