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03.05.2024 à 09:44

Comment un groupe de journalistes basés à Paris sauvent des enquêtes de l’oubli

Michele Barbero

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À l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, ce 3 mai 2024, GIJN dresse le profil d'un de ses membres : Forbidden Stories. Fondé en 2017, le projet à but non lucratif vise à reprendre des enquêtes mises au placard en raison de menaces ou de violences afin d'envoyer le message : "Tuer le journaliste ne tue pas l'histoire".
Texte intégral (3073 mots)

Illustration: Mélody Da Fonseca pour Forbidden Stories

À l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, ce 3 mai 2024, GIJN dresse le profil d’un de ses membres : Forbidden Stories. Fondé en 2017, le projet à but non lucratif vise à reprendre des enquêtes mises au placard en raison de menaces ou de violences afin d’envoyer le message : « Tuer le journaliste ne tue pas l’histoire ».

Le journaliste indien Shashikant Warishe savait que son enquête sur une nouvelle raffinerie controversée dans la région occidentale du Konkan suscitait la colère de personnes dangereuses.

Il avait été mis en garde par des amis et menacé par des ennemis. Mais il a continué, écrivant pour son journal local sur la spéculation foncière rampante et les risques environnementaux liés au mégaprojet, ainsi que sur la résistance opposée par de nombreux habitants de la région.

En février 2023, alors qu’il fait le plein de sa moto dans une station-service, il est fauché par un 4×4 et meurt de ses blessures peu de temps après. La police pense qu’il a été délibérément assassiné par un marchand de terres au sujet duquel Warishe venait de rédiger un article cinglant. (L’accusé, qui est toujours en détention dans l’attente de son procès, affirme qu’il s’agissait d’un « pur accident »).

Mais les enquêtes de Warishe ne sont pas mortes le jour où il a été tué. Forbidden Stories, une association à but non lucratif basée à Paris, a poursuivi son travail en collaboration avec l’Indian Express, en produisant une enquête approfondie sur la question en trois langues au début de l’année.

Fondé en 2017, la raison d’être de Forbidden Stories, membre du GIJN, est de reprendre des enquêtes mises au placard en raison de menaces ou de violences contre la presse, en les publiant accompagnées des récits expliquant comment les journalistes qui les menaient à l’origine ont été réduits au silence.

L’objectif est d' »envoyer un signal fort : tuer le journaliste ne tue pas l’histoire », explique le fondateur et directeur exécutif Laurent Richard, qui a 25 ans d’expérience dans le domaine du journalisme d’investigation.

En ce 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, cette mission est d’autant plus pertinente que de nombreux acteurs malveillants à travers le monde continuent de mettre en péril le journalisme de responsabilité et le droit du public à l’information. Le besoin est pressant : Dans de nombreuses régions du monde, des journalistes sont intimidés, emprisonnés ou tués en raison de leur travail. Dans de nombreux cas, en particulier dans les pays du Sud, cela se produit sans que grand monde ne le sache, ce qui fait que certaines enquêtes sont abandonnées à jamais.

Forbidden Stories tente de changer cela en exposant les violations des droits humains, les atteintes à l’environnement, la corruption et le crime organisé du Mexique à l’Azerbaïdjan, du Maroc aux Philippines.

Les différentes pistes que l’équipe reçoit du monde entier font l’objet d’une pré-enquête pour en évaluer la pertinence et la faisabilité, ainsi que pour confirmer que les abus subis par les journalistes sur le terrain sont bien liés à leur travail.

Ensuite, pour chaque mission, le groupe s’associe à d’autres organes de presse pour constituer et coordonner une équipe de travail qui peut compter plusieurs dizaines de journalistes. Au fil des ans, Forbidden Stories a travaillé avec 90 partenaires, parmi lesquels de petites rédactions locales connaissant bien le territoire mais aussi de grandes rédactions internationales comme Reuters et le New York Times.

Une attention particulière à l’environnement

Laurent Richard s’exprime lors du Festival international de journalisme de Pérouse en avril 2024. Image : Diego Figone pour le FIJ.

Forbidden Stories a démarré sur les chapeaux de roue en coordonnant, dans le cadre de sa première initiative, 18 organes de presse qui se sont engagés à poursuivre le travail de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, qui a été assassinée en 2017. Forbidden Stories compte aujourd’hui une vingtaine de projets à son actif.

Les crimes contre l’environnement sont l’un des thèmes qui reviennent le plus souvent dans les travaux du groupe. Le reportage sur Shashikant Warishe et la nouvelle raffinerie de l’ouest de l’Inde a mis en lumière les risques de pollution liés à l’usine. Une autre enquête de grande envergure publiée en 2019, « Green Blood », s’est concentrée sur les dommages causés par l’industrie minière en Tanzanie, au Guatemala et en Inde. Parallèlement, The Bruno and Dom Project, coordonné par Forbidden Stories après l’assassinat du reporter Dom Phillips et de son collaborateur Bruno Pereira au Brésil, a mis en lumière le pillage des ressources naturelles de l’Amazonie.

Selon Richard, si l’environnement est au centre d’une grande partie des enquêtes avortées que Forbidden Stories rencontre, c’est parce qu’il est extrêmement dangereux d’enquêter sur la façon dont les entreprises et les politiques exploitent les ressources naturelles dans des pays où les niveaux de corruption et d’impunité sont élevés. Selon une étude du Comité pour la protection des journalistes, au moins 13 journalistes, voire 29, ont été tués entre 2009 et 2019 alors qu’ils travaillaient dans ce domaine, ce qui en fait l’une des activités les plus meurtrières après les reportages de guerre.

Mais l’engagement du groupe à couvrir ces sujets est également le résultat d’un choix éditorial délibéré. « Je crois que nous devons faire de plus en plus de reportages sur les crimes contre l’environnement », estime Laurent Richard. « Nous vivons une période où, en tant que citoyens, nous devons prendre des décisions importantes pour protéger la planète, mais comment pouvons-nous prendre ces décisions si nous ne disposons pas des informations nécessaires ? »

Une autre priorité de Forbidden Stories est de montrer que les crimes en question ne sont pas aussi locaux et éloignés qu’ils paraissent, mais qu’ils sont liés à la vie quotidienne de millions de personnes dans le monde entier. L’or extrait de la mine tanzanienne qui a fait l’objet d’une enquête en 2019 servait à fabriquer des produits vendus aux consommateurs occidentaux par des entreprises technologiques de premier plan. Les cartels qui tuent des journalistes et corrompent des fonctionnaires au Mexique dirigent des opérations multinationales responsables de l’inondation de l’Europe et des États-Unis avec de la drogue.

Décourager les attaques contre les journalistes

Fanny Toubin, responsable du projet SafeBox. Image : Capture d’écran, Forbidden Stories

Mais Forbidden Stories ne vise pas seulement à rendre hommage aux journalistes réduits au silence et à poursuivre leur travail. Il s’agit également d’aider les journalistes menacés à poursuivre eux-mêmes leur travail. C’est l’objectif du SafeBox Network, une plateforme en ligne sécurisée où les journalistes peuvent rendre leur matériel accessible à l’équipe de Forbidden Stories, au cas où quelqu’un essaierait de les faire taire.

« L’objectif est de décourager les attaques contre ceux qui ont rejoint le réseau, en faisant savoir qu’ils partagent leurs découvertes avec Forbidden Stories et en envoyant le message que l’enquête sera publiée quoi qu’il arrive, et qu’il ne sert donc à rien de les attaquer », explique Fanny Toubin, responsable du projet SafeBox.

La plateforme a été lancée en 2022 et compte actuellement quelque 110 utilisateurs. Il est difficile d’évaluer son efficacité en matière de dissuasion de la violence à l’encontre de ses membres, mais les réactions sont encourageantes, de nombreuses personnes se sentant « moins isolées et plus soutenues », a déclaré Fanny Toubin.

Bien entendu, SafeBox est loin de garantir une sécurité totale, comme l’a montré le meurtre de Rafael Moreno, un journaliste colombien abattu par un tueur à gages en octobre 2022, quelques jours après avoir téléchargé ses articles.

Mais, déterminé à ce que sa mort ne soit pas vaine, Forbidden Stories a chargé une équipe de 30 journalistes de terminer son travail. Ensemble, ils ont produit, dans les mois qui ont suivi sa mort, une multitude d’articles qui ont fait la lumière sur la corruption et les crimes contre l’environnement dans la province de Córdoba où travaillait Rafael Moreno.

« L’idée que vous pouvez mettre vos informations à disposition pour que quelqu’un termine l’histoire est très dissuasive pour quiconque envisage de tuer ou de faire quelque chose à un journaliste », se félicite Miranda Patrucic, rédactrice en chef du projet Organized Crime and Corruption Reporting (OCCRP), lors de la conférence de l’IJF à Pérouse en avril 2024.

De grands défis et de grands projets

La gestion d’environnements extrêmement dangereux n’est pas le seul défi auquel Forbidden Stories doit faire face. L’argent est rare : le financement provient de fondations philanthropiques et de dons individuels, avec un budget annuel qui tourne actuellement autour de trois millions d’euros (3,2 millions de dollars américains). Mais les enquêtes sont difficiles, lentes et nécessitent beaucoup de ressources, relève Laurent Richard – y compris pour les frais juridiques, étant donné que les personnes mentionnées dans les articles réagissent souvent en poursuivant les auteurs en justice.

En ce qui concerne SafeBox, un autre problème auquel le groupe est confronté consiste à gagner la confiance des journalistes. « Les rassurer pour qu’ils se sentent à l’aise de partager leurs informations avec nous est un énorme défi », reconnaît Fanny Toubin.

La plateforme utilise SecureDrop, un système très fiable développé par la Freedom of the Press Foundation, qui a été testé pour détecter les bugs et les vulnérabilités. Mais les journalistes qui travaillent dans des pays où la liberté de la presse est faible vivent avec le risque constant de piratage et de surveillance en ligne, ce qui peut les rendre méfiants à l’égard d’outils tiers tels que SafeBox, a déclaré Carolyne Lunga, chercheuse sur le journalisme d’investigation collaboratif dans les pays du Sud, qui enseigne à la City University de Londres et à l’Université de Doha pour la science et la technologie.

Le meilleur moyen de convaincre des journalistes méfiants est de les rencontrer en personne. Forbidden Stories a organisé des ateliers – au Mexique, en Indonésie et au Guatemala – pour décrire sa mission, présenter SafeBox et gagner la confiance des journalistes locaux. La plateforme a enregistré une forte augmentation du nombre de ses membres après chacun de ces événements, indique Fanny Toubin.

Malgré ses ressources limitées, l’équipe de Forbidden Stories s’est agrandie. Elle a plus que doublé depuis l’année dernière pour atteindre un total de 25 employés à temps plein, et d’autres embauches sont prévues dans un avenir proche.

Ils ont du pain sur la planche. Laurent Richard souhaite que Forbidden Stories se fasse mieux connaître et renforce son réseau de partenaires, en particulier là où les journalistes sont ciblés. Renforcer les liens avec les médias locaux et mieux faire connaître l’organisation et sa mission dans ces régions est un moyen de décourager la violence à l’encontre des reporters.

Dans le cadre de ses efforts pour accroître sa portée, Forbidden Stories a rejoint GIJN en 2020 et a été l’un des partenaires de #GIJC23, la 13e conférence mondiale sur le journalisme d’investigation organisée par le GIJN en Suède l’année dernière.

A recent SafeBox workshop for journalists in Jakarta. Image: Courtesy of Forbidden Stories

Un récent atelier SafeBox pour les journalistes à Jakarta. Image : Avec l’aimable autorisation de Forbidden Stories

De manière plus générale, Forbidden Stories vise à encourager une mentalité de journalisme collaboratif dans le monde entier, a déclaré son fondateur, en luttant contre ce qu’il a appelé l’approche du « journaliste loup solitaire ». « L’idée que vous êtes seul avec vos propres sources et vos propres histoires […] nous essayons de briser cela, sachant ce à quoi nous sommes confrontés : campagnes de désinformation, harcèlement, cybersurveillance, menaces physiques, criminalité mondiale », souligne Laurent Richard.

Les enquêtes conjointes impliquant différentes rédactions sont de plus en plus fréquentes, note Carolyne Lunga, mais « l’état d’esprit de collaboration, pour certains rédacteurs en chef, n’est pas là. Le journalisme reste très compétitif », ajoute-t-elle.

Pour sa part, l’équipe de Forbidden Stories espère également inspirer la création d’autres organisations similaires, et elle est prête à partager son expertise avec elles. « Nous ne considérons pas Forbidden Stories comme une sorte de holding, mais plutôt comme un mouvement de personnes », résume Laurent Richard. « Un modèle open source ».


Michele Barbero est un journaliste italien basé à Paris. Après plusieurs années passées à France 24, il travaille actuellement pour l’agence de presse française AFP. Ses articles ont également été publiés dans diverses publications, notamment Foreign Policy, Jacobin et Wired UK.

 

Traduit de l’anglais par Alcyone Wemaere (avec Deepl)

11.04.2024 à 01:57

Webinaire GIJN : Enquêter sur le conflit Israël-Hamas (replay)

Aïssatou Fofana

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GIJN a organisé mardi 30 avril 2024 un webinaire au cours duquel trois journalistes d’investigation chevronnés ont partagé des conseils et des outils sur la manière d’enquêter sur un conflit tel que celui entre Israël et le Hamas et sur un terrain quasi impossible tel que Gaza.
Texte intégral (801 mots)

GIJN a organisé mardi 30 avril 2024 un webinaire au cours duquel trois journalistes d’investigation chevronnés ont partagé des conseils et des outils sur la manière d’enquêter sur un conflit tel que celui entre Israël et le Hamas et sur un terrain quasi impossible tel que Gaza. Voici le replay :

Sept mois après le début du conflit entre Israël et le Hamas, les journalistes qui exercent leur métier dans la région sont confrontés à des difficultés sans précédent. Selon le Comité de protection des journalistes, au 9 avril, les enquêtes préliminaires montrent qu’au moins 95 journalistes et professionnels des médias figurent parmi les 34 000 personnes tuées depuis le début du conflit, le 7 octobre, dont plus de 33 000 Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie et 1 200 en Israël. Pour les reporters sur le terrain, le risque pour la sécurité personnelle est sans précédent et s’accompagne de nombreux obstacles logistiques – comme le manque d’accès à Internet et l’impossibilité de se déplacer librement – tandis que les journalistes ont dû faire face à un tsunami de désinformation et de récits douteux.

En raison de l’environnement de travail quasi impossible à Gaza, la plupart des articles d’investigation ont jusqu’à présent été produits par des médias internationaux, qui se sont largement appuyés sur la géolocalisation, l’analyse de documents, les informations en sources ouvertes et les informations fournies par des blogueurs et des citoyens basés à Gaza, plutôt que sur des enquêtes sur le terrain.

Dans ce webinaire de GIJN, trois journalistes d’investigation chevronnés ont partagé des conseils et des outils sur la manière de travailler dans un environnement de reportage aussi périlleux, ainsi que des techniques pour enquêter sur les atrocités de la guerre.

Sarah El-Deeb est journaliste à l’Associated Press (AP) depuis 2000, avec une grande expérience du reportage au Moyen-Orient. Elle a rejoint l’équipe d’investigation mondiale de l’AP en 2021, peu avant que la Russie ne lance sa guerre contre l’Ukraine, et fait partie du projet War Crimes Watch Ukraine. Elle est l’auteur d’un chapitre sur la recherche des disparus dans le Guide du journaliste pour enquêter sur les crimes de guerre de GIJN. Plus récemment, elle a écrit des articles d’investigation sur le conflit entre Israël et le Hamas.

Peter Polack est concepteur et développeur de logiciels au sein de Forensic Architecture (FA), une agence de recherche basée à Goldsmiths, à l’Université de Londres, qui développe, utilise et diffuse de nouvelles techniques, méthodes et concepts pour enquêter sur la violence de l’État et des entreprises. Il produit des médias numériques graphiques et interactifs et a récemment travaillé sur deux enquêtes du FA : Violence humanitaire à Gaza et Destruction de l’infrastructure médicale à Gaza.

Phil Rees est directeur du Journalisme d’Investigation à Al Jazeera, où il travaille depuis 2013. Al Jazeera a largement couvert le conflit entre Israël et le Hamas. Il a également présenté ou produit plus de 100 documentaires et réalisé des reportages sur des dizaines de conflits – de la Colombie au Cambodge, en passant par Belfast et l’Irak – y compris au Moyen-Orient. Son livre Dining with Terrorists publié en 2005, « devrait être une lecture obligatoire pour tous les rédacteurs, journalistes et hommes politiques – avant qu’il ne soit trop tard », selon le British Journalism Review.

La modératrice est Rachel Oldroyd, rédactrice adjointe en charge des enquêtes au Guardian.

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25.03.2024 à 10:37

Webinaire : enquêter sur l’influence française en Afrique (replay)

Maxime Domegni

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GIJN Afrique a organisé le 16 avril 2024 un webinaire durant lequel trois journalistes d'expérience ont partagé leurs astuces pour enquêter sur l'influence française en Afrique. Voici le REPLAY de ce webinaire.
Texte intégral (703 mots)

GIJN Afrique a organisé le 16 avril 2024 un webinaire durant lequel trois journalistes d’expérience ont partagé leurs astuces pour enquêter sur l’influence française en Afrique.

Voici le REPLAY de ce webinaire :

Ancienne puissance coloniale, la France a gardé des relations étroites avec plusieurs pays africains, particulièrement ses anciennes colonies. Que ce soit sur le plan politique, économique, monétaire, militaire, éducatif, culturel, elle fait partie des pays occidentaux encore influents sur le continent.

Au cours de la période post-coloniale, cette influence est régulièrement marquée par plusieurs affaires politiques et financières qui n’ont pas toutes été révélées. Elles impliquent divers types d’acteurs : des officiels (civil et militaires), des acteurs politiques, des milieux d’affaires et d’autres réseaux.

La diversité des relations entre la France et ses anciennes colonies, ainsi que les faits qui s’y rapportent, constituent une mine d’informations que des journalistes, installés dans les deux zones, peuvent exploiter dans le cadre d’enquêtes approfondies, basées sur des faits précis et vérifiés, publiées sous forme d’articles, vidéos, podcasts, films documentaires et livres.

Pour encourager ce travail d’enquêtes journalistiques, et aider davantage les journalistes à jouer leur rôle de chiens de garde, sur les relations entre la France l’Afrique, le département francophone de GIJN, le Réseau international de journalisme d’investigation, a organisé le 16 avril un webinaire avec plusieurs journalistes expérimentés, fins observateurs des relations france-afrique et qui, depuis des décennies, y produisent des enquêtes :

Francis Laloupo. Journaliste, il a été directeur de l’Information à la radio panafricaine Africa N°1, chroniqueur et éditorialiste pour plusieurs médias. Il a dirigé plusieurs publications et rédactions sur l’Afrique, notamment Le Nouvel Afrique Asie et Continental magazine. Francis Laloupo est également enseignant de géopolitique africaine, chercheur associé à L’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) en France. Il est auteur de plusieurs ouvrages dont  “Blues Démocratique, 1990-2020” (2022), “France-Afrique, la rupture maintenant ?” (2013).

Fanny Pigeaud. Journaliste, elle a été correspondante pendant plusieurs années de l’AFP et du journal Libération au Cameroun avant de rejoindre le bureau régional de l’AFP à Libreville, puis de travailler en free-lance en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui collaboratrice de médias comme Mediapart et Afrique XXI, Fanny Pigeaud publie de nombreuses enquêtes à propos de l’Afrique, particulièrement sur des relations entre la France et l’Afrique. Écrivaine, elle est co-auteure de “De la démocratie en Françafrique, une histoire de l’impérialisme électoral » (2024) et de “L’arme invisible de la Françafrique, une histoire du franc CFA” (2018).

Paul Deutschmann. Journaliste, il est rédacteur en chef du média d’investigation Africa Intelligence qui couvre l’Afrique depuis plus de 40 ans. Spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, il travaille sur la région depuis près d’une dizaine d’années et suit particulièrement les relations entre la France et le continent. Il a également collaboré avec le quotidien suisse Le Temps et avec la revue XXI. En parallèle, il s’intéresse aux technologies de ciblage électorale en Cote d’Ivoire et au Sénégal dans le cadre d’un projet de recherche à l’African Studies Centre Leiden (ASCL), basé aux Pays Bas.

Le modérateur est Maxime Koami Domegni, journaliste d’investigation et responsable Afrique francophone de GIJN.

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20.03.2024 à 01:04

La CENOZO, l’organisation qui renforce le journalisme de surveillance en Afrique de l’Ouest

Oumar Zombré

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En 2015, 17 ans après l'assassinat du journaliste Norbert Zongo, était créée la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d'investigation en Afrique de l'Ouest (CENOZO). Profil de cette organisation qui a rejoint GIJN en 2017.
Texte intégral (2936 mots)

En 2015, 17 ans après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, était créée la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO). Profil de cette organisation qui a rejoint GIJN en 2017.

Au Burkina Faso, il est impossible de parler de journalisme d’investigation sans évoquer Norbert Zongo, une figure emblématique assassinée le 13 décembre 1998.

Norbert Zongo était le fondateur et le directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant, un journal qui a fait honneur à son nom en se distinguant par ses enquêtes approfondies et en donnant la priorité à la liberté d’expression. En tant que journaliste, Zongo était connu pour son refus d’accepter des pots-de-vin et a risqué sa vie pour enquêter sur la mort suspecte d’un chauffeur qui travaillait pour le frère du président.

La mort de ce journaliste de renom – dont le corps a été retrouvé dans une voiture calcinée sur le bord de la route, avec ceux de deux collègues et de son frère – a joué un rôle important dans la transformation du paysage médiatique du Burkina Faso, pays enclavé d’Afrique de l’Ouest situé entre le Mali et le Ghana.

La lutte pour la justice et l’exigence de rendre des comptes à la suite de l’assassinat de Zongo ont progressivement permis d’améliorer la position du pays dans le classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par Reporters sans frontières. Deux décennies après la mort de Zongo, le Burkina Faso occupait le 41e rang mondial, sa meilleure position à ce jour. (Une détérioration très récente de la liberté de la presse et un coup d’État militaire l’ont fait chuter à la 58e place en 2023).

Mais en 2015, lorsque 18 journalistes d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale se sont réunis dans la capitale burkinabè, Ouagadougou, pour rendre hommage au combat et à l’œuvre de Zongo, il était tout à fait naturel que l’initiative qu’ils allaient décider porte son nom et reflète son dévouement à révéler la vérité et à lutter pour la justice et l’obligation de rendre des comptes. Les journalistes, avec le soutien de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et de l’ambassade du Danemark, ont créé la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO). Deux ans après sa création, la CENOZO a été acceptée comme membre du réseau mondial de journalisme d’investigation.

Après neuf ans d’activité, la CENOZO a acquis une réputation internationale pour ses activités phares, qui comprennent la formation à la pratique du journalisme d’investigation et le soutien financier et technique aux enquêtes. L’objectif principal de la cellule est d’améliorer la capacité d’investigation des journalistes dans les domaines de la corruption, du crime organisé, de la gouvernance, des violations des droits de l’homme et de l’environnement.

« Depuis que la CENOZO est devenu opérationnelle, quelque 600 journalistes ont été formés dans toute la sous-région », explique Arnaud Ouédraogo, coordinateur de la CENOZO. Ajoutant que maintenant que l’organisation a pris de l’ampleur, une centaine de journalistes en moyenne reçoivent une formation chaque année.

« Cette réalisation revêt une grande importance pour la CENOZO, car elle contribue à l’amélioration des normes journalistiques en Afrique de l’Ouest », explique M. Ouédraogo. « Compte tenu de l’environnement difficile pour les journalistes, marqué par des ressources médiatiques limitées et des programmes de formation au journalisme inadéquats, il est essentiel pour des organisations comme la nôtre de mettre en place des initiatives de formation continue. »

Collaborations à l’intérieur – et à l’extérieur – de l’Afrique

L’organisation a été lancée à un moment où les enquêtes transfrontalières collaboratives et approfondies devenaient monnaie courante. L’un des premiers grands projets de la CENOZO a été l’enquête West Africa Leaks, publiée en 2018.

« C’était la première fois que des journalistes d’investigation de toute l’Afrique de l’Ouest collaboraient pour produire une série d’enquêtes sur la fuite des capitaux, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale sur l’ensemble du continent », explique M. Ouédraogo. Au total, plus d’une douzaine de journalistes de 11 pays d’Afrique de l’Ouest ont collaboré avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Viennent ensuite les Pandora Papers, une autre enquête facilitée par l’ICIJ, qui s’est penchée sur le système financier parallèle qui profite aux riches et aux puissants de ce monde.

Les journalistes de la CENOZO ont également participé aux FinCEN Files : le journaliste Moussa Aksa y a publié une enquête sur le scandale des marchés publics militaires au Niger, qu’un activiste a qualifié de « scandale du siècle ».

Fergus Shiel, directeur de la rédaction de l’ICIJ, a déclaré que l’équipe de la CENOZO avait été une « excellente collaboratrice » sur un certain nombre de projets de grande envergure. Il a loué le président du groupe, David Dembele, et la secrétaire générale, Sandrine Sawadogo, en tant qu' »experts dans la découverte de flux financiers illicites et de fraudes d’entreprises et guides pour les journalistes d’investigation à travers l’Afrique de l’Ouest ».

Ils ont, a ajouté M. Shiel, fourni « une assistance répétée pour enquêter sur les injustices en Afrique, en dépit d’obstacles permanents ».

 

En consultant le site de la CENOZO à l’heure actuelle, les lecteurs peuvent trouver un large éventail d’articles d’investigation traitant des défis actuels dans les pays d’Afrique de l’Ouest. D’un article sur l’échec de la réhabilitation d’anciens sites miniers au Burkina Faso, à un autre sur le trafic de cigarettes au Sahel, ou encore une enquête sur le fleuve Niger, que les reporters avertissent être « en péril ».

Soutien financier et aide à la sécurité en période d’incertitude

La CENOZO soutient le travail d’investigation des journalistes en leur fournissant des ressources financières ainsi que des formations. Les subventions varient de 500 à 3 000 euros (540 à 3 250 dollars américains) en fonction de la nature de l’enquête et de son caractère local ou transfrontalier. La CENOZO affirme que plus de 300 enquêtes ont été publiées grâce à ces subventions.

Selon M. Ouédraogo, le soutien financier au journalisme d’investigation est vital dans une région où les médias dépendent fortement de la publicité, et ont généralement du mal à financer la production d’articles de fond. Cette situation de financement précaire s’est récemment aggravée en raison de l’impact économique des crises politiques dans la région.

Du point de vue sécuritaire, la cellule soutient les journalistes en les formant à la sécurité numérique et à la sécurité des données, aux meilleures pratiques en matière de reportage et aux meilleurs moyens de communiquer en toute sécurité avec les sources. Dans certains cas particulièrement sensibles, des rédacteurs en chef, voire des avocats, peuvent aider à préparer un article pour sa publication.

L’équipe peut également intervenir pour apporter son soutien lorsque des membres de la CENOZO sont attaqués. Dans le cas du reporter nigérien Moussa Aksa, la CENOZO a fourni un soutien juridique et a contribué à sa sécurité.

« Lorsque le journaliste a publié cette enquête, il a fait l’objet d’intimidations, de menaces et de poursuites judiciaires », explique M. Ouédraogo. « L’affaire est toujours en cours au tribunal et, bien qu’il n’ait jamais été condamné, il est dans l’impossibilité de continuer à travailler. Nous l’avons soutenu, nous lui avons fourni une assistance juridique et nous avons finalement dû le déplacer de Niamey pour sa sécurité.

Tirer parti du journalisme de responsabilité pour un plus grand impact

Enfin, la CENOZO organise des débats publics sur des questions de gouvernance. Ces tables rondes multipartites réunissent des journalistes, des représentants de la société civile et des fonctionnaires pour discuter de questions telles que la corruption, le changement climatique et les droits de l’homme.

M. Ouédraogo estime que ces différents domaines d’intervention ont contribué à révolutionner la production médiatique dans la région de l’Afrique de l’Ouest, et les personnes extérieures reconnaissent également la valeur de leur travail.

Reporters lors d’une session de formation de la CENOZO. Image : Avec l’autorisation de la CENOZO

« La CENOZO joue un rôle crucial en fournissant une plateforme qui aide les journalistes à rester informés et à s’adapter à toutes les situations », explique le Dr Sita Traoré Diallo, de l’ISTIC, l’école de formation pratique en journalisme du Burkina Faso, qui a elle-même bénéficié des formations de la CENOZO au cours de sa carrière.

Pour expliquer l’ampleur du défi, elle évoque le contexte difficile du journalisme en Afrique de l’Ouest, en particulier dans la région du Sahel où, les crises sécuritaires et politiques se sont multipliées. Des groupes terroristes armés sévissent dans un certain nombre de pays, prenant pour cible les institutions de l’État, les civils qui résistent à leur idéologie et la presse. Le climat d’insécurité qui règne a conduit à des prises de pouvoir militaires qui ont encore restreint la liberté d’opinion et d’expression.

Au Burkina Faso même, « la violence croissante et l’instabilité politique ont eu un impact très négatif sur la sécurité des journalistes et l’accès à l’information », a averti RSF l’année dernière. Bien que la culture du journalisme d’investigation soit forte dans le pays, la détérioration de l’environnement sécuritaire et politique a entraîné une augmentation des pressions extérieures et de l’autocensure.

Dans ces conditions, le journalisme d’investigation exige des investissements, des sacrifices et un dévouement considérables, explique M. Traoré Diallo. « Si le journalisme d’investigation devient de plus en plus difficile, il n’est pas pour autant impossible. « Le journalisme d’investigation rend les décideurs publics prudents, car ils savent qu’ils peuvent être tenus pour responsables ».

Sandrine Sawadogo, secrétaire générale de la CENOZO, voit également des opportunités malgré les défis. « Pour nous, la situation sécuritaire actuelle est une opportunité de redévelopper le journalisme d’investigation, de se rapprocher de la population et de réduire la méfiance. Le journalisme d’investigation est confronté à des défis, mais nous restons optimistes », a-t-elle déclaré à GIJN.

Entretenir la flamme du journalisme d’investigation

La CENOZO est dotée d’un conseil d’administration composé de sept membres, originaires du Sénégal, du Mali, du Togo, du Nigeria, du Ghana et du Burkina Faso, et d’un secrétariat technique de quatre personnes, qui en assure la gestion. L’équipe travaille également avec un réseau de rédacteurs indépendants.

Burkina Faso map

La CENOZO, dont le siège se trouve au Burkina Faso, est située au cœur de l’Afrique de l’Ouest et de la région du Sahel. Image : Datawrapper

Les journalistes de tous horizons peuvent recevoir une formation de la CENOZO et demander des subventions. Certains des plus grands noms du journalisme d’investigation de la région sont également membres. Les demandes d’adhésion sont examinées par le conseil d’administration, et plus de 40 journalistes figurent actuellement sur la liste.

Avant que la CENOZO ne commande une enquête, la proposition est soumise à un processus d’examen au cours duquel une équipe éditoriale évalue sa pertinence, sa faisabilité, les risques associés et les antécédents du journaliste afin d’évaluer sa capacité à travailler sur le sujet. Lorsqu’un projet est retenu, la CENOZO contacte des donateurs potentiels pour aider à financer l’enquête.

En particulier, la CENOZO accorde une grande importance à l’égalité entre les hommes et les femmes, et 40 % des subventions accordées par l’organisation sont spécifiquement destinées aux femmes afin d’encourager un plus grand nombre d’entre elles à travailler sur des sujets d’investigation.

Mais la CENOZO tente également d’assurer son avenir et reconnaît la nécessité de positionner le journalisme en tant que gardien de l’intérêt public. Ceci est d’autant plus important dans le contexte du Sahel, où les gouvernements ont essayé de gagner des points en critiquant la presse qui ne se concentre que sur les problèmes.

Arnaud Ouédraogo, coordinateur de la CENOZO. Image : Avec l’autorisation de la CENOZO

 

Selon M. Ouédraogo, l’un des moyens de remédier à cette situation est d’inclure à l’avenir, une certaine forme de « journalisme de solutions » dans l’approche de ses formations.

« Le journalisme de solutions reste un travail d’investigation, mais il se concentre sur les solutions potentielles plutôt que sur les problèmes », explique-t-il. « On reprochait aux journalistes de ne jamais proposer de solutions. Aujourd’hui, un nouveau genre de journalisme est en train d’émerger, et nous essayons de le promouvoir », ajoute-t-il.


Oumar Zombré est journaliste au Burkina Faso depuis 12 ans, dont plusieurs à la radio nationale. Il travaille également comme reporter indépendant. Zombré a participé à des opérations antiterroristes au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Il a reçu des prix nationaux et internationaux, notamment le prix PaxSahel pour le journalisme de paix et le prix africain du journalisme d’investigation.

08.03.2024 à 13:30

Couvrir une élection : conseils par – et pour – des femmes journalistes

Holly Pate , Joanna de Marco

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À l'occasion de la Journée internationale de la femme et d'une année 2024 potentiellement tumultueuse sur le plan électoral (quatre milliards de personnes dans plus de 50 pays sont appelées à voter cette année), GIJN s'est entretenu avec des femmes journalistes d'investigation du monde entier pour connaître leurs meilleures pratiques en matière de couverture des élections.
Texte intégral (3020 mots)

À l’occasion de la Journée internationale de la femme et d’une année 2024 potentiellement tumultueuse sur le plan électoral (quatre milliards de personnes dans plus de 50 pays sont appelées à voter cette année), GIJN s’est entretenu avec des femmes journalistes d’investigation du monde entier pour connaître leurs meilleures pratiques en matière de couverture des élections.

En mars 2023, la journaliste d’investigation mexicaine Nayeli Roldán a dû faire face à une série de cyberattaques cruelles après avoir interrogé le président mexicain sur l’utilisation présumée par le gouvernement du logiciel espion Pegasus.

À peu près au même moment, deux reporters du site d’investigation russe en exil IStories, Alesya Marokhovskaya et Irina Dolinina, ont reçu des messages de menace mentionnant noms, adresses et plans de voyage. En Turquie, Çiğdem Toker, une journaliste économique respectée de T24 news, a été victime de harcèlement en ligne et a fait l’objet de poursuites pénales pour les commentaires qu’elle a faits lors d’une émission télévisée après le second tour de l’élections présidentielle.

Malheureusement, ces représailles en ligne contre les femmes journalistes ne sont pas des événements isolés. Selon une enquête menée auprès de 901 journalistes de 125 pays, près des trois quarts des journalistes s’identifiant comme femmes ont déclaré avoir subi des violences en ligne. La violence en ligne fondée sur le genre à l’encontre des journalistes est encore aggravée lorsqu’elle se mêle à d’autres formes de discrimination, telles que le racisme, l’homophobie et la transphobie, et peut s’intensifier lorsque l’on couvre certains sujets.

Un rapport de l’UNESCO datant de 2023 a révélé que les menaces et les attaques contre les femmes journalistes sur les médias sociaux sont exacerbées lorsqu’elles couvrent la politique. De même, dans la période qui a suivi la présidentielle brésilienne 2022 très disputée, 80% des attaques en ligne contre les femmes journalistes étaient liées à la couverture politique, selon un rapport d’Abraji, une organisation membre de GIJN. Pire encore, un rapport distinct de l’ICFJ (International Center for Journalists) a révélé que les acteurs politiques étaient la deuxième source la plus probable d’attaques en ligne contre les femmes, juste derrière les profils anonymes.

Avec quatre milliards de personnes dans plus de 50 pays – près de la moitié du monde – qui voteront en 2024, les femmes, les transgenres et les journalistes non binaires devront probablement faire face à une recrudescence de cyber-attaques et ce alors que la désinformation et la désinformation croissantes, en particulier les deepfakes pilotés par l’IA, menacent les élections dans le monde entier.

Pour marquer la Journée internationale de la femme au cours d’une année électorale potentiellement tumultueuse, l’équipe mondiale du GIJN s’est entretenue avec des femmes journalistes d’investigation au sujet de leurs meilleures pratiques en matière de couverture des élections. Elles ont également partagé des conseils et des ressources pour faire face à la recrudescence attendue des cyberattaques, de l’intimidation et d’autres formes de violence basée sur le genre.

1. Élaborer un plan d’action le plus en amont possible

Les élections étant souvent imprévisibles, les journalistes désireux de couvrir un scrutin doivent avoir une approche proactive. « Une planification précoce permettra aux journalistes de faire face aux surprises qui surgiront lors la campagne », explique Lulu Brenda Harris, reporter au Centre pour l’innovation et la technologie (CITE) au Zimbabwe.

Le moment où il faut commencer à planifier dépend de la date des élections dans votre pays et des échéances de la campagne.

La journaliste d’investigation guatémaltèque Carmen M. Valle suggère de prendre une journée stratégique pour planifier avant que la saison électorale ne commence. « Asseyez-vous autour d’une table avant cette date et déterminez vos priorités et vos limites », recommande-t-elle. Bien que les plans puissent changer au cours de la campagne, l’établissement d’un cadre initial aidera à prévenir tout épuisement et fournira une feuille de route pour naviguer dans un paysage politique difficile.

2. Séparer le personnel du professionnel

La discrétion est une compétence sous-estimée. Lorsque l’on couvre des élections et que l’on est confronté à d’éventuels problèmes de sécurité, il est essentiel de maintenir une distinction entre le personnel et le professionnel.

« Récemment, je suis devenu encore plus prudent quant à la manière dont je partage des informations qui pourraient révéler mon lieu de résidence. Et dans ma vie de tous les jours, je n’entre pas dans les détails de ce que je fais », explique la journaliste d’investigation allemande Vera Deleja-Hotko. « Le ton dans la société et à l’égard des journalistes est devenu plus dur, surtout à l’égard des femmes ».

Souvent, les représailles, qu’elles soient en ligne ou autres, affectent également les personnes qui nous entourent. Dans notre monde globalisé et en ligne, il est facile pour des personnes malveillantes de trouver et de harceler les proches d’un journaliste.

« Lorsque j’ai découvert que mon téléphone était infecté par le logiciel espion Pegasus, il s’est avéré que le même virus avait été utilisé contre les membres de ma famille, mes amis et les personnes qui m’entouraient, qui n’avaient aucun lien avec la politique, l’activisme ou le journalisme », a déclaré Khadija Ismayilova, rédactrice en chef de Toplum TV en Azerbaïdjan.

La journaliste d’investigation kirghize Meerim Ainykeeva conseille, elle, aux journalistes d’investigation « d’éviter de partager activement des informations personnelles sur leur famille, leurs amis et leurs enfants sur les médias sociaux ».

3. Envisager la mise en œuvre de mesures de sécurité supplémentaires

En cette année d’élections, les chercheurs s’inquiètent des développements de la désinformation et de l’impact possible sur les élections. La communauté du journalisme d’investigation devrait également se préoccuper des problèmes de sécurité qui en découlent.

« Malheureusement, les femmes et les autres groupes marginalisés sont souvent ciblés de manière disproportionnée lorsqu’il s’agit des effets négatifs des nouvelles technologies. Cela inclut des développements tels que les deepfakes d’IA et l’usurpation de voix », a déclaré la journaliste indépendante américaine et formatrice en journalisme de données Samantha Sunne.

Selon elle, les femmes journalistes d’investigation devraient envisager de mettre en place des dispositifs de sécurité supplémentaires cette année, comme l’utilisation d’un gestionnaire de mots de passe ou d’un générateur de mots de passe aléatoires. Les journalistes d’investigation russes Irina Pankratova et Ira Dolinina suggèrent également d’utiliser l’authentification à deux facteurs avec une application générant un code.

Une autre approche proactive consiste à procéder à une forme de nettoyage numérique. « Supprimez les informations susceptibles d’établir des modèles de comportement, par exemple en connaissant vos horaires, le quartier où vous vivez, les personnes avec lesquelles vous interagissez, etc. », suggère la journaliste argentine Irina Sternik.

La journaliste d’investigation biélorusse Olga Ratmirova encourage les femmes à participer à des sessions de formation à la sécurité pour apprendre à protéger leurs informations et à se protéger elles-mêmes.

La troisième édition de notre formation sur les menaces numériques de GIJN pourrait être une bonne option, ou notre prochain webinaire sur les menaces numériques lors des élections de 2024.

4. Avoir du courage

Demander des comptes aux puissants comporte certains risques. Mais s’il est important de les garder à l’esprit et de s’y préparer au mieux, deux femmes nous ont dit qu’il était important de poursuivre le travail du mieux possible.

« Chaque travail comporte ses propres risques et menaces. Si vous avez peur d’enquêter, vous ne devriez même pas commencer », a déclaré la journaliste ukrainienne Maria Zemlyanska.

La journaliste ukrainienne Valeriya Yegoshyna a déclaré que toute personne envisageant de se lancer dans le journalisme d’investigation devait accepter que des menaces et du harcèlement puissent survenir. « Il s’agit simplement de choisir d’accepter les risques possibles et de ne pas en avoir peur, tout en prenant bien sûr les mesures de sécurité appropriées, quel que soit le sexe », a-t-elle expliqué.

5. Chercher du soutien

Outre les menaces, l’intimidation et le harcèlement, les journalistes doivent souvent faire face à des éléments susceptibles de provoquer un épuisement ou un traumatisme, tels que des sujets émotionnellement difficiles et des images choquantes. Une thérapie peut aider.

« Prenez soin de vous ! Le journalisme d’investigation peut être émotionnellement et mentalement éprouvant, en particulier lorsqu’il aborde des sujets tels que l’exploitation sexuelle et sexiste. Faites de vos soins une priorité et sachez quand prendre du recul et faire une pause si nécessaire », conseille la journaliste kényane Catherine Muema.

La journaliste turque Çiğdem Toker abonde dans ce sens : « Le soutien des organisations professionnelles et des collègues est la ressource la plus importante », a-t-elle déclaré, en particulier lorsqu’il s’agit de faire face au trolling et à l’intimidation.

Mari Montes, une journaliste vénézuélienne, a également souligné l’importance de recevoir le soutien de collègues et de la communauté au sens large après avoir été la cible d’une campagne de diffamation de la part d’un troll en ligne. « Les adeptes de cet homme m’écrivaient des messages offensants presque tous les jours. Je bloque ceux qui me dérangent. Lorsque j’ai rendu la situation publique, j’ai reçu le soutien d’autres journalistes, et c’était important », a déclaré Mari Montes à GIJN.

6. Connaître les lois du pays dans lequel vous exercez

Qu’il s’agisse d’enquêter sur des pratiques qui font sourciller lors d’élections ou simplement de se protéger en travaillant dans d’autres domaines, les journalistes du monde entier s’accordent à dire qu’il est important de bien connaître les lois de son pays.

« Il est important de bien connaître la législation », explique Dana Oparina, reporter en Ouzbékistan.

« Comprenez vos droits en tant que journaliste et soyez conscient des protections juridiques dont vous disposez », a ajouté la journaliste turque Ayşegül Engür Dahi. « Ces connaissances peuvent vous aider à surmonter les difficultés juridiques qui peuvent survenir dans le cadre de votre travail d’investigation. »

7. Utiliser sa voix

L’abus fréquent des femmes dans le champ politique, parfois aggravé par les réseaux sociaux et aboutissant souvent à des campagnes de désinformation sexistes, peut être décourageant. Mais la participation égale des femmes – en tant qu’électrices et journalistes d’investigation – est vitale pour une couverture équitable.

« Il n’y a jamais eu de climat idéal pour le journalisme, et c’est précisément pour cela que le journalisme est nécessaire. À chaque période de l’histoire, des défis différents ont été relevés, et ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont liés à notre contexte technologique actuel », estime la journaliste mexicaine Nayeli Roldán.

Être attaquée en ligne peut aussi être un signe que vous êtes sur la bonne voie, fait remarquer la rédactrice en chef de PolitKlinika, Dilbar Alimova, ajoutant que « le temps révèlera la vérité ».

« Mon choix, en tant que journaliste d’investigation et citoyenne de mon pays, est de dire la vérité haut et fort parce que j’ai une voix », ajoute la journaliste bélarusse Kseniya Vyaznikovtseva.

À l’inverse, dans certains contextes, les femmes journalistes d’investigation doivent se battre pour obtenir leur place.

Souvent, mes collègues ou mes sources m’ont dit : « Anastasia, personne ne communiquera avec toi sur ce sujet. Oublie cela, n’essaye même pas. Je n’étais pas prise au sérieux. Les sources essayaient de me parler comme si j’étais une écolière », témoigne Anastasia Platonova, journaliste russe à la BBC.

Le conseil d’Anastasia Platonova ? N’écoutez pas ceux qui vous disent que quelque chose est impossible. Servez vous en pour alimenter votre travail.

8. En avant !

Les femmes journalistes d’investigation du monde entier persévèrent dans leur travail en demandant des comptes au pouvoir, bien qu’elles soient la cible de menaces, de discrimination, de haine, de harcèlement et de campagnes de diffamation. Marina Walker Guevara, rédactrice en chef du Pulitzer Center et membre du conseil d’administration du GIJN, résume parfaitement la situation : « Je suis chaque jour émerveillée par les compétences, le courage et la résilience de mes collègues femmes qui posent les questions les plus difficiles dans les endroits les plus difficiles du monde, à un moment où nous en avons le plus besoin. En avant ! »


Holly Pate  est responsable des réseaux sociaux et de l’engagement de GIJN. Auparavant, elle a été directrice des réseaux sociaux et de la sensibilisation pour le projet Outlaw Ocean, un projet de journalisme à but non lucratif. Elle a écrit pour des journaux tels que le New York Times et le Capital News Service.

 

Joanna DeMarco Joanna DeMarco est responsable des médias sociaux du GIJN. Elle travaille dans le journalisme à Malte depuis une dizaine d’années, à la fois en tant que reporter local et photojournaliste indépendante. Son travail a été publié dans des publications telles que Politico Europe, The Washington Post, National Geographic et Der Spiegel.

07.03.2024 à 16:26

Webinaire « Journalisme d’investigation et menaces numériques pour les élections de 2024 » (replay)

Staff GIJN

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GIJN a organisé mardi 19 mars 2024 un webinaire "Journalisme d'investigation et menaces numériques pour les élections de 2024" au cours duquel de nombreux conseils et outils ont été présentés par des journalistes d'investigation reconnus.
Texte intégral (738 mots)

GIJN a organisé mardi 19 mars 2024 un webinaire « Journalisme d’investigation et menaces numériques pour les élections de 2024 » au cours duquel de nombreux conseils et outils ont été présentés par des journalistes d’investigation reconnus. Voici le replay :

Des élections libres et équitables sont essentielles au bon fonctionnement d’une démocratie. Le journalisme d’investigation contribue à garantir l’intégrité du processus électoral en exposant et en corrigeant les faux récits et la désinformation qui peuvent influencer l’opinion publique. Ces enquêtes aident non seulement les électeurs à prendre des décisions en connaissance de cause, mais leur donnent aussi les moyens d’évaluer les informations qu’ils rencontrent. Ce qui favorise un électorat plus perspicace et mieux informé.

Cette année, en 2024, des milliers de journalistes du monde entier ont fait et feront des reportages et des enquêtes sur l’impact des menaces numériques (désinformation, logiciels espions, trolling et violence numérique, entre autres) sur les élections. Le partage d’idées, de stratégies et de techniques d’investigation est essentiel en cette année où les électeurs de plus de 60 pays se rendront aux urnes.

Dans ce panel, des journalistes et des experts de premier plan – qui couvriront tous les élections en 2024 – ont partagé leurs point de vue sur l’impact des menaces numériques dans les élections sur différents continents. Ils ont également partagé des outils et des conseils sur la manière de mieux exposer les individus et les organisations derrière les campagnes de désinformation.

Le GIJN a également publié un guide d’enquête sur les menaces numériques à l’intention des journalistes, qui contient des conseils de journalistes experts et d’analystes de la sécurité travaillant sur la lutte contre la désinformation, les logiciels malveillants, les logiciels espions et le trolling.

Priyanjana Bengani est boursière du Tow Computational Journalism au Tow Center for Digital Journalism (Centre pour le journalisme numérique) de l’université de Columbia. Son travail se concentre sur l’utilisation de techniques informatiques pour étudier le paysage des médias numériques, y compris les informations locales partisanes et l’intersection entre les entreprises-Plateforme et les médias. Elle coenseigne un cours sur la guerre de l’information à l’école de journalisme de Columbia, et a précédemment coenseigné un cours sur les algorithmes pour le programme Lede.

Malek Khadhraoui est journaliste, formateur et directeur de publication de Inkyfada, un magazine tunisien consacré au journalisme d’investigation et de fond. Il est également directeur exécutif d’Al Khatt, une organisation à but non lucratif qui soutient le journalisme indépendant et propose des solutions pour créer un contenu journalistique percutant. M. Khadhraoui est également consultant pour plusieurs organisations nationales et internationales travaillant dans le domaine de la formation et du soutien aux médias.

María Teresa Ronderos est directrice et cofondatrice du Centre latino-américain de journalisme d’investigation (CLIP). Elle a coordonné plusieurs enquêtes transfrontalières dans la région, sur des questions telles que la migration, la corruption, la désinformation et les organisations religieuses. Elle a été journaliste et rédactrice en chef de plusieurs médias colombiens et a publié ses articles au Brésil, en Argentine, au Mexique, au Chili et en Espagne. Elle est l’auteur des livres Retratos del Poder (Planeta, 2002), 5 en Humor (Aguilar, 2007) et du best-seller Guerras Recicladas (Aguilar, 2014).

Le modérateur est Craig Silverman, reporter national pour ProPublica, qui couvre le vote, les plateformes, la désinformation et la manipulation en ligne. Il était auparavant rédacteur en chef de BuzzFeed News, où il a été l’un des premiers à couvrir la désinformation numérique.

Surveillez notre fil Twitter @gijn et notre newsletter pour obtenir des informations sur les événements à venir.

25.02.2024 à 22:29

Bourses et subventions : conseils d’un initié pour réussir sa demande

Alcyone Wemaere

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La rédaction d'une demande de subvention ou de bourse fait désormais partie du travail de nombreux journalistes. Pourtant, l'exercice est "à la fois incroyablement facile et incroyablement difficile", selon Timothy Large, responsable de programme IJ4EU à l'International Press Institute (IPI). Dans cet article, adapté d'une présentation faite à Dataharvest 2023, lui qui est habitué à examiner des demandes de subventions au sein de jurys, livre ses réflexions et ses conseils.
Texte intégral (3147 mots)

La rédaction d’une demande de subvention ou de bourse fait désormais partie du travail de nombreux journalistes. Pourtant, l’exercice est « à la fois incroyablement facile et incroyablement difficile », selon Timothy Large, responsable de programme IJ4EU à l’International Press Institute (IPI). Dans cet article, adapté d’une présentation faite à Dataharvest 2023, lui qui est habitué à examiner des demandes de subventions au sein de jurys, livre ses réflexions et ses conseils.

Le journalisme d’investigation demande du temps et de l’argent. Il n’est donc pas surprenant que la rédaction d’une demande de subvention fasse désormais partie du travail de nombreux journalistes indépendants et salariés.

Si vous avez déjà demandé une subvention pour financer l’une de vos enquêtes, vous savez que le processus est long et décourageant. C’est particulièrement vrai si votre demande n’a jamais été acceptée ou, pire, si elle a été rejetée avec la mention que vous aviez failli l’obtenir.

Timothy Large est le responsable du projet de journalisme IJ4EU de l’IPI. Image : Capture d’écran, IPI

Si vous avez réussi, vous savez à quel point une subvention peut être utile, voire changer votre vie. Cependant, il est rare d’obtenir une subvention si l’on est novice en la matière. Lors de l’édition 2023 la conférence européenne Dataharvest sur le journalisme d’investigation, Timothy Large, directeur des programmes pour les médias indépendants à l’Institut international de la presse (IPI), a déclaré qu’il était tout à fait conscient de la « lassitude de remplir des demandes de subventions » et de « la lourdeur de devoir faire entrer tous ses rêves dans un formulaire de demande restrictif ». Il a néanmoins encouragé les journalistes d’investigation – même ceux qui n’ont pas l’habitude de rédiger des demandes de subvention – à essayer.

Timothy Large a fait remarquer que l’IPI dirige le fonds Journalisme d’investigation pour l’Europe (IJ4EU), qui accorde des subventions allant jusqu’à 50 000 euros (54 000 dollars) pour soutenir des enquêtes transfrontalières menées en collaboration. À ce jour, IJ4EU a alloué environ 4 millions d’euros (4,3 millions de dollars) à des équipes dans toute l’Europe et au-delà.

Il a également souligné que, statistiquement, les candidats à une subvention IJ4EU avaient environ « 20 % de chances d’être dans le jeu ». Toutefois, pour surmonter les difficultés courantes auxquelles sont confrontés les journalistes qui cherchent à obtenir ce type de financement, Timothy Large a insisté sur la nécessité d’être conscient de ce qu’il appelle « le paradoxe de la demande de subvention ».

« Rédiger une demande de subvention est à la fois incroyablement facile et incroyablement difficile », explique-t-il. « La pression pousse les personnes très intelligentes à faire des choses stupides, tandis que d’autres se figent et se paralysent. En tant qu’initié, il a offert au public de Dataharvest de nombreux conseils et astuces sur la rédaction de demandes de subvention que GIJN est heureux de partager, avec sa permission.

À quoi ressemble une demande de subvention réussie ?

Les mauvaises demandes de subventions sont souvent qualifiées de « confuses ». Une demande de subvention réussie est ciblée et concise.

Il est parfois difficile d’identifier cet objectif, c’est pourquoi Timothy Large vous recommande de vous assurer que votre demande de subvention comporte trois éléments clés dès le départ :

  1. Votre enquête peut être condensée en une phrase.
  2. Elle raconte une histoire.
  3. Elle finira par voir le jour.

Outre ces éléments fondamentaux, Timothy Large précise qu’il y a quelques autres ingrédients à prendre en compte :

  • Faites en sorte que votre présentation soit mémorable : Le jury (ou l’ONG) a souvent de nombreuses demandes de subvention à examiner, vous devez donc attirer leur attention.
  • Présentez un bon récit.
  • Établissez la confiance dans votre capacité à mener à bien le projet.

Si vous cochez toutes ces cases, vos chances d’obtenir une subvention augmentent considérablement.

Tenir compte du point de vue du juré

La demande de subvention peut donner l’impression d’être confrontée à une mystérieuse boîte noire, mais le processus de sélection suit plus ou moins toujours les mêmes étapes :

  1. Vérification de l’éligibilité.
  2. Pré-sélection pour avis du jury uniquement.
  3. Un jury indépendant choisit les projets à financer.

Les jurés sont généralement des rédacteurs en chef de haut niveau ou des journalistes de renom. Timothy Large a également souligné qu’il s’agit également d’êtres humains avec leur propre personnalité, leurs expériences de vie et leurs idées, qui auront tendance à voir les choses à travers leurs propres lentilles. Ainsi, selon lui, la dynamique d’un jury peut inclure quelques profils typiques allant de « féroce » à « généreux », de « perfectionniste » à « facile à vivre ». Il est donc important de comprendre qu’une proposition de subvention peut devoir répondre à des attentes très différentes, même au sein d’un petit comité de sélection.

Timothy Large a également révélé les remarques les plus courantes entendues dans la bouche des jurés – et les problèmes sous-jacents – qui signifient qu’une demande qui sera bientôt rejetée :

  • « Je ne suis pas convaincu », « Je ne vois pas/je ne comprends pas » : Échec de la clarté
  • « Je ne sens pas ce projet/ce journaliste » : Échec de l’inspiration de la confiance
  • « Ce n’est pas nouveau » : Échec à avoir convaincu du potentiel de révélation de l’enquête
  • « Ce n’est pas du journalisme d’investigation » : Échec à avoir partagé pleinement sa méthode
  • « Ils sont dans un monde imaginaire » : Échec de la démonstration de la faisabilité

Pour vendre votre histoire, répondez à ces 6 questions clés

Les jurés ont en tête une liste de questions à résoudre lorsqu’ils examinent les demandes de subvention. Et ces questions sont hiérarchisées, alors assurez-vous de répondre en priorité aux questions suivantes :

1. Quelle est l’histoire ?

Fournissez un récit, et pas seulement un thème générique ou un sujet général. Par exemple, Timothy Large a noté que pour l’enquête « The Migration Managers », qui a bénéficié d’une bourse IJ4EU de 37 400 euros (40 300 dollars) en 2022, les détails de base étaient les suivants :

Le thème était : la migration

Le sujet était : les abus de la politique migratoire de l’Europe.

L’histoire était la suivante : une agence peu connue financée par l’UE tente d’empêcher les migrants d’atteindre l’Europe.

Mais ce type de déroulé très sec est est moins efficace pour présenter une demande de subvention, met-il en garde. Il faut plutôt, selon lui, essayer d’intégrer les informations dans un récit percutant d’une seule phrase.

Dans le cas de cette enquête, le résultat le plus efficace ressemblait à ceci : « Voici l’histoire d’une agence peu connue financée par l’UE — The International Centre for Migration Policy Development (ICMPD) — qui s’efforce d’empêcher les migrants d’atteindre l’Europe ».

Notez que ce résumé d’une phrase est très similaire au sous-titre de l’article publié (voir l’image ci-dessous).

Image: Screenshot, FragDenStaat

2. Quelle est la grande révélation ?

Révéler quelque chose de nouveau est peut-être le résultat le plus puissant d’une enquête. C’est pourquoi l’explication de ce que vous comptez découvrir doit être un aspect majeur de votre candidature. Essayez d’inclure une phrase clé qui donne un aperçu de ce grand résultat : « Nous cherchons à révéler/exposer que… »

Dans l’enquête The Migration Managers, cette phrase ressemblait à ceci : « Nous cherchons à révéler que l’ICMPD est devenu un partenaire européen clé sur les questions de migration, malgré des activités alarmantes dans un certain nombre de pays (Maroc, Libye, Bosnie) qui conduisent directement à des violations des droits de l’homme à l’encontre des migrants et des réfugiés« .

3. Et alors ?

Vous devez également prendre le temps d’expliquer au jury pourquoi l’histoire est importante, qui sont les parties prenantes concernées et quelle est la préoccupation générale du public. L’invitation à cette étape pourrait ressembler à ce qui suit : « Ceci est important (pour le groupe X) parce que… »

Dans l’enquête The Migration Managers, ce message a été transmis ainsi : « Ceci est important pour l’opinion européenne parce qu’en externalisant la politique migratoire de l’Europe, la Commission européenne cherche à éviter l’examen et la responsabilité de ses actions« .

4. Quelle est la preuve ?

Ici, vous pouvez expliquer en détail comment vous allez construire votre enquête et quelles sont les sources que vous comptez utiliser : dossiers judiciaires, ensembles de données publiques, documents ayant fait l’objet d’une fuite, dénonciateurs, comptes rendus internes, etc. Par exemple : « Nous allons étayer ceci par a, b et c… »

Pour The Migration Managers, cela a été expliqué comme suit : « Nous le prouverons par des documents internes, reçus par voie électronique ».

5. Comment allez-vous raconter l’histoire ?

Le jury doit « voir » l’enquête. S’agira-t-il d’un article long, d’une série d’articles publiés en français et en espagnol, d’un podcast en six parties, d’un documentaire télévisé ?

Complétez : « Notre résultat d’enquête prendra la forme de…  »

6. À quoi ressemblera « visuellement » le résultat final ?

Il s’agit d’une question bonus, mais si vous le pouvez, donnez au jury ou au comité de sélection une idée des éléments visuels, graphiques, tableaux interactifs, etc. que vous pourriez utiliser pour renforcer l’impact de l’enquête.

Complétez : « Nous illustrerons nos résultats par… »

Les réponses à ces six questions constituent l’épine dorsale d’une demande de subvention solide, a souligné Timothy Large. Vous devez vous efforcer de faire en sorte que le jury sorte de votre candidature avec une idée claire de vos intentions pour chacune d’entre elles.

Présentez-vous – et expliquez pourquoi on peut vous confier de l’argent

Maintenant que la feuille de route de l’enquête ou du reportage est claire, Timothy Large dit que vous devez convaincre le jury que vous ou votre équipe êtes les mieux placés pour suivre ce parcours. Pour ce faire, ajoutez des détails qui inspireront confiance à votre équipe et à la manière dont vous utiliserez (judicieusement) l’argent de la bourse pour votre enquête.

Vous devez expliquer au jury qui vous êtes. Cela semble simple, mais il est facile de l’oublier ou de se tromper, avertit Large. Ne soyez pas vague ; soyez précis, donnez des détails, ajoutez des liens. N’oubliez pas qu’une liste simple et agréable est très utile : « Notre équipe est composée de cette journaliste, de ce reporter, de ce photographe… »

Le jury veut être sûr que vous savez où vous allez et comment vous allez payer pour y arriver. Les candidats ont tendance à penser que la question du coût est la plus importante, a déclaré Timothy Large, mais en fait, elle se trouve souvent en bas de la liste des considérations du jury. Veillez donc à élaborer un plan de recherche et de publication solide et à évaluer les risques. Établissez le budget de votre recherche en fonction de ce plan.

Quelques remarques sur l’écriture

  • Oubliez le langage lyrique, poétique ou surchargé : Il ne s’agit pas de littérature, mais d’une demande de subvention ou de bourse. Veillez à ce que le texte soit simple et direct.
  • Évitez de passer pour un activiste : Vous pouvez être passionné par votre sujet d’enquête, mais pour le bien de votre demande, n’oubliez pas que vous êtes un journaliste.
  • Si la proposition n’est pas rédigée dans votre langue maternelle : Gardez à l’esprit que le contenu de la demande de subvention importe finalement plus que la rédaction.

Autres choses à faire et à ne pas faire

  • Dites au jury ce qu’il veut savoir : Presque toujours, la description de la subvention vous indiquera exactement quelles informations doivent être incluses, alors lisez-la attentivement et ne laissez pas de points en suspens.
  • N’ignorez pas les règles  : Si vous ne remplissez pas les conditions requises dans une seule catégorie (données démographiques, sujet, région, délai de publication…), votre demande sera rejetée. Soyez donc attentif, afin d’éviter de perdre votre temps et celui du jury.
  • Donnez un nom accrocheur à votre projet : un titre mémorable peut faire une grande différence, explique Large. Mais ne choisissez pas un titre vague ou ridiculement long. Lorsque les jurys discutent des projets, ils ont besoin d’un nom sur lequel s’appuyer. Voici quelques bons exemples tirés de l’expérience de Timothy Large à l’IJ4EU : The Migration Managers, The Forever Pollution project, The Recovery Files.
  • Ne présumez pas de vos connaissances et n’utilisez pas de jargon : Cela peut aliéner le jury, lui donner l’impression d’être stupide et vous faire passer pour quelqu’un qui n’est pas dans le coup ou, pire encore, pour quelqu’un d’arrogant.
  • Dites au jury ce qui est nouveau : le jury a besoin de savoir ce qui n’a pas été connu auparavant – que vous allez révéler – et pourquoi il devrait s’en préoccuper.
  • Ne demandez pas au jury de faire un travail de détective : Soyez aussi précis que possible.
  • Soyez direct : En lien avec le point précédent, n’enterrez pas l’essentiel : les informations les plus importantes concernant votre proposition doivent figurer en tête de votre dossier de candidature.
  • Prévoyez un « plan B ». Les jurys savent que toutes les enquêtes ne se déroulent pas comme prévu ; prévoyez donc des mesures d’urgence afin qu’ils sachent où ira l’argent si vous devez emprunter une autre voie. Donnez-leur une idée de la version a minima et a maxima de l’enquête.
  • Essayez d’obtenir une lettre d’intention de la part d’un média : Les manifestations d’intérêt non engageantes de médias sont particulièrement utiles si vous êtes un indépendant.

Ressources complémentaires (en anglais)

GIJN’s Guide to Grants and Fellowships for Journalists

How Not to Win a Journalism Grant

Freelancing: Funding Your Investigative Projects


Alcyone Wemaëre est la responsable francophone de GIJN et une journaliste française, basée à Lyon depuis 2019. Elle est une ancienne journaliste de France24 et Europe1, à Paris. Elle est professeure associée à Sciences Po Lyon, où elle est coresponsable du master de journalisme, spécialité data et investigation, créé avec le CFJ.

04.02.2024 à 22:47

Guide pour enquêter sur les violences sexuelles

Marthe Rubio

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Note de la rédaction : ce guide a été publié dans un premier temps e, 2020. Mais il a été mis à jour en 2023 par Leonardo Peralta de GIJN et édité par Nikolia Apostolou. Les cas de violences sexuelles restent un sujet sensible, sinon tabou, dans la majeure partie du monde et la grande […]
Texte intégral (5273 mots)
Note de la rédaction : ce guide a été publié dans un premier temps e, 2020. Mais il a été mis à jour en 2023 par Leonardo Peralta de GIJN et édité par Nikolia Apostolou.

Les cas de violences sexuelles restent un sujet sensible, sinon tabou, dans la majeure partie du monde et la grande majorité des cas n’est jamais signalé. Les journalistes d’investigation ont commencé à se saisir de ce sujet mais les enquêtes journalistiques publiées sur les violences sexuelles restent très marginales en comparaison au nombre d’agressions réelles dans le monde.

Ce guide est basé sur les conseils et les techniques tirés d’un précédent webinaire de GIJN, Enquêter sur les violences sexuelles, et complétés par le fruit des recherches du Centre de ressources de GIJN en matière d’études de cas pertinentes, d’organisations utiles et de guides. Le webinaire a été animé par Lénaïg Bredoux, responsable éditoriale aux questions de genre à Mediapart, Sophia Huang, journaliste freelance en Chine, Ashwaq Masoodi, journaliste freelance en Inde et Susanne Reber, productrice de podcasts à Scripps, un média américain.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la violence sexuelle comme tout acte sexuel, tentative d’obtenir un acte sexuel, commentaires ou avances sexuels non désirés, ou actes de trafic ou autres actes dirigés contre la sexualité d’une personne en utilisant la coercition, par toute personne quelle que soit sa relation avec la victime, dans n’importe quel contexte, y compris, mais sans s’y limiter, le domicile et le travail.

Dans les zones de conflit, la situation est périlleuse – selon les Nations unies, pour chaque viol documenté en temps de guerre, entre 10 et 20 viols ne sont pas signalés. Même dans les sociétés plus stables, les chiffres sont alarmants. Selon le ministère américain de la justice, près de 80 % des viols et des agressions sexuelles ne sont pas signalés. En Indonésie, Lentera Sintas, un groupe de soutien aux victimes de viol, a indiqué que ce chiffre dépassait les 90 %.

Par ailleurs, l’université du Danemark du Sud a constaté que, bien que ce pays nordique soit considéré comme l’un des plus sûrs pour les femmes, 890 viols ont été signalés en un an, tandis que 24 000 femmes ont effectivement subi un viol ou une tentative de viol. Parmi les raisons qui poussent les victimes à ne pas signaler les agressions, les survivantes mentionnent la honte, la peur des représailles, du jugement, voire une mise à l’écart de leur groupe social, ainsi que l’injustice à laquelle elles pourraient être confrontées lors des procès pénaux.

Ce guide est basé sur des conseils et des techniques tirés du webinaire, en anglais, de GIJN, « Enquêter sur les violences sexuelles (voir la vidéo YouTube ci-dessous).

Utilisez le menu ci-dessous pour naviguer dans cette fiche-conseils.

Sept conseils pour dénoncer les violences sexuelles

  1. Effectuer des recherches sur les lois en vigueur et les données statistiques
  2. Trouver des sujets d’enquête
  3. Instaurer un rapport de confiance
  4. Recueillir des preuves
  5. Identifier les constances
  6. Utiliser un langage précis 
  7. Être responsable

Études de cas 

Ressources et organisations utiles

1. Effectuer des recherches sur les lois en vigueur et les données statistiques

Intéressez-vous aux caractéristiques particulières de l’endroit concerné pour comprendre l’environnement culturel local.

  • Collectez des statistiques régionales ; trouvez des données sur les taux de violences sexuelles.
  • Gardez à l’esprit que la plupart des victimes ne signalent pas leur agression sexuelle aux forces de l’ordre, selon les statistiques.
  • Quel pourcentage d’agressions sexuelles a été signalé à la police ? Quel pourcentage ne l’a pas été ?
  • Combien de dossiers ont fait l’objet de poursuites ? Quel pourcentage de ces poursuites a abouti à une condamnation / à un acquittement ?
  • Étudiez les lois, les réglementations et les définitions en vigueur.
  • Appuyez-vous sur des experts, des groupes ou des organisations afin de rendre votre enquête plus précise et de recueillir différents points de vue.

2. Trouver des sujets d’enquête

A l’occasion d’une session sur les enquêtes concernant le harcèlement sexuel lors de la Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation, en 2019, Pascale Mueller de BuzzFeed News Allemagne a énuméré ces six façons de trouver des sujets d’enquête :

  • Les pistes fournies par des sources anonymes (via Signal ou SecureDrop).
  • Les pistes fournies par des chercheurs/syndicalistes.
  • Les pistes fournies par les victimes elles-mêmes, ou par des témoins.
  • Rejoignez des forums sur les réseaux sociaux et posez-y vos questions.
  • Fournissez un moyen de communication public, facile et sécurisé pour que l’on puisse vous joindre.
  • Contactez des membres de la communauté qui vous intéresse.

3. Établir un rapport de confiance

Soyez transparent avec les victimes sur la méthodologie de votre enquête et expliquez-leur votre travail à chaque étape.

  • Dites-leur que l’enquête sera longue et laborieuse, et qu’il vous incombe de corroborer toutes les informations.
  • Reconnaissez le risque qu’elles ont pris en vous parlant.
  • Expliquez pourquoi cela prendra du temps, comment vous travaillez et comment vous recueillez des preuves.
  • Comprenez qu’il vous faudra leur consentement du début à la fin, et qu’il s’agit d’une relation de confiance, pas d’une transaction.
  • Les survivants peuvent avoir été privées de leur libre arbitre ; laissez-les donc décider comment communiquer, où vous rencontrer, quand parler et pendant combien de temps.
  • Marine Turchi, Journaliste d’investigation à Mediapart, précise qu’il y a « un temps pour l’écoute et un temps pour la vérification des informations ».

4. Recueillir des preuves

L’enquête ne se résume pas à une parole contre l’autre. Il y a souvent des preuves tangibles. Ainsi, ne vous laissez pas décourager quand on vous dit qu’il n’existe « aucune preuve », mais œuvrez à recueillir tout ce qui pourrait éclairer les faits :

  • Tout ce dont dispose la victime : textos, courriels, messages et publications sur les réseaux sociaux, agenda, lettres, photos et vidéos montrant qu’ils se connaissaient.
  • Tout ce dont disposent la famille, les amis, les collègues de la victime et des personnes accusées.
  • Les récits d’autres victimes ou témoins.
  • Les victimes peuvent avoir supprimé les messages qu’elles ont envoyés à leur agresseur, mais dans de nombreux cas, elles en auront parlé à d’autres. Recherchez des moyens de récupérer les messages supprimés.
  • Des documents financiers ou juridiques : fiches disciplinaires, témoignages, dossiers judiciaires. Ces éléments peuvent révéler qui d’autre était impliqué, qui d’autre savait.
  • Vérifier où et quand les faits ont eu lieu, afin de réaliser une chronologie des événements.

5. Savoir identifier les systèmes d’exploitation

Les abus sexuels sont l’expression d’un pouvoir et d’une domination.

  • Les enquêtes ont plus de poids quand elles concernent plusieurs victimes, car cela révèle une tendance.
  • Des témoins ayant parlé avec l’agresseur peuvent dire si la personne fait preuve de sexisme, dans ses dires ou son comportement, révélant ainsi ce qui pourrait être de ses habitudes.
  • Étudiez les inégalités liées au genre, à la classe sociale et à la hiérarchie.
  • Contactez les institutions accusées de complicité, sans toutefois révéler tout ce que vous savez ou donner d’indices sur vos sources.

6. Utiliser un langage précis

Choisissez vos mots avec soin. Les définitions sont importantes. Le viol est une violence, pas du « sexe ».

  • Laissez les victimes choisir les mots qui correspondent à leur situation (« survivant.e » ou « victime », par exemple).
  • Évitez de demander « pourquoi » aux victimes, cela peut donner l’impression qu’elles sont responsables de ce qui leur est arrivé.
  • Remettez en question les défaillances institutionnelles, pas la victime. Demandez « Qu’est-ce qui vous empêche d’aller à la police ? » pas « Pourquoi n’êtes-vous pas allée à la police ? ».

7. Être responsable

Quand on enquête sur des agressions sexuelles, il faut faire preuve de compassion, de résilience, d’empathie, de sensibilité, de respect et de conscience psychologique. Nous publions nos enquêtes quand un sujet d’ordre privé revêt un intérêt public.

  • Respectez les survivant.e.s, leur droit de vous dire non et de faire leurs propres choix.
  • Soyez toujours dans l’empathie pendant la vérification des faits.
  • Une fois l’enquête publiée, restez en contact avec le/la survivant.e.
  • Après publication, les survivant.e.s voudront parfois échanger avec d’autres survivant.e.s ou avec des associations dédiées.

Études de cas

Voici une sélection de récits d’enquêtes sur des abus ou des violences sexuels.

Des abus sexuels présumés par des travailleurs humanitaires restés non-vérifiés pendant des années dans un camp du Sud-Soudan géré par l’ONU (2022). Cette enquête menée par The New Humanitarian et Al Jazeera s’appuie largement sur des documents inédits. Elle s’inscrit dans le cadre de la couverture persistante faite par The New Humanitarian de la responsabilité du secteur de l’humanitaire en matière de violences sexuelles.

De nouvelles allégations d’abus sexuels à l’encontre de travailleurs humanitaires de la lutte contre l’Ebola sont révélées en RDC (2021). Une enquête menée par The New Humanitarian et Thomson Reuters Foundation sur les allégations de 22 femmes de Butembo, qui affirment que des travailleurs humanitaires masculins de l’ONU dans l’Est de la République démocratique du Congo, leur ont offert des emplois en échange de relations sexuelles ou les ont violées.

Les seules personnes à avoir été arrêtées après le viol d’une enfant : les femmes qui l’ont aidée (2021). Un article du New York Times sur l’agression d’une jeune fille de 13 ans au Venezuela et l’arrestation de sa mère et d’une enseignante qui l’a aidée à mettre fin à sa grossesse. L’emprisonnement des deux femmes, alors que le violeur est resté en liberté, a suscité un débat national sur la légalisation de l’avortement.

Nous avons dénoncé les abus sexuels commis par des travailleurs humanitaires lors de l’épidémie d’Ebola. Et maintenant ? (2021). The New Humanitarian et la Fondation Thomson Reuters ont interrogé plus de 70 femmes qui ont déclaré que des travailleurs humanitaires de certaines des plus grandes organisations du monde leur avaient proposé de travailler en échange de relations sexuelles pendant l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo entre 2018 et 2020.

Des journalistes français à l’origine d’enquêtes inédites sur les violences sexuelles (2020). Marthe Rubio, ancienne responsable francophone de GIJN, s’est entretenue avec Lénaïg Bredoux et Marine Turchi sur les méthodologies et les motivations qui sous-tendent les enquêtes du site français Mediapart sur les violences sexuelles.

L’impact de #MeToo en France : un entretien avec Lénaïg Bredoux (2019). Lénaïg Bredoux évoque son travail de couverture des allégations d’inconduite sexuelle, et le fait d’avoir à le défendre devant les tribunaux, avec Aïda Alami pour The New York Review of Books.

Verified (2020). Ce podcast d’investigation en 10 épisodes de l’Investigative Reporting Network Italy (IRPI) et de l’entreprise américaine de podcast Stitcher, raconte l’histoire d’un prédateur sexuel qui a drogué et agressé des femmes en vacances en Italie. RivistaStudio analyse le podcast dans Lo Stupratore su Couchsurfing.

Image : Capture d’écran

Un réveil #MeToo s’opère en Iran (2020). Accusations d’inconduite sexuelle sur une période de 30 ans à l’encontre de l’artiste iranien Aydin Aghdashloo, publiées dans le New York Times.

Rodney Edwards : Comment un homme courageux est venu à notre rédaction pour exposer des cas d’abus choquants (2019). Rodney Edwards raconte comment lui et des enfants victimes d’abus ont révélé des actes répréhensibles en Irlande dans le cadre de leur enquête primée.

Série d’enquêtes du New York Times et du New Yorker sur Harvey Weinstein et autres (2018). Le prix Pulitzer du service public a été partagé entre le New York Times, pour les enquêtes menées par Jodi Kantor et Megan Twohey, et le New Yorker, pour les enquêtes menées par Ronan Farrow, pour le journalisme qui a exposé des prédateurs sexuels puissants et riches à Hollywood.

« She Said » raconte comment deux journalistes ont révélé l’affaire Harvey Weinstein (2019). Une critique du livre issu de l’enquête du New York Times sur Harvey Weinstein et d’autres hommes célèbres impliqués dans des abus sexuels systémiques.

Conseils aux journalistes travaillant avec des survivants d’abus pédosexuels (2019). Conseils donnés par des journalistes lors du GIJC19 sur la manière de mener des enquêtes délicates sur les abus.

La pathologie d’un prédateur (2019). Cette série en quatre parties du site en ligne australien Crikey fait le point sur les pédophiles dans l’Église catholique à travers des entretiens avec des prêtres, des frères, des séminaristes et des victimes. La journaliste d’investigation Suzanne Smith a ensuite écrit le livre The Altar Boys (Les enfants de chœur), une histoire de la pédophilie cléricale, publiée en 2020.

Les journalistes d’investigation font progresser le journalisme #MeToo dans les universités chinoises (2018). Trois cas dans les plus grandes universités chinoises en première ligne des enquêtes #MeToo en Chine, tels que racontés par Ying Chan, Siran Liang et Lizzy Huang du GIJN.

Comment #MeToo China a inspiré un modèle de journalisme d’investigation généré par les utilisateurs (2018). La deuxième d’une série, sur la vague d’investigations à l’origine du mouvement #MeToo en Chine, par Ying Chan pour GIJN.

L’Indianapolis Star reçoit tardivement son dû, pour son enquête sur la gymnastique (2018). Ce récit explore le projet d’enquête de deux ans qui a conduit à l’arrestation de l’ancien médecin de l’équipe américaine de gymnastique, accusé d’avoir abusé de plus de 100 filles et femmes, y compris des athlètes olympiques.

Ce qui se passe quand #MeToo va au tribunal (2018). Ashwaq Masoodi écrit sur le long chemin vers la justice en Inde pour les victimes de harcèlement sexuel.

L’enquête de Politiken sur les abus commis sur des enfants acteurs dans l’industrie cinématographique danoise (2018).

Couvrir les agressions sexuelles (2017). Les enquêtes sur les viols et les agressions sexuelles posent des problèmes aux journalistes qui doivent établir une relation de confiance avec leurs sources et éviter d’introduire des préjugés dans le récit. Dans NiemanReports, Michael Blanding a écrit sur l’importance de couvrir les agressions sexuelles et sur la manière de bien le faire.

Pas de #MeToo en Chine ? Les femmes journalistes sont confrontées au harcèlement sexuel, mais restent silencieuses (2017). Un récit de la journaliste chinoise Sophia Huang Xueqin et les problèmes de harcèlement et d’abus sexuels en Chine.

L’enquête de Rolling Stone : « Un échec qui aurait pu être évité » (2015). Enquête de l’école supérieure de journalisme de l’université de Columbia sur une histoire de viol sur le campus qui a dû être rétractée, en raison des nombreuses défaillances en matière d’enquête, d’édition, de supervision éditoriale et de vérification des faits.

Bangladesh : Des manifestations éclatent à la suite d’une affaire de viol (2020). Selon Human Rights Watch, les agresseurs au Bangladesh sont rarement tenus de rendre des comptes, le taux de condamnation pour viol étant inférieur à 1 %. Les femmes disent souvent aux médias qu’elles ne se sentent pas à l’aise pour aller à la police.

Violence sexuelle : La police ougandaise devrait soutenir les victimes et non les blâmer (2020). Human Rights Watch.

Trouver le courage de couvrir les violences sexuelles (2014). Frank Smyth, du Comité de protection des journalistes, passe en revue les stratégies et les répercussions pour les journalistes qui couvrent les agressions sexuelles.

Enquêter sur le viol : un examen de la manière dont la police et les procureurs abordent les allégations de viol (2014). L’analyse du Bureau of Investigative Journalism comprend des études de cas et des rapports de groupes indépendants.

Les abus de l’Église catholique (2003). Le Boston Globe a remporté le prix Pulitzer du service public pour sa couverture exhaustive des abus sexuels commis par des prêtres de l’Église catholique romaine (mis en scène dans le film « Spotlight »). Le Dart Center a interviewé l’équipe de Spotlight en 2016 pour expliquer comment ils ont procédé, et voici les huit leçons de reportage d’investigation tirées de « Spotlight », de David E. Kaplan, du GIJN.

Guides et organisations utiles

Investigative Tips Sexual Assault Reporting Guide MeToo Korean protest

Image : Ra Dragon / Unsplash

Le Dart Center pour le Journalisme & Les Traumatismes : Violences Sexuelles, propose de nombreuses ressources pour couvrir la violence sexuelle, y compris des conseils de couverture rapide (également en arabe et en japonais), ainsi que des conseils sur la manière de maintenir des limites avec les sources et les collègues.

Bonnes pratiques pour les journalistes couvrant les violences sexuelles liées aux conflits (2022). Le GIJN explique comment couvrir les violences sexuelles lorsqu’elles sont souvent utilisées comme arme de guerre, parce qu’elles visent des communautés entières.

Interviewer les enfants témoins et victimes d’abus sexuels (2022). Ce guide décrit des approches et des techniques qui sont conçues pour être légalement défendables, tout en minimisant les traumatismes supplémentaires pour l’enfant interrogé. Ces techniques mettent l’accent sur le maintien d’une perspective objective de la part de l’enquêteur, en évitant les questions suggestives, en particulier avec les jeunes enfants, qui peuvent être sensibles aux suggestions des adultes.

My Story is Not Your Trauma Porn : How Not to Interview Survivors of Sexual Assault (Mon histoire n’est pas votre film porno : comment ne pas interviewer les survivants d’agressions sexuelles) (2021). Dans cet article, une survivante d’agression sexuelle évoque l’expérience qu’elle a vécue lorsqu’elle a accepté une interview sur son agression et explique les erreurs commises par les producteurs dans l’organisation de l’interview et les questions qu’ils lui ont posées.

La Fundación Gabo a traduit en espagnol, cette fiche d’information du Dart Center sur la couverture des affaires de viol.

IJnet Español a traduit en espagnol, le document du Dart Center intitulé Tips for Journalists Covering Sexual Abuse Cases.

L’Independent Press Standards Organisation (IPSO) du Royaume-Uni, donne des conseils aux journalistes qui enquêtent sur des abus sexuels. Elle propose également des liens vers des organisations britanniques qui s’occupent des victimes de viol.

Angles, une organisation basée au Royaume-Uni dont l’objectif est d’améliorer la compréhension des abus et des violences sexuelles et domestiques, propose des ressources, des statistiques, des lignes directrices pour la rédaction de rapports et des contacts utiles pour les journalistes.

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Issue de l’Union africaine, cette commission, créée pour traiter des questions relatives aux droits de l’homme, comporte un volet sur les violences sexuelles. Voici le guide de la commission sur la lutte contre la violence sexuelle et ses conséquences en Afrique.

L’Institut d’études de sécurité (ISS) de l’Afrique publie des ressources pour le continent, notamment des articles tels que cette note d’information sur la violence sexuelle en Afrique du Sud.

Safe Spaces s’efforce d’être le principal centre de connaissances d’Afrique du Sud pour les ressources, les bonnes pratiques et les événements sur un large éventail de sujets liés à la sécurité des communautés, ainsi qu’à la prévention de la violence et de la criminalité, y compris les violences sexuelles.

OCHA ReliefWeb a produit ce manuel à l’intention des journalistes, intitulé « Reporting on Violence Against Women and Girls » (également disponible en russe, en arabe, en kirghize et en mandarin).

L’Initiative de recherche sur les violences sexuelles (SVRI) est un réseau mondial axé sur la recherche sur la violence à l’égard des femmes et des enfants.

Le National Sexual Violence Resource Center (NSVRC) est une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis qui travaille avec les médias pour promouvoir des reportages informés sur la violence sexuelle.

Le Rape, Abuse & Incest National Network (RAINN), basé aux États-Unis, est la plus grande organisation nationale de lutte contre les violences sexuelles. Il a produit à l’intention des journalistes, ces Conseils pour interviewer des survivants, ainsi qu’un glossaire de termes et d’expressions clés, et peut même répondre aux demandes des médias qui souhaitent s’entretenir avec des survivants.

The Investigation and Prosecution of Sexual Violence, un document de travail du Centre des droits de l’homme de la Faculté de droit de l’Université de Californie à Berkeley, expose les difficultés qui se posent lors des enquêtes sur les violences sexuelles.

Enquête sur le viol et les violences sexuelles : une boîte à outils pour une meilleure couverture médiatique du Chicago Taskforce on Violence Against Girls & Young Women (sur les violences à l’encontre des filles et des jeunes femmes), comprend des exemples de bons et de mauvais reportages sur les violences sexuelles, ainsi que des conseils et des notes sur la compréhension des statistiques.

Ces manuels sont destinés aux journalistes locaux américains, mais ils fournissent tous deux un bon guide sur les questions à poser et les procédures à suivre : Reporting Sexual Assault : A Guide for Journalists (Enquête sur les agressions sexuelles : guide pour les journalistes) du Michigan Coalition to End Domestic & Sexual Violence (de la Coalition du Michigan pour mettre fin aux violences domestiques et sexuelles) et Reporting on Sexual Violence : A Guide for Journalistes (Enquête sur les violences sexuelles : un guide pour les journalistes) de la coalition du Minnesota contre les agressions sexuelles.

29.01.2024 à 16:25

Quatre angles régulièrement utilisés par les datajournalistes pour traiter un sujet

Paul Bradshaw

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Dans cet article, initialement publié par Paul Bradshaw sur Online Journalism Blog et reproduit ici avec sa permission, le spécialiste de data journalisme enseignant à l'Université de Birmingham dévoile les quatre angles à connaître pour traiter un sujet en mode ddj.
Texte intégral (6004 mots)

Dans cet article, initialement publié par Paul Bradshaw sur Online Journalism Blog et reproduit ici avec sa permission, le spécialiste de data journalisme enseignant à l’Université de Birmingham dévoile les quatre angles à connaître pour traiter un sujet en mode #ddj.

Dans le cadre de mon enseignement du journalisme de données, il m’arrive souvent de parler des différents formats utilisés dans le journalisme de données. Il m’a donc paru utile de dresser une liste de 100 articles de data journalisme puis de les analyser afin de voir à quelle fréquence l’on retrouve ces différents formats-types.

Ce travail m’a révélé qu’il existe sept approches-types pour traiter des ensembles de données. Beaucoup d’articles intègrent d’autres approches de manière secondaire (ainsi, le récit d’une évolution peut dans un deuxième temps parler de l’ampleur du problème), mais tous les articles de data journalisme que j’ai examinés ont pris l’une d’elles comme fil conducteur.

Dans ce premier article d’une série en deux parties, j’explique comment les quatre angles les plus couramment employés peuvent vous aider à trouver des idées de sujet puis à les mettre en œuvre. J’explique également ce qu’il faut garder à l’esprit tout au long de ce travail.

Angle n°1 : l’ampleur – « Voici l’ampleur du problème »

Quantifier l’ampleur d’un problème est probablement le sujet de data journalisme le plus fréquent. Il s’agit d’articles qui identifient un problème majeur ou établissent l’ampleur d’un problème qui fait déjà d’actualité.

https://gijn.org/wp-admin/post.php?post=1234244&action=edit&lang=en.

Image : Capture d’écran, The New York Times

Fondamentalement, ces articles informent les lecteurs des dernières données disponibles : qu’il s’agisse des derniers chiffres du chômage, du taux de criminalité, de la pollution de l’air, de l’argent investi dans certains domaines, des naissances, des décès ou des mariages.

Pendant les premiers mois de la pandémie, par exemple, les médias ont publié quotidiennement des articles traitant entre autres du nombre de cas, de décès et de tests de dépistage.

Le nombre de morts du coronavirus dans les maisons de retraite au Royaume-Uni pourrait avoir atteint 6 000, selon une étude” (Financial Times, avril 2020) et “Le programme de révision des peines indûment clémentes serait « inadéquat »” (BBC News, juillet 2019) sont deux exemples d’articles qui se focalisent sur la question de l’ampleur d’un problème.

La question de l’ampleur est parfois secondaire, servant de contexte à un évènement particulier – “Un drone perturbe l’aéroport de Gatwick” (combien d’accidents liés à des drones ont été évités de peu ?) – ou à une idée de réforme politique : “Les nouveaux conducteurs pourraient être interdits de conduite la nuit, selon plusieurs ministres” (combien de nouveaux conducteurs ont moins de 19 ans ?).

Traiter de l’échelle d’un problème n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué à faire : dans de nombreux cas, aucun calcul n’est nécessaire.

Le travail consiste dans la plupart des cas à contextualiser l’information : dans le pire des cas, un article traitant de l’ampleur d’un problème devient simplement une histoire de « chiffres impressionnants » (« Beaucoup d’argent a été dépensé » ou « Quelque chose est arrivé à un grand nombre de personnes »), sans qu’il soit précisé pourquoi cette information est digne d’intérêt.

C’est pourquoi il est important de replacer l’ampleur révélé dans un contexte plus large, en utilisant des pourcentages et des proportions (par exemple « un sur cinq »), voire des comparaisons et des analogies (« L’argent investi dans ce programme équivaut au salaire de 500 enseignants »).

Vous pouvez également introduire l’idée d’une évolution comme angle secondaire, en montrant comment ces chiffres évoluent dans le temps.

Dans l’article du New York Times ci-dessus, le « véritable bilan » (l’ampleur) de l’épidémie de coronavirus est immédiatement contextualisé par des graphiques qui montrent les évolutions statistiques depuis le début de l’année, et ce dans différentes régions du pays.

Angle n°2 : évolution et constance – Augmentations, diminutions, chiffres stables

Screenshot, Belfast Telegraph

Les articles traitant d’évolutions sont presque aussi courants que ceux traitant d’ampleur, et probablement plus simples à vendre à un rédacteur-en-chef.

Après tout, toute évolution est intrinsèquement digne d’intérêt et vous permet de titrer votre article avec un verbe de mouvement (« monte », « chute », etc.).

Une fois que vous aurez remarqué une évolution dans les données dont vous disposez, vous aurez probablement besoin de travailler davantage pour en déterminer les causes. Pourquoi ces chiffres augmentent-ils ou diminuent-ils ?

Vous pouvez également ajouter un angle secondaire à votre traitement, en explorant les variations au sein de cette tendance – c’est-à-dire les domaines dans lesquels ces chiffres ont le plus augmenté ou diminué.

Cela peut vous aider à comprendre les causes de l’évolution que vous avez remarquée : il y a de fortes chances que les zones les plus touchées soient particulièrement conscientes du problème et à même de vous l’expliquer.

Lorsque vous faites état d’un changement, il est important de garder deux éléments à l’esprit : la saisonnalité et les marges d’erreur.

La saisonnalité est le rôle que jouent les facteurs saisonniers (généralement prévisibles et normaux, et donc non dignes d’intérêt) dans les chiffres, comme la fin d’un exercice financier ou d’un trimestre scolaire, la sortie de nouveaux modèles de voiture ou simplement les changements de température. Des comparaisons annuelles (ce mois d’août par rapport à août dernier, par exemple) ou une correction saisonnière permettent d’éviter cet écueil.

La marge d’erreur, quant à elle, est la plage dans laquelle se situent les vrais chiffres. Puisque de nombreux ensembles de données sont tirés d’échantillons, qui sont ensuite extrapolés au reste de la population examinée, une marge d’erreur (ou intervalles de confiance) permet d’indiquer le degré de précision de cette extrapolation. Si une évolution se situe dans cette marge d’erreur, nous ne pouvons affirmer que quelque chose a changé.

Une variante du format évolution est l’absence d’évolution. Ainsi, ce reportage sur les faillites d’entreprises a pris comme point de départ une évolution probable, mais a fini par découvrir que le nombre d’entreprises faisant faillite n’a pas augmenté pendant la pandémie. Les journalistes ont donc sollicité les points de vue d’experts pour analyser cette réalité contre-intuitive.

Angle n°3 : classement et valeurs aberrantes – Qui est le meilleur, qui est le pire ? Qui sort des sentiers battus et pourquoi ?

Cet article de The Economist est un article de « classement » car il identifie le mois le plus « déprimant ». Image : Capture d’écran, The Economist

Les articles de classement s’intéressent aux points de données les plus positifs ou négatifs dans un ensemble de données, ou permettent de comparer l’entité qui nous intéresse (qu’il s’agisse d’une police municipale, d’une école ou d’une filière de l’économie) à d’autres.

« Ce quartier connait un taux de criminalité particulièrement élevé » ou « Ces écoliers ont obtenu les troisièmes meilleurs résultats du pays » sont deux exemples de ce genre d’article de datajournalisme.

Vous pouvez vous concentrer sur les endroits « les plus touchés », comme dans l’article “Ce quartier de Birmingham figure dans le top 10 des endroits au Royaume-Uni les plus touchés par les paiements anticipés sur les prestations sociales”, ou encore comparer la filière qui vous intéresse à d’autres, comme dans l’article “Le bâtiment est la troisième filière la plus dangereuse au Royaume-Uni”.

Mais les articles de classement peuvent également porter sur les meilleurs ou les pires moments, lieux ou catégories qu’un ensemble de données « révèle ».

L’article de The Economist ci-dessus, par exemple, porte sur le mois où le plus grand nombre de personnes écoutent des chansons tristes. Une histoire de Birmingham Live couvre “les crimes les plus courants à Sandwell – et les endroits qui dénombrent le plus grand nombre de victimes”.

Soit dit en passant, The Economist a consacré toute une partie d’un bulletin d’information sur le journalisme de données à « Comment réaliser un indice » :

« Dans quelle mesure de tels indices sont-ils utiles ? Tout classement qui ne repose pas sur des critères objectifs est susceptible d’être critiqué. Les classements qualitatifs reposent sur des mesures subjectives. L’adjectif « tolérable » pourrait signifier presque la même chose pour quelqu’un que l’adjectif « inconfortable » – alors que « intolérable » peut sembler deux fois pire qu’ »indésirable » ? Sur les échelles ordinales, la distance entre ces mesures est subjective – et pourtant, il faut leur attribuer un score numérique pour que le classement fonctionne.

« The Economist publie son indice Big Mac, une mesure de la valorisation des devises, depuis 1986. En 2011, nous avons publié l’indice Shoe-Thrower [lanceur de chaussure], qui évaluait le potentiel de troubles dans le monde arabe. Et cette année, nous avons créé un indice de normalité mondial, qui suit la reprise des pays après le Covid-19. Mieux vaut une mesure imparfaite que de n’avoir aucun moyen de comparaison ».

Les articles de classement doivent être attentifs au contexte : une zone peut connaître le plus de criminalité, de maladies ou de pollution simplement parce qu’elle compte également le plus d’habitants. Les dates de collecte des données peuvent également fausser les résultats : le nombre de cas de Covid a tendance à augmenter le mardi parce que ces chiffres « incluent de nombreux décès non signalés au cours du week-end », comme le fait remarquer FullFact.

Image : Capture d’écran, FullFact.org

Angle n°4 : Variation – Hasard géographique, cartes et distributions

Cet article par Aimee Stanton de la BBC Shared Data Unit a relevé les différences d’accès aux stations de recharge pour voitures électriques. Image : Capture d’écran, BBC

Les articles traitant de variations sont d’autant plus intéressants lorsque celles-ci sont inattendues ou révèlent quelque chose de notre quotidien.

De nombreux articles de ce genre emploient une carte choroplèthe ou une carte thermique pour montrer comment les régions d’un pays ont plus ou moins accès à quelque chose, ou connaissent plus ou moins de demande pour quelque chose.

Ces cartes peuvent mettre en lumière le fait que l’accès d’une personne à quelque chose qui est censé être distribué de manière égale sur tout le territoire dépend en réalité du lieu où elle se trouve.

Ainsi, l’article de la cellule de datajournalisme de la BBC “Le système de la santé publique rationne l’accès de certains couples à la fécondation in vitro” montre que là où on habite peut déterminer si on aura ou non accès à un traitement de fertilité.

Un article sur les variations géographiques peut révéler des injustices – ou approfondir nos connaissances d’injustices déjà connus.

Les articles sur les dérives des algorithmes, dont la série “Les biais des machines” de ProPublica, traitent en particulier des variations et des injustices que révèle une analyse poussée du fonctionnement des algorithmes. Ainsi, les algorithmes peuvent fixer des devis d’assurance différents pour deux personnes dont les critères sont pourtant très proches.

Ce genre d’article peut également mettre en évidence les zones de demande mal desservie ou les zones où l’offre manque : dans le cadre d’un article sur lequel j’ai travaillé pour la BBC Shared Data Unit concernant les stations de recharge pour voitures électriques, il nous a fallu établir le nombre et l’emplacement des infrastructures existantes dans tout le pays. Ces données ont fourni une base de travail pour réaliser des études de cas et alimenter nos réflexions sur le sujet.

Dans la deuxième partie de cette série, j’aborde les trois autres formats-types : les articles d’exploration ; ceux qui se concentrent sur la qualité, l’existence ou l’absence de données ; et ceux qui traitent de relations. Une version du diagramme est également disponible en finnois.

This post was originally published by Paul Bradshaw in the Online Journalism Blog and is reprinted here with permission. Bradshaw leads the MA in Data Journalism at Birmingham City University. 

In my data journalism teaching and training I often talk about common types of stories that can be found in datasets — so I thought I would take 100 pieces of data journalism and analyze them to see if it was possible to identify how often each of those story angles is used.

I found that there are actually broadly seven core data story angles. Many incorporate other angles as secondary dimensions in the storytelling (a change story might go on to talk about the scale of something, for example), but all the data journalism stories I looked at took one of these as its lead.

In the first of a two-part series I walk through how the four most common angles can help you identify story ideas, the variety of their execution, and the considerations to bear in mind.

Data Angle 1: Scale — ‘This Is How Big a Problem Is’

Perhaps the most common type of story found in data is the scale story: these are stories that identify a big problem, or the size of an issue which has become topical.

Image: Screenshot, The New York Times

At their most simple scale stories provide an update on new numbers being released: it could be the latest unemployment figures, the amount of crime, air pollution, money spent on some area, births, deaths, or marriages.

During the first months of the pandemic, for example, we had daily scale stories on the numbers of cases, deaths, and tests, among other things.

Examples of scale stories include Death Toll in UK Care Homes from Coronavirus May Be 6,000, Study Estimates, but also stories like Unduly Lenient Sentences Review Scheme ‘Inadequate,’ where the lead is based on reaction to the scale of an issue you have identified.

Sometimes scale is provided as background to a single-event story, as in Drone Causes Gatwick Airport Disruption (how many near misses are there?) or to a policy proposal, such as in New Drivers Could Be Banned from Driving at Night, Ministers Say (how many new drivers are under 19?).

Scale stories are one of the easier genres to write: in many cases no calculation is needed.

Indeed, the main work involved is likely to be in setting context to that scale — at its worst a scale story simply becomes a “big number” story (“A lot of money was spent on stuff” or “Something happens to a lot of people”), and the reader is left unclear whether this is actually newsworthy or just normal.

For that reason it’s important to put scale into context by using percentages or proportions (e.g. “one in five”) or comparisons and analogies (“The money spent on the scheme is the equivalent of the wages of 500 teachers”).

You might also bring in change and/or variation as a secondary angle: establishing historical context to the scale you’ve just outlined, or how that scale varies.

In the New York Times piece above, for example, the “true toll” (scale) of the coronavirus outbreak is immediately contextualized by charts which show how that has changed since the start of the year, in different parts of the country.

Data Angle 2: Change and Stasis — Things Are Going Up, Things Are Going Down, Things Aren’t Happening

Image: Screenshot, Belfast Telegraph

Change stories are almost as common as scale stories — and probably more straightforward to pitch.

After all, change is inherently newsworthy and gives you the verb (“rises,” “plummets,” “[goes] up”) that you need in a headline.

Once you’ve identified some sort of change in your data it’s likely you will need further reporting to answer the “why?” question. Why are those numbers going up or down?

You might also add a secondary angle to your story which explores variation in that trend – the areas where those numbers have gone up, or dropped, the most and least.

This can help you direct your reporting on “Why?” because chances are that the areas affected most will be those most aware of the issue, and able to comment on it.

When reporting on change it’s important to be aware of two considerations: seasonality and margins of error.

Seasonality is the role that (typically predictable and normal, and therefore non-newsworthy) seasonal factors can play in numbers, such as the end of a financial year or school term, the release of new cars or simply changing temperatures. Year-on-year comparisons (this August compared to last August, for example) or seasonal adjustment is often used to prevent this effect.

The margin of error, meanwhile, is the range within which the real numbers actually lie. Because many datasets are based on samples, which are then generalized to the rest of the population being looked at, a margin of error (or confidence intervals) is used to indicate how accurate that generalization actually is. If any change is within that margin of error then we can’t really report that anything has changed.

A variation of the change story is the lack of change angle. This story on company insolvencies, for example, looks for change where you would expect it, but identifies the absence of any increase in companies going bust during the pandemic and seeks expert comment for this counterintuitive finding.

Data Angle 3: Ranking and Outliers — Who’s Best and Who’s Worst? Who’s Unusual and Why?

This article by The Economist is a “ranking” story because it identifies the “gloomiest” month. Image: Screenshot, The Economist

Ranking stories are all about who or what comes out worst or best in a dataset, or where a particular entity of interest (the local police force, schools or teams, or an industry if it’s the specialist press) sits in comparison to others.

Typical stories in this category might include “Local area one of worst areas for crime” or “Local schoolchildren get third-best results in the country.”

You might focus on the places “worst-hit,” as in The Parts of Birmingham in Top 10 UK Areas Worst-Hit by Universal Credit Advances, or you might look at where your sector compares to others, as in Construction Is Third-Most Dangerous UK Industry.

But ranking stories can also be about the best or worst timesplaces, or categories that a dataset “reveals.”

The Economist article above, for example, is about the top-ranked month for listening to gloomy songs. A Birmingham Live story, on the other hand, leads on The Most Common Crimes in Sandwell — And Where You’re Most Likely to Be a Victim.

The Economist, by the way, dedicated part of one data journalism newsletter to “How to compile an index:”

“How useful are such indices? Any ranking that isn’t built on objective criteria is open to criticism. Qualitative rankings are built on subjective measures. Perhaps ‘tolerable’ means almost the same to someone as ‘uncomfortable’ — whereas ‘intolerable’ might feel twice as bad as ‘undesirable?’ On ordinal scales the distance between these measures is subjective—and yet they have to be assigned a numerical score for the ranking to work.

The Economist has been publishing its Big Mac index, a measure of currency valuations, since 1986. In 2011 we published the Shoe-Thrower’s index, which assessed the potential for unrest across the Arab world. And this year, we’ve created a global normalcy index, which is tracking countries’ recovery from COVID-19. An imperfect measure is better than having no means of comparison at all.”

Ranking stories need to be careful about context: an area may have the most crime, disease, or pollution simply because it also has the most people. Reporting dates can skew data, too: COVID case rates tended to peak on Tuesdays because the figures “include many deaths not reported over the weekend,” as FullFact pointed out.

data journalist common story angle context

Image: Screenshot, FullFact.org

Data Angle 4: Variation — ‘Postcode Lotteries,’ Maps, and Distributions

data journalist common story angles distribution

This BBC Shared Data Unit story by Aimee Stanton focused on the variation in access to electric car charging point. Image: Screenshot, BBC

Variation stories work best when we expect equal treatment, or when we seek to hold a mirror up to a part of life.

The classic example uses a choropleth map or heatmap to show how some parts of a country have less access to something, or more demand for something, than other parts.

The phrase “postcode lottery,” for example, reflects the sense that a person’s access to something that is supposed to be equally distributed is actually a game of chance.

The BBC data unit story IVF: NHS Couples ‘Face Social Rationing,’ for example, maps out how where you live in England can mean the difference between being able to access fertility treatment or not.

A variation story may be revealing that the unfairness exists — or, if people are aware of it, precisely how and where it plays out (particularly in their area).

Algorithmic accountability stories such as ProPublica’s Machine Bias series are often about variation and the unfairness that is revealed when an algorithm is unpicked: it may be people being sentenced differently, or given different insurance quotes, despite no meaningful difference between them on the dimensions that matter.

A variation story can equally be used to highlight areas of underserved demand, or lack of supply: one story that I worked on for the BBC Shared Data Unit about electric car charging points involved identifying how much infrastructure existed in the country, and where. The picture that the data painted provided a foundation for case studies and reaction.

In the second part of this series I look at the other three angles: exploratory stories; those that focus on data quality, existence, or absence; and angles about relationships. A version of the diagram is also available in Finnish.

Ressources complémentaires

10 étapes pour se lancer dans le data journalisme

Boîte à Outils : extraire des données sans savoir coder

Comment créer votre propre base de données

Découvrir les liens entre différents sites webs avec SpyOnWeb, VirusTotal et SpiderFoot HX

Les meilleurs outils pour collecter des données exclusives


paul bradshaw profilePaul Bradshaw encadre les masters de Data Journalisme et de journalisme multimédia et mobile at l’Université de Birmingham au Royaume-Uni. Il est également consultant en data journalisme au service data de BBC England.

22.01.2024 à 14:35

Comment améliorer le journalisme d’investigation climatique

Anne Koch

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La détérioration du climat pourrait être ralentie, pourtant elle s'accélère. Qui est responsable ? Lors de #GIJC23, GIJN a réuni des dizaines de journalistes et de spécialistes du changement climatique venus de 35 pays. Cet article est un résumé de cette rencontre en attendant le webinaire du 6 février 2024 (gratuit mais sur inscription) intitulé "Comment améliorer le journalisme d’investigation climatique".
Texte intégral (3084 mots)
Invetigative Agenda for Climate Change Journalism

Illustration: Smaranda Tolosano pour GIJN

La détérioration du climat pourrait être ralentie, pourtant elle s’accélère. Qui est responsable ? Lors de #GIJC23, GIJN a réuni des dizaines de journalistes et de spécialistes du changement climatique venus de 35 pays. Cet article est un résumé de cette rencontre et du rapport qui en a découlé en attendant le webinaire du 6 février 2024 (gratuit mais sur inscription) intitulé « Comment améliorer le journalisme d’investigation climatique ».

Lors de la 13e conférence mondiale sur le journalisme d’investigation, GIJN a réuni le temps d’une journée 80 journalistes et spécialistes du changement climatique venus de 35 pays. Au programme : un échange sur le rôle que peut jouer le journalisme d’investigation dans le traitement médiatique de la crise climatique. En effet, il est essentiel de rendre compte des causes et des effets du réchauffement climatique, et ce pour un public aussi large que possible.

Voici le REPLAY, en VF, du webinaire  « Comment améliorer le journalisme d’investigation climatique » organisé par GIJN le mardi 6 Février 2024 :

A mesure que l’humanité se rapproche d’une catastrophe climatique, les journalistes doivent disposer du temps, des compétences et des outils nécessaires pour demander des comptes aux responsables, du gouvernement comme du secteur privé. La détérioration du climat pourrait être ralentie, pourtant elle s’accélère. Qui est responsable ? La question de la responsabilité est au cœur du journalisme d’investigation.

Vous trouverez ci-dessous le résumé et l’introduction de notre rapport sur cette réunion. Pour lire le rapport dans son intégralité, veuillez cliquer ici.

Résumé de la réunion

Les OBJECTIFS de la réunion étaient les suivants :

  • Partager les différents points de vue sur les principales priorités que devrait se fixer le journalisme d’investigation climatique ;
  • Discuter d’innovations possibles dans les enquêtes sur la filière des énergies fossiles ;
  • Examiner comment améliorer le journalisme d’investigation qui demande des comptes aux gouvernements ;
  • Examiner comment faciliter une plus grande collaboration entre les journalistes d’investigation, en particulier dans les pays du Sud ;
  • Formuler des recommandations pour davantage soutenir le journalisme d’investigation sur les questions climatiques.

Lors de la réunion, tous les objectifs ont été abordés et des PRIORITÉS pour un journalisme climatique axé sur la question de la responsabilité ont émergé, notamment :

  • La filière des énergies fossiles et son vaste réseau de facilitateurs et de secteurs connexes ;
  • Les politiques et les promesses des gouvernements du monde entier et ceux qui les influencent ;
  • Le financement parfois complexe du changement climatique ;
  • Les populations vulnérables ;
  • La transition vers des énergies propres – les gagnants comme les perdants ;
  • Le changement climatique en tant que crise mondiale multidimensionnelle.

D’importants DÉFIS subsistent, notamment :

  • Les données, documents et sources humaines sont difficiles d’accès ;
  • Les structures de pouvoir sous-jacentes demeurent opaques ;
  • La crise climatique mondiale est complexe et touche tous les domaines ;
  • Les problèmes de capacité sont importants dans tous les domaines, mais surtout dans les pays du Sud ;
  • De nouveaux modèles de collaboration sont nécessaires pour établir les liens de cause à effet ;
  • Il faut davantage de reportages sur les responsabilités, et présenter ces récits d’une manière qui puisse toucher un large public ;
  • La mobilisation du public est essentielle : nombreux sont ceux qui délaissent l’actualité climatique et se méfient des informations concernant le climat ;
  • La désinformation et la mésinformation sont très répandues.

Les participants ont identifié une série de SOLUTIONS qui renforceraient le journalisme d’investigation climatique, dont :

  • Plus de formations, de mentorats, de personnel et de ressources pour renforcer le savoir-faire au sein des rédactions ;
  • Un meilleur accès aux données et aux experts ;
  • Des initiatives à l’échelle mondiale comme régionale qui sont complémentaires et augmentent l’impact des enquêtes ;
  • De meilleures plateformes pour faciliter le partage d’informations et les collaborations transfrontalières, de nouvelles formes de collaboration, en particulier entre les médias du Sud et du Nord ;
  • la poursuite du débat et de la réflexion sur les stratégies de mobilisation du public.

Introduction

Malgré les progrès réalisés dans le développement d’énergies vertes bon marché, les émissions mondiales de gaz à effet de serre augmentent inexorablement, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’une des principales autorités mondiales en la matière. Le changement climatique est d’envergure mondiale, mais ses causes ne le sont pas : les énergies fossiles – principalement le charbon, le pétrole et le gaz – sont responsables de plus de 75% des gaz à effet de serre. Malgré la crise climatique, 96 % de l’industrie pétrolière et gazière est en expansion, selon un rapport de 2022. Cette expansion se produit alors même que de nombreux Etats et entreprises ont pris des engagements en matière de réduction nette des émissions et d’autres mesures d’atténuation du changement climatique.

Les populations vulnérables qui contribuent peu aux émissions mondiales subissent de plein fouet l’impact du changement climatique : élévation du niveau de la mer, diminution des rendements agricoles, intensification des incendies de forêt, tempêtes violentes, augmentation de la pauvreté, de la faim et des mouvements migratoires, pour ne citer que ceux-là. Les promesses d’aide à l’atténuation et à l’adaptation ne sont la plupart du temps pas mises en oeuvre. En outre, la désinformation concernant le changement climatique est omniprésente et de plus en plus sophistiquée. Les conséquences pour l’ensemble de la planète sont désastreuses. Tout cela étant dit, et bien que le changement climatique s’aggrave, il n’est pas encore irréversible.

Des milliers de journalistes du monde entier couvrent le changement climatique et son impact, et de nombreux réseaux ont été mis en place pour faciliter ces reportages. Ce travail est essentiel pour informer et mobiliser le public, et pour défier les puissants qui chantent pendant que Rome brûle. La question de la responsabilité est au cœur du journalisme d’investigation. Il y a un besoin urgent de reportages de fond, rigoureux et novateurs sur le changement climatique. Il s’agit notamment d’enquêter sur un nouvel ensemble d’intérêts économiques qui se développent au fur et à mesure que le monde s’oriente vers une économie à basses émissions de carbone. Comment enquêter au mieux sur la responsabilité des entreprises et des gouvernements ?

Pour le savoir, le Réseau international de journalisme d’investigation a organisé un atelier intitulé « The Investigative Agenda for Climate Change Journalism » (Comment améliorer le journalisme d’investigation climatique), qui a réuni pendant toute une journée la plupart des réseaux de journalisme d’investigation, des grands noms du journalisme sur le changement climatique, ainsi que des journalistes et des chercheurs travaillant sur le sujet dans le monde entier. Quatre-vingts personnes originaires de 35 pays se sont réunies pour partager leurs points de vue sur les principales priorités que doit se fixer le journalisme d’investigation climatique.

Avec le soutien de Journalismfund Europe, parmi d’autres, la réunion a eu lieu la veille de la Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation à Göteborg, en Suède, le 19 septembre 2023.

Les discussions ont été structurées autour des priorités et des défis de l’investigation, avec une attention particulière portée aux cinq sujets suivants: la filière des énergies fossiles, la responsabilité des gouvernements, le financement du climat, les impacts climatiques et les chaînes d’approvisionnement. Chaque séance a donné lieu à une présentation générale, à des études de cas et à une discussion. Les participants se sont ensuite répartis en groupes, chacun produisant un rapport sur les discussions tenues.

La réunion a été présidée par Sheila Coronel, journaliste d’investigation chevronnée, directrice du Centre de journalisme d’investigation Toni Stabile à la faculté de journalisme de l’Université Columbia de New York, et à la fois fondatrice et membre du conseil d’administration du Centre de journalisme d’investigation des Philippines.

Afin d’encourager une discussion franche, la réunion a suivi la règle dite de Chatham House, ce qui signifie que les informations évoquées peuvent être publiées mais sans préciser l’identité des intervenants. Les personnes identifiées dans ce rapport ont au préalable donné leur accord.

Après la rencontre, GIJN a sondé les participants de manière anonyme. 86% des personnes sondées ont trouvé la réunion « très » ou « extrêmement » utile, 90% ont déclaré qu’ils aimeraient poursuivre la conversation. Notons la création de groupes d’intérêt en ligne afin de favoriser la mise en réseau, la discussion et la résolution de problèmes entre journalistes. Il aurait été impossible de tout résoudre en un jour. Cette réunion a en tout cas permis de poser le premier jalon d’une collaboration plus poussée entre journalistes.

Ce rapport contient les principaux sujets abordés au cours de la journée, de l’identification des problèmes et défis majeurs à l’énoncé de recommandations.

Enfin, je tiens à remercier tous ceux qui ont rendu possible la tenue de cet atelier ainsi que la parution de ce rapport : Journalismfund Europe, Sheila Coronel, les plus de 80 journalistes et experts, tous fantastiques, venus du monde entier pour partager leurs idées et leurs conseils, et mes collègues de GIJN, en particulier Toby McIntosh, Andrea Romanos et l’ancien directeur exécutif du Réseau, David Kaplan. Un grand merci également à Deborah Nelson, journaliste de talent, qui a co-rédigé ce rapport avec Toby et moi.


Anne Koch a travaillé comme journaliste et dirigeante dans l’audiovisuel pendant plus de 20 ans, principalement pour la BBC, avant de devenir directeur de l’ONG anti-corruption Transparency International. Sa carrière primée dans le journalisme de la BBC comprend le poste de directrice adjointe de l’English World Service, la rédactrice en chef des programmes radiophoniques phares d’information et d’actualité de la BBC et la rédactrice en chef de World Tonight. Elle a produit ou monté plus d’une centaine de documentaires et a travaillé comme productrice pour l’émission de journalisme d’investigation File on Four de BBC Radio 4. Chez TI, elle a été directrice de l’Europe et de l’Asie centrale.

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19.12.2023 à 15:54

« Polluants éternels », massacres de civils, trafic de bois africain : notre sélection des meilleures enquêtes 2023 en français

Alcyone Wemaëre, Maxime Domegni et Aïssatou Fofana

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Du Cameroun au Canada, de Tunis à Paris, découvrez les huit enquêtes qui ont retenu l'attention de l'équipe francophone de GIJN cette année.
Texte intégral (3858 mots)

Cette année, la collaboration a été reine. Dans cette sélection des meilleures enquêtes de l’année en français, la plupart incarnent des formes variées du journalisme collaboratif – qu’il s’agisse de collaborations entre régions ou médias différents, ou encore d’aller au-delà du journalisme en travaillant avec des scientifiques. Toutes ces réalisations démontrent la portée et l’impact accrus des enquêtes qui sont le fruit d’une collaboration.

Certains thèmes se démarquent cette année : des enquêtes sur les ressources naturelles, la pollution ou les crimes contre l’environnement ; des investigations sur des entreprises et le monde des affaires ; et des enquêtes sur des incidents récents ou plus anciens d’exploitation sexuelle d’enfants.

Du Cameroun au Canada, de Tunis à Paris, découvrez les huit enquêtes qui ont retenu l’attention de l’équipe francophone de GIJN, composée d’Alcyone Wemaëre (responsable de l’édition en français), Maxime Domegni (responsable de l’édition pour l’Afrique francophone) et Aïssatou Fofana (responsable adjointe de l’édition pour l’Afrique francophone). Merci !

Trafic de bois au Cameroun

Illustration : caputre d’écran, Ella Iradukunda pour InfoCongo

Au Cameroun, où les journalistes risquent régulièrement d’être enlevés, torturés et/ou tués, deux courageuses journalistes d’investigation ont fait équipe pour mener une enquête de 12 mois sur l’un des sujets les plus dangereux pour les journalistes : la criminalité environnementale.

Josiane Kouagheu et Madeleine Ngeunga ont enquêté sur le trafic illégal de bois dans la partie camerounaise de la forêt tropicale du bassin du Congo, qui fait partie de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie. Elles ont recueilli et analysé diverses données et documenté des activités criminelles qui, dans certains cas, impliquent des officiers militaires de haut rang.

Cette enquête soutenue par le Centre Pulitzer, fruit d’une collaboration entre InfoCongo, une plateforme de journalisme et de données axée sur le bassin du Congo, et le journal français Le Monde, a donné lieu à une série de sept enquêtes publiées dans les deux médias. Leurs conclusions ont également suscité une rare réaction publique de la part du gouvernement camerounais, qui a appelé à un contrôle plus rigoureux du secteur.

Le Projet « Pollution éternelle »

Illustration: Capture d’écran, Thomas Steffen pour Le Monde

Le projet « Pollution éternelle » (« Forever Pollution project ») est une collaboration innovante entre journalistes et scientifiques, ces derniers jouant le rôle de pairs pour évaluer les résultats obtenus par les journalistes. Initié par Le Monde et impliquant pas moins de 18 rédactions européennes, il montre pour la première fois l’ampleur réelle de la contamination de l’Europe par les substances per- et poly-fluoroalkyles (PFAS), également connues sous le nom de « polluants éternels », des composés à la fois ultra-toxiques et persistants – dont certains mettent 1 000 ans à se dégrader.

Les membres de l’équipe ont utilisé une centaine d’ensembles de données, des dizaines de demandes d’accès à l’information et une méthodologie élaborée par des scientifiques américains pour produire une base de données et une carte des sites contaminés par des PFAS en Europe – qui, selon le projet, sont au nombre d’environ 40 000. (Pour en savoir plus sur la méthodologie méthodologie, cliquez ici). Le projet a été soutenu par Journalismfund.eu, Investigative Journalism for Europe (IJ4EU) et Arena for Journalism in Europe.

L’impact de l’enquête est encore en cours, mais des scientifiques se réfèrent déjà à la base de données pour des articles de recherche et l’équipe a été invitée à présenter ses conclusions à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et à la Commission européenne. En novembre, l’émission Investigation diffusée sur la chaîne publique belge RTBF a révélé de nouveaux sites de contamination en Belgique. Le projet a également été finaliste du prix Daphne Caruana Galizia 2023. (Plus d’informations sur la session dédiée à cette enquête lors de GIJC23).

Le Système : Des femmes parlent, au Québec

Image: Capture d’écran, CBC News

Pour cette enquête, diffusée en anglais sur le réseau de télévision CBC et en français dans l’émission Enquête de Radio-Canada, des journalistes ont recueilli pendant près d’un an les témoignages de 12 femmes qui affirment avoir reçu de l’argent et des cadeaux en échange de relations sexuelles – certaines alors qu’elles étaient encore mineures – de la part de l’un des hommes les plus riches du Québec. Ces femmes décrivent un système sophistiqué de recrutement de filles et de jeunes femmes, qui s’est déroulé de 1992 à 2006. Les journalistes ont également obtenu des documents judiciaires et se sont entretenus avec de nombreuses sources afin de corroborer les détails d’incidents remontant, pour certains, à près de trente ans. Aucune des femmes interrogées n’a accepté d’être identifiée.

En février, un groupe de juristes canadiens a intenté une action collective contre l’individu et sa société pour exploitation sexuelle présumée ; le groupe affirme que plus de 30 femmes se sont jointes à l’action collective et que d’autres continuent de se manifester. Toutefois, l’action collective doit encore être autorisée par un juge. Une action en justice distincte intentée par l’une des victimes présumées est en cours. L’individu nie toutes les allégations.

Cartographie d’une déforestation “autorisée”

Graphique montrant des permis d’exploitation minière (en marron) adjacents à deux forêts protégées en Côte d’Ivoire et empiétant sur celles-ci. Image : capture d’écran, Cenozo

En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, l’agriculture est reconnue comme la première source de déforestation. Mais il existe un autre acteur, généralement ignoré: l’exploitation minière. C’est l’une des découvertes d’une enquête menée en collaboration par deux journalistes, membre de la Cellule Norbert Zongo du Journalisme d’Investigation en Afrique de l’Ouest CENOZO, en Côte d’Ivoire et au Mali, son voisin du nord confronté à des problèmes similaires.

Les deux journalistes ont fait un usage innovant des données cadastrales minières nationales (la documentation officielle des informations relatives aux sites miniers, telles que la valeur et l’étendue), les ont croisées avec des données satellitaires et ont découvert comment les permis d’exploitation minière sont néanmoins délivrés pour les zones protégées et comment les opérations minières empiètent sur celles-ci. Le duo s’est ensuite tourné vers la plateforme Global Forest Watch pour évaluer l’impact de ces activités humaines sur les zones forestières au fil des ans.

Image satellite d’un camp militaire au Burkina Faso soupçonné d’être le site d’un massacre de civils. Image : Capture d’écran, Libération

En février 2023, un journaliste du journal français Libération reçoit un enregistrement vidéo montrant un groupe d’hommes, certains en treillis militaire, autour de ce qui semble être les corps de sept enfants et adolescents. La manière dont ils ont été tués n’est pas claire, mais une partie de la vidéo montre un homme frappant l’un d’entre eux à la tête avec une lourde pierre.

Libération a passé un mois à enquêter sur ces images. Grâce à des méthodes de source ouverte, ils ont pu retrouver la date, l’heure, les personnes et le lieu – un camp militaire au nord-ouest de Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso, près de la frontière avec le Mali, une région où les forces de défense combattent des groupes terroristes djihadistes. Outre les détails visibles tels que les véhicules et les insignes de l’armée, les chercheurs ont pu faire correspondre des éléments de construction, même brièvement aperçus dans la vidéo, avec des images satellite du camp militaire. L’application SunCalc, qui reproduit la course du soleil – et donc les ombres – en fonction de la période de l’année, de l’heure de la journée et de la situation géographique, a également permis de faire correspondre le camp avec l’image.

Les forces de défense du Burkina Faso sont appuyées par des dizaines de milliers de combattants volontaires, qui ont été accusés de procéder à des rafles de personnes soupçonnées d’avoir des liens avec l’extrémisme et de commettre des exécutions extrajudiciaires de civils. Les Peuls, une minorité ethnique fortement déplacée par les combats – et dans laquelle les djihadistes recrutent – sont de plus en plus pris pour cible. Selon Libération, le gouvernement et le président burkinabé n’ont pas souhaité faire de commentaires ou répondre aux questions. D’autres articles ultérieurement publiés par des médias sur l’incident, tels que cet article de l’AP publié la semaine suivante, notent que l’armée du Burkina Faso a nié toute responsabilité.

Abu Dhabi Secrets

Image: Capture d’écran, Heidi News

Cette collaboration multipartite à l’échelle européenne a débuté par le piratage et la fuite de millions de documents d’une société de renseignement privée basée à Genève. Selon l’enquête, entre 2017 et 2021, des personnes liées aux Émirats arabes unis ont versé à la société des millions d’euros pour mener des enquêtes, des opérations de déstabilisation ou salir la réputation d’ennemis imaginaires des Émirats arabes unis – en particulier, ceux qui avaient des liens commerciaux ou autres avec le Qatar.

Le site d’information français Mediapart a obtenu une partie des données divulguées et les a partagées avec le réseau European Investigative Collaborations (EIC). Des journalistes de Mediapart, ainsi que 13 membres de l’EIC, dont le média en ligne suisse Heidi News et le média public Radio Télévision Suisse, ont vérifié et analysé des milliers de fichiers, qui contenaient des informations sur des clients, des opposants supposés et des paiements effectués à des journalistes. Les résultats ont été publiés dans de nombreux articles parus dans divers médias européens. (Un article antérieur du New Yorker, faisant également référence aux fichiers piratés, a exploré un cas particulier dans lequel l’agence a ruiné les affaires et la réputation d’un négociant en matières premières américain).

Cette affaire soulève des questions cruciales sur les nouveaux dangers que représentent les agents de renseignement privés qui travaillent pour le compte d’États étrangers ou de dirigeants autoritaires, sans aucune réglementation ni obligation de rendre des comptes. L’ambassade des Émirats arabes unis à Paris et le fondateur de la société de renseignement n’ont pas répondu à la demande de commentaire de Mediapart.

Enquête sur le business lucratif des visas

Image : capture d’écran, Inkyfada

Le média d’investigation tunisien – et membre du GIJN – Inkyfada a mené des recherches sur une société multinationale qui fournit des services de visa et des services consulaires au nom des gouvernements européens, en gérant l’administration des demandes de visa dans plus de 100 centres à travers le monde. Des millions de visas Schengen sont traités par des entreprises privées comme celle-ci, qui ont proliféré au cours des 15 dernières années, les consulats ayant de plus en plus recours à l’externalisation de ces services.

Cette enquête sur la structure de l’entreprise, dont la société mère a son siège social et est cotée en France, est basée sur l’analyse des états financiers, des rapports annuels, des procès-verbaux de réunions et d’autres documents administratifs afin d’alléguer des méthodes de transfert de bénéfices et d’optimisation fiscale. Données, documents, organigrammes et graphiques à l’appui, Inkyfada explique comment, en transférant des revenus par le biais de diverses filiales et intermédiaires enregistrés au Luxembourg, la société mère peut finir par payer moins de 1 % d’impôt sur des millions d’euros de bénéfices.

Inkyfada a contacté plusieurs consulats européens qui emploient les services du centre de la société basé en Tunisie pour obtenir des commentaires sur les pratiques de la société mère. Ils ont refusé de commenter ou ont déclaré que leur relation se limitait à l’entité tunisienne.

L’exploitation sexuelle en ligne

Image: Capture d’écran, Le Monde

La diffusion en direct d’actes sexuels sur des mineurs, commandés et regardés en ligne par des Européens à des dizaines de milliers de kilomètres, est un phénomène croissant qui a proliféré pendant la pandémie de COVID-19, note Le Monde. Selon un rapport de la Mission internationale de justice (IJM), les incidents d’exploitation sexuelle d’enfants en ligne (OSEC) sont huit fois plus fréquents aux Philippines que dans d’autres pays où ces activités ont été signalées, tels que le Brésil, le Mexique et l’Inde. Le rapport de l’IJM indique également que dans 41 % des cas, les viols sont commis par les parents biologiques, et dans 42 % par des parents proches – qui y voient une source de revenus. Mais les journalistes du Monde soulignent que cette pratique est le résultat d’une demande – les Européens payant pour la diffusion de certains contenus en ligne.

Les journalistes font état des efforts déployés par la communauté internationale pour faire respecter la loi, y compris le procès pénal de plusieurs individus en Europe. Mais aussi sur le terrain, aux Philippines, où les journalistes ont passé du temps avec des sources qui protègent et accueillent les enfants rescapés de ces situations – et ont documenté leurs expériences lorsque c’était possible. Les récits de ces enfants sont cruciaux pour les forces de l’ordre européennes, américaines et philippines qui tentent d’élaborer des procédures juridiques pour lutter contre l’exploitation sexuelle d’enfants en ligne – un défi immense car les flux en direct ne sont généralement pas enregistrés, ce qui signifie qu’il est difficile de trouver des preuves.

L’enquête, réalisée en partenariat avec Le Monde, qui a publié une série de trois articles, et la chaîne européenne de service public Arte, qui a produit un documentaire télévisé, a été sélectionnée pour les DIG Awards et le prix Albert Londres, distinction française la plus prestigieuse dans le journalisme.


Alcyone Wemaëre est la responsable francophone de GIJN et une journaliste française, basée à Lyon depuis 2019. Elle est une ancienne journaliste de France24 et Europe1, à Paris. Elle est professeure associée à Sciences Po Lyon, où elle est coresponsable du master de journalisme, spécialité data et investigation, créé avec le CFJ.

Maxime Koami Domegni est le responsable Afrique francophone de de GIJN et un journaliste d’investigation primé. Il a travaillé comme rédacteur en chef du journal togolais L’Alternative et pour la BBC Africa en tant que journaliste producteur et planificateur de magazines pour l’Afrique francophone. Il a aussi collaboré avec la RNW Media pour la version française de son site « This Is Africa ».

Aïssatou Fofana est l’assistante éditoriale du programme de GIJN pour l’Afrique francophone. Basée à Abidjan, en Côte d’Ivoire, elle est également blogueuse et journaliste indépendante avec une solide expérience en journalisme environnemental. En tant qu’entrepreneuse dans le domaine des médias, elle a récemment cofondé un média en ligne, L’écologiste, afin d’amplifier l’information environnementale.

11.12.2023 à 19:37

Guide pour trouver et utiliser des images satellites

Maxime Domegni

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Disparition des arbres, incarcération de masse... Les images satellites sont un puissant outil d'enquête. Ce guide phare de GIJN, entièrement remis à jour fin 2023, vous donnera des idées pour collecter et analyser des données satellites.
Texte intégral (6001 mots)

Disparition des arbres, incarcération de masse… Les images satellites sont un puissant outil d’enquête. Ce guide phare de GIJN, entièrement remis à jour fin 2023, vous donnera des idées pour collecter et analyser des données satellites.

Les satellites sont un puissant outil d’enquête. Les journalistes exploitent l’imagerie satellite et les données de télédétection enquêter d’un grand nombre de sujets : la disparition des arbres comme les incendies de forêt, les risques de pandémie comme le changement climatique, l’esclavage comme l’incarcération de masse.

Depuis la parution de la précédente édition de ce guide, certains gouvernements et entreprises privées ont mis en orbite de nouveaux satellites. Le radar à synthèse d’ouverture (RSO), qui utilise une antenne montée sur un satellite pour faire rebondir des signaux micro-ondes sur la surface de la Terre et peut percer la couverture nuageuse, est de plus en plus utilisé par les journalistes.

Des journalistes se sont appuyés sur l’imagerie satellite pour détecter la pollution au méthane, documenter les marées noires, localiser les charniers et vérifier sur le terrain les informations véhiculées par la propagande de guerre.

Il serait impossible de détailler dans ce court guide toutes les technologies disponibles, ou toutes les utilisations qu’on peut en faire. Notre objectif est plutôt de fournir une base de connaissances pour accéder, analyser et présenter l’imagerie et les données satellites, ainsi que pour vous aider à trouver les experts en la matière. Voici comment ce guide est structuré :

  1. Quelques sources d’inspiration : des reportages du monde entier
  2. Comment accéder à l’imagerie satellite
  3. Les logiciels
  4. Les guides, tutoriels et fiches de conseils

Capture d’écran à partir de planet.com

  1. Quelques sources d’inspiration : des enquêtes du monde entier

D’un dossier sur les camps d’internement secrets en Chine, récompensée par un prix Pulitzer, à une enquête sur les incendies provoqués par l’Homme en Amazonie, voici un échantillon d’enquêtes ayant fait usage d’images satellites :

Capture d’écran : earthrise.media

  1. Comment accéder à l’imagerie satellite

Des images et données de haute qualité sont disponibles auprès de nombreuses sources. Voici une compilation de quelques outils disponibles qui pourraient s’avérer utiles aux journalistes, suivis de notre propre liste de fournisseurs et de fiches de conseils pour s’y retrouver.

Quelques compilations

Mapping Resources Archives – Journalist’s Toolbox (Ressources cartographiques – les outils à disposition du journaliste), une longue liste de ressources cartographiques dressées par la Société américaine des journalistes professionnels.

Bellingcat’s Online Investigation Toolkit (Les outils de Bellingcat pour réaliser des enquêtes en ligne), un fichier contenant des liens vers plus de 70 sources d’informations cartographiques, satellitaires, de localisation et de street-view.

15 Free Satellite Imagery Data Sources (15 sources gratuites de données d’imagerie satellite), avec des commentaires sur leurs points forts et leurs faiblesses, et 13 logiciels de télédétection en source ouverte par GISGeography.

Top 10 Free Sources of Satellite Data (Les 10 meilleures sources de données satellites en accès gratuit) par SkyWatch, un agrégateur commercial de données satellites, présente succinctement chacune de ces sources, ainsi que leurs avantages et leurs inconvénients.

Free Satellite Imagery: Data Providers & Sources For All Needs (Imagerie satellite gratuite : les fournisseurs de données à même de répondre à tous vos besoins), une comparaison détaillée des principales sources d’imagerie réalisée par EOS Data Analytics, une société de satellites commerciaux axée sur l’agriculture. C’est un excellent guide pour découvrir quel fournisseur gratuit correspond à vos compétences et à vos besoins. Ils proposent également leur propre service gratuit.

Les principaux fournisseurs

Google, Bing, Yandex et d’autres

L’imagerie satellite fournie par des grandes entreprises, notamment Google, Bing et Yandex, dans le cadre de leurs offres cartographiques est un bon point de départ. Ces produits ont toute leur place dans votre boîte à outils de journaliste. Ce sont des outils exceptionnels pour vous familiariser avec une zone géographique, en particulier lorsqu’on les combine avec des photographies de terrain. Les journalistes s’en servent d’ailleurs régulièrement pour géolocaliser des photos comme des vidéos.

Les moteurs de recherche utilisent des images de haute résolution provenant de fournisseurs commerciaux tels que Maxar ou Airbus, mais ces images sont souvent vieilles de plusieurs mois, voire plus. Pour obtenir des images haute résolution plus récentes, vous devrez travailler directement avec ces sociétés (voir ci-dessous).

Attention tout de même : Les entreprises censurent parfois les images pour diverses raisons. Il est donc judicieux de faire des recherches croisées. Et, comme l’a montré BuzzFeed News, cette censure peut en soi être à l’origine d’une grande enquête.

Parmi toutes, les offres de Google figurent parmi les outils les plus utiles.

Google Earth Pro sur ordinateur de bureau est une ressource essentielle. Vous pouvez parcourir un inventaire d’images historiques, souvent à haute résolution. Vous pouvez également importer de nouvelles données pour les comparer à des images plus anciennes. L’outil « règle » permet de calculer facilement la distance entre deux points. Google Earth Pro propose également des images de Google Street View, lorsqu’elles sont disponibles.

Google Maps est un compagnon utile de l’application Google Earth Pro en raison de son inventaire de photographies historiques de rues, qui peut être utile pour les enquêtes en source ouverte et la vérification au sol de l’imagerie satellite.

Google Earth Engine (GEE) dispose d’une impressionnante collection d’images satellite, de données de télédétection et d’ensembles de données scientifiques qui peuvent servir à détecter, mesurer et comparer ce qui se passe à la surface de la Terre au fil du temps, à l’échelle mondiale, régionale ou locale. Ici, la courbe d’apprentissage est plus raide que pour d’autres ressources. Vous trouverez plus d’informations à ce sujet dans la section consacrée aux logiciels, plus bas.

Outre les ouitls de Google, d’autres sources importantes d’imagerie satellite figurant parmi les outils de cartographie sont les suivants :

Les gouvernements

Les journalistes doivent connaître Landsat et Sentinel-2, deux programmes d’observation de la terre gérés par l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis et l’Agence spatiale européenne. Ces satellites ne sont pas utiles pour observer les petits objets, mais ils sont excellents pour observer les transformations à plus grande échelle dans une région donnée.

Des satellites Landsat tournent autour de la Terre et prennent des images depuis 1972. Landsat 8 et Landsat 9 sont les dernières versions avec une résolution de 30 mètres.

Le premier satellite Sentinel-2 a été lancé en 2015, suivi d’un second en 2017. Ces satellites offrent une résolution de 10 mètres.

Mis ensemble, Landsat et Sentinel offrent un ensemble d’images formidable pour comprendre les changements régionaux sur la terre sur une longue période de temps.

Vous pouvez consulter ces images sur différents sites.

L’USGS propose LandsatLook. Les images Sentinel peuvent quant à elles être consultées sur le site Copernicus de l’Union européenne.

Un autre site utile est EO Browser de SentinelHub, où vous pouvez consulter les images Landsat et Sentinel-2. EO Browser propose également des combinaisons de bandes prêtes à l’emploi pour chaque image, qui mettent en évidence la santé de la végétation, les zones urbaines, l’eau ou la neige. Sentinel Hub est un produit de Sinergise, une société privée récemment rachetée par Planet Labs.

EO Browser dispose de données provenant d’un certain nombre d’autres programmes satellitaires. Vous pouvez notamment y consulter les données de Sentinel-1, qui utilise des RSO, ou de Sentinel-5, qui mesure la pollution de l’air. C’est un bon moyen de se familiariser avec le large éventail de données disponibles auprès de sources gouvernementales.

La NASA

NASA EarthData : La National Aeronautics and Space Administration (l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace) des États-Unis propose une vaste collection de données satellitaires. NASA Worldview est un outil interactif qui fournit en temps quasi réel des images à haute résolution provenant d’un large éventail de satellites, y compris des satellites géostationnaires qui se concentrent sur une partie de la Terre pendant qu’elle tourne, ce qui permet une visualisation continue, par exemple, de l’évolution des conditions météorologiques ou de la propagation des incendies de forêt. Worldview propose également des liens vers des outils de cartographie et de visualisation spécialisés, tels que FIRMS pour les incendies et EMITpour les panaches de méthane, ainsi qu’un accès à plus d’une douzaine de centres de données de la NASA et aux produits de données satellitaires associés. NASA Earth Observations est un autre portail qui propose plus de 50 ensembles de données sur l’atmosphère, les terres, les océans, l’énergie, l’environnement et bien plus encore. Pour faciliter la navigation, l’agence propose des outils de données par thème, sur les catastrophes, les incendies de forêt et la diversité biologique.

NOAA

Le Service national de données, d’informations et de satellites environnementaux des Etats-Unis, la NOAA : L’administration nationale américaine des océans et de l’atmosphère propose plusieurs interfaces pour accéder à l’imagerie aérienne mondiale et aux données qu’elle recueille, en particulier sur le climat, la météo et l’environnement.

USGS

USGS Earth Explorer : En plus de l’interface LandsatLook mentionnée ci-dessus, l’USGS dispose également d’une interface pour consulter différentes bases de données via Earth Explorer. Le guide de GISGeography vous aidera à naviguer Earth Explorer.

Les fournisseurs commerciaux

Si les données Landsat et Sentinel gratuites sont très utiles pour étudier les changements à grande échelle, les analyses plus complexes nécessitent l’obtention d’images auprès de l’un des fournisseurs commerciaux – comme l’a fait l’Associated Press pour suivre les chalutiers transportant des poissons pêchés par des esclaves au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2015, ou encore Reuters pour vérifier des témoignages faisant état de conditions de détention inhumaines dans les prisons de fortune où l’Éthiopie avait placé des milliers de Tigréens en 2022.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, seuls les satellites de Maxar Technologies et d’Airbus pouvaient atteindre une résolution de 30 centimètres. Les deux sociétés disposent de portails permettant de consulter les images existantes, pour y accéder il faut en faire la demande auprès de leurs communicants ou s’adresser à l’un des nombreux revendeurs.

Planet Labs peut profiter de sa constellation de satellites d’une résolution de 3,7 mètres qui couvrent chaque jour la quasi-totalité du globe terrestre. L’entreprise dispose également de plusieurs satellites d’une résolution de 50 centimètres, qui peuvent être missionnées pour des prises de vue particulières.

Capella Space capture des images RSO à haute résolution. La résolution est inférieure à 50 centimètres.

BlackSky peut donner des instructions à ses satellites et recevoir des données en 90 minutes.

Il est également possible d’acheter des images auprès de revendeurs, notamment :

Shadowbreak

EOS Data Analytics

Descartes Labs

EarthRise Media

Image Hunter

SkyWatch

Photo: NASA via Unsplash.

Les organismes à but non lucratif

Centre for Information Resilience (Le Centre pour la résilience informationnelle) s’associent à différents médias pour dénoncer les violations des droits de l’homme, les crimes de guerre, la désinformation et le harcèlement en ligne. Son projet Eyes on Russia Map suit le conflit en Ukraine.

Global Fishing Watch offre un accès gratuit à des images satellites, des ensembles de données et des codes informatiques permettant de suivre les activités de la filière de la pêche.

Global Forest Watch offre un accès gratuit à des données et à des analyses d’images satellites permettant de suivre la déforestation. Chaque utilisateur peut par ailleurs demander à être alerté de toute actualité dans les régions qui l’intéressent.

Radiant Earth Foundation fournit des outils et des tutoriels pour accéder à des images satellites, de drones et aériennes, en mettant l’accent sur le changement climatique et la conservation.

Resource Watch fournit des ensembles de données et des outils de visualisation gratuits et téléchargeables permettant de suivre un large éventail de questions liées aux ressources naturelles, notamment le changement climatique, les risques l’accès à une eau potable, la pollution, la pauvreté, les migrations et l’instabilité des États. Ce site est parrainé entre autres par le World Resources Institute.

SkyTruth est une organisation axée sur la conservation qui se tient prête à venir en aide aux projets d’enquête. Envoyez un courriel à media@skytruth.org. Skytruth dresse ici la liste des projets auxquels il a contribué.

  1. Les logiciels

Apprendre à utiliser un logiciel de système d’information géographique (SIG) permet d’élargir les possibilités d’utilisation de l’imagerie satellite ou des données de télédétection. Les environnements SIG ci-dessous permettent de compiler plusieurs couches de données provenant de différentes sources et d’effectuer des analyses spatiales sur celles-ci.

Esri, grâce à un généreux accord avec GIJN, autorise nos membres à utiliser gratuitement le logiciel ArcGIS permettant de créer des cartes. Pour plus d’informations, contactez GIJN ici.

QGIS est un logiciel de bureau SIG en sources ouvertes très prisé.

R et Python sont des langages de programmation qui offrent un large éventail de bibliothèques pour l’analyse vectorielle comme matricielle.

Google Earth Engine (mentionné ci-dessus) dispose de pétaoctets d’images et de données de télédétection prêtes à l’emploi. Vous pouvez également télécharger vos propres images ainsi que des fichiers vectoriels. Il s’agit d’un environnement SIG complet permettant d’analyser d’énormes quantités de données. Mais cette faculté en fait également un outil plus difficile à maitriser.

L’Initiative Google News a mis au point une série de tutoriels destinés aux journalistes et portant sur les nombreuses fonctionnalités de Google Earth Engine (GEE), comme la création de vidéos en accéléré, le suivi de l’évolution du couvert forestier et la surveillance des flottes de pêche. Google a également publié une série d’explications et de tutoriels.

Notez que pour utiliser l’éditeur de code de GEE il vous faudra des connaissances en JavaScript. Vous pouvez également interagir avec GEE via R et Python.

  1. Les guides, tutoriels et fiches de conseils 

Google Earth Engine: A Quick Guide for Beginners (Google Earth Engine : un guide concis à l’usage des novices), une vue d’ensemble et un tutoriel étape par étape par GIS Geography

Bellingcat’s Online Investigation Toolkit (Les outils d’enquête en ligne de Bellingcat), un ensemble impressionnant de ressources pour effectuer des recherches en sources ouvertes, y compris un grand nombre de ressources sur le journalisme spatial.

Cloud-Based Remote Sensing with Google Earth Engine (Télédétection dans le cloud avec Google Earth Engine), un manuel en ligne gratuit conçu pour vous faire passer du statut de novice à celui d’expert, par David Saah, professeur de sciences environnementales et directeur du labo d’analyse géospatiale de l’Université de San Francisco.

What Does Real-Time Satellite Data Really Look Like? (A quoi ressemblent vraiment les données satellitaires en temps réel), un aperçu très basique du nombre et des types de satellites en orbite autour de la Terre et de la manière dont les informations qu’ils collectent sont relayées et traitées, par Skywatch, une société commerciale d’agrégation de données satellitaires.

How to Analyze Satellite Imagery (Comment analyser l’imagerie satellite), une introduction illustrée à l’utilisation de l’imagerie satellitaire dans le cadre de reportages, par l’Al Jazeera Media Institute.

Exposing the Invisible – The Kit (Mettre en lumière l’invisible – le kit), un guide de techniques d’investigation pour les journalistes, les chercheurs et les activistes par Tactical Tech. Voir en particulier : Starting satellite investigations (Commencer une enquête satellitaire); et Using Maps to See Beyond the Obvious (Utiliser des cartes dans une enquête) and Geolocation Methods: A Step by Step Guide (Méthodes de géolocalisation : un guide étape par étape) par Alison Killing, architecte et journaliste lauréate du prix Pulitzer.

Tips for Using Satellite Imagery in Forensic Investigations, from Amnesty International’s Evidence Lab – GIJN(Conseils d’utilisation d’images satellites dans le cadre d’enquêtes médico-légales du Evidence Lab d’Amnesty International), qui est un résumé d’une présentation d’Amnesty International au Festival de journalisme international 2022.

Free Aerial – Satellite Imagery & GIS Viewers (Logiciels pour visionner des images satellites et GIS) par Apollo Mapping fournit des critiques, des liens de téléchargement et des instructions de chargement d’images pour les deux principaux visionneurs gratuits de SIG et d’images, QGIS et Google Earth.

10 Tips for Using Geolocation and Open Source Data to Fuel Investigations – GIJN, (10 conseils pour mettre à profit des données de géolocalisation en sources ouvertes dans une enquête) tiré d’une présentation du Centre for Information Resilience Centre for Information Resilience au Festival de journalisme international 2022 sur la façon d’analyser les images.

How to Expose Lies from the Skies Using Satellites and Drones – GIJN (Révéler les mensonges à l’aide de satellites et de drones), fournit des idées et des conseils sur l’utilisation de l’imagerie aérienne, tirés de la Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation de 2021.

A Journalist’s Guide to using AI + Satellite Imagery for Storytelling (Comment captiver son public en mettant à profit intelligence artificielle et imagerie satellite) propose des étapes pratiques et un diagramme de flux de travail pour combiner l’intelligence artificielle et l’imagerie satellite issues d’un projet des JournalismAI Collab Challenges 2021.

An Introduction to Cloud-Based Geospatial Analysis with Earth Engine and Geemap (Introduction à l’analyse géospatiale dans le cloud avec Earth Engine et Geemap) fournit des liens vers un tutoriel plus avancé en sept séances et des documents d’accompagnement détaillés par Qiusheng Wu et Steve Greenberg, y compris des instructions pour l’utilisation de l’outil Streamlit afin de récupérer automatiquement des données satellitaires pour les coordonnées qui vous intéressent.

My Favorite Tools: Geo-Journalist Gustavo Faleiros – GIJN (Les outils préférés du géo-journaliste Gustavo Faleiros). Gustavo Faleiros, journaliste brésilien et rédacteur en chef d’enquêtes environnementales, présente les outils permettant d’accéder, de cartographier et de visualiser l’imagerie et les données satellitaires dans une interview accordée à GIJN en 2021.

Tempête au-dessus du Yemen. Photo: NASA via Unsplash.

Ressources par thème :

Conflits armés

Reporter’s Guide to Investigating War Crimes: Open Source Research (Guide à l’usage des journalistes pour enquêter sur les crimes de guerre : la recherche en sources ouvertes), GIJN

Scorched Earth: Using NASA Fire Data to Monitor War Zones (Terre brûlée : comment utiliser les données de la NASA sur les incendies pour surveiller les régions en guerre), Bellingcat.

Changement climatique et environnement

How Environmental Journalists Can Use NASA’s New Landsat 9 Satellite (Comment les journalistes environnementaux peuvent utiliser le nouveau satellite Landsat 9 de la NASA), GIJN.

Initiative Google News : Journalisme environnemental 

New Sources Emerge for Tracking Methane Emissions by Satellites (De nouvelles sources permettent de suivre les émissions de méthane par satellite), GIJN

How They Did It: Uncovering a Vast Network of Illegal Mining in Venezuela (Comment ont-il fait ? La révélation d’un vaste réseau d’exploitation minière illégale au Venezuela), GIJN (El País et Armando.info)

Investigating Rainforest Destruction: Finding Illegal Airstrips Using Machine Learning (Enquête sur la destruction de la forêt tropicale : Trouver des pistes d’atterrissage illégales grâce à l’apprentissage automatique), Pulitzer Center

Droits de l’Homme

Tips for Using Satellite Imagery in Forensic Investigations, from Amnesty International’s Evidence Lab(Conseils pour l’utilisation de l’imagerie satellite dans les enquêtes médico-légales, par le Evidence Lab d’Amnesty International), GIJN

Satellite Imagery for Human Rights Monitoring (L’imagerie satellitaire au service de la surveillance des droits de l’Homme), The Engine Room

Esclavage et travail forcé

From the Cover: Satellites can reveal global extent of forced labor in the world’s fishing fleet (A la une : les satellites peuvent révéler l’ampleur mondiale du travail forcé dans la filière de la pêche), Proceedings of the National Academy of Sciences

Vérification

Deepfake Geography: How AI Can Now Falsify Satellite Images (“Deepfakes” géographiques : comment l’intelligence artificielle peut désormais falsifier l’imagerie satellite), GIJN

Verifying Images of the War in Ukraine (Vérifier les images de la guerre en Ukraine), The New York Times

Ghost In The Machine: From Chad, A Case Study On Why You Shouldn’t Blindly Trust Tech (Une actualité au Tchad montre pourquoi il ne faut pas vouer une confiance aveugle aux nouvelles technologies), Bellingcat


Cette édition du guide (dont la version originale en anglais a été mise à jour  2023 ) a été réalisée par Ryan McNeill, rédacteur adjoint en journalisme de données au sein de la rédaction de l’agence Reuters, Deborah Nelson, professeure de journalisme d’investigation au Philip Merrill College of Journalism de l’Université du Maryland, et Toby McIntosh, journaliste indépendant et ancien directeur du Centre de ressources de GIJN.

08.12.2023 à 13:38

8 méthodes pour consulter gratuitement les publications scientifiques et universitaires

Denise-Marie Ordway

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Dans cet article, vous découvrirez huit méthodes destinées aux journalistes pour consulter gratuitement les publications scientifiques et universitaires.
Texte intégral (2066 mots)

Des méthodes sont à la disposition des journalistes pour consulter gratuitement les publications scientifiques

Dans cet article, vous découvrirez huit méthodes destinées aux journalistes pour consulter gratuitement les publications scientifiques et universitaires.

Note de la rédaction : Cette fiche de conseils, sur les différentes manières dont les journalistes peuvent consulter gratuitement les publications scientifiques et universitaires, a été publiée pour la première fois en septembre 2018 et a été mise à jour depuis. Initialement publiée par The Journalist’s Resource, elle est reproduite ici avec son autorisation.

Nous qui travaillons pour The Journalist’s Resource, nous apprécions beaucoup les publications scientifiques, en particulier celles qui ont été validées par un comité de lecture . Nous savons que les travaux de recherche constituent un outil des plus précieux pour les journalistes, pour la couverture des questions de politique générale et la vérification des faits.

Hélas, les journalistes ont souvent du mal à avoir accès aux travaux publiés dans les revues scientifiques. En effet, un grand nombre de ces revues proposent un accès payant aux publications des chercheurs, et les abonnements peuvent être trop onéreux pour les rédactions en général et les budgets des journalistes en particulier. Par exemple, l’abonnement à la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, publiée par la National Academy of Sciences, coûte plus de 200 dollars par an pour une personne, et pour son unique usage personnel. On dénombre des milliers de revues scientifiques dans le monde.

Les journalistes débrouillards peuvent cependant utiliser d’autres moyens pour accéder à ces publications. Nous vous en livrons huit ci- dessous.

1. Allez à la bibliothèque

Les bibliothèques publiques sont souvent abonnées aux revues scientifiques, et il suffit d’avoir une carte de lecteur pour pouvoir les consulter. La bonne nouvelle, pour les journalistes trop occupés pour se déplacer, c’est que certaines bibliothèques autorisent leurs usagers à consulter en ligne des bases de données d’articles scientifiques revus par un comité de lecture.

Aux Etats-Unis, les instituts d’enseignement supérieur et les universités proposent ainsi un accès en ligne aux revues scientifiques, par le biais de leurs bibliothèques. Les bibliothèques universitaires sont ouvertes à tous. Souvent, les instituts privés offrent aussi à leurs anciens étudiants un accès gratuit à leurs ressources.

2. Demandez un compte gratuit aux revues scientifiques

Beaucoup de revues scientifiques parmi les plus lues permettent un accès gratuit aux journalistes, même si certaines limitent leur offre aux seuls journalistes spécialisés dans des sujets ou domaines particuliers. L’American Economic Association (AEA), par exemple, propose un accès gratuit aux journalistes, et ce pour ses huit revues, dont l’American Economic Review. Vous pouvez faire une demande d’ouverture de compte sur la page de l’association réservée aux médias.

“Je pense que beaucoup de gens ne le savent pas, et c’est un message que nous voulons faire passer”, indique Chris Fleisher, rédacteur en chef web de l’AEA. “Nous voulons que les journalistes sachent qu’ils peuvent avoir accès à nos revues s’ils le souhaitent.”

A noter qu’un grand nombre de revues scientifiques diffusent des articles sous embargo auprès des journalistes et les préviennent quand elles publient de nouvelles études sur leur sujet de prédilection. Contactez la revue qui vous intéresse pour en savoir plus.

3. Faites vos recherches sur les sites des revues scientifiques et des plateformes scientifiques en libre accès

Un nombre croissant de revues savantes qui sont en libre accès mettent leur contenu gratuitement à la disposition de tous. Notez qu’il y a certes beaucoup de revues scientifiques de qualité en libre accès, mais que certaines ont des pratiques peu éthiques. Le Directory of Open Access Journals (Annuaire des revues scientifiques en libre accès) recense les revues scientifiques de qualité en libre accès.

Parmi les meilleures revues scientifiques en libre accès, on compte PLOS One, qui est la première revue scientifique pluridisciplinaire en libre accès, et BMC Biology.

Plusieurs plateformes en ligne permettent aussi au grand public d’avoir accès à des recherches scientifiques gratuitement. Par exemple, Unpaywall.org est une base de données gratuite de près de 48 millions d’articles publiés par les chercheurs et qui sont gratuits

4. Consultez Google Scholar

Google Scholar est un moteur de recherche qui indexe les travaux scientifiques publiés par différentes sources. Souvent, Google Scholar propose la version PDF d’articles publiés par les chercheurs. Toutefois, certains PDF correspondent à des versions antérieures d’un article, notamment des ébauches qui n’ont été ni publiées, ni revues par un comité de lecture.

Ces versions antérieures peuvent certes être utiles, mais il est important de contacter leur auteur avant d’utiliser ses conclusions. En effet, les conclusions mises en avant dans un document de travail sont provisoires et peuvent être très différentes de celles qui figureront dans la version définitive, publiée dans un article de revue scientifique. (Pour mieux comprendre la différence entre un document de travail et un article publié dans une revue scientifique, reportez-vous à notre explicatif.)

5. Installez des extensions de navigateur

Certaines extensions de navigateur peuvent vous aider à chercher sur le web des versions gratuites d’articles publiés dans des revues scientifiques. L’extension de navigateur Unpaywall recueille les contenus de plus de 50 000 revues scientifiques et les archives en libre accès dans le monde. Il suffit de cliquer sur le bouton Open Access (Libre Accès) pour effectuer des recherches dans des “millions d’articles” dans des sources qui comprennent “toutes les archives réunies du monde, les articles hybrides, les revues scientifiques en libre accès et les publications qui se trouvent sur les pages personnelles des auteurs”, selon son site.

Si le bouton Open Access ne trouve pas de versions gratuites des articles que vous recherchez, il contactera les auteurs et leur demandera de partager leurs travaux en les mettant dans une archive en libre accès.

6. Contactez les auteurs de la publication scientifique

Si vous souhaitez lire un article donné dans une revue scientifique, mais que vous ne trouvez que son résumé en ligne, appelez les auteurs ou envoyez-leur un email pour leur demander l’article en version intégrale. Les résumés publiés par les revues scientifiques comprennent généralement les coordonnées des auteurs ou, à tout le moins, l’adresse mail de l’auteur principal.

En général, les chercheurs sont tout à fait disposés à envoyer leurs articles aux journalistes. Si un chercheur vous envoie une version d’un article avant publication dans une revue scientifique, veillez à lui demander en quoi elle diffère de la version publiée, et si les conclusions sont les mêmes.

Autre option : les chercheurs publient souvent sur leurs pages personnelles des liens vers leurs recherches. Ceux qui travaillent dans des instituts ou des universités ont tendance à indiquer la liste de leurs publications sur le site même de l’institution.

7. Appelez le bureau des relations avec les médias

Le service des relations médias d’une université ou d’un organisme de recherche peut vous aider à retrouver un article publié par l’un de ses chercheurs. Il peut aussi vous aider à contacter les auteurs.

Principal inconvénient : les services des relations médias sont certes sensibles aux délais impartis aux rédactions, mais il est possible qu’ils soient sollicités par beaucoup de journalistes au même moment. Il est souvent plus rapide et plus facile de contacter les auteurs directement. Si vous avez du mal à obtenir une réponse de leur part, les services des relations médias sont généralement disposés à les relancer.

Les universités envoient aussi des communiqués de presse pour promouvoir les articles de leurs chercheurs. Demandez-leur de vous prévenir dès qu’un article sur les sujets qui vous intéressent est publié.

8. Abonnez-vous aux newsletters et aux communiqués de presse des organismes de recherche qui font la promotion des travaux de leurs chercheurs

Vous pouvez aussi obtenir rapidement des informations sur les nouvelles publications d’un grand nombre d’organismes de recherche en souscrivant un abonnement auprès d’organisations comme Futurity et EurekAlert!

Futurity est un partenariat entre 47 universités aux USA, au Canada, en Europe, en Asie et en Australie. Il met en exergue le travail réalisé par des chercheurs dans quatre domaines : culture, santé, environnement et science.

EurekAlert! est une plateforme de distribution de communiqués de presse gérée par l’American Association for the Advancement of Science (Association américaine pour la promotion de la science). Elle héberge des communiqués de presse provenant de l’enseignement supérieur, d’organismes publics, d’éditeurs de revues scientifiques, de grandes sociétés et d’autres structures actives de la recherche scientifique dans tous les domaines.

Resources complémentaires

L’essor international des centres universitaires dédiés au journalisme d’investigation

Des journalistes primés s’associent à des étudiants pour réaliser des enquêtes (en anglais)

Comment former des étudiants au journalisme d’investigation en seulement 15 semaines (en anglais)


Denise-Marie Ordway a rejoint The Journalist’s Resource en 2015 après avoir travaillé comme reporter pour des journaux et des stations de radio aux États-Unis et en Amérique centrale, notamment pour le Orlando Sentinel et le Philadelphia Inquirer. Son travail a également été publié dans des publications telles que USA TODAY, le New York Times, le Chicago Tribune et le Washington Post.

08.12.2023 à 13:04

Conseils pour faire parler des sources réticentes et fidéliser des sources nouvelles

Rowan Philp

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Dans cet article, plusieurs journalistes d'investigation chevronnés livrent leurs conseils et astuces pour faire parler une source qu'elle soit réticente à s'exprimer, nouvelle ou ayant vécu un traumatisme. 
Texte intégral (2703 mots)

Faire faire parler des sources nouvelles ou réticentes à s’exprimer peut être un défi.

Dans cet article, plusieurs journalistes d’investigation chevronnés livrent leurs conseils et astuces pour faire parler une source qu’elle soit réticente à s’exprimer, nouvelle ou ayant vécu un traumatisme. 

Pour chaque source qui accepte de répondre aux questions des journalistes d’investigation, il existe des dizaines de responsables, de victimes et de potentiels lanceurs d’alerte bien informés auxquels les journalistes ne s’adressent jamais.

À l’occasion de deux tables rondes dédiées à ce sujet lors de la récente conférence IRE23 à Orlando, en Floride – sommet annuel du journalisme d’investigation organisé par Investigative Reporters and Editors – des journalistes d’investigation chevronnés basés aux États-Unis ont présenté une grande variété de techniques qu’ils mettent à profit pour trouver des sources parfois inattendues et les inciter à révéler les informations dont elles disposent. Parmi ces conseils : présenter un cahier vierge aux victimes de traumatismes, rendre visite à des policiers sur leur lieu de travail secondaire, ou encore faire un repérage des issues de secours avant des entretiens impromptus avec des responsables politiques qui pourraient tenter de vous semer.

Image: Capture d’écran, IRE

Un conseil est cependant revenu en boucle : utiliser au maximum les reportages que vous avez déjà réalisés et vos contacts existants pour convaincre de nouvelles personnes de se livrer à vous. Sans jamais perdre de vue cette foule de sources trop rarement utilisées : les introvertis.

Trouver des sources qui n’ont jamais parlé aux médias

  • Demandez à vos sources de vous mettre en relation avec d’autres personnes. « À la fin de tout entretien avec un contact existant, demandez toujours : ‘A qui d’autre devrais-je m’adresser pour en savoir plus sur ce sujet ? », recommande ainsi Andie Judson, journaliste d’investigation à ABC10 à Sacramento, en Californie.
  •  Servez-vous de vos articles publiés comme carte de visite. « Envoyez aux personnes que vous auriez aimé interviewer les reportages dont vous êtes fiers, même si vous estimez qu’il y a peu de chance qu’elles vous répondent », poursuit Andie Judson.
  • Pensez à laisser des notes manuscrites sur les voitures dans les parkings d’agences gouvernementales. Tony Kovaleski, journaliste d’investigation en chef au KMGH 7 à Denver, écrit parfois les mots « Auriez-vous quelque chose à me confier ? » sur ses cartes de visite avant de les glisser sur les pare-brises des voitures garés dans les parkings d’agences gouvernementales. « Cela peut vraiment fonctionner quand on ne dispose d’aucune source en interne », confie-t-il.
  • Emportez des objets pouvant aider à briser la glace, comme un briquet ou une bouteille d’eau supplémentaire. « J’ai pris l’habitude d’amener un briquet aux procès que je couvre, parce qu’il y a des espaces extérieurs pour fumer et déjeuner, et qu’il est angoissant d’être impliqué dans une procédure judiciaire : les personnes y prenant part ont souvent envie d’une cigarette », poursuit Jesse Jones, journaliste d’investigation chevronné qui traite désormais les questions de consommation pour KIRO 7 à Seattle. Il ajoute : « Avoir une bouteille d’eau à offrir lors d’une journée particulièrement chaude peut vous ouvrir des portes. »
  • Rendez visite aux policiers sur leur lieu de travail secondaire. « Les policiers comme les pompiers ont souvent un deuxième travail », explique Jesse Jones. “Informez-vous sur le sujet. Il vous sera probablement beaucoup plus aisé d’accéder à ces personnes dans le cadre de leur deuxième emploi. J’ai notamment connu un policier propriétaire d’un vignoble – je passais le voir et on parlait merlot. Cela aide à tisser des liens.”
  • Contactez des retraités. “Les retraités peuvent vous mettre en relation avec des personnes pertinentes et vous expliquer comment fonctionnent les milieux qui vous intéressent”, poursuit Jesse Jones.
  • Trouvez les personnalités plus « discrètes ». Les introvertis figurent rarement parmi nos sources. Les moins bavards peuvent pourtant être une mine d’informations. « Quand je me rends à un conseil municipal ou sur une scène de crime, je ne regarde pas ceux qui sont au cœur de l’action mais les personnes à la marge », explique Jesse Jones. “Soyez attentif à leurs réactions et dites bonjour à la personne qui se hérisse ou qui semble mal à l’aise lorsqu’un fonctionnaire prend la parole.” Elle pourrait avoir de bonnes raisons de réagir ainsi.

Note de l’auteur : En parlant à un couple qui avait l’air mal à l’aise lors d’un rassemblement organisé par la campagne présidentielle de John McCain en 2008, ils m’ont révélé que le cœur de leur fils décédé – l’ancien chauffeur de bus du candidat républicain – avait été transplanté chez un patient de Pennsylvanie qui était un fidèle partisan de Barack Obama mais avait juré de voter pour McCain afin de rendre hommage à son donneur d’organes. Parler aux gens « discrets » peut révéler des informations pour le moins étonnantes.

Quelques conseils pour fidéliser de nouvelles sources

Jesse Jones de KIRO a également donné des conseils pour entretenir ses relations avec de nouvelles sources, tirés de sa longue expérience de journaliste d’investigation dans les villes de Baltimore, Cincinnati et Seattle.

  • Supposons que vos sources ne connaissent rien de votre travail. « Envoyez des liens vers vos reportages à vos sources et aux personnes qui, selon vous, pourraient vous aider dans la prochaine étape de votre enquête », préconise Jesse Jones. « Nous autres journalistes, on a tendance à penser que tout le monde suit notre travail, mais ce n’est vraiment pas le cas. »
  • Renseignez-vous sur les heures de travail de votre source. “Pour que vos sources vous soient utiles, il faut qu’elles soient disponibles”, rappelle-t-il. « Vous devez donc impérativement vous renseigner sur leurs horaires. »
  • Appelez des contacts potentiels uniquement pour leur faire part d’une information qui pourrait les intéresser – et ne demandez rien en retour. “Présentez-vous, sans donner l’impression d’être à la recherche de quelque chose”, précise-t-il. « Intéressez-vous à ce qu’ils font dans leur temps libre. »
  • Appelez les personnes qui ne sont que brièvement citées dans d’autres médias. « Si vous voyez une personne citée ailleurs, n’hésitez pas à la contacter pour lui dire ‘J’ai aimé ce que vous aviez à dire, pouvez-vous m’en dire davantage ?' », conseille Jesse Jones. « Pour de nombreuses personnes, passer à la télévision ou dans d’autres médias d’information est l’événement d’une vie. » Suite à cette première expérience, elles se sont peut-être rendues compte qu’elles avaient bien d’autres connaissances à partager avec le public.

Faire parler des sources sur des sujets sensibles face caméra

Contrairement aux entretiens de responsables politiques, il n’y a aucune obligation pour les victimes d’abus sexuels ou d’autres traumatismes de partager leurs témoignages avec les journalistes. « Ils ne nous doivent rien », rappelle Jenna Bourne, journaliste d’investigation au WTSP 10 à Tampa Bay, en Floride. « Ne perdez pas cette vérité de vue lors de ces entretiens. »

  • Exprimez-vous simplement, en faisant preuve d’humanité. Ne vous souciez pas de paraître professionnel dans votre reportage une fois monté ; pensez uniquement à mettre votre source à l’aise quand elle vous raconte ce qui lui est arrivé. « Abandonnez complètement votre posture de journaliste », conseille Jenna Bourne. Selon elle, il vaut mieux utiliser des mots simples du quotidien et des réponses qui montrent votre empathie avec ce genre de source. « Et bien sûr, n’oubliez jamais que vous vous adressez à des êtres humains – ne les traitez pas comme des personnages de votre reportage. »
  • Expliquez votre projet. « Dites-leur pourquoi vous étudiez ce sujet et qui y a déjà pris part », conseille Jenna Bourne. « Aidez-les à comprendre comment leur contribution pourrait faire avancer les choses, sans non plus faire de promesses excessives. »
  • Montrez-leur un cahier vierge. Lorsque vous parlez à des sources qui ont subi un traumatisme, montrez-leur d’emblée la première page vierge de votre bloc-notes, pour souligner qu’elles maîtrisent ce que vous y inscrirez, et qu’il ne s’agit en aucun cas d’un interrogatoire. “Quand j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec une personne ayant vécu un abus sexuel dans l’enfance, je voulais qu’elle sache que mes questions dépendraient de ce qu’elle voudrait bien me dire”, explique Jenna Bourne. Ismael Estrada, producteur chevronné d’ABC News, suggère aux intervieweurs télé comme radio de mémoriser les questions clés et de ne pas avoir de cahier en main du tout. « Il suffit de jeter un coup d’œil à votre producteur à la fin pour vérifier que vous n’avez rien oublié », complète Estrada. “Il est important de garder les yeux sur le sujet et de ne pas constamment vérifier vos notes.”
  • Habillez-vous simplement. Une allure trop sérieuse ou trop chic peut créer une distance entre vous et votre source. « En général, vous voulez vous habiller de manière décontractée lorsque vous écoutez quelqu’un qui a vécu quelque chose de terrible – c’est tout simplement bizarre de s’habiller trop formellement dans ce contexte-là », poursuit Jenna Bourne.
  • N’ayez pas de “réaction marquée” aux révélations. “Si votre source vous révèle quelque chose d’énorme en cours d’interview, gardez-vous de réagir de manière impulsive ou émotionnelle : une réaction du type ‘Oh mon Dieu !’ est à bannir”, explique Jenna Bourne. « Restez calme et flegmatique en toute circonstance. »

Conseils pour un entretien musclé et spontané avec un responsable politique 

Chris Papst, journaliste d’investigation principal du WBFF 45 dans l’État du Maryland, aux Etats-Unis, a partagé les leçons qu’il avait tirées d’une récente enquête révélant qu’aucun élève scolarisé dans 23 établissements de la ville de Baltimore n’était « compétent » en mathématiques l’an dernier. L’enquête a également montré que le ministère de l’Éducation de l’État avait rapidement expurgé les données publiques sur ces résultats embarrassants après la parution du rapport – il a donc fallu concevoir une stratégie prudente pour interviewer le discret fonctionnaire qui avait caché ces données. Puisque l’interview risquait de tourner court, voire d’être musclée, il a fallu réfléchir en amont à la meilleure manière d’organiser les questions.

  • Avant toute chose : préparez votre question d’ouverture. « C’est peut-être la seule question qui obtiendra une réponse avant que le responsable ne s’enfuie, alors planifiez la formulation au mot près, et répétez-la si nécessaire », conseille Chris Papst. “Anticipez la réponse qu’on pourrait vous faire, pour relancer sans attendre avec une question claire et factuelle.”
  • Prévoyez assez de questions pour un long entretien, au cas où. « La personne pourrait vous répondre : ‘D’accord, allons-nous asseoir pour en discuter' », souligne Chris Papst. « Préparez vos questions, et soyez intransigeant tout en restant poli : l’emploi de “Monsieur” ou “Madame” donne le bon ton. Ne soyez pas trop agressif, car vous risqueriez, en tant que journaliste, de faire vous-même l’actualité à la place de votre sujet.
  • Renseignez-vous sur les « issues de secours » que pourrait emprunter le responsable. Si vous réalisez un reportage filmé, Chris Papst conseille au préalable de parcourir l’endroit où aura lieu l’interview afin d’y repérer les sorties et d’y positionner des caméras pour capturer toute fuite de l’intéressé.
  • Prévoyez les limites d’une course-poursuite. « Au préalable, posez-vous les questions suivantes : ‘Allons-nous le suivre par cette porte ou par cet escalier ? Quelle ligne ne franchirons-nous pas ?’ Et assurez-vous que tous les membres de l’équipe connaissent ces limites. »
  •       Voir l’article de conseils de GIJN sur les techniques pour mener à bien des entretiens spontanés : “Comment obtenir – et réussir – un entretien musclé.

« Les sources nous sont indispensables, elles sont l’huile dans notre moteur », résume Jesse Jones. « Ne soyez pas avares de vos cartes de visite, distribuez-les à tout le monde. »

Ressources complémentaires

15 conseils pour interviewer les victimes et témoins de drames

Comment confronter les personnes citées dans votre enquête à ce que vous comptez publier


Rowan Philp est journaliste au sein de la rédaction de GIJN. Il était précédemment grand reporter du journal sud-africain Sunday Times. En tant que correspondant étranger, il a couvert l’actualité politique, économique et militaire d’une vingtaine de pays.

28.11.2023 à 12:57

Après la Suède, appels à propositions pour GIJC25 et GIJC27

GIJN

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Pour la première fois, le GIJN accepte des propositions simultanées pour accueillir ses deux prochaines conférences internationales sur le journalisme d'investigation, qui se tiendront en 2025 et en 2027.
Texte intégral (819 mots)

La conférence internationale sur le journalisme d’investigation est le premier rassemblement international de journalistes d’investigation. Organisées tous les deux ans, ces conférences ont formé des milliers de journalistes, déclenché des centaines d’enquêtes et de projets de collaboration, et joué un rôle clé dans la diffusion mondiale du journalisme d’investigation au cours des 22 dernières années. Axée sur la formation et le networking, la GIJC23 a accueilli, en septembre 2023 en Suède, un nombre record de plus de 2.100 participants venus de plus de 130 pays et territoires.

L’organisation d’un tel événement nécessite une planification intense, une collecte de fonds et des compétences opérationnelles de la part des organisateurs, mais l’effort en vaut la peine en raison du haut niveau des intervenants et des sessions du GIJC, de son impact mondial et de la façon dont l’événement met en lumière la stature des organisateurs.

GIJN accepte, dès à présent, les propositions pour accueillir les deux prochaines GIJC : la 14ème Conférence internationale sur le journalisme d’investigation, qui se tiendra en 2025, et la 15ème Conférence internationale sur le journalisme d’investigation, qui aura lieu en 2027.

Pour la première fois, en raison de l’intérêt croissant, de l’ampleur et de la complexité de cet événement, le Réseau international de journalisme d’investigation, qui supervise les conférences, accepte, dès à présent, les propositions pour accueillir les deux prochaines GIJC : la 14ème Conférence internationale sur le journalisme d’investigation, qui se tiendra en 2025, et la 15ème Conférence internationale sur le journalisme d’investigation, qui aura lieu en 2027.

Les hôtes potentiels doivent être membres de GIJN. Il est possible pour les organisations membres de s’associer et de partager le rôle d’hôte dans un pays.

La date limite pour soumettre une proposition est le 5 février 2024.

La décision concernant les hôtes des conférences de 2025 et 2027 sera prise par GIJN en consultation avec son conseil d’administration.

Les propositions seront publiées sur le site GIJN.org.

Les organisations sélectionnées pour accueillir la GIJC25 ou la GIJC27 feront équipe avec le Secrétariat de GIJN pour financer et organiser la conférence. Nous recommandons des propositions détaillées d’au moins huit pages (en format PDF) qui abordent les points suivants :

  • La stratégie de financement, y compris la capacité de l’organisation hôte à trouver des fonds et des sponsors. (Le coût moyen d’une GIJC varie entre 750 000 et 1 000 000 de dollars américains, voire plus).
  • La capacité de l’organisation hôte à obtenir un soutien local.
  • L’expérience de l’organisation hôte en matière d’organisation de conférences.
  • L’expérience de l’organisation hôte en matière de gestion.
  • Avantages de la tenue de la GIJC dans la ville proposée, y compris l’environnement, le transport, la logistique, la sécurité, l’accessibilité des visas et le coût.
  • Budget estimé pour la conférence.
  • Une description du lieu potentiel (hôtel, centre de conférence) pour la conférence.
  • L’orientation et la structure proposées pour les panels, les ateliers et les autres événements de la conférence.
  • Capacité à travailler avec le secrétariat du GIJN sur la planification, la programmation, la collecte de fonds et la logistique.

Lignes directrices pour la soumission des propositions

  1. Remplissez ce formulaire.
  2. Faites une copie de cette feuille de calcul et préparez un budget détaillé.
  3. Préparez toutes les informations relatives à la proposition (soumises dans le formulaire intégré) avec des images pertinentes du lieu potentiel de la conférence au format PDF.
  4. Envoyez par courriel la feuille de calcul du budget et le fichier PDF contenant les informations relatives à la proposition à secretariat@gijn.org.

GIJN est heureux de répondre aux questions pendant que les organisations membres préparent leurs propositions. Si vous avez des doutes ou si vous avez besoin d’éclaircissements sur les exigences, veuillez nous contacter à l’adresse suivante : secretariat@gijn.org.

 

23.10.2023 à 11:58

Astuces pour rapidement vérifier les antécédents d’un inconnu, en urgence

Rowan Philp

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Les projets d'enquête sont souvent comparés à des marathons. Mais, de temps en temps, les reporters doivent faire un sprint. Retour d'expériences de journalistes d'investigation qui, lors d'une session de la conférence sur le journalisme d'investigation en Amérique du Nord IRE23, ont partagé des conseils sur comment vérifier les antécédents de personnes peu connues, dans un délai très court.
Texte intégral (2810 mots)

Les projets d’enquête sont souvent comparés à des marathons. Mais, de temps en temps, les journalistes d’investigation doivent faire un sprint.

Outre les actualités chaudes, il peut s’agir de cas où les preuves en ligne d’un crime risquent d’être supprimées par l’auteur ou la plateforme, où un journal concurrent risque de réaliser un scoop sur un projet, où un lanceur d’alerte risque de faire l’objet d’une interdiction légale imminente ou d’intimidations visant à le contraindre au silence, où une source clé risque de ne s’engager qu’avec le premier journaliste qu’elle rencontre, et où les rédacteurs en chef accordent quelques heures aux journalistes de terrain pour corroborer un sujet d’enquête – ou pour retourner à leur travail.

Au-delà des appels aux principales sources internes, la première chose à faire est souvent d’utiliser des opérateurs booléens de base pour rechercher tout nom inconnu qui apparaît. Lors d’un webinaire d GIJN sur « Comment enquêter sur les médias sociaux« , Henk van Ess, formateur en enquêtes en ligne, a expliqué comment, en 15 minutes seulement, il a pu découvrir des informations d’une famille belge et surtout d’une personne dont le nom n’a pas été divulgué mais qui a été tuée à leur domicile dans un village suisse. Son approche rapide a consisté à placer les quelques détails connus entre guillemets dans Google, à rechercher le nom de famille populaire belge avec le préfixe « Van » dans la ville locale, via Facebook, et ensuite à trouver des sources internes en entrant des détails supplémentaires à partir de ces étapes dans LinkedIn. [Voir les nouveaux conseils de Henk pour la recherche sur LinkedIn, ici].

Lors d’une récente édition de la conférence sur le journalisme d’investigation en Amérique du Nord, l’IRE23 sur le thème « Trouver des informations sur les antécédents des personnes en une heure », Michael Biesecker, journaliste d’investigation pour l’Associated Press, Brendan McCarthy, rédacteur en chef de l’équipe d’investigation Quick Strike du Boston Globe, et Melissa Segura, journaliste d’investigation indépendante, ont échangé des conseils sur la manière de trouver des informations sur des personnes peu connues dans un délai très court.

« Nous nous sommes tous retrouvés dans une situation où une nouvelle éclate et où une course contre la concurrence s’engage pour découvrir un nom qui vient d’être mentionné lors d’une conférence de presse ou que la police vient de divulguer », a déclaré M. Biesecker. « Il existe des moyens de hiérarchiser les étapes de l’enquête ».

Parmi les ressources populaires de recherche de personnes et de connexions figurent la base de données Aleph de l’OCCRP, la plateforme en source ouverte OpenCorporates, l’application WhatsMyName qui permet de suivre les pseudonymes des réseaux sociaux à travers les services en ligne, l’outil de prédiction d’adresses Name2Email et le puissant moteur de recherche d’identité numérique PiPl, qui est payant.

Conseils rapides du panel de l’IRE en matière de rétroprojection

  • Répartissez les sujets biographiques entre les journalistes, si possible. Lors de l’émeute du Capitole du 6 janvier aux États-Unis, une équipe de Bellingcat a exploité les publications diffués en direct sur les médias sociaux à travers TweetDeck, et a chargé un journaliste d’archiver les messages Twitter, un autre de capturer les flux en direct sur Facebook, et un troisième de télécharger les clips YouTube. Les membres du panel ont déclaré qu’il doit en être de même lorsqu’il faut vérifier les antécédents d’un profil de manière urgente. « Ainsi, peut-être que je fais le profil personnel, tandis que Melissa s’occupe de la faillite ou des dossiers financiers, et que Mike recueille en même temps les antécédents associatifs ou militaires de la personne », a déclaré M. McCarthy, en faisant référence à ses co-panélistes.
  • Créez un dossier wiki dans Google Docs. En cas d’actualité brûlante, je crée immédiatement un dossier rapide – un Google Doc ouvert, ou « bloc-notes », dans lequel vous déposez toutes vos notes », explique M. McCarthy. « Ajoutez-y toutes les informations que vous avez pu obtenir pendant ces heures – sur les divorces, les adresses, les casiers judiciaires, tout. Ajoutez un lien ou une note sur l’origine de chaque information – « Ceci provient de Twitter » ; « Ceci provient du compte Instagram du suspect ». Cela permet à vos coéquipiers de dresser un tableau qui pourra être vérifié par la suite, car il s’agit d’une source ouverte pour votre équipe ».
  • Commencez par élargir votre recherche, puis recentrez-vous. « Il faut d’abord ratisser large et ensuite se plonger dans l’orbite de quelqu’un », explique M. McCarthy. « Lorsque vous plongez dans le passé d’une personne, vous vous apercevez souvent qu’une alerte rouge en entraîne une autre ». Biesecker ajoute qu’il préfère travailler de l’extérieur vers l’intérieur lorsqu’il s’agit de retracer les liens d’un suspect. « Peut-être que vous ne voulez pas que le père ou la mère soit votre première source, mais quelqu’un d’un peu plus éloigné, comme une tante ou un oncle, puis travaillez jusqu’à l’anneau central de la famille », a expliqué Biesecker. « Recherchez les amis Facebook de la personne décédée ; utilisez leurs relations sociales pour trouver des sources. Cherchez d’anciens camarades de classe.
  • Ne négligez pas les sources et les sites web évidents. « Parfois, la chose la plus évidente est le meilleur point de départ », a déclaré Mme Segura. Consultez la page « à propos » de tout site web en rapport avec l’affaire. Lorsque le submersible du Titanic a disparu, un journaliste s’est rendu sur le site du submersible OceanGate, et c’est le point de départ dont les journalistes avaient besoin pour comprendre pourquoi le navire était en grand danger. Elle ajoute : « Consultez les sections consacrées aux relations avec les investisseurs. Elles contiennent souvent des transcriptions d’appels avec des investisseurs, des états financiers. Je travaillais sur un article concernant l’efficacité des caméras corporelles, et les informations qui s’y trouvaient m’indiquaient que certaines caractéristiques ne fonctionnaient pas, et pourtant ils continuaient à les promouvoir et à les vendre à de plus en plus de municipalités à un coût élevé ».
  • Effectuez une recherche sur le nom de la personne et sa ville natale. « Vous seriez surpris de voir à quel point un nom peu commun et une petite ville peuvent vous donner des informations sur un prix décerné par le journal local, ou peut-être une notice nécrologique qui vous donnera toute la structure de la famille », a déclaré M. Biesecker.
  • En cas de crime, exploitez immédiatement leurs comptes sur les réseaux sociaux. « Surtout si la personne fait la une des journaux parce qu’elle aurait commis un crime ou une fusillade de masse, ou si elle est en état d’arrestation, recherchez immédiatement ses comptes sur les réseaux sociaux, car ils sont souvent supprimés par la police ou par la plateforme de médias sociaux », a indiqué M. Biesecker. « Recherchez leur nom sur Facebook, Twitter, Instagram, LinkedIn. »
  • Soyez le premier à contacter les proches. « Essayez d’entrer en contact le premier, car ils parleront généralement au premier journaliste qui les appelle, mais pas au cinquième ou au sixième », a expliqué M. Biesecker.
  • Essayez d’identifier et de joindre d’anciens partenaires ou conjoints. « J’adore appeler les ex des gens », s’amuse M. Biesecker. « Si vous voulez en savoir plus sur quelqu’un, parlez à son ex-conjoint ou à son ex-partenaire, et cela devrait être une priorité. S’il s’agit d’une rupture difficile, l’ex-conjoint ou l’ex-partenaire peut vous en dire beaucoup, que ce soit de manière officielle ou officieuse. Ils peuvent vous donner les noms des meilleurs amis de la personne, qui était à son mariage, qui étaient ses partenaires d’affaires ». Attention : les informations provenant de sources comme celle-ci, qui peuvent avoir des conflits d’intérêts évidents, doivent être soigneusement vérifiés ou contrôlés.
  • Faites des captures d’écran très tôt et très souvent. « Faites une capture d’écran de tous les messages pertinents de votre recherche et déposez-les directement sur votre bureau ou dans un fichier que vous aurez créé », conseille M. Biesecker. « Ne vous préoccupez pas encore d’organiser ou d’assimiler ces informations-vous êtes dans une course contre la montre, alors identifiez-les, enrégistrez-les et continuez à avancer.
  • Utilisez des outils open source pour archiver des pages web entières qui semblent importantes. « L’outil Archive Today permet d’archiver une page web entière et dispose également d’un plug-in pour Chrome », explique M. Biesecker. « Vous pouvez archiver toute la page Twitter de quelqu’un. Il a toutefois lancé une mise en garde : « L’inconvénient, c’est qu’une fois que vous l’avez archivée sur ce système, elle l’est aussi pour vos concurrents, et vous risquez donc de brader un avantage concurrentiel. » Si la personne a un site web personnel ou affilié à une entreprise qu’elle possède, M. Biesecker conseille de faire une recherche dans la WayBack Machine pour voir les versions antérieures du site. « Si une publication sur les médias sociaux a déjà été supprimée, il est possible qu’elle s’y trouve encore.
  • Appelez les greffiers des tribunaux, surtout dans les petites villes. « Cela vaut la peine de consacrer quelques minutes précieuses à essayer d’obtenir des informations auprès des greffiers des tribunaux », a déclaré M. McCarthy. « Oui, ils diront souvent qu’ils ne sont pas libres, mais, surtout dans les petites localités où les greffiers ont moins l’habitude de gérer les journalistes, ils veulent savoir ce qu’il en est. Demandez-leur : « À qui d’autre dois-je m’adresser ? ».
  • Vérifiez que les données recueillies correspondent bien à la personne dont vous établissez le profil. « Vous devez vous assurer que les dossiers que vous consultez correspondent à la bonne personne », prévient M. Biesecker. « Beaucoup de personnes portent le même nom, même dans la même ville ou dans la même famille. Le cauchemar d’un journaliste est de rapporter que quelqu’un a un casier judiciaire mais qu’il se trouve que vous rapportez le casier d’un autre Tom J. Jones par exemple. Il ajoute : « Si vous pouvez trouver une photo de la personne – soit dans un article de presse, soit sur ses réseaux sociaux ou peut-être une photo d’identité judiciaire, assurez-vous qu’elles correspondent toutes. Si vous trouvez le lieu de travail d’une personne, allez sur LinkedIn – c’est une excellente ressource, car vous pouvez ensuite rechercher des personnes dans le même service ou la même entreprise. Essayez d’envoyer des messages directs à leurs collègues, ce qui enverra des notifications à leur à leur adresse électronique professionnelle, ce qui est un excellent moyen d’obtenir une réponse.
  • Utilisez les bases de données juridiques disponibles dans votre pays pour trouver des casiers judiciaires et des dossiers de poursuites. « Aux États-Unis, par exemple, vous pouvez utiliser la base de données judiciaire PACER », explique M. Biesecker. « Et recherchez les procès civils. Celles-ci vous permettront de connaître les accusations portées contre la personne et révèleront souvent des partenaires commerciaux mécontents. Vous pouvez voir qu’un différend les opposait. Les dossiers de sociétés ou d’entreprises peuvent vous donner le nom des partenaires commerciaux ».
  • Vérifiez son éventuel passé militaire – et assure-vous de l’exactitude des faits. « Si la personne a servi dans l’armée [américaine], vous pouvez généralement appeler le ministère de la défense ; l’attaché de presse doit confirmer la branche de service et généralement les dates de service », a déclaré M. Biesecker. « Il y a souvent des cas de fausses prétentions – des personnes qui prétendent faire partie des forces spéciales, alors qu’elles étaient en réalité cuisinier.e.s sur un navire. Vous seriez étonné de voir combien de fois les gens exagèrent le dossier de leur service militaire ».

Astuces pour se préparer à respecter les délais stricts

  • Dressez une liste des principaux contacts officieux qui répondront à votre texte. Établissez une liste de sources bien placées dans les principaux domaines de l’actualité, que vous avez rencontrées en personne, telles que des représentants des forces de l’ordre, des procureurs nationaux et locaux, ainsi que des experts en gestion de crise, en aviation, en santé publique, en réponse au terrorisme et en gestion des élections. Ces sources peuvent être occupées dans les premières heures qui suivent un incident, alors posez les questions clés qui guideront votre recherche – un nom, l’étendue du préjudice et une première évaluation (« s’agit-il d’un acte terroriste ou d’un crime de haine ? ») – dans un seul message textuel off-the-record.
  • Apprenez à utiliser les médias sociaux alternatifs et marginaux. « Si la personne semble affiliée à un groupe d’extrême-droite, il faut se tourner vers les réseaux sociaux alternatifs », explique M. Biesecker. « So, Parler, Telegram, Gab, 8kun, VK, qui est la version russe de Facebook, très populaire parmi les suprémacistes blancs. Essayez de vous familiariser avec certains de ces sites à l’avance et apprenez à utiliser les outils de recherche. »
  • Essayez la base de données LexisNexis Public Records. Avec plus de 80 milliards d’archives publiques provenant de dizaines de pays, y compris des comptes sur les réseaux sociaux, des numéros de téléphone portable et des données sur l’emploi et les faillites, le système payant LexisNexis Public Records est une mine d’or potentielle. Si votre rédaction est abonnée, ou si vous pouvez y accéder par l’intermédiaire de votre bibliothèque universitaire ou d’une grande bibliothèque, ce système offre également de vastes archives consultables, des articles publiés dans les médias du monde entier. « Il vous donnera le nom complet de la personne, son âge, ses éventuels numéros de téléphone portable, des membres de sa famille et même ses voisins immédiats », explique M. Biesecker. « Il vous dira si la personne est en faillite ou si elle a un privilège, ses récents antécédents professionnels, ses licences professionnelles, et bien plus encore. »
  • Au préalable, apprenez les étapes juridiques précises qui suivent les arrestations. « Comprenez comment fonctionnent les premières comparutions et les mises en accusation, comment fonctionnent les rôles, quels documents sont mis sous scellés et quand les scellés sont levés », a ajouté M. McCarthy.

23.10.2023 à 11:56

Stratégies de survie pour les médias d’investigation en exil – et pour tout média indépendant

Laura Oliver

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Ces dernières années, les régimes autocratiques et les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse ont contraint les journalistes indépendants et les rédactions à s'exiler à une fréquence alarmante. Les fondateurs et les rédacteurs en chef de trois rédactions en exil de Bangladesh, de Russie et de Venezuela ont partagé leurs stratégies de survie.
Texte intégral (1929 mots)

Du Myanmar au Venezuela, de la Russie au Bangladesh, des médias d’investigation indépendants sont contraints à l’exil par des régimes autoritaires.

Qu’il s’agisse de menaces légales ou de sites web bloqués, la décision de travailler en exil est une décision prise dans le but de continuer à enquêter et à publier, à faire du journalisme – mais cela représente un coût personnel énorme, entraîne un stress émotionnel et physique, et peut désorganiser les modèles opérationnels et commerciaux précédents lorsque le personnel et les rédactions changent de pays.

Lors de la 13e Conférence internationale sur le journalisme d’investigation (#GIJC23), Polina Machold, éditrice du site d’information d’investigation Proekt, anciennement basé en Russie, et la journaliste bangladaise en exil Tasneem Khalil, fondatrice de Netra News, basée en Suède, ont partagé leur expérience de première main en matière de gestion d’une rédaction en exil, de modèle d’affaire, de personnel et de stratégies éditoriales nécessaires pour survivre – et livrer des enquêtes hors du commun.

Préparez-vous pour les situations de crise

Tous les intervenants ont recommandé la mise en place d’un plan d’action d’urgence, avant même qu’une crise ne se produise, couvrant ce qui se passe si un journaliste est arrêté, si votre journal fait l’objet d’une cyberattaque, si vous devez déménager ou si vous devez faire face à d’autres scénarios d’urgence. Basez ce plan sur votre évaluation des risques juridiques, financiers, physiques et numériques, et mettez-le à jour régulièrement, a déclaré Mme Machold.

Pensez à ce que serait le « dernier signal » avant de mettre en œuvre ce protocole d’urgence, a-t-elle ajouté. Pour Proekt, ce moment est venu lorsqu’il est devenu le premier média russe à être qualifié d’organisation « indésirable » par l’État en juin 2021. Le média a enclenché son plan d’urgence et pris les mesures immédiates suivantes :

  • Il a transféré des personnes hors de Russie en toute sécurité.
  • Il a fermé son entité juridique.
  • Il a débloqué un fonds d’urgence qu’elle avait économisé.
  • Les systèmes de donations à l’instar du crowdfunding – qui pourraient mettre en danger les donateurs potentiels – ont été interrompus.
  • Il a demandé de l’aide à ses partenaires.
  • Un bureau a été ouvert dans un nouvel endroit.

Ensuite, prenez votre souffle et réfléchissez à ce que vous allez faire, a déclaré Mme Machold : « Préparez un protocole d’urgence même si vous ne pensez pas risquer l’exil. »

La relocalisation et votre réseau en exil

Une partie de votre plan d’urgence doit prévoir que tous les passeports et visas du personnel soient à jour et prêts à être utilisés. Proekt s’était initialement installé en Géorgie, mais certains membres de l’équipe s’étant vu refuser l’entrée sur le territoire après des voyages professionnels, son personnel en exil travaille aujourd’hui à partir de cinq ou six endroits différents. Selon Mme Machold, le maintien de la proximité géographique peut être utile sur le plan opérationnel et stimuler le moral des employés.

Lorsque vous planifiez votre fonds d’urgence, prévoyez de l’argent pour aider les personnes qui déménagent – pour le loyer, les taxes et d’autres coûts logistiques. La location d’un bureau pour le média délocalisé peut également aider les membres de l’équipe à se sentir en sécurité et à mieux gérer la transition.

Apprenez les codes de conduite et les exigences légales et commerciales du pays dans lequel vous avez déménagé, ajoute Khalil de Netra News : « Oubliez que vous êtes une rédaction en exil ; à toutes fins utiles, vous êtes un média du pays dans lequel vous êtes basé ».

Développer un réseau d’amis et d’alliés internationaux peut également aider les médias en exil à survivre. Netra News a reçu un avis de retrait de Facebook quelques heures seulement après son lancement en décembre 2019 ; quelqu’un avait envoyé à Facebook une dénonciation basée sur un frauduleux droit d’auteur, pour demander que la page de Netra News soit retirée, a déclaré Khalil. En contactant l’un des meilleurs experts en cybersécurité des États-Unis, ils ont pu résoudre le problème. La mise en relation avec des fondations et des organisations de médias telles que Citizen Lab, Access Now et Qurium – qui fournit également un hébergement sécurisé – peut constituer une bouée de sauvetage.

Gérer le représailles

Bien entendu, le fait de quitter son pays d’origine ne signifie pas que l’on va cesser d’enquêter sur les personnes ou les régimes qui ont conduit à l’exil. Cela ne signifie pas non plus qu’ils vont cesser de s’en prendre à votre rédaction. Préparez-vous à la riposte, a déclaré M. Khalil. Attendez-vous à recevoir des avis de retrait de vos plateformes en ligne et de faux avis de violation des droits d’auteur. Dans le cas de Netra News, les enquêtes sur la rédaction ont été menées par des médias pro-régime.

Le site web de Netra est bloqué au Bangladesh ; Netra News utilise un service de site miroir de Google pour atteindre son public dans ce pays. Pour bloquer ce service, le gouvernement du Bangladesh devrait bloquer une grande partie de l’infrastructure de Google.

« Utilisez le pouvoir de votre adversaire contre lui », a déclaré M. Khalil. Fin décembre 2019, Netra News a publié une enquête sur les montres de luxe d’un éminent ministre du gouvernement du Bangladesh. Le gouvernement a réagi en interdisant son site web dans le pays – une décision qui a été relayée par les médias internationaux. « Personne ne connaissait Netra News avant cela », a déclaré M. Khalil. « En bloquant notre site web, le gouvernement nous a offert notre plus grande victoire en matière de relations publiques.

Faire de la sécurité une priorité

« N’y voyez pas de la paranoïa : vous êtes des journalistes d’investigation. Vous êtes en danger quel que soit le pays où vous vous trouvez », a déclaré Mme Machold, de Proekt.

Proekt's Police Machold discusses her organization's departure from Russia.

Polina Machold, éditrice de Proekt, évoque la décision de son organisation de quitter la Russie après avoir été prise pour cible par le Kremlin. Image : Smaranda Tolosano pour le GIJN

Redéployez les anciennes technologies – en particulier pour les médias travaillant dans un environnement hostile – et envisagez d’utiliser des téléphones jetables ou à usage ephemère, par exemple.

Dans un plan d’urgence et au-delà, prenez en compte la sécurité des personnes connectées à votre rédaction, de l’audience et des partenaires aux familles des membres de l’équipe. « Donnez toutes les ressources possibles à un journaliste pour qu’il puisse évaluer les risques », a déclaré Mme Machold. « Je ne peux pas décider à la place d’un rédacteur s’il doit travailler sur un article ou non. »

Proekt travaille toujours avec des pigistes en Russie, et réfléchit donc soigneusement à la manière dont il les paie pour s’assurer que ces transactions ne permettront pas aux autorités russes de les identifier comme des personnes travaillant avec un média interdit. Les paiements via des crypto-monnaies pourraient être envisagés, mais uniquement s’ils permettent d’anonymiser les paiements. Il conviendrait de mettre en place un système impliquant plusieurs contacts « isolé du réseau » pour acheminer l’argent aux freelances – où chaque maillon de la chaîne de paiement ne sait pas qui est impliqué dans l’étape suivante du transfert.

Réutiliser et recycler

Lorsqu’il s’agit d’outils d’investigation et de publication, il est préférable d’utiliser des sources ouvertes et de faire du recyclage « votre meilleur ami », a déclaré M. Khalil. « Vous n’avez pas les poches profondes d’un journal traditionnel », a-t-il déclaré. « Vous devez trouver des choses que vous pouvez réutiliser – des modèles de vidéos, des collections de musique. Vous n’avez pas le budget nécessaire pour tout faire à partir de zéro. »

Repenser la relation avec votre audience

L’exil peut modifier le public que vous pouvez ou voulez atteindre. Pour Proekt et Netra News, atteindre le public et les décideurs dans leur pays d’origine reste la priorité. Proekt a perdu ses canaux de distribution vers ce public du jour au lendemain lorsque la Russie l’a contraint à déménager et a bloqué son site web. Il utilise désormais YouTube et Telegram pour contourner la censure et les restrictions et atteindre un public de leur pays.

Bien qu’opérant depuis la Suède, Netra News a un public unique en tête, a déclaré Khalil : « Un briefing du Premier ministre du Bangladesh [sur un article de Netra] leur a fait dire « Voilà ! » Si nous pouvons maintenir cette concentration, nous produirez des articles percutants à fort impact. »

Les moments de crise, tels qu’un raid dans votre journal, la fermeture d’un site web ou une délocalisation forcée, peuvent être des moments propices pour demander le soutien de votre public, s’il est possible de le faire en toute sécurité. Il vous faudra peut-être proposer des modes de paiement qui n’exposent pas les donateurs à un risque d’identification.

« Cela vous permet non seulement d’obtenir un revenu supplémentaire, mais aussi de montrer l’importance de votre travail », a déclaré Mme Machold.

 

21.09.2023 à 23:47

Des enquêtes menées au Nigeria, au Venezuela, en Afrique du Sud et en Macédoine du Nord remportent les Global Shining Light Awards à GIJC23

Aïssatou Fofana

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Des enquêtes sur l’exploitation minière illégale au Venezuela, le banditisme systémique dans le nord-ouest du Nigeria, la brutalité policière en Afrique du Sud et l’affairisme autour du COVID-19 en Macédoine du Nord ont remporté les Global Shining Light Award (GSLA), lors de la 13e Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (GIJC23). Le concours Global Shining […]
Texte intégral (3623 mots)

Des enquêtes sur l’exploitation minière illégale au Venezuela, le banditisme systémique dans le nord-ouest du Nigeria, la brutalité policière en Afrique du Sud et l’affairisme autour du COVID-19 en Macédoine du Nord ont remporté les Global Shining Light Award (GSLA), lors de la 13e Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (GIJC23).

Le concours Global Shining Light Award 2023 a suscité un nombre record de 419 candidatures provenant de 84 pays.

Le prix récompense des productions de journalisme d’investigation réalisées, dans les pays en développement ou en transition, dans des conditions périlleuses ou sous une quelconque forme de menace. Ouvertes aux enquêtes publiées ou diffusées en 2021 et 2022, les candidatures mettant en exergue le courage et dont les enquêtes ont eu un impact remarquable, dans des environnements médiatiques hostiles ont été si nombreuses que le jury a choisi de décerner des mentions spéciales à deux projets supplémentaires : une enquête sur une prison secrète au Bangladesh, et une autre sur des charniers en Ukraine.

Les co-lauréats annoncés dans la catégorie Médias de taille petite ou moyenne (pour les organisations comptant 20 employés ou moins, y compris les indépendants) ont été : Bad Blood, de l’Investigative Reporting Lab (Macédoine du Nord), et Above the Law, de Viewfinder (Afrique du Sud). Les co-lauréats pour la catégorie Médias de grande taille sont The Bandit Warlords of Zamfara, de BBC Africa Eye (Nigéria), et Corredor Furtivo, d’Armando.Info (Venezuela) et El Pais (Espagne). Des mentions spéciales GSLA ont été décernées à How Volunteers Buried Civilians en Masse in Izium, de Radio Liberty/Schemes (Ukraine) et Secret Prisoners of Dhaka, par Netra News (Bangladesh).

Les gagnants de ce concours biennal ont été annoncés lors d’un gala de remise des prix le jeudi 21 septembre à GIJC23, à Göteborg, en Suède. Les lauréats ont été félicités par le directeur exécutif sortant du GIJN, David E. Kaplan, et par la directrice adjointe du GIJN, Gabriela Manuli.

Au total, le concours Global Shining Light Awards 2023 a suscité un nombre record de 419 candidatures provenant de 84 pays. Le jury a choisi les quatre gagnants du GSLA et attribué deux certificats parmi une douzaine de finalistes de 11 pays, dans les deux catégories. Les gagnants recevront chacun une plaque et 2 500 dollars US ; Les lauréats du certificat recevront une plaque et 1.000 dollars US.

Le jury était composé de journalistes d’investigation chevronnés représentant cinq régions du monde : Sheila Coronel, professeur de journalisme d’investigation à la Graduate School of Journalism de l’Université de Columbia ; David Leigh, ancien rédacteur en chef d’investigation du Guardian ; Benon Oluka, rédacteur en chef de GIJN Africa ; à noter également, la journaliste mexicaine Marcela Turati ; et Oleg Khomenok, formateur ukrainien en développement des médias.

Les équipes lauréates de cette année se sont concentrées sur des questions telles que la violence perpétrée en toute impunité, l’affairisme au détriment de patients atteints du COVID-19 et les violations cachées sur l’environnement – et les ont poursuivies souvent sous de graves menaces.

« Les lauréats des Global Shining Light Awards renouvellent notre espoir que la tradition du journalisme d’investigation reste vivante, même dans les endroits les plus dangereux et les plus hostiles », a noté Coronel, présidente du jury. « C’est une période dangereuse pour être un journaliste d’investigation et nos lauréats ont montré qu’avec du courage, des compétences et le soutien des citoyens, il est possible de réaliser des enquêtes novatrices et à fort impact malgré les risques. Nous saluons les lauréats de cette année. Ils sont une source d’inspiration pour nous tous. »

M. Kaplan de GIJN a partagé le même enthousiasme. « Malgré tous les obstacles auxquels sont confrontés les journalistes d’investigation du monde entier, nos collègues accomplissent un travail extraordinaire, même dans les conditions les plus difficiles », a-t-il déclaré. « Ce que montrent ces projets impressionnants, c’est que non seulement le journalisme d’investigation refuse de disparaître, mais nous devenons plus nombreux et mettons davantage en lumière certains des endroits les plus difficiles du monde.»

Les équipes lauréates de cette année se sont concentrées sur des questions telles que les violences perpétrées en toute impunité, l’affairisme au détriment de patients atteints de la COVID-19 et les abus cachés sur l’environnement, et les ont poursuivies souvent dans des conditions marquées par de graves menaces.

Les enquêtes gagnantes ont fait pruev d’une grande variété de méthodologies de recherche, depuis la cartographie avancée des données par Armando.Info et le travail de collecte documentaire acharné par l’Investigative Reporting Lab jusqu’aux entretiens en solo avec des milices par un pigiste pour BBC Africa Eye, ou l’utilisation d’une moto tout-terrain pour y accéder.

Catégorie Médias de petite taille

Co-lauréats

Bad Blood —  Investigative Reporting Lab (Macédoine du Nord)

Image : Capture d’écran, YouTube, Investigative Reporting Lab

Équipe : Sashka Cvetkovska, Elena Mitrevska Cuckovska, Maja Jovanovska, Dajana Lazarevska, Lila Karatasheva, David Ilieski, Trifun Sitnikovski, Trajche Antonovski, Atanas Velkovski, Gorjan Atanasov, Mladen Pavleski, Vlatko Vladimirov, Luka Blazev, Denica Chadikovska, Martina Siljanovska, Sergej Sarchevski , Bojan Stojanovski, Aleksandra Denkovska et Ivana Nasteska.

Dans le cadre de l’une des enquêtes les plus ambitieuses sur un affairisme lié au COVID-19, une équipe de journalistes composée exclusivement de femmes, a décidé d’enquêter sur les décès, les traitements et la facturation des patients liés au coronavirus dans l’hôpital privé le plus prestigieux de la Macédoine du Nord.

Après des mois d’enquêtes sous plusieurs angles parallèles, l’Investigative Reporting Lab (une organisation locale, membre de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project), a découvert que l’hôpital avait effectué des traitements de purification du sang non autorisés et dangereux sur de nombreux patients, tout en dissimulant des informations vitales sur les patients et aurait manipulé les données d’infection.

Une caractéristique frappante des efforts de cette équipe était que ses journalistes n’ont pas été pas découragées par la profonde complexité technique des traitements contre le COVID-19 et par le déluge de discours médicaux obscurs de la part des dirigeants de l’hôpital. Les journalistes et une rédactrice en chef ont été victimes d’un vaste campagne de harcèlement en ligne, de diffamations sexistes et de menaces de mort. Un membre du jury a déclaré : « Cette enquête a eu un impact, et la façon dont elle a été menée était marquée par une détermination et des recherches en profondeur. » Un autre membre du jury a ajouté : « je pense que certaines personnes n’ont pas pris les demandes de ces journalistes trop au sérieux – et ensuite elles ont marqué le coup ! »

Co-Lauréats

Above the Law (au dessus de la loi) – Viewfinder (Afrique du Sud)

Image : Capture d’écran, Viewfinder

Journaliste : Daneel Knoetze.

Comme beaucoup de d’investigations classiques qui ont un impact durable, cet article met l’accent sur les défaillances institutionnelles plutôt que sur les fautes commises par des fonctionnaires individuels. Cette série d’enquêtes pluriannuelles a révélé un manque stupéfiant de responsabilisation des policiers sud-africains impliqués dans des crimes tels que le viol, la torture, l’agression et même le meurtre, ainsi qu’un système qui permet aux policiers malhonnêtes de récidiver.

Elle a également relevé des responsabilités des individus, malgré le risque constant de représailles. Fait remarquable, Viewfinder – une organisation de presse à but non lucratif de petite taille – a également créé une base de données publique unique et facilement consultable de dizaines de milliers de plaintes enregistrées concernant des abus de la police. Un juge a déclaré : « Cela a été une enquête très intenses : « Cette enquête est très approfondie, la narration est bonne et, dans chaque phrase presque, vous voyez un lien vers les preuves fournies par le journaliste – toutes sortes de documents. »

Mention spéciale

Prisonniers secrets de DhakaNetra News (Bangladesh)

Image : Capture d’écran, YouTube, Netra News

Equipe : Quatre journalistes qui ne peuvent être nommés pour des raisons de sécurité, ainsi que Tasneem Khalil, Nazmul Ahasan, Zulkarnain Saer Khan et David Bergman.

Au bout d’un travail remarquable de journalisme d’investigation, Netra News – une rédaction à but non lucratif en exil, basée en Suède et qui publie à destination du public bangladais – a révélé l’existence d’un centre de détention secret abritant un large éventail de dissidents et de suspects criminels à Dhaka, la capitale du pays. Ce documentaire d’investigation, qui a été visionné plus d’un million de fois, comprend des témoignages d’anciens détenus, des vérifications d’officiers militaires actuels et des photographies des conditions de détention exiguës et inhumaines.

L’un des membres du panel a fait remarquer que Netra News « raconte des histoires non connues dans le pays et est toujours menacée par les autorités. Cet article a révélé l’existence d’une « cellule de torture » de l’armée bangladaise, ce qui est, en tout état de cause, l’exemple le plus courageux du journalisme bangladais ».

Catégorie Médias de grande taille

Co-lauréats

Corredor Furtivo (Corridor furtive) — Armando.Info (Vénézuéla) and El Pais (Espagne)

Image : Capture d’écran, Armando.Info

Equipe : Joseph Poliszuk, María de los Ángeles Ramírez, and María Antonieta Segovia.

Ce projet épique a fait appel à une cartographie de données sophistiquée, à des sources d’information innovantes et à des enquêtes de terrain courageuses pour révéler un vaste réseau d’exploitations minières illégales au Vénézuéla et les menaces qu’elles font peser sur l’environnement et les communautés indigènes.

Publié simultanément par Armando.info et le quotidien espagnol El Pais, avec le soutien du Pulitzer Center, le projet a permis de cartographier 3 718 sites d’exploitation minière illicite sur une zone deux fois plus grande que l’Allemagne, et de mettre en évidence les itinéraires empruntés par les bandes criminelles organisées transfrontalières. L’équipe a utilisé des outils d’intelligence artificielle, des bases de données, un programme de suivi par satellite et des enquêtes physiques sur les routes forestières lointaines pour raconter une histoire qui comprenait également des graphiques puissants.

Un membre du jury a noté que « cette enquête nous emmène là où le journalisme va – et c’était une tâche si immense qu’ils ont utilisé l’IA pour déchiffrer une histoire que nous n’aurions pas connue, autrement ». Un autre membre du jury a noté ce qui suit : « Oui, ils ont utilisé des outils tels que l’intelligence artificielle :  mais il y avait aussi la menace de la guérilla et des gangs de narcotrafiquants – c’était donc un travail difficile et dangereux ; c’était vraiment courageux.

Co-lauréats

The Bandit Warlords of Zamfara (les chefs de milice de Zamfara – BBC Africa Eye (Nigeria)

Image : Capture d’écran, YouTube, BBC Africa

Equipe : Yusuf Anka, Tom Saater, Jamil Mabai, Daniel Adamson, Kai Lawrence, Bulama Bukarti, Tom Roberts.

Il arrive que, de temps en temps, un travail journalistique vienne réveler au monde en entier, un autre monde caché qui devrait profondément nous inquiéter. Au cours d’une enquête de deux ans d’une bravoure stupéfiante, BBC Africa Eye a révélé le conflit et le banditisme omniprésents qui ont embrasé l’État de Zamfara, dans le nord-ouest du Nigeria.

Pour la première fois, elle a également montré les motifs et les causes d’un conflit qui a tué des centaines de personnes en 2022 et en a déplacé des centaines de milliers d’autres. L’enquête était centrée sur l’accès unique aux seigneurs de la guerre et aux victimes obtenu par un journaliste qui a traversé des routes dangereuses à moto pour mener des interviews tout aussi périlleuses.

Selon BBC Africa Eye : « Au péril de sa vie, un jeune journaliste nigérian et étudiant en droit, Yusuf Anka, s’est rendu chez des chefs de milices dans des zones isolées à travers l’État – y compris à l’un des hommes qui, en février 2021, a enlevé près de 300 filles dans un lycée de Jangebe ».

« C’est un excellent travail, avec le journaliste qui va d’un côté à l’autre, nous donnant le contexte – incroyable », a fait remarquer un membre du jury du Global Shining Light Awards. Un autre membre du jury a ajouté : « Il a fait preuve d’un courage extraordinaire en se rendant au cœur du conflit entre les groupes ethniques au Nigeria, et il était sur les lieux presque dès que certains événements se sont produits. Il nous a vraiment emmenés au cœur d’une histoire que je n’ai vu personne d’autre raconter ».

Mention spéciale

Comment des volontaires ont enterré des civils en masse à IziumRadio Liberty/Schemes (Ukraine)

Image : Capture d’écran, Radio Liberty/Schemes

Equipe : Kira Tolstyakova, Valeriya Iegoshyna, Nataliya Sedletska, Kyrylo Lazarevych, Pavlo Melnyk, Maksym Asyka, Heorhii Shabaiev, and Anna Peterimova.

Schemes, un projet d’investigation du service ukrainien de Radio Liberty, a soumis au Global Shining Light Award, un certain nombre d’excellentes sujets sur des crimes de guerre russes présumés, qui ont toutes été réalisées dans des conditions éprouvantes.

Le jury a choisi comme finaliste une investigation de Schemes qui, non seulement a révélé l’origine de charniers dans la région de Kharkiv, mais a également trouvé des preuves de tortures de civils et identifié les brigades d’occupation russes qui se chevauchent et qui sont à l’origine de ces violations systématiques des droits de l’homme.

Les journalistes ont même révélé des conversations dans lesquelles des soldats russes discutaient de leurs crimes. Cette enquête a utilisé des documents et des outils de sources ouvertes, avec une histoire émotionnellement forte, et s’est articulée autour d’entretiens avec des volontaires qui ont dû enterrer des centaines de compatriotes ukrainiens.

« Cette enquête a vraiment montré le drame du meurtre de civils, ce qui est important. Il s’agit d’un groupe de journalistes qui ont travaillé comme une seule salle de rédaction – chargée de couvrir des parties de l’Ukraine désoccupée – et qui ont révélé des crimes et même les unités militaires russes impliquées », a relevé un membre du jury.

Rowan Philp est journaliste au GIJN. Rowan était auparavant Rédacteur en chef pour le Sunday Times d’Afrique du Sud. En tant que correspondant à l’étranger, il a couvert l’actualité, la politique, la corruption et les conflits dans plus d’une vingtaine de pays à travers le monde.

 

 

21.09.2023 à 10:58

Cybersurveillance : Comment les journalistes d’investigation peuvent lutter

Rowan Philp

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Lors de la 13ème Conférence mondiale sur le journalisme d'investigation (#GIJC23) à Göteborg, en Suède, le fondateur et directeur de l'unité de recherche sur la cybersécurité Citizen Lab à l'université de Toronto, Ron Deibert, a exposé les menaces de surveillance qui pèsent sur les journalistes d'investigation partout dans le monde, et les leviers pour lutter.
Texte intégral (2168 mots)

Lors de la 13ème Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (#GIJC23) à Göteborg, en Suède, le fondateur et directeur de l’unité de recherche sur la cybersécurité Citizen Lab à l’université de Toronto, Ron Deibert, a exposé les menaces de surveillance qui pèsent sur les journalistes d’investigation partout dans le monde, et les leviers pour lutter.

Le plus grand rassemblement de journalistes d’investigation jamais organisé a lancé l’alerte mercredi 20 septembre 2023 : les journalistes sont confrontés à une épidémie de cyber-espionnage et ils doivent passer à l’offensive pour faire rendre des comptes aux acteurs malveillants qui cherchent à saper la sécurité numérique.

Dans un discours d’ouverture qui a fait autorité lors de la 13ème Conférence mondiale sur le journalisme d’investigation (#GIJC23) en Suède, Ron Deibert, fondateur et directeur de l’unité de recherche sur la cybersécurité Citizen Lab à l’université de Toronto, a exposé une multitude de menaces de surveillance secrète – pilotées par une nouvelle industrie d’espionnage commercial – qui rendent désormais vulnérables pratiquement tous les journalistes indépendants et toutes les sources dans le monde.

Il a également témoigné du travail de police scientifique que Citizen Lab a effectué pour révéler l’espionnage clandestin de nombreux journalistes dans le monde, y compris des cas où les caméras des smartphones des reporters ont été discrètement détournées. La même menace pèse sur les dissidents, la société civile ou toute autre personne ciblée par des attaques.

« Je suis très inquiet de la situation actuelle. La « nouvelle normalité », ce sont des sociétés de surveillance ‘mercenaires’ qui ne sont quasiment pas réglementées et qui vendent leurs services aux pires sociopathes du monde », a averti Ron Deibert en précisant que de nombreux gouvernements démocratiques étaient également des clients enthousiastes de ces sociétés d’espionnage.

Il a qualifié certains outils de piratage et de géolocalisation développés par le secteur privé et déployés par les gouvernements de si puissants qu’il n’y a pas grand-chose à faire pour empêcher qu’un téléphone soit secrètement retourné contre son propriétaire.

Ron Deibert Citizen Lab keynote speech GIJC23

Image: Ron Deibert du Citizen Lab à GIJC23. Image: Rocky Kistner for GIJN

« Alors qu’auparavant, il fallait cliquer sur quelque chose, la dernière version du logiciel espion Pegasus ne nécessitait aucune interaction avec la victime », a-t-il expliqué. « À un instant T, votre téléphone n’est pas infecté et l’instant d’après, un despote écoute vos communications, et vous n’avez aucune idée que c’est le cas ».

Ron Deibert a recommandé aux journalistes d’investigation possédant un iPhone d’activer immédiatement le nouveau « mode verrouillage » (« lockdown mode ») d’Apple, qui permet de protéger les appareils contre des cyberattaques, rares mais sophistiquées, et de demander une analyse plus poussée s’ils reçoivent des notifications d’Apple faisant état de violations présumées.

Avec si peu de possibilités de se défendre, Ron Deibert a estimé que les journalistes feraient mieux de passer à l’offensive : non seulement en dénonçant les développeurs commerciaux et leurs clients gouvernementaux, mais aussi en remettant en question l’écosystème du capital de surveillance dans lequel « nous sommes tous traités comme du bétail pour les fermes à data des entreprises de médias sociaux ».

Faire face à l’industrie de la surveillance numérique

Organisée par le Global Investigative Journalism Network (GIJN), le Fojo Media Institute de l’université Linnaeus et le Föreningen Grävande Journalister, la conférence de Göteborg réunit toute la semaine 2.138 journalistes d’investigation et rédacteurs en chef de 132 pays, ce qui en fait le plus grand rassemblement de journalistes d’investigation jamais enregistré.

Ron Deibert a déclaré à l’auditoire de la session plénière que les smartphones dont dépendent les journalistes sont devenus « votre plus grande source d’insécurité » du fait de l’industrie des logiciels espions mercenaires.

Cette industrie, a-t-il expliqué, va des grandes sociétés d’espionnage – souvent composées d’anciens agents des agences de renseignement nationales et d’experts en logiciels – aux petites sociétés de « piratage à louer » « qui utilisent des méthodes de cybercriminalité traditionnelles pour piéger les gens ».

Citizen Lab s’est imposé comme un acteur de premier plan dans la lutte contre la censure ciblée et la surveillance numérique de la société civile. Ses analyses judiciaires ont mis au jour des attaques menées au Mexique, en Chine, aux Émirats arabes unis et en Ukraine, et ont joué un rôle clé dans la révélation de la prolifération mondiale de systèmes de surveillance clandestins tels que Pegasus et Circles. Leurs chercheurs aident activement les journalistes dans leurs grands projets d’investigation.

Ron Deibert a également donné un compte rendu de l’enquête sur le récent piratage par logiciel espion de Galina Timchenko, cofondatrice du média indépendant russe en exil Meduza. Le 22 juin, Galina Timchenko a reçu une notification d’Apple l’informant que des cyberespions parrainés par l’État avaient peut-être pris son iPhone pour cible. Elle a alors demandé conseil au groupe de défense des droits civiques numériques Access Now, qui a ensuite contacté Citizen Lab.

Ron Deibert parlant de l’espionnage qui a visé la journaliste de Meduza, Galina Timchenko. Image: Rocky Kistner for GIJN

« Nous avons analysé son téléphone et déterminé qu’il avait été piraté par Pegasus un jour avant qu’elle n’assiste à une réunion à Berlin », a révélé Ron Deibert.

« Bien que nous ne puissions pas dire avec certitude qui l’a fait, une agence quelque part sait maintenant que cet espionnage a été partiellement exposé. Seule une véritable enquête indépendante et impartiale, habilitée à exiger la production de documents, permettrait de faire toute la lumière sur cette affaire. Mais ne retenez pas votre souffle pour cela ».

Il ajoute : « Entre-temps, d’autres journalistes russes en exil ont signalé qu’ils avaient, eux aussi, reçu des notifications d’Apple. Nous en saurons probablement davantage dans les semaines et les mois à venir.

Selon Ron Deibert, ce cas en Allemagne souligne le fait alarmant que la surveillance est désormais une menace quasi invisible presque partout. « Les gens fuient les persécutions et la répression pour se réfugier dans un pays démocratique libéral, mais ils découvrent qu’ils ne sont pas pour autant en sécurité », a-t-il averti.

Ron Deibert a expliqué que la surveillance prenait parfois la forme d’attaques massives ciblées. « Une bonne partie de la rédaction d’Al Jazeera a été piratée avec Pegasus, y compris les téléphones personnels de nombreux producteurs et journalistes. « Il y a aussi la rédaction d’El Faro au Salvador, où nous avons découvert 35 journalistes dont les téléphones ont été piratés par l’administration.

Selon lui, l’une des premières attaques Pegasus documentées – visant la journaliste mexicaine Carmen Aristegui en 2015 – illustre à la fois l’acharnement du piratage ciblé et la nécessité déprimante pour les journalistes de s’inquiéter des téléphones de leurs proches.

« Les opérateurs du logiciel espion étaient tellement déterminés à accéder à son appareil qu’ils lui ont envoyé des dizaines de messages pour l’inciter à cliquer sur un lien malveillant », explique-t-il. « Lorsque cela n’a pas fonctionné, ils se sont tournés vers son fils, alors mineur et scolarisé dans un internat aux États-Unis. Ils se sont même fait passer pour l’ambassade des États-Unis afin de l’inciter à cliquer sur le lien. Malheureusement, ce type de ciblage relationnel est assez courant. Vous devez donc également penser à la sécurité de tous les membres de votre réseau familial et de votre réseau social ».

Cependant, Ron Deibert a déclaré qu’il y avait des développements positifs pour contrer cette menace mondiale.

« Tout d’abord, nous devons nous rappeler que le journalisme d’investigation, les révélations et tout ce que nous réalisons ensemble ici peuvent avoir un impact considérable – nos collaborations méritent vraiment d’être célébrées », a-t-il déclaré. « En 2021, nous avons prévenu Apple, qui a publié une mise à jour de sécurité qui était excellente. Mais Apple, à notre grande surprise, est allé plus loin. Ils ont dit qu’ils allaient commencer à notifier les personnes ciblées. Ces notifications ont en quelque sorte secoué l’arbre, et les fruits tombent maintenant dans le monde entier, ce qui nous a permis, ainsi qu’à d’autres, de faire de nouvelles découvertes. Ils ont introduit le « mode verrouillage », et l’installation de cette fonction est la meilleure chose que vous puissiez faire dès maintenant ».

Ron Deibert a déclaré que les gouvernements d’Europe et d’Amérique du Nord commençaient également à prendre des mesures importantes pour limiter le recours au cyberespionnage commercial.

« Cela ne résout pas le problème, mais les mesures positives prises par les gouvernements envoient un signal fort ; nous avons besoin de davantage de mesures de ce type », a-t-il déclaré. « En fin de compte, nous devons nous attaquer à la détérioration des institutions démocratiques libérales et la faire reculer. La propagation de l’autoritarisme est profondément troublante, mais je trouve tout aussi troublante la mesure dans laquelle les institutions démocratiques libérales s’érodent au cœur même des démocraties ».


Rowan Philp est journaliste à GIJN. Auparavant, Rowan a été reporter en chef pour le Sunday Times sud-africain. En tant que correspondant à l’étranger, il a réalisé des reportages sur l’actualité, la politique, la corruption et les conflits dans une vingtaine de pays du monde entier.

07.09.2023 à 17:02

Six techniques pour vérifier l’authenticité d’un document

Marthe Rubio

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Il est tout à fait possible de démontrer qu’une image a été manipulée, à condition de connaître les bons outils. GIJN a élaboré un guide méthodologique pour vous expliquer étape par étape comment vérifier la véracité d’une information dans six cas de figure différents : 1. Manipulation d’images – Facile à repérer, en utilisant des […]
Texte intégral (11317 mots)

Il est tout à fait possible de démontrer qu’une image a été manipulée, à condition de connaître les bons outils. GIJN a élaboré un guide méthodologique pour vous expliquer étape par étape comment vérifier la véracité d’une information dans six cas de figure différents :

1. Manipulation d’images – Facile à repérer, en utilisant des outils comme la recherche d’image inversée sur Google. 2. Astuces vidéo – De l’importance d’examiner attentivement la vidéo et de rechercher l’originale. 3. Faits trompeurs – Surveillez les titres trompeurs, les opinions présentées comme des faits, les distorsions, les faits inventés et les détails négligés. 4. Pseudo-experts, experts imaginaires et experts dont la parole est déformée – Comment vérifier leurs qualifications et leurs déclarations. 5. Usage des médias – Surveillez les fausses déclarations qui se réfèrent à des médias grand public. 6. Manipulation des données – Examinez la méthodologie, les questions, les clients et plus encore.

1. Manipulation d’images

La manipulation de photos est le moyen le plus simple de falsifier l’actualité, mais c’est aussi la plus facile à mettre à jour.

Il y a deux techniques particulièrement courantes de manipulation d’images. La première consiste à éditer des photos dans des programmes spécialisés, comme Adobe Photoshop et la seconde à présenter de vraies photos comme ayant été prises à un autre moment ou un autre endroit. Dans les deux cas, des outils peuvent vous permettre de séparer le vrai du faux.

Vous devriez être en mesure d’établir quand et où une photo a été prise et si elle a été modifiée dans un logiciel de traitement photo.

1.1 Retouche photo

Voici un exemple simple d’une fausse photo obtenue en modifiant l’originale dans Adobe Photoshop.

 

L’image ci-dessus est une capture d’écran de la première page de groupes pro-russes sur le réseau social Vkontakte, l’équivalent russe de Facebook. Largement diffusée en 2015, elle montre un nouveau-né avec une croix gammée taillée sur le bras. La photo est accompagnée d’une légende : « Quel choc ! Le personnel de l’une des maternités de Dnipropetrovsk a appris qu’une mère biologique était une réfugiée du Donbass et la femme d’un milicien décédé. Ils ont décidé de tailler une croix gammée sur le bras du bébé. Trois mois plus tard, la cicatrice est encore visible. »

Mais cette photo est truquée. L’original est facile à retrouver sur internet. On découvre alors que le bébé ne porte aucune trace de blessure.

La façon la plus simple de vérifier une photo est d’utiliser la recherche inversée sur Google Images. Ce service propose de nombreuses fonctionnalités utiles, telles que la recherche d’images similaires et de la même image dans différents formats. Saisissez l’image avec votre souris puis faites-la glisser et déposez-la dans la barre de recherche de la page Google Images, ou copiez-collez tout simplement l’adresse URL de l’image. Dans le menu “ Tools ”, vous pouvez choisir les options “ Visually similar ” ou “ More sizes.”

 

L’utilisation de l’option “ Visually similar ” nous mène à un article de 2008. Cet article ne contient pas forcément la photo originale mais il démontre en tout cas que la photo n’a pas pu être prise en 2015, et qu’aucune croix gammée n’y figure.

 

Examinons maintenant un trucage plus sophistiqué. La photo truquée en question représente un soldat ukrainien embrassant un drapeau américain. La photo a circulé avant le jour du drapeau national ukrainien en 2015 et est apparue pour la première fois sur un site web séparatiste avec un article titré Le jour de l’esclave.

 

La manipulation de l’image peut être démontrée en plusieurs étapes.

Tout d’abord, supprimez toute information ajoutée à la photo – légendes, titres, cadre, etc. – car cela peut influencer les résultats de la recherche. Dans ce cas, vous pouvez enlever le mot « Demotivators », dans le coin inférieur droit de l’image, à l’aide de l’outil Jetscreenshot (version Mac), qui est disponible gratuitement.

Dans un deuxième temps, essayez de retourner l’image à l’aide d’un outil d’effet miroir tel que LunaPic, puis sauvegardez le résultat.

 

Vérifiez ensuite cette image sur Google Images ou un autre outil de recherche d’image inversée. Vous saurez alors si l’image est bien l’originale, ou si elle a été modifiée. Vous pourrez aussi découvrir date, le lieu et le contexte réels de la publication de la photo.

 

En réalité, la photo a été prise en 2010 au Tadjikistan et le soldat embrassant le drapeau est un douanier tadjik. Le drapeau ukrainien cousu sur le manche a été ajouté ultérieurement, à l’aide d’un logiciel de retouche photo, et la photo a été retournée en utilisant un effet miroir.

 

Une recherche sur Google n’est pas toujours suffisante pour retrouver la source d’une image. Essayez alors TinEye, un autre outil de recherche inversée.

La principale différence entre TinEye et Google est que TinEye retrouve non seulement les images identiques mais également celles qui ont été modifiées. Cela permet de retrouver des versions de la photo qui sont cadrées autrement. Les sites sur lesquels les photos sont publiées peuvent également fournir des informations supplémentaires sur le contenu de la photo.

 

La photo ci-dessus a été retweetée et likée des dizaines de milliers de fois sur Twitter. On y voit un Vladimir Poutine très sérieux, entouré de chefs d’Etats qui semblent tous suspendus à ses lèvres. Elle est fausse.

Vous pouvez retrouver l’originale en utilisant TinEye. Entrez l’adresse de l’image dans la barre de recherche ou faites glisser l’image depuis votre disque dur. L’option de recherche « L’image la plus grande » peut permettre de retrouver l’originale, puisque chaque modification apportée réduit la taille ainsi que la qualité de la photo.

Nous pouvons voir que la photo provient d’un site turc.

 

Vous pouvez aussi utiliser d’autres options dans la barre d’outils –  » Best Match « ,  » Newest « ,  » Oldest  » et même  » Most Changed  » – pour trouver quelles modifications ont été apportées à l’image.

 

Vous pouvez également filtrer les résultats par site – par exemple, sur Twitter ou sur d’autres sites où l’image est apparue.

 

Une image créée pour se moquer de Donald Trump, en montrant un profil peu flatteur du président américain, est un autre exemple de trucage sophistiqué.

L’image a circulé sur les réseaux sociaux en octobre 2017, avec l’affirmation selon laquelle le président en était mécontent et ne voulait pas qu’elle soit partagée en ligne. En fait, l’image a d’abord été publiée sur Facebook le 14 Juillet 2017, par Vic Berger, un créateur de vidéos virales :

 

Vous pouvez en retrouver l’origine en utilisant un outil d’effet miroir puis TinEye :

 

Vic Berger l’a créée à partir d’une photo prise par le photographe de Getty Images, Matthew Cavanaugh, en 2011. Vic Berger a retourné la photo originale, agrandi la gorge de Donald Trump et foncé la couleur de sa peau.

Pour étudier la photo plus en détail, vous pouvez utiliser des programmes qui analysent si elle a été modifiée. FotoForensics est l’un des meilleurs.

Le 12 janvier 2015, le journal télévisé Vesti, sur Rossiya 1, a rapporté que le parti politique ukrainien Svoboda avait proposé l’impression d’un nouveau billet de 1 000 hryvnia représentant Adolf Hitler.

C’était faux. La personne à l’origine de cette fausse information a apparemment créé l’image du billet sur Photoshop puis l’a publié sur pikabu.ru, où elle l’a étiquetée « humour » et « blague ».

 

Le vrai billet montre l’écrivain ukrainien Panteleimon Kulish.

 

Une analyse détaillée sur FotoForensics montre que la photo avec Hitler a été modifiée. Une partie de l’image d’origine a été effacée, puis ont été ajoutés la photo d’Hitler et la valeur du billet.

 

FotoForensics est un site qui utilise « l’analyse du niveau d’erreur » (ELA, en anglais) pour détecter des morceaux d’image qui ont été ajoutés à l’originale. Après avoir traité une photo, le logiciel fait ressortir les parties modifiées.

Le logiciel fait également ressortir les données EXIF ​​(c’est-à-dire les métadonnées) de chaque photo. Tout fichier image contient en effet une série d’informations supplémentaires, encodées dans un fichier graphique.

Entre autres informations, ces métadonnées révèlent :

La date et l’heure à laquelle l’originale a été prise Les données de géolocalisation Le modèle de l’appareil photo et ses paramètres (temps d’exposition, valeur de l’ouverture, etc.) Des informations sur le droit d’auteur

Par exemple, les journalistes d’investigation de Bellingcat se sont servis des métadonnées pour vérifier les photos d’internautes concernant l’accident du vol 17 de la compagnie Malaysia Airlines (MH17). À 16h20, heure locale, le 17 juillet 2014, l’avion a été abattu en plein vol au-dessus de l’est de l’Ukraine, tuant les 298 passagers et membres d’équipage à bord. Presque exactement trois heures plus tard, la photo suivante est apparue sur Twitter :

 

Le tweet de @WowihaY explique qu’un témoin de la scène lui a envoyé cette photo montrant le nuage de vapeur causé par le lancement d’un missile depuis le sud-est de la ville de Torez, en territoire occupé dans l’est du pays. Les métadonnées de la photo ont montré qu’elle avait été prise à 16h25 (soit cinq minutes après que l’avion ait été abattue), selon l’horloge interne de l’appareil photo.

 

Cette méthode n’est pas pour autant sûre à 100 %. La plupart des métadonnées requises pour authentifier une image disparaissent lors du téléchargement sur internet.

 

Ces résultats n’incluent pas les métadonnées de la photo d’origine car il s’agit d’une capture d’écran. On relève le même problème lorsqu’une photo est publiée sur les réseaux sociaux.

Malgré tout, les métadonnées peuvent vous aider dans vos recherches.

1.2 La publication de vraies photos, mais prises à un autre moment ou à un autre endroit

La manipulation d’image peut servir à déformer des événements.

Une photo prise en Israël en 2014 a récemment été présentée comme ayant été prise dans l’est de l’Ukraine en 2015.

 

C’est Shimon Briman, le journaliste israélien et spécialiste de l’Ukraine, qui a découvert le pot aux roses.

N’importe quel outil de recherche inversée peut vous permettre de vérifier l’authenticité d’une photo, après avoir supprimé tous les éléments ajoutés, dont par exemple le titre. L’option TinEye « Le plus ancien » est très utile dans ce cas précis ; elle génère au moins deux résultats liés à Israël et datant de l’année précédente.

Cette méthode ne permet pas toujours d’identifier la source d’une photo. Mais un tel résultat sert d’indice pour poursuivre ses recherches.

 

Le cinquième résultat de la recherche est une photo d’un journal israélien daté du 27 juillet 2014, qui décrit en détail quand la photo a été prise, et dans quelles conditions. Une fille, Shira de Porto, l’a prise depuis son téléphone portable lors d’un tir de missile à Beer Sheva. Le père et un autre homme ont couvert le bébé de leurs corps.

 

Si une image suspecte apparaît sur les réseaux sociaux, vous pouvez utiliser les outils de recherche TinEye intégrés.

Par exemple, lors de la visite de l’ancien vice-président américain Joe Biden à Kiev, une photo de personnes agenouillées devant les bureaux des ministres ukrainiens est apparue sur les réseaux sociaux et des sites pro-russes. La légende expliquait qu’il s’agissait de résidents de Kiev « faisant appel à Biden pour les sauver de Yatseniuk », se référant au Premier ministre ukrainien de l’époque. La photo est apparue pour la première fois le 6 décembre 2015.

À l’aide de TinEye, StopFake a constaté que la photo originale avait été publiée sur Twitter avec le hashtag #Euromaidan le 18 janvier 2015. Pour vous faire une idée du contexte, vous pouvez utiliser l’outil de recherche Twitter. Choisissez  » Search filters  »  puis  » Advanced search « .

 

Vous pouvez alors entrer n’importe quelle information – dans ce cas, le hashtag et la date du 18 janvier 2015.

 

Le premier résultat fait alors apparaître le tweet original avec la photo initiale. Elle a été prise dans la rue Hrushevsky de Kiev le 18 janvier 2015, quand des milliers de personnes s’étaient rassemblées pour rendre hommage aux premières victimes d’affrontements ayant eu lieu lors des manifestations « Euromaidan » de 2013.

 

TinEye et Google Images ne sont pas les seuls outils disponibles, il y a aussi Baidu (qui fonctionne particulièrement bien pour les contenus chinois), Yandex et des outils de recherche de métadonnées comme FotoForensics.

Si vous comptez utiliser ces outils fréquemment pour vérifier des photos, essayez ImgOps, qui contient les outils mentionnés ci-dessus et auquel vous pouvez ajouter les vôtres. Imageraider.com en est un autre, analogue à TinEye mais avec des fonctionnalités différentes : ce site vous permet entre autres d’analyser plusieurs images à la fois et d’exclure certains sites des résultats de vos recherches.

 

Un bref résumé

Prêtez attention aux images dont la résolution est la plus haute. La résolution diminue à chaque nouvelle modification, donc la photo dont la résolution est la plus haute est également celle qui aura été le moins retouchée. C’est un signe indirect qu’il peut s’agir de la photo originale. Prêtez attention à la date de parution. L’image dont la date est la plus ancienne sera la plus proche de l’original. Relisez les légendes des photos. Deux images identiques peuvent être accompagnées de descriptions différentes. Les photos truquées ne sont pas seulement recadrées ou modifiées, mais peuvent également être renversées par effet miroir. Vous pouvez effectuer des recherches sur un site ou réseau social en particulier.

2. Astuces vidéo

Les vidéos font tout aussi souvent l’objet de manipulations que les photos. Cependant, il est beaucoup plus difficile de révéler qu’une vidéo est truquée, et cela prend beaucoup plus de temps. Dans un premier temps, voyez si la vidéo contient des éléments troublants : un montage qui semble inexact, des proportions déformées ou des moments tout bonnement étranges.

Rentrez dans les détails : les ombres, les reflets et la netteté des différents éléments. Il est possible d’identifier le pays et la ville où une photo a été prise grâce aux plaques d’immatriculation des voitures, aux enseignes de magasin et aux noms des rues. S’il y a des bâtiments inhabituels sur la photo, retrouvez-les dans le mode Street View de Google Maps. Vous pouvez également consulter la météo à l’heure et sur le lieu en question en utilisant les archives des sites de prévisions météorologiques. Si la vidéo montre un soleil radieux, alors qu’il pleuvait toute la journée, on peut mettre en doute sa véracité.

Weather Underground est un site que j’affectionne tout particulièrement.

Les technologies suivantes sont utilisées le plus souvent pour créer de fausses nouvelles en format vidéo.

2.1 L’utilisation de vidéos anciennes pour illustrer des événements nouveaux

De nombreuses photos et vidéos ont été partagées sur les réseaux sociaux montrant des attaques aériennes américaines, françaises et britanniques contre trois cibles syriennes le 14 avril 2018. Par exemple, cette vidéo montre une attaque aérienne matinale contre le Centre de recherche Jamraya à Damas.

Si une vidéo est intégrée à un article d’actualité, il est possible d’accéder au tweet, à la vidéo YouTube ou à la publication Facebook d’où elle provient, et d’y lire les commentaires. Les internautes, en particulier sur Twitter et YouTube, sont très actifs et réactifs. On peut parfois y trouver des liens vers la source de la vidéo et suffisamment d’informations pour réfuter un faux.

En faisant cela, nous pouvons retrouver le lien vers la vidéo YouTube originale. L’emplacement était correct, mais la vidéo a été filmée en janvier 2013 lors d’une attaque similaire attribuée à Israël.

 

Vous pouvez également passer rapidement en revue le compte qui a publié la vidéo qui vous intéresse. Qu’apprend-on sur l’utilisateur ? À quels autres comptes sur les réseaux sociaux est-il lié ? Quel type d’informations partage-t-il ?

Pour trouver une vidéo originale, vous pouvez utiliser le YouTube DataViewer d’Amnesty International. Cet outil vous permet d’établir la date et l’heure exacte du téléchargement et de vérifier si la vidéo YouTube a déjà été publiée sur la plateforme.

Essayons de vérifier l’heure de téléchargement de la vidéo mentionnée ci-dessus. Le DataViewer a confirmé que le téléchargement a bien eu lieu en janvier 2013.

 

L’étape suivante de la vérification des vidéos est la même que pour la vérification des photos : faire une recherche d’image inversée.

Vous pouvez prendre manuellement des captures d’écran des moments clés de la vidéo et les placer dans un moteur de recherche comme Google Images ou TinEye. Vous pouvez également utiliser des outils spéciaux conçus pour simplifier cette démarche. Le Youtube DataViewer génère des vignettes utilisées par une vidéo sur YouTube. Vous pouvez effectuer une recherche d’image inversée sur ces vignettes en un seul clic.

En février 2018, les Observateurs de France 24 ont discrédité une vidéo qui prétendait montrer des escadrons d’avions de chasse turcs lors d’une mission de bombardement sur Afrin, en Syrie. Cette vidéo filmée depuis le cockpit d’un F16 a été publiée sur plusieurs comptes YouTube différents le 21 janvier 2018.

Ils l’ont vérifié avec l’aide de YouTube DataViewer.

 

Dans l’originale, on n’entend pas de voix turque, celle-ci a été ajouté plus tard. En réalité, cette vidéo a été réalisée à l’occasion d’une exposition aéronautique à Amsterdam.

2.2 Placer une vidéo – ou un morceau de celle-ci – dans un autre contexte

Il faut parfois en apprendre davantage sur une vidéo pour pouvoir établir s’il s’agit d’un faux.

Par exemple celle-ci, publiée sur YouTube le 22 août 2015, a été largement diffusée dans huit pays. Elle prétend montrer des migrants musulmans à la frontière entre la Grèce et la Macédoine refusant l’aide alimentaire de la Croix-Rouge parce qu’elle n’était pas halal ou parce que l’emballage était marqué d’une croix.

Pour en savoir plus, vous pouvez utiliser  InVid, un outil puissant de recherche inversée. Il peut vous aider à vérifier les vidéos sur les réseaux sociaux, tels que Twitter, Facebook, YouTube, Instagram, Vimeo, Dailymotion, LiveLeak et Dropbox. Téléchargez le plugin InVid, copiez le lien vidéo, collez-le dans la fenêtre « Keyframes » d’InVid et cliquez sur « Submit ».

 

Cliquez sur les vignettes une par une pour effectuer une recherche d’image inversée, puis étudiez les résultats.

 

En réalité, les migrants refusaient la nourriture qu’on leur offrait pour protester contre la fermeture de la frontière et les mauvaises conditions de leur attente. Des journalistes italiens ont couvert cette actualité pour Il Post après avoir interrogé des travailleurs humanitaires sur place. Le journaliste qui a filmé cette vidéo l’a confirmé. La vidéo a d’abord été publiée sur son site avec la légende : « Les réfugiés refusent de se nourrir après avoir passé la nuit sous la pluie sans pouvoir traverser la frontière. »

 

Un autre exemple de ce genre de fausse information est un article de Gloria.tv sur la chancelière allemande Angela Merkel. Il s’agit d’un clip vidéo de sept secondes dans lequel la chancelière ne prononce qu’une seule phrase. Le titre de la vidéo : « Angela Merkel : les Allemands doivent accepter la violence des étrangers. »

 

En réalité, la phrase a été sortie de son contexte et le titre donne le sens inverse de sa déclaration, selon une analyse de BuzzFeed News. Voici sa déclaration complète :

Il s’agit ici d’assurer la sécurité sur le terrain et d’éliminer en même temps les causes de la violence dans la société. Cela s’applique à tous les membres de notre société, mais nous devons admettre que le nombre de délits est particulièrement élevé chez les jeunes immigrants. Par conséquent, le thème de l’intégration est lié à la question de la prévention de la violence partout dans notre société.

La vidéo s’est avérée faire partie d’un complot en 2011, selon le site allemand de vérification des faits Mimikama.

La meilleure façon de trouver la source de ces vidéos est d’utiliser des moteurs de recherche tels que Google.

2.3 Réaliser une vidéo intégralement fausse

La création de vidéos totalement fausses nécessite beaucoup de temps et d’argent. La propagande russe emploie fréquemment cette méthode.

Un exemple de cela est la prétendue « preuve » que des militants de l’État islamique ont servi au sein du régiment d’opérations spéciales ukrainien « Azov ». Cela a été présenté comme la découverte d’un groupe de hackers pro-russe appelé « CyberBercut ».

Les pirates informatiques de CyberBercut ont affirmé avoir accédé au smartphone d’un combattant d’ « Azov » et y avoir trouvé ces informations. Ils n’ont mentionné ni le lieu où ces images auraient été tournées, ni les moyens de piratage mis en oeuvre. La BBC a pu retrouver le lieu du tournage en utilisant le service géographique de Wikimapia.

Vous pouvez également utiliser d’autres services de cartographie, comme Google Maps, pour comparer le lieu supposé d’une vidéo et le lieu où les images ont réellement été tournées. Le service Google Street View peut également vous être utile. En l’occurrence, la vidéo avait été tournée au Centre artistique d’Isolyatsia dans la zone occupée de l’est de l’Ukraine.

Parfois, ces faux sont grossiers, donc faciles à discréditer. Il suffit d’être attentif. Par exemple, des médias russes ont annoncé que des combattants du parti ukrainien « Secteur droit » dispensaient des « cours de russophobie » dans les écoles de la ville de Kramatorsk, dans la région de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine.

La vidéo a circulé sur les réseaux sociaux et sur YouTube, puis a été diffusée par les principaux médias russes. L’un des écoliers aurait filmé ces leçons sur son téléphone. On y voit un homme en uniforme militaire britannique avec une arme à la main obligeant des enfants à lire à haute voix l’article « Qu’est-ce que la russophobie ? » Ces leçons, dit-il, auront lieu dans tous les établissements d’enseignement de territoires libérés de la présence russe.

Les utilisateurs des réseaux sociaux ont remarqué que les écoliers paraissent plus âgés que ce qui était indiqué. Le personnage principal est vêtu d’une veste militaire de style Condor avec un bandeau sur lequel on peut lire « Thor mit uns ». Une telle enseigne, ainsi que les vêtements sur la vidéo, peuvent être achetés dans n’importe quelle boutique en ligne.

En réalité, cette vidéo était une provocation, réalisée par un militant de Kramatorsk pour vérifier si les médias russes la publieraient sans en vérifier l’authenticité. L’auteur de la vidéo, Anton Kistol, a fourni à StopFake des versions préliminaires de la vidéo, ainsi que des photos du tournage.

3. Faits trompeurs

3.1 Publier une véritable nouvelle sous un faux titre

Beaucoup de gens partagent des articles sur les réseaux sociaux après en avoir lu seulement le titre. Mettre un titre trompeur sur de vraies informations est l’une des techniques de fausses nouvelles les plus répandues.

Sortir des citations de leur contexte est une autre astuce courante.

Par exemple, en décembre 2016, des médias russes ont déclaré que le ministère ukrainien des Affaires étrangères avait accusé l’Union européenne de trahison. L’agence de presse officielle russe RIA Novosti, ainsi que Vesti et Ukraina.ru, ont publié des articles affirmant que l’Ukraine soupçonnait l’UE de machinations, voire de trahison.

Ils ont cité une interview d’Olena Zerkal, vice-ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine pour l’intégration européenne, dans le Financial Times :

Cela met à l’épreuve la crédibilité de l’Union européenne… Dire cela n’est pas très diplomate. Cela ressemble à une sorte de trahison… surtout si l’on tient compte du prix que nous avons payé pour nos aspirations européennes. Aucun des pays membres de l’Union européenne n’a payé un tel prix.

Bien que les déplacements sans visa pour les Ukrainiens aient en principe été convenus avec l’UE, la mise en oeuvre n’a pas encore officiellement eu lieu. Olena Zerkal exprimait sa frustration face à l’attente imposée, alors que l’Ukraine avait rempli toutes les conditions. Elle n’accusait pas exactement l’UE de trahison.

Un autre exemple est tiré du blog Free Speech Time. Y a paru le 6 mai 2018 un article intitulé : « Regardez : le maire musulman de Londres encourage les musulmans à l’émeute lors de la visite de Trump au Royaume-Uni. » L’article commence ainsi :

Le maire musulman de Londres a incité à la haine islamique contre le président Trump. Chaque fois qu’il l’a pu, il s’en est pris au président américain pour avoir osé critiquer l’islam et pour avoir interdit aux terroristes d’entrer en Amérique. Il prévient maintenant Trump de ne pas venir au Royaume-Uni parce que les musulmans « épris de paix », qui représentent la « religion de la paix », devront manifester violemment lors de sa visite au Royaume-Uni.

Sadiq Khan lui-même a incité à la haine contre le président américain parmi les musulmans britanniques. Honte au maire musulman de Londres.

Comme preuve de ce qu’il avance, l’article inclut cette vidéo. L’article n’apporte pourtant aucun élément corroborant l’information contenue dans le titre. Un extrait d’interview vidéo contient seulement la déclaration suivante du maire Sadiq Khan : « Je pense qu’il y aura des manifestations ; je parle aux Londoniens quotidiennement et je pense qu’ils utiliseront les droits dont ils disposent pour exprimer leur liberté d’expression. »

Lorsque le journaliste a demandé directement à Sadiq Khan s’il « approuvait » de telles manifestations, il a répondu : « L’essentiel est qu’elles soient de nature pacifique, qu’elles respectent la loi. » A aucun moment il n’emploie les mots « musulman », « musulmans » ou « islam », comme le souligne Maarten Schenk dans Lead Stories.

Si vous devez vérifier une citation, vous pouvez en retrouver la source en effectuant une recherche avancée sur Google. Vous pouvez y définir les paramètres horaires et le site qui vous intéresse. L’information est parfois supprimée de la source première, mais se propage par d’autres biais. Vous pouvez localiser le matériel supprimé à l’aide d’une recherche sur Google Cache ou en consultant les archives de la source à une date donnée.

3.2 Présenter une opinion comme un fait

En lisant un article, posez-vous la question suivante : s’agit-il d’informations ou d’une opinion personnelle ?

Certains médias russes ont annoncé que la Turquie serait expulsée de l’Otan en novembre 2015. Ukraina.ru a ainsi rapporté : « La Turquie ne devrait pas être membre de l’Otan et devrait être expulsée de l’Alliance. C’est en tout cas ce qu’a annoncé le major général à la retraite de l’armée américaine et analyste militaire principal pour Fox News, Paul Vallely. »

En fait, comme l’a expliqué Stopfake.org, un officier militaire à la retraite ne peut pas parler au nom de l’Otan ou de ses membres. Paul Vallely était très critique vis-à-vis de la politique américaine et du président américain de l’époque, Barack Obama. Celui-ci a soutenu publiquement la Turquie.

3.3 Déformer un fait

Un reportage sur la chaîne d’information Russia Today a relayé l’information, citations du rabbin Mihail Kapusti à l’appui, selon laquelle des personnes juives avaient fui Kiev en raison de l’antisémitisme du nouveau gouvernement ukrainien.

Mais une recherche toute simple a montré qu’il n’était pas le rabbin d’une synagogue de Kiev, mais plutôt celui d’une synagogue de Crimée. Ayant appelé à la défense de l’Ukraine et de la Crimée face à la Russie, il fuyait la Crimée à cause du nouveau gouvernement russe qui s’y était installé, comme l’a démontré Stopfake.org.

3.4 Présenter des informations entièrement inventées comme des faits

Des recherches toutes simples peuvent révéler qu’une information est erronée.

Un exemple frappant en Ukraine concerne un garçon qui aurait été crucifié. Stopfake.org ne trouvait aucune preuve de ce qu’avançait une femme en 2014 sur Channel One, la chaîne de télévision officielle du Kremlin. Elle s’est avérée être l’épouse d’un militant pro-russe.

De nombreux reportages sur les soi-disant camps d’entraînement de l’Etat islamique en Ukraine ont paru dans des médias espagnols en 2017, mais des recherches avancées sur Google n’ont révélé aucune preuve de cela, a rapporté Stopfake.org.

Les auteurs de fausses nouvelles tentent également de manipuler des citations, voire de les fabriquer.

L’ancien vice-président de Facebook, Jeff Rothschild, aurait appelé à « une troisième guerre mondiale, afin d’exterminer 90 % de la population mondiale ». Mais cette citation, qui est apparue pour la première fois sur le blog d’Anarchadia, n’a jamais été prononcée par Jeff Rotschild, selon le site de fact checking Snopes.com.

3.5 Négliger des détails importants pour déformer le contexte d’une information

En mars 2017, Buzzfeed a publié un article affirmant que le Premier ministre ukrainien Volodymyr Groysman avait décidé d’aider la Turquie en accueillant des réfugiés de Syrie.

Citant un rapport de l’agence de presse étatique Ukrinform, l’auteur du papier dans Buzzfeed, Blake Adams, a écrit que l’Ukraine comptait établir trois centres d’accueil de réfugiés, attribuant cette information au directeur de l’Institut de recherche du Moyen-Orient, Ihor Semyvolos. Mais Ihor Semyvolos n’a rien dit au sujet des réfugiés ou des centres de réfugiés, comme il l’a ensuite expliqué sur Facebook.

Buzzfeed a également inclus un lien vers un message publié sur Facebook par Yuriy Koval, qui se réfère au blog Vse Novosti et à un certain Mykola Dobryniuk. Ces deux sources affirment que l’Ukraine a accepté d’accueillir des réfugiés syriens en provenance de Turquie. Curieusement, ni Yuriy Koval ni Mykola Dobryniuk n’a d’autres publications sur internet.

Suite à cette révélation de StopFake, Buzzfeed a retiré le papier de son site.

4. Pseudo-experts, experts imaginaires et experts dont la parole est déformée

Une autre méthode de falsification consiste à utiliser de faux experts ou à dénaturer la parole de vrais experts.

4.1. Pseudo-experts et think tanks

Les vrais experts sont souvent bien connus localement et dans leur milieu professionnel, et soignent leur réputation. Les pseudo-experts, en revanche, n’apparaissent souvent qu’une seule fois avant de disparaître. Pour vérifier l’authenticité d’un expert, il convient de consulter sa biographie, ses comptes sur les réseaux sociaux, son site web, ses articles, ses citations dans les médias et les commentaires de ses collègues sur son travail.

Le 30 septembre 2014, le journal Vechernyaya Moskva a publié une  interview du politologue letton Einars Graudins, présenté comme un « expert de l’OSCE [l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] ». Cette personne n’avait pourtant aucun lien avec l’OSCE, ce que la mission de l’organisation en Ukraine a confirmé sur son compte Twitter officiel.

Il faut dans un premier temps rechercher les experts sur le site de l’organisation à laquelle ils sont censés être rattachés. Si leur nom n’y apparaît pas, contactez l’organisation. Le plus simple est de leur écrire via Twitter ou Facebook. Les organisations réputées ont tout intérêt à arrêter la diffusion de fausses nouvelles les concernant ou concernant leurs experts.

Certains pseudo-experts apparaissent fréquemment dans les médias. En Russie, NTV a couvert la « réaction houleuse en Occident » à la déclaration de Vladimir Poutine du 3 mars 2018, selon laquelle les États-Unis n’étaient plus la première puissance militaire. C’était l’opinion d’un certain Daniel Patrick Welch, présenté comme un politologue américain.

Mais une recherche Google effectuée par The Insider a révélé que Daniel Patrick Welch se présente comme « un écrivain, un chanteur, un traducteur et un poète militant ». Il lui arrivait d’écrire des articles traitant de politique pour des médias en ligne peu connues, il y critiquait le militarisme et l’expansionnisme de la politique américaine. Daniel Patrick Welsh a sympathisé avec les militants de l’est de l’Ukraine et a qualifié les autorités ukrainiennes de « junte contrôlée depuis Washington ». En Russie, les plus grandes agences de presse et chaînes de télévision l’ont cité.

Des groupes de réflexion d’apparence crédible peuvent ne pas l’être.

 

Un membre expérimenté du Conseil de l’Atlantique, Brian Mefford, a décrédibilisé l’une de ces organisations, le Center for Global Strategic Monitoring. Ce centre a prétendu à tort sur son site internet que Brian Mefford y travaillait comme expert. Il a cherché des coordonnées en vain sur le site pour demander le retrait de son nom.

A première vue, le site du centre a l’apparence d’un site d’actualité et et d’opinion à la fois impressionnant et réfléchi, a expliqué Brian Mefford. En creusant un peu on voit pourtant très vite que l’organisation est bidon. Premièrement, le site publie des analyses et des tribunes déjà publiées par de véritables instituts de recherche, apparemment sans leur autorisation. Ensuite, ces articles de qualité sont mélangés avec des articles dits « d’actualité » provenant de médias contrôlés par la Russie. Le site publie même de faux articles attribués à d’éminents spécialistes de think tanks.

4.2. Des experts imaginaires

Il arrive que des médias inventent des experts de toute pièce afin de mettre en avant certaines opinions politiques ou d’encourager leur public à prendre certaines décisions.

Par exemple, « le spécialiste haut-placé de la Russie au sein du Pentagone, David Jewberg » avait une page Facebook à succès et s’est vu fréquemment cité dans les médias ukrainiens et russes en tant qu’expert de ces deux pays au sein du Pentagone. Plusieurs personnalités bien connues de l’opposition russe ont souvent cité David Jewberg en tant qu’analyste respecté, et l’ont présenté comme quelqu’un avec qui elles étaient en contact.

Bellingcat a mené l’enquête et découvert que David Jewberg n’était pas une vraie personne, et que ce personnage était lié à un groupe d’individus aux États-Unis proches du financier américain Dan K Rapoport. Plusieurs de ses amis et contacts professionnels ont participé à la supercherie. Des photos d’un ami de longue date de Dan Rapoport ont servi à donner un visage à David Jewberg ; d’autres amis ont écrit à son sujet comme s’il s’agissait d’une vraie personne.

Un autre exemple est Drew Cloud, qui a parfois été cité comme l’un des principaux « experts » sur la question des prêts étudiants aux Etats-Unis. On a depuis appris que cette personne n’existait pas. Elle a proposé ses articles sur les prêts étudiants à des médias et a déclaré être en mesure de réaliser des entretiens par e-mail. Drew Cloud a souvent partagé ses conseils financiers sur des sites spécialisés et lors d’interviews. Il n’a jamais dit où il avait fait ses études mais a déclaré avoir contracté des prêts étudiants. Quand on lui demandait conseil sur les prêts étudiants, il recommandait souvent de les refinancer.

Il aura fallu un papier dans le Chronicle of Higher Education pour révéler que Drew Cloud était un personnage fictif créé par The Student Loan Report, un site géré par une société de refinancement des prêts étudiants.

4.3. Déformer les déclarations des experts ou les fausser

Les manipulateurs déforment souvent la parole d’experts, en particulier en sortant des phrases de leur contexte.

En mai 2018, des tweets et articles de blog sur un passage à la télévision de l’éducatrice en sexualité Deanne Carson se sont multipliés sur les réseaux sociaux. Les internautes ont critiqué avec virulence les conseils qu’elle y aurait prodigué. Elle aurait en effet déclaré que les parents devraient demander l’accord de leur bébé avant de changer sa couche.

Ce n’était pourtant pas exactement ce qu’elle avait dit. Elle avait déclaré que les parents pouvaient demander l’accord des enfants avant de changer leurs couches, pour leur apprendre que « leur réponse a de la valeur », tout en admettant qu’il n’était pas vraiment possible pour les bébés de consentir à un changement de couche, selon un examen de sa déclaration réalisé par Snopes.

Les avis de vrais experts sont parfois complètement faussés. Pour les vérifier, rendez-vous sur le site du groupe de réflexion ou de l’organisation auquel l’expert est affilié. Analysez ses recherches, ses déclarations et ses articles. Sont-ils en adéquation avec les propos qui lui sont attribués ?

L’article « Les victimes américaines du terrorisme demandent justice » sur le site CGS Monitor (supprimé depuis) est un bon exemple de cette pratique. L’article s’en prenait à l’alliance américano-saoudienne et était attribué à Bruce Riedel, le célèbre analyste du Moyen-Orient au sein du Brookings Institute. Mais quand on l’a interrogé sur ce sujet, Bruce Riedel a déclaré ne pas avoir écrit l’article.

L’article semblait ne pas avoir été rédigé par quelqu’un dont la langue maternelle est l’anglais, selon le Conseil de l’Atlantique. Le placement incorrect des noms communs et l’absence répété d’articles définis et indéfinis donnaient l’impression d’un article traduit du russe vers l’anglais.

CGS Monitor avait au préalable republié plusieurs articles qui avaient bel et bien été rédigés par Bruce Riedel, pour que la tribune faussement attribuée à l’analyste puisse passer inaperçue. Ce genre de trucage ne tromperait pas un expert mais peut tromper quelqu’un faisant des recherches en ligne ou qui édite un article sur Wikipedia, comme dans cet exemple.

4.4. Traduire les mots d’un expert de manière à en modifier le sens

Cette méthode est souvent utilisée lors de traductions de l’anglais vers d’autres langues. Contrez-la en trouvant l’article original et en le traduisant vous-même.

Les pays occidentaux, dont l’Allemagne, ont imposé des sanctions économiques contre la Russie après son annexion de la Crimée en mars 2014.

Mais la transcription par le Kremlin d’un discours du 26 octobre 2017 du président allemand Frank-Walter Steinmeier sur la Crimée a modifié son contenu, en remplaçant le mot « annexion » par le mot « réunification ».

Une « erreur de traduction » similaire s’est produite le 2 juin 2015, lorsque l’agence de presse russe RIA Novosti a publié un article faisant référence à un blog du Financial Times. Le papier de RIA Novosti a omis des critiques de la Russie, a traduit le contenu de manière déformée et a décrit l’annexion sous un jour favorable, comme l’a soulevé Stopfake.

5. Usage des médias

Notre tendance à faire confiance aux médias réputés et à prendre leurs informations pour argent comptant est mise à profit par des propagandistes et manipulateurs en tous genres.

5.1. Utilisation de messages provenant de médias marginaux ou de blogs

Des médias marginaux au nom pourtant crédible diffusent souvent des informations douteuses tout en affirmant qu’elles proviennent de médias réputés.

Plusieurs médias populaires russes, dont le journal économique Vzglyad, ont cité « les médias occidentaux » lors de reportages sur un différend concernant le rapatriement des corps de 13 Américains tués lors de combats en Ukraine.

Mais les « médias occidentaux » cités par Vzglyad étaient en réalité un journal en ligne peu crédible, The European Union Times, selon StopFake. Les liens hypertextes redirigeaient les lecteurs vers le site  WhatDoesItMean.com. L’auteur de l’article, Sorcha Faal, était un personnage inventé dans le seul but de répandre de fausses rumeurs.

Pour contrer ce type de manipulation, accédez aux sources de ladite information et évaluez leur crédibilité.

Un autre exemple : des médias russes ont cité ce qui s’est avéré être un article de blog anonyme, a rapporté Stopfake. Le 16 août 2015, le média russe RIA Novosti a publié un article sur le crash du vol 17 de Malaysia Airlines. La source était un portail allemand, Propagandaschau. Le portail a publié une tribune par un certain « Dok » et un article d’un ancien conseiller politique de l’ambassade du Canada en Russie, Patrick Armstrong, qui avaient été publiés sur le site pro-russe Russia Insider. RIA Novosti et RT ont présenté les réflexions de Dok comme celles d’un expert. Les médias russes n’ont pas mentionné l’article de Patrick Armstrong, qui contient des affirmations qui avaient déjà été réfutées.

5.2. Modifier les informations issues de médias réputés

Les informations rapportées par les médias réputés peuvent être déformées par les médias se spécialisant dans les « fausses nouvelles ».

Par exemple, une citation attribuée à la députée californienne Maxine Waters au sujet de la destitution du président Trump a été ajoutée numériquement à une image tirée d’une émission de CNN, ont écrit Snopes et Politifact.

En fait, la citation n’était pas la sienne et l’image provenait d’une interview qu’elle avait accordé sur un tout autre sujet.

5.3. Citer des articles imaginaires de médias réputés

Des sites russes et moldaves ont diffusé une fausse information apparue en décembre 2017, selon laquelle une mine d’or avait été découverte en Crimée. Le site d’actualité moldave GagauzYeri.md a rapporté le 10 février 2016 que des géologues russes avaient découvert la plus grande mine d’or au monde.

Bloomberg était censé être la source de cette information, mais le lien hypertexte ne redirigeait pas les lecteurs vers son site. On pouvait y voir un premier indice que l’information était erronée. Une recherche sur le site de Bloomberg, ainsi que sur Google, n’a pas permis de retrouver l’article, a découvert Stopfake.

Un autre exemple : un message sur WhatsApp vantant une fausse enquête d’opinion électorale en Inde a été rendu plus crédible par l’inclusion d’un lien vers la page d’accueil de la BBC, alors même que la BBC n’avait pas couvert l’enquête, selon une analyse de BOOM.

6. Manipulation des données

Les données d’enquêtes sociologiques et les indicateurs économiques peuvent être manipulés.

6.1 Manipulation méthodologique

Les enquêtes d’opinion peuvent reposer sur des méthodologies peu fiables.

Par exemple, fin mars 2018, les médias russes ont rapporté une recrudescence de l’antisémitisme en Ukraine, que les autorités ukrainiennes « cachent soigneusement ».

Le site russe Ukraine.ru a cité un rapport de 72 pages produit par le ministère israélien des Affaires de la diaspora montrant que les juifs ukrainiens avaient subi plus d’attaques (verbales et physiques) que les juifs dans toutes les autres républiques de l’ex-URSS.

Mais ce rapport n’était pas basé sur une étude systématique, et ses auteurs n’ont pas analysé les données collectées par les organisations qui surveillent la xénophobie en Ukraine. A en juger par les sources citées, les auteurs ont procédé à un calcul mécanique des incidents, quelle que soit la gravité ou la fiabilité des informations. Par exemple, les insultes verbales ont été comptabilisées comme les délits avérés.

Selon l’information la plus frappante contenue dans le rapport, le nombre d’incidents antisémites en Ukraine a doublé par rapport à l’année précédente. Selon les organisations de surveillance, dont le National Minority Rights Monitoring Group, qui surveille les crimes haineux en Ukraine depuis plus de dix ans, le nombre de délits antisémites n’a pourtant augmenté que de 19 à 24 %. En 2017, aucun cas de violence antisémite n’a été enregistré, et en 2016 il n’y en avait qu’un seul, a déclaré son directeur sur Radio Liberty.

Un examen attentif du rapport a montré qu’il ne s’agissait pas d’une évaluation approfondie de la situation sur le terrain. La recrudescence de l’antisémitisme était simplement l’une des cibles privilégiées de la campagne de propagande anti-ukrainienne menée par le Kremlin pour justifier son agression contre l’Ukraine. Cela explique pourquoi les médias de propagande russes ont volontiers repris cette information.

D’autres preuves du contraire ont fait surface dans une enquête du Pew Research Center, qui est basé aux États-Unis, concernant 18 pays d’Europe centrale et orientale. Ce rapport a montré que les opinions antisémites étaient moins répandues en Ukraine qu’ailleurs en Europe. En Russie, selon ce même document, l’antisémitisme est presque trois fois plus courant.

Le site Ukraine.ru a critiqué la méthodologie de Pew en faisant valoir que la question « Souhaitez-vous avoir des juifs comme compatriotes ? » ne permettait pas de démontrer l’antisémitisme des personnes sondées.

L’enquête de Pew, Croyance religieuse et appartenance nationale en Europe centrale et occidentale, contient une section méthodologique expliquant les dessous de la recherche. Il est important d’analyser et de comprendre les méthodes employées.

6.2 Interprétation erronée des résultats

La propagande a pour attribut de chercher à paraître véridique et authentique. Les affirmations propagandistes recourent donc souvent à des résultats de sondage déformés.

Le site russe pro-Kremlin Ukraina.ru a publié un article sur les dernières analyses de Fitch Ratings concernant l’Ukraine, se focalisant exclusivement sur les éléments négatifs et ignorant la prévision d’ensemble, qui était stable. En utilisant uniquement la première phrase du rapport de Fitch, Ukraina.ru a affirmé que l’Ukraine avait la troisième plus importante économie parallèle au monde, derrière l’Azerbaïdjan et le Nigéria.

Le rapport de Fitch commence par ces mots : « Les notations de l’Ukraine reflètent une faible liquidité extérieure, un lourd fardeau de la dette publique et des faiblesses structurelles, dues à la faiblesse du secteur bancaire, à des contraintes institutionnelles et à des risques géopolitiques et politiques. »

Ukraina.ru n’a rien retenu d’autre du rapport de Fitch, ignorant complètement la phrase qui suit : « Ces facteurs sont contrebalancés par le regain de crédibilité et de cohérence des politiques du pays, sa capacité immédiate à rembourser sa dette, et ses soutiens bilatéraux et multilatéraux. »

Pour démentir ce genre de déformation, il est particulièrement utile de retrouver et d’analyser le rapport complet.

Ukraina.ru a publié une autre affirmation erronée selon laquelle la plupart des Ukrainiens ne souhaitent pas du tout pouvoir voyager dans l’Union européenne sans visa.

La source de cette fausse information est un sondage réalisé par la Democratic Initiatives Foundation début juin 2018.

On pouvait y lire la question suivante : « Quelle est l’importance pour vous de l’introduction du régime de voyage sans visa avec les pays de l’UE ? » 10 % des sondés ont répondu « très important », 29 % « important », 24 % « légèrement important », 34 % « pas important » et près de 4 % ont estimé que la question était trop difficile.

 

Seuls 34 % d’entre eux ont déclaré qu’il n’était pas important de pouvoir voyager dans l’UE sans visa.

Mais les médias russes ont décidé d’additionner les résultats de « légèrement important » et « pas important », produisant ainsi le chiffre de 58 %, et ont affirmé que la majorité des Ukrainiens n’étaient pas du tout intéressés par cette perspective.

En additionnant les sondés ayant répondu « très important », « important » et « légèrement important », on obtient pourtant 63 % des réponses. Cela indique que 63 % des Ukrainiens estiment que les voyages sans visa ont une certaine importance.

6.3 Comparaisons caducs

Ukraina.ru a publié un article selon lequel les prix des denrées alimentaires en Ukraine ont rattrapé les prix en Europe en février 2018. Cette affirmation repose sur un post Facebook de l’ancien Premier ministre ukrainien Mykola Azarov. L’affirmation d’Azarov reposait sur des données de RIA Novosti présentées dans une infographie douteuse, bien qu’attrayante.

Selon l’indice du coût de la vie de Numbeo, l’Ukraine est le pays le moins cher d’Europe, avec la Moldavie, la Macédoine et l’Albanie. Le site compare également les prix des denrées alimentaires dans différentes villes du monde, montrant que les prix ukrainiens sont en moyenne bien inférieurs aux niveaux européens. La comparaison des nombres absolus sans tenir compte d’autres indicateurs est donc erronée, a pu établir Stopfake.

Essayez de différencier les vrais chiffres et faits des fausses informations. Très souvent, ces types de contrefaçons incluent des chiffres réels mais aussi des chiffres issus de sources suspectes ou inventées.

Au Canada, par exemple, une information selon laquelle les réfugiés reçoivent plus d’aide de l’Etat que les retraités circule sur les réseaux sociaux depuis 2015.

 

Ce n’est pas vrai, selon les informations du gouvernement canadien. Certains réfugiés pris en charge par le gouvernement reçoivent une somme modique chaque mois pendant leur première année au Canada – environ 800 $ pour une personne seule – et une allocation d’installation unique d’environ 900 $. Ils peuvent également obtenir un prêt de quelques centaines de dollars pour le versement d’un acompte quand ils louent un logement. Il y aussi des fonds disponibles pour les femmes enceintes, les nouveau-nés et les jeunes enfants scolarisés. Mais les réfugiés pris en charge par le gouvernement doivent rembourser le coût de leur voyage au Canada et de leur examen médical initial, et ce avec intérêt.

Les demandeurs d’asile au Canada ne reçoivent aucune aide sociale tant qu’ils ne sont pas le statut de résident permanent ; ils peuvent alors recevoir l’aide sociale provinciale comme n’importe quel citoyen du pays. Les réfugiés parrainés par le secteur privé ne peuvent recevoir aucune assistance sociale – ils sont sous la responsabilité financière de leurs parrains pour la durée du parrainage, généralement environ un an.

Les Canadiens célibataires d’un certain âge et dans la tranche de revenu la plus basse reçoivent au moins 1300 $ par mois grâce aux suppléments de revenu garantis et aux pensions publiques, comme l’indique le site du gouvernement.

De plus, une étude de 2004 montre que la grande majorité des revenus dont disposent les réfugiés au cours de leurs sept premières années au Canada proviennent de leur emploi, non des aides sociales. Ils ont parfois plus de succès que les migrants économiques ou ceux arrivés par regroupement familial.

Mais le mythe persiste. Des variantes de cette rumeur ont vu le jour aux États-Unis, selon Snopes, ainsi qu’en Australie, selon ABC News. La page la plus fréquentée sur le site du groupe du Conseil canadien pour les réfugiés décrédibilise ce mythe.

 

Un bref résumé

Voici ce à quoi il faut faire attention quand vous lisez des sondages d’opinion, ainsi que dans vos recherches en général :

La méthodologie est-elle décrite ? Comment sont formulées les questions ? Elles sont parfois conçues pour inciter certaines réponses. Quel échantillon de la population a été sondé : par âge, lieu de résidence et autres caractéristiques ? L’échantillon est-il statistiquement fiable ? Quelle est la réputation du chercheur ? Est-il connu dans la communauté professionnelle ? Qui a financé la recherche ? Les centres de recherche sérieux ne dissimulent jamais l’identité de leurs clients quand ils publient des données. Comparez les résultats de vos recherches avec d’autres données et résultats. S’ils sont très différents, les résultats doivent être remis en question.

Une trousse de secours

Ces conseils répertorient et décrivent les méthodes de manipulation de l’information les plus courantes et offrent des moyens rapides que chacun peut mettre en oeuvre pour vérifier les faits énoncés. Il s’agit d’une « trousse de vérification de secours » et un point de départ dans vos réflexions sur le traitement des fausses nouvelles.

J’invite tous les lecteurs à me partager leur avis et à enrichir ce guide. Je serai heureuse de répondre à vos commentaires par e-mail, sur Twitter ou sur Facebook.

Pour comprendre plus en profondeur comment vérifier des informations, je vous invite également à visiter la rubrique Outils sur le site StopFake.

Voir également la page outils du GIJN sur la vérification d’informations.

Cet article a été traduit par Olivier Holmey. 

Olga Yurkova est la cofondatrice du projet ukrainien de fact checking StopFake et la cofondatrice de Forbidden Facts, un projet international qui vise à décrédibiliser les fausses nouvelles et à informer sur les mécanismes qui les sous-tendent. StopFake s’intéresse aux médias qui publient dans 13 langues différentes, mène des recherches universitaires sur les fausses nouvelles et propose une formation institutionnelle. Depuis son lancement en 2014, l’organisation a vérifié des dizaines de milliers d’articles, de photos et de vidéos et a révélé plus de 3 000 cas de tromperies.

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