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16.05.2024 à 15:28

Les partis politiques français et le conflit israélo-palestinien

Victor Pelpel

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Depuis le début de la Ve République, les positionnements relatifs au conflit israélo-palestinien n’ont cessé d’évoluer au gré des changements dans le paysage politique français. Sur quels héritages les partis actuels se fondent-ils et comment traduisent-ils du clivage des positionnements … Suite
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Depuis le début de la Ve République, les positionnements relatifs au conflit israélo-palestinien n’ont cessé d’évoluer au gré des changements dans le paysage politique français. Sur quels héritages les partis actuels se fondent-ils et comment traduisent-ils du clivage des positionnements sur le conflit israélo-palestinien en France ? Le parti gaulliste avait construit le socle de ce que l’on appellera le Gaullo-mitterrandisme, une doctrine de politique étrangère marquée, entre autres, par un positionnement plutôt pro-arabe au Proche-Orient. A cette période, au centre, les formations politiques sont elles, plutôt favorables à Israël. A gauche, le parti communiste se positionne en soutien de la cause palestinienne, et le parti socialiste, pour des raisons historiques, se place en faveur d’Israël. L’élection de François Mitterrand au poste présidentiel met pourtant le PS au défi de son clivage interne sur le conflit puisqu’il plaidera en faveur de la création d’un État palestinien. Puis, Jacques Chirac marquera à son tour la politique étrangère française par son soutien à la cause palestinienne. Depuis, la France connait une rupture avec ces positions plus traditionnelles. Retour en vidéo sur l’historique et l’évolution des positions des formations politiques françaises sur le conflit israélo-palestinien.

L’analyse de Pascal Boniface.

16.05.2024 à 11:08

Affaire Stormy Daniels : Donald Trump ou le refus de rendre des comptes

Déborah Yapi

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Grâce au jeu des appels, à la stratégie dilatoire de ses avocats, au caractère inédit des poursuites contre un ancien président qui désarçonne en partie la justice, mais aussi aux coups de pouce de la Cour suprême, le procès au pénal … Suite
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Grâce au jeu des appels, à la stratégie dilatoire de ses avocats, au caractère inédit des poursuites contre un ancien président qui désarçonne en partie la justice, mais aussi aux coups de pouce de la Cour suprême, le procès au pénal de Donald Trump dans l’affaire Stormy Daniels pourrait bien être le seul qu’il doive affronter avant l’élection présidentielle du 5 novembre. Or, malgré les apparences, c’est peu de dire que Trump est mis en difficulté. Il est accusé de corruption (« hush money ») pour avoir tenté d’acheter, à quelques jours de l’élection présidentielle de 2016, le silence d’une ancienne star du porno avec laquelle il avait eu une brève relation dix ans plus tôt.

Il ne s’agit donc pas de savoir si cette liaison entre Donald Trump et Stormy Daniels a bel et bien eu lieu (contre la promesse de participer à l’émission de téléréalité « The Apprentice » que l’homme d’affaires présente, dit l’actrice). L’enjeu, pour la justice, est de déterminer si l’homme d’affaires s’est livré à une falsification de documents comptables de l’entreprise familiale, la Trump Organization, pour empêcher Stormy Daniels de révéler leur relation. Il est également soupçonné, ce qui est bien plus grave, d’avoir délibérément interféré dans le processus électoral puisque, selon l’accusation, le candidat Trump a essayé par tous les moyens possibles, et surtout illégaux, de cacher cette liaison aux électrices et électeurs pendant la campagne qui l’a conduit à la présidence.

C’est Michael Cohen, qui était son avocat et d’une certaine manière son « homme des basses besognes », qui a versé les 130 000 dollars (120 000 euros) à Stormy Daniels, avant de bénéficier d’un remboursement de la part de Trump lui-même, selon des modalités que l’accusation estime très problématiques. Il s’agit en effet, selon elle, d’opérations maquillées en prestations de conseil juridique et d’une violation des règles de financement de la campagne. Cohen, dont le témoignage à la barre, lundi 13 mai, a sans nul doute constitué le point culminant du procès, a une nouvelle fois reconnu son rôle dans l’affaire et déjà purgé une peine de prison. Quant à Trump, il doit répondre de 34 chefs d’accusation pour falsification de documents comptables. Pour Matthew Colangelo, du bureau du procureur, il y a eu « une fraude électorale, pure et simple ». Pour ces faits, l’ancien président encourt jusqu’à quatre ans de prison.

Trump – qui s’est endormi pendant l’une des audiences – est affecté et affaibli par ce procès, dont il ne parvient pas à faire un atout politique. En dehors de ses meetings, il n’a pas le soutien des foules. C’est du temps, de l’énergie et de l’argent qu’il ne peut consacrer à sa campagne. « Eteignez le bruit. Concentrez-vous sur les faits », a dit Matthew Colangelo aux jurés, en réaction aux mimiques irritées, regards en biais et soupirs sonores de l’accusé. Il faut y ajouter les menaces dans les couloirs du tribunal où Trump, devant les caméras, diffame les protagonistes et parle d’une justice « aux ordres des démocrates », sans oublier ses meetings où les insultes fusent contre le procureur Alvin Bragg (« le gros Alvin », etc.). Ce « bruit », ce brouhaha de l’intimidation (des juges, des jurés et des témoins), a conduit le juge Juan Merchan à condamner Trump à dix reprises à une amende de 1 000 dollars et à laisser entendre qu’il pourrait l’envoyer derrière les barreaux s’il continuait à violer son « gag order » (obligation de silence). Trump s’en prend aussi au procureur spécial Jack Smith, qui instruit le dossier fédéral l’accusant d’avoir tenté d’inverser illégalement les résultats de l’élection de 2020 et d’avoir joué un rôle actif dans l’insurrection du 6 janvier 2021 : Smith est qualifié en meeting de « fucking asshole » ou de « voyou ».

De fait, rien n’importe plus à Trump qu’entretenir, coûte que coûte, son image de force, de puissance et d’invulnérabilité, et le procès en cours en est emblématique. Il démontre de manière archétypale son obsession à ne jamais accepter de rendre des comptes, que ce soit à son épouse (sa liaison avec Stormy Daniels a eu lieu quelques jours après que Melania avait accouché de leur fils Barron), à la justice, devant la loi, devant la Constitution, à ses donateurs (une partie des dons de campagne servent à payer ses avocats) ou même au peuple américain. Son mantra demeure qu’il est libre de faire ce qu’il veut, qu’il est au-dessus des règles communes. Une croyance profonde en son impunité qui nourrit l’injonction au plébiscite, un trait caractéristique du trumpisme. Jouer, voire théâtraliser, la posture du chef renvoie à un exercice vertical du pouvoir, qui nécessite également la disqualification des adversaires, de ses critiques, de ses concurrents, régulièrement accusés de « faiblesse » – dans les meetings de Trump, Joe Biden, qui était appelé « Sleepy Joe » en 2020, est devenu « Weak Joe » quatre ans plus tard. Il faut y voir une certaine cohérence : cette stratégie de communication annonce un projet de société et témoigne d’une certaine manière de gérer ses affaires… qui le rattrape aujourd’hui.

Par Marie-Cécile Naves pour Le Nouvel obs.

16.05.2024 à 10:00

« Européaniser » l’OTAN : une utopie ou une évidente nécessité pour les Européens ?

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La relation des États-Unis avec l’OTAN est souvent fantasmée par les Européens, qui d’ailleurs font assez facilement l’erreur d’amalgamer l’organisation de défense des États-Unis avec l’OTAN. Les Européens en général et les Français en particulier n’appréhendent pas correctement la réalité … Suite
Texte intégral (6581 mots)


La relation des États-Unis avec l’OTAN est souvent fantasmée par les Européens, qui d’ailleurs font assez facilement l’erreur d’amalgamer l’organisation de défense des États-Unis avec l’OTAN. Les Européens en général et les Français en particulier n’appréhendent pas correctement la réalité de cette relation pour plusieurs raisons.

D’une part, ils ont oublié le contexte et les circonstances exactes de la naissance de l’organisation, et les ambigüités qui en ont découlé. D’autre part, inconsciemment ou non, ils restent très autocentrés et n’ont toujours pas acté le glissement du centre géostratégique du monde, de l’Europe vers l’Asie-Pacifique. Enfin, ils sont peu conscients de l’évolution de la société américaine, de l’affaiblissement de sa relation historique avec le continent européen, et ils ne connaissent pas suffisamment l’organisation de défense des États-Unis à l’échelle mondiale.

En apportant un éclairage nouveau sur tous ces points, nous verrons comment les Européens doivent repenser leur propre relation à l’OTAN, imaginer un nouveau positionnement en son sein, afin de diminuer leur dépendance aux aléas extérieurs et protéger au mieux leurs intérêts.

Historique

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, devant la menace posée par l’Union soviétique, les Britanniques évoquent en 1948 la nécessité d’un « traité d’alliance et d’assistance mutuelle », qui établirait de part et d’autre de l’Atlantique Nord une alliance de défense et un groupement régional dans le cadre de la Charte des Nations unies. Cette proposition se concrétise l’année suivante par la signature du traité de l’Atlantique Nord à Washington, le 4 avril 1949.

L’organe de décision de cette nouvelle alliance transatlantique est le Conseil de l’Atlantique Nord (NAC) institué par ce traité. Composé des chefs d’État et de gouvernement des 12 pays alliés fondateurs[1], le Conseil décide ensuite de la création d’institutions permanentes, formalisée par la signature du protocole de Paris le 28 août 1952 sur le statut des quartiers militaires internationaux créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord. L’ensemble de ces institutions constitue désormais l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Dès 1951 et pendant 15 ans, à la demande de la France, le Grand quartier général des puissances alliées en Europe (SHAPE[2]), puis l’année suivante, le siège de l’OTAN, ont été installés en région parisienne, jusqu’au retrait de la France du commandement militaire intégré en 1966, sur décision du général de Gaulle.

Les pays fondateurs d’Europe occidentale ruinés par la guerre et ayant réduit leur appareil de défense demandent alors aux Américains de rester militairement engagés sur le continent européen, afin d’assurer leur protection face à la menace communiste.

Ambigüités constructives

Toutefois, dès le début, il semble qu’il y ait eu un malentendu sur les termes du partage du fardeau, car il se crée une différence importante en apport de capacités militaires entre les Américains et les Européens. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont considéré que leur contribution la plus importante à l’OTAN était le soutien économique matérialisé par le plan Marshall, pour aider les pays européens à entamer leur redressement d’après-guerre. De leur côté, les Européens ont progressivement perçu que ce déséquilibre militaire était une juste compensation pour avoir renoncé à toute ambition de leadership et accepté une situation de dépendance relative en termes de sécurité.

Pourtant, en 1956, la crise de Suez a eu un impact notable sur les relations entre alliés. En effet, après la nationalisation du canal de Suez par Gamal Abdel Nasser en Égypte, la France et le Royaume-Uni déclenchent une opération militaire conjointe pour en reprendre le contrôle. Le succès militaire de cette opération est immédiatement tempéré par les menaces à peine voilées des deux puissances nucléaires de l’époque, les États-Unis et l’Union soviétique, qui soutiennent le processus de décolonisation en cours. Le Royaume-Uni et la France en ont tiré des conclusions diamétralement opposées.

Afin de ne plus jamais être surprise par les États-Unis, la Grande-Bretagne décide de s’en rapprocher le plus possible pour pouvoir, espère-t-elle, influencer ses décisions en amont, et les garder engagés en Europe.

En revanche, le général de Gaulle décide que c’est la dernière fois que la France se fait menacer par une puissance nucléaire, quelle qu’elle soit. Cela l’amène, dix ans plus tard à quitter la structure du commandement militaire intégrée de l’OTAN et à demander le départ des troupes alliées du territoire français, afin de développer librement la force de frappe française. L’immense effort que conduit alors la France pour se doter de sa dissuasion nucléaire a irrigué toute son économie, en renforçant son indépendance énergétique grâce au nucléaire civil et en développant une base industrielle et technologique de défense de classe mondiale. À cette occasion, la France exprime aussi sa volonté d’autonomie vis-à-vis de l’allié américain, et commence à promouvoir le principe d’une défense européenne, tout en restant un allié loyal, mais exigeant, au sein de l’Alliance atlantique.

Jusqu’au retour de la France dans la structure de commandement militaire intégrée en 2009, cette position a nourri, pour ses alliés, une certaine ambigüité sur son positionnement vis-à-vis de l’OTAN.

Évolution du centre de gravité géostratégique

Pendant la guerre froide, l’Union soviétique était le compétiteur stratégique des États-Unis et le champ de bataille était le continent européen. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Avec un produit intérieur brut équivalent à celui de l’Espagne, la Russie ne peut se comparer aux États-Unis. Elle est cependant une puissance nucléaire dont l’arsenal ne peut être négligé et elle utilise sa capacité de nuisance pour intimider ses adversaires et remettre en cause l’ordre international actuel. Dans son nouveau dessein impérialiste, elle est redevenue une menace pour ses voisins, car un empire n’a pas de frontière, il n’a que des fronts.

Aujourd’hui, le véritable compétiteur stratégique des États-Unis est la Chine, dans tous les domaines. Cette dernière a d’ailleurs déclaré que son objectif était de devenir la première puissance mondiale en 2049, pour le centenaire de la création de la République populaire de Chine (RPC). Contrairement aux Occidentaux qui sont toujours pressés, la stratégie de la Chine s’inscrit dans le temps long[3] et s’appuie sur le principe de Sun Tzu dans « l’Art de la Guerre » : « paraître faible pour surprendre son adversaire ». L’administration Obama a acté cette nouvelle donne stratégique du déplacement du centre de gravité stratégique du monde vers l’Est, en promulguant son « pivot vers l’Asie ».

Pour comprendre la nouvelle posture américaine vis-à-vis de l’Europe, il faut abandonner nos références européennes et regarder le monde selon la perspective américaine. Les États-Unis sont une véritable puissance globale, un pays de taille continentale encadré par des pays voisins amicaux, protégé par deux océans, et avec des intérêts et des alliés partout dans le monde.

Les Européens sont souvent victimes de ce qui pourrait être appelé le « biais Mercator ». En effet, pour des raisons pratiques, la représentation du monde la plus utilisée en Occident est le planisphère ou carte du monde selon la projection de Mercator (projection d’une sphère sur un plan), avec le méridien de Greenwich marquant 0º de longitude au centre de la carte pour repousser la ligne de changement de date sur les bords du planisphère. Cette représentation très commune pour nous autres Européens, nous maintient dans l’illusion que nous sommes encore au centre du monde et que par conséquent nous sommes au centre des préoccupations des autres pays du monde, au premier rang desquels nos alliés américains. Mais rien n’est plus faux.

L’organisation de défense des États-Unis

Pour mieux comprendre le point de vue américain en matière de défense, de sécurité et de politique extérieure, analysons son facteur de puissance[4] militaire. L’organisation de l’outil de défense américain donne aux États-Unis la capacité unique de projeter sa puissance militaire en n’importe quel point du globe. Fort de près de trois millions de militaires d’active, de réservistes et de civils, et doté du premier budget de défense du monde à hauteur de 886 milliards de dollars[5], le département de la Défense américain est constitué de six armées, Army, Navy, Marine Corps, Cost Guards, Air Force and Space Force. Comme dans la plupart des armées occidentales modernes, ces armées (ou services en anglais) sont chargées de la préparation, c’est-à-dire du recrutement, de l’équipement et de l’entraînement des forces dans les différents milieux (terre, air, mer, espace). Sous l’autorité du président des États-Unis et du secrétaire à la Défense, la responsabilité de leur emploi opérationnel incombe à un chef militaire opérationnel. En France, il s’agit du chef d’état-major des armées (CEMA). Aux États-Unis, la plus haute autorité militaire est le président du comité des chefs d’état-major (CJCS). Il est d’abord le conseiller militaire du président des États-Unis, mais il n’exerce pas de responsabilité opérationnelle directe. La responsabilité opérationnelle d’emploi des forces est partagée entre 11 commandements stratégiques appelés Combattant Commands (COCOM), dont 6 sont régionaux[6] et 5 sont fonctionnels[7]. C’est comme si, en matière de commandement des opérations, les États-Unis disposaient de 11 CEMA pour commander et conduire leurs opérations partout dans le monde. Chaque COCOM est responsable au niveau stratégique des opérations militaires interarmées dans sa zone géographique ou dans son périmètre fonctionnel. Pour ce faire, il utilise les forces militaires des différentes armées qui lui sont attribuées au terme d’un processus assez complexe de génération de forces, dont les arbitrages sont rendus au niveau national par le Pentagone.

L’OTAN aujourd’hui

L’OTAN est une organisation politico-militaire constituée d’institutions civiles et de commandements militaires. Au niveau politique, l’organe de décision est le Conseil de l’Atlantique Nord. Les chefs d’État et de gouvernement se réunissent en personne à l’occasion des sommets. Le reste du temps, ils sont représentés en permanence par leur ambassadeur, ou par leur ministre à l’occasion de réunions thématiques (défense, affaires étrangères). Le conseil est présidé par le secrétaire général de l’OTAN (Jens Stoltenberg depuis 10 ans), nommé par consensus entre les nations. Il est appuyé dans ses fonctions par un secrétariat international pour préparer et mettre en œuvre ses décisions. Par ailleurs, au niveau militaire, le comité des chefs d’état-major des armées alliées, dont l’organe exécutif est l’état-major militaire international, supervise la structure de commandement militaire. Cette dernière est constituée de deux commandements stratégiques, ACO (Allied Command Operations) pour la conduite des opérations en Europe et ACT (Allied Command Transformation) pour la préparation des opérations futures.

Depuis le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN en 2009, le deuxième poste de commandeur stratégique, auparavant confié à un amiral américain (SACLANT – Supreme Allied Commander – Atlantic) a été attribué à un Européen, un général français, qui est devenu SACT (Supreme Allied Commander Transformation). Ce commandeur stratégique en charge de la transformation de l’Alliance est basé à Norfolk, en Virginie aux États-Unis. Par opposition au SACEUR (Supreme Allied CommanderEurope), un général américain qui est basé à Mons en Belgique, et qui est responsable des opérations actuelles de l’OTAN, le SACT est responsable de la préparation de l’avenir, c’est-à-dire des opérations futures. Au sein de son commandement sont traitées les questions d’analyse stratégique, de prospective, de développement capacitaire, de relations avec l’industrie, d’innovation, d’interopérabilité, d’entraînement et de doctrine.

L’OTAN n’a pas de forces militaires en propre, à l’exception de quelques avions de détection et de contrôle AWACS, et de grands drones de surveillance. Sa véritable plus-value est d’offrir à ses membres et partenaires une organisation permanente du commandement (états-majors, systèmes de commandement et de communication). Cela permet une réactivité immédiate et l’interopérabilité des forces militaires alliées pour conduire les opérations militaires de l’Alliance, dès que le niveau politique le décide. Les capacités militaires (hommes, matériels) sont fournies par les nations. La force militaire de l’Alliance résulte de la somme des forces armées des pays alliés opérant ensemble.

Les États-Unis sont prépondérants dans l’Alliance, mais il faut comparer ce qui est comparable. La puissance militaire américaine est conçue pour faire face à deux guerres mondiales simultanément, sur le théâtre indopacifique et sur le théâtre européen, alors que les forces armées européennes sont prioritairement dédiées à la défense du territoire européen.

Particularité en Europe, la fonction de SACEUR est assumée par le général américain qui commande aussi (et surtout) les forces américaines stationnées en permanence ou opérant en Europe (COM EUCOM). L’état-major du COM EUCOM est à Stuttgart en Allemagne. Cet officier général exerce simultanément ces deux responsabilités au profit de deux autorités différentes. Au niveau national américain, dans sa fonction de COM EUCOM, il répond au secrétaire à la Défense et au président des États-Unis. En revanche, dans le cadre de l’OTAN, pour sa responsabilité de SACEUR, il est sous l’autorité du Conseil de l’Atlantique Nord (NAC) constitué des 32 chefs d’État et de gouvernement des nations alliées ou de leurs représentants.

Alliance ou coalition ?

Au vu de l’organisation planétaire du système de défense américain, il est évident que les États-Unis n’ont pas besoin de l’OTAN pour faire la guerre et défendre leurs intérêts à l’échelle mondiale. D’ailleurs, depuis la guerre du Kosovo, où ils avaient particulièrement été marqués par la lenteur et la pesanteur du processus de validation politique des cibles aériennes par le NAC (notamment à cause du veto français), ils ont définitivement indiqué que leur mode préférentiel d’engagement était la coalition (« Coalition of the Willings »). Le mot d’ordre « qui m’aime me suive » est beaucoup plus simple à manier que l’obtention d’un consensus au NAC. Cependant, bien que différents, les deux modèles présentent des avantages et des inconvénients, et sont donc complémentaires. La coalition est plus réactive, mais aussi plus fragile, alors que l’alliance est plus lente pour prendre une décision, mais elle est aussi plus solide. En effet, la coalition est toujours bâtie sur le plus petit dénominateur commun d’intérêts à court terme, qui fait qu’un membre de la coalition peut tout aussi rapidement et sans préavis se désengager. En revanche, si le consensus est plus long à obtenir dans le cadre d’une alliance, la décision d’engagement est alors plus pérenne, car mûrement réfléchie et peut plus facilement s’inscrire dans le long terme.

Les Européens ont besoin d’une alliance, car aucun pays européen seul n’a la capacité de se défendre ou de conduire des opérations militaires d’envergure pour résoudre une crise internationale. Les Américains n’ont pas (ou ont moins) besoin d’une alliance militaire, c’est pour cela qu’ils préfèrent la coalition qui pour eux est d’abord une façon d’élargir la légitimité politique de leurs engagements militaires, sans sacrifier à la souplesse et à l’agilité. D’ailleurs, en cas de retrait d’un coalisé ou d’un partenaire, en général les États-Unis comblent le vide capacitaire (personnel ou matériel) laissé par le partant, avec leurs propres capacités militaires, ce qui bien sûr est hors de portée pour un pays européen, y compris la France.

Le général américain, SACEUR, est un chef militaire adulé et respecté en Europe. Sa légitimité est incontestable, car il apporte la puissance militaire de son pays. Pour autant, ce que les Européens ne perçoivent pas, c’est que cet officier général est d’abord le commandant des forces américaines en Europe (COM EUCOM). Il passe la majorité de son temps dans son état-major américain à Stuttgart en Allemagne ou en visite bilatérale dans les pays de sa zone de responsabilité. Il n’est présent dans son état-major OTAN, le SHAPE à Mons en Belgique, en moyenne qu’un jour par semaine. Il est important d’avoir conscience de cette situation.

La réalité, c’est qu’en cas de conflit en Europe, seule une petite partie des forces américaines passerait sous le commandement du SACEUR, et donc de l’OTAN. Nous aurions vraisemblablement deux opérations concomitantes, comme ce fut le cas sur tous les théâtres d’opérations récents, en Afghanistan, en Libye, en Irak : une opération de l’OTAN et une opération américaine libérée de toute contrainte alliée (caveat, véto, etc.). Ce que l’OTAN refuserait de faire ou prendrait trop de temps à décider, la coalition menée par les États-Unis pourrait le faire sans délai grâce à des règles d’engagements différentes et un processus de décision plus rapide. Il est illusoire de croire que l’ensemble des forces américaines passeraient sous le contrôle politique exclusif du NAC. D’ailleurs, dans l’esprit des militaires américains en opération, l’OTAN ou la coalition, c’est le regroupement des autres partenaires, éventuellement sous leur commandement, mais intellectuellement, ils ne s’incluent pas dedans, car leur organisation nationale de défense est bien plus importante.

« L’article 5 » du traité de Washington, érigé en totem par les Européens, ne garantit pas d’une automaticité de l’engagement américain. En cas d’agression supposée d’un des membres de l’Alliance, il y aura un vote au NAC et il faudra l’unanimité pour que cet article soit mis en vigueur. D’ailleurs, contrairement à son équivalent européen, la clause de solidarité de l’article 42-7[8], il n’est en rien engageant sur les moyens. La première et unique fois où il fut voté, ce fut à l’occasion des attentats du World Trade Center à New York, le 11 septembre 2001. Les Alliés adoptèrent à l’unanimité l’article 5 en apportant leur soutien aux États-Unis attaqués par Al-Qaïda sur leur propre sol.

Les Américains ne connaissent pas l’OTAN et ils n’en ont pas besoin. La réalité est que la majorité des militaires américains n’a pas servi en Europe, mais en Asie. Ils ont souvent participé à des opérations en Asie centrale (Afghanistan, Pakistan) ou au Moyen-Orient (Irak, Syrie). Nombre d’entre eux ont été stationnés dans les pays du Golfe où les rotations sont plus fréquentes, ou en Asie du Sud-Est (Japon, République de Corée). Au niveau politique à Washington, les personnes qui traitent de l’OTAN et des questions européennes étaient quelques dizaines au Pentagone, au Département d’État, à la Maison-Blanche (NSC). Cela a sans doute un peu évolué avec la guerre en Ukraine, mais sans fondamentalement changer la donne.

Les États-Unis et l’OTAN

En Europe, et même dans le monde, la majorité des pays associent l’OTAN aux États-Unis, à cause de leur prééminence en termes politiques et de leur poids relatif énorme en termes militaires dans l’organisation. Mais c’est une perception erronée de la relation États-Unis – OTAN. Les pays européens voient l’OTAN comme une organisation englobante plus grande qu’eux, alors que les États-Unis perçoivent l’OTAN comme une organisation régionale plus petite que leur propre organisation de défense.

Quelle est la situation aujourd’hui ? Les intérêts stratégiques et les valeurs que nous partagions largement pendant la guerre froide ne sont plus aussi convergents. Depuis l’administration Bush junior, les autorités politiques américaines rappellent régulièrement aux Européens que les « passagers clandestins »[9] de la sécurité sont de moins en moins acceptés par le contribuable américain. En effet, la physionomie de la population américaine a changé depuis 75 ans. Pendant la guerre froide, les autorités politiques américaines avaient souvent un lien étroit avec le continent européen, familial direct par leur ascendance ou parce qu’ils avaient eux-mêmes combattu pour sa libération. L’ennemi désigné des Américains et des Européens occidentaux était le même, l’Union soviétique, et le champ de bataille potentiel était l’Europe. Aujourd’hui, avec le développement accru des minorités afro-américaine, latino-américaine et asiatique-américaine aux États-Unis, et la perte de mémoire collective de l’expérience de la guerre froide, ce lien transatlantique s’est atténué, n’en déplaise aux Européens. Joe Biden est le dernier représentant de cette époque passée. Barack Obama est un homme du Pacifique (qui a grandi entre Hawaï et l’Indonésie) et les Européens avaient ressenti une certaine distance de sa part, qui correspondait à la prise de conscience de la menace grandissante de la Chine, ce qui l’avait amené à décréter le « pivot vers l’Asie ».

Dans ses déclarations tonitruantes, Donald Trump fait simplement écho à cette nouvelle réalité américaine, en officialisant le glissement de la relation transatlantique, d’une relation stratégique vers une relation plus transactionnelle. Les citoyens américains ne comprennent plus pourquoi ils devraient payer pour protéger des Occidentaux (Européens, mais également démocraties asiatiques), aussi riches et plus nombreux qu’eux, mais qui n’ont pas la volonté de s’accorder pour se défendre eux-mêmes.

Même si depuis, il est revenu dessus, la déclaration de Donald Trump sur un possible désengagement des États-Unis de l’OTAN, qui a instillé le doute sur la solidarité transatlantique et la validité de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, ne doit pas nous étonner pour les raisons évoquées ci-dessus. D’une part, elle s’inscrit dans la continuité de ses déclarations lors de sa première participation au NAC à Bruxelles en 2017, à la suite de son élection. D’autre part, cette approche est le fondement de sa stratégie de négociation (cf. son livre « L’art du deal »), dans une perspective purement transactionnelle. L’alliance des valeurs passe après les intérêts économiques nationaux, contrairement à ce que prévoit l’article 2 du traité de Washington. Pour mémoire, le marché européen est la première destination des exportations d’armement des États-Unis. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), 55% des importations d’armes par les pays européens proviennent sur la période 2019-23 des États-Unis. L’encouragement (parfois sous forme de chantage) du candidat Trump à l’augmentation des dépenses militaires par les Européens s’entend au bénéfice de l’industrie d’armement américaine. D’ailleurs, son attitude d’abandon de ses alliés, notamment en Syrie en 2018, avait conduit le secrétaire à la Défense James Mattis à démissionner de ses fonctions, en rappelant au président Trump que « America first does not mean America alone »[10].

Les Américains vont élire leur président pour défendre leurs intérêts, pas ceux de leurs alliés. Un éventuel maintien de Joe Biden au pouvoir n’y changerait rien, car le Congrès américain est profondément divisé sur la question du soutien à l’Europe, comme on le voit dans le blocage du soutien à l’Ukraine. L’éventuelle élection de Donald Trump porte en elle un risque pour l’Alliance atlantique, mais il faut y voir aussi une opportunité pour que les Européens se réapproprient leur sécurité, en assumant davantage leurs responsabilités.

Europe de la Défense ou défense de l’Europe ?

Renforcer le pilier européen de l’OTAN est la manière la plus commune d’envisager un meilleur partage du fardeau, et une contribution accrue des Européens à leur propre défense, mais sans remettre en cause le confortable leadership américain au sein de l’Alliance et de son commandement militaire. Il vrai qu’il est naturel et plus facile pour les alliés d’accepter le leadership du plus puissant d’entre eux (dix fois plus de dépenses de défense et de capacités militaires américaines potentiellement affectées au théâtre d’opérations européen, que les plus gros contributeurs européens), surtout quand ce leader est physiquement éloigné et séparé par un océan. Une autre réalité qui s’impose également à tous les membres d’une alliance ou d’une coalition est que « qui commande, paie ». C’est le principe de la nation-cadre, qui doit apporter davantage de ressources humaines, matérielles et financières que ses partenaires.

Un retrait américain condamnerait-il l’OTAN ? Il ne le faut pas. L’OTAN est l’assurance vie des Européens pour leur défense collective. Il faut donc qu’ils changent leur approche vis-à-vis de cette organisation vitale pour eux, et qu’ils ne la voient plus comme une organisation américaine à laquelle ils participent, mais comme une organisation européenne à laquelle les Américains participent. Les Européens doivent considérer l’OTAN comme le font les Américains, c’est-à-dire comme une organisation régionale dédiée à la protection du continent européen et de l’Atlantique Nord, qui garantit l’interopérabilité entre les forces militaires des pays alliés et facilite leur coordination dans l’action. Les Américains, quant à eux, disposent d’une autre organisation pour projeter rapidement et employer leur puissance militaire sur le continent européen, le commandement EUCOM.

Il est donc tout à fait envisageable et légitime d’imaginer un SACEUR européen comme le fut en son temps le maréchal Foch, premier commandeur suprême allié pendant la Première Guerre mondiale. Cet officier général européen devra préférablement être issu d’une nation militairement crédible et dotée de l’arme nucléaire. Il ne devra pas faire l’objet d’un choix politique en décalage avec l’expérience militaire et la compétence stratégique requises pour mener victorieusement les armées alliées au combat.

Il pourrait éventuellement être secondé par un général américain, afin de faciliter la coordination entre les deux commandements otanien et américain agissant en coalition. C’est par exemple le modèle adopté par les États-Unis dans leurs centres de commandement interalliés des opérations aériennes (CAOC – Combined Air Operations Center) dont la direction est confiée à des officiers généraux appartenant à leurs alliés les plus proches, les Five Eyes[11]. Un SACEUR européen n’aurait pas d’autre fonction nationale et pourrait se consacrer entièrement à sa charge au profit de l’OTAN, c’est-à-dire de la défense de son territoire, comme le fait aujourd’hui le SACT.

Pour les Alliés européens, revendiquer la fonction opérationnelle suprême dans la structure de commandement militaire intégrée en Europe, devra aller de pair avec un effort financier et capacitaire substantiel, à la hauteur de leurs ambitions. Cette approche cohérente crédibiliserait l’effort des nations alliées européennes pour mieux partager le fardeau de la défense du continent européen, avec leurs alliés transatlantiques. Une telle démarche de repositionnement plus ambitieux des Alliés européens au sein de l’OTAN s’inscrirait dans la règle tacitement admise des « 3D » (pas de découplage, de duplication, ni de discrimination)[12], lors de l’établissement de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) à la fin des années 90.

Pour les Américains, l’Europe de la Défense ou la défense européenne, que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou de l’Union européenne (UE), deviendra une réalité lorsque le budget de défense cumulé des pays européens sera à la hauteur des enjeux de défense et sécurité, c’est-à-dire similaire au budget américain. Il est important de préciser que, quelle que soit l’organisation retenue pour intervenir militairement, les nations ne disposent que d’un ensemble unique de forces armées qu’elles choisiront d’utiliser dans un cadre ou dans l’autre. L’augmentation des budgets de défense au niveau suffisant n’est pas hors de portée des pays européens, car l’UE, pour ne prendre qu’elle, est plus peuplée et presque aussi riche que les États-Unis. Ce n’est qu’une question de choix, de priorité et de volonté politique pour assurer sa propre défense. C’est dans ces conditions que les Européens démontreront réellement leur volonté de partager à la fois le fardeau et les responsabilités.

En définitive, les Européens doivent changer de stratégie, et arrêter d’être naïfs et de croire que les États-Unis accepteront toujours de les défendre sans autre contrepartie que l’achat de matériel militaire, pour une vague convergence de valeurs occidentales. La réalité est qu’un pays aide d’autant plus facilement un allié que celui-ci est fort et puissant et pourra lui retourner la faveur.

Que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou d’autres institutions européennes, les Européens doivent prendre leurs responsabilités et s’organiser pour défendre leurs intérêts, avec les États-Unis quand il y a convergence d’intérêts, mais aussi indépendamment d’eux, quand ils ne partagent pas les mêmes priorités.

La France a un rôle majeur à jouer dans cette dynamique européenne. Cependant, elle doit accepter que ce qui est assez naturel et évident pour elle (autonomie stratégique, effort de défense, etc.) ne l’est pas pour ses voisins et alliés européens. Plutôt que de chercher à les convaincre de la justesse de son point de vue, elle doit être davantage à leur écoute et les rassurer sur sa volonté de progresser avec eux vers une défense européenne crédible, qui n’exclut pas les Américains. En effet, la France, qui est un des rares pays européens à disposer d’une base industrielle et technologique de Défense (BITD) complète, est souvent suspectée d’antiaméricanisme primaire et perçue dans ses tentatives de promotion de l’autonomie stratégique européenne comme favorisant ses intérêts industriels nationaux contre le concurrent américain.

 

***

En conclusion, les Européens ne doivent pas avoir peur. L’incertitude du résultat des élections américaines est une opportunité à saisir, afin de nous organiser pour mieux défendre nos intérêts et prendre davantage de responsabilités dans une relation transatlantique plus équilibrée. Il est temps de sortir de cette dépendance excessive et mortifère, qui laisse l’électeur américain décider de notre avenir et de notre sécurité.

Regardons l’OTAN comme le font les Américains, c’est-à-dire comme une organisation régionale européenne, qui par conséquent pourrait tout à fait être militairement dirigée par des Européens, en coordination avec le commandement militaire américain en Europe. Cette nouvelle approche de responsabilisation des Européens pour leur défense serait parfaitement en accord avec la règle des « 3D » chère aux Américains : « pas de découplage, pas de duplication, pas de discrimination ».

Réfléchir ouvertement à une telle possibilité créerait une dynamique positive pour renforcer les synergies entre OTAN et UE, et contribuerait à diminuer la capacité de blocage systématique de la Turquie, empêchant le rapprochement nécessaire entre ces deux organisations, pour une défense européenne plus crédible.

—————————————

[1] Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Italie, Islande, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni

[2] SHAPE: Supreme Headquarters of Allied Powers in Europe.

[3] « The Hundred-Year Marathon» de Michael Pillsbury paru en 2015 aux Éditions Saint Martin’s Griffin, US

[4] La doctrine militaire occidentale reconnait en général 4 principaux facteurs de puissance : économique, diplomatique, militaire et informationnel.

[5] Budget de défense record adopté par le Congrès américain en décembre 2024

[6] Commandements américains pour l’Amérique du Nord (NORTHCOM), l’Amérique du Sud (SOUTHCOM), l’Asie centrale et le Moyen-Orient (CENTCOM), l’Europe (EUCOM), l’Afrique (AFRICOM), l’Indo-Pacifique (INDOPACOM)

[7] Nucléaire stratégique (STRATCOM), logistique (TRANSCOM), cyberdéfense (CYBERCOM), espace (SPACECOM), forces spéciales (SOCOM)

[8] La clause de défense mutuelle (article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne) prévoit que, dans le cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies.

[9] Discours au NAC du secrétaire à la Défense, Robert Gates en 2011, fustigeant les pays alliés « free riders » ne prenant pas équitablement leur part du fardeau au sein de l’OTAN, à cause de budgets de défense trop faibles.

[10] L’Amérique d’abord ne signifie pas l’Amérique seule

[11] Five Eyes (FVEY) : traité de coopération en matière de renseignement entre 5 pays anglophones (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande)

[12] En réaction aux accords franco-britanniques de Saint-Malo en 1998, pour l’établissement d’une politique européenne de sécurité et de défense, la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright avait exprimé par la formule des « 3D », les conditions acceptables pour les États-Unis et l’OTAN :  « pas de découplage entre les États-Unis et la sécurité européenne, pas de duplication des structures ou des initiatives qui existent déjà au sein de l’OTAN, et pas de discrimination à l’encontre des membres de l’OTAN qui ne font pas partie de l’UE ».

15.05.2024 à 18:04

L’Indo-Pacifique français : réenchanter la troisième voie ?

admin_iris

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Depuis 2018, la France a engagé sa propre stratégie dans l’Indo-Pacifique. Cette voie spécifique trouve un écho dans la région au moment où l’espace indopacifique semble se bipolariser entre la Chine et les États-Unis. Quels sont les tenants et aboutissants … Suite
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Depuis 2018, la France a engagé sa propre stratégie dans l’Indo-Pacifique. Cette voie spécifique trouve un écho dans la région au moment où l’espace indopacifique semble se bipolariser entre la Chine et les États-Unis. Quels sont les tenants et aboutissants de la stratégie française ? Qu’est-ce qui la différencie ? Comment pérenniser et rendre plus crédible cette troisième voie française ? Éléments de réponse avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Asie-Pacifique, dans le cadre de ses « Chroniques asiatiques ».

15.05.2024 à 17:50

Quelle défense pour la France ? Avec Thomas Gassilloud | Entretiens géopo

Déborah Yapi

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15.05.2024 à 17:27

La transformation de la posture de défense du Japon et le débat sur la dimension nucléaire de l’alliance avec les États-Unis.

Déborah Yapi

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En décembre 2022, le Japon a redéfini sa politique de sécurité avec trois documents décisifs : une Stratégie de sécurité nationale (NSS), une Stratégie de défense nationale (NDS) et un Programme de renforcement de la défense (Defense Buildup Program). Attendues … Suite
Texte intégral (4603 mots)

En décembre 2022, le Japon a redéfini sa politique de sécurité avec trois documents décisifs : une Stratégie de sécurité nationale (NSS), une Stratégie de défense nationale (NDS) et un Programme de renforcement de la défense (Defense Buildup Program). Attendues de longue date, ces publications comportent des éléments profondément transformateurs, ouvrant la perspective de changements significatifs au sein de l’Alliance américano-japonaise. Tout en témoignant du sentiment d’insécurité accru de Tokyo au cours de la dernière décennie, elles ont révélé l’ampleur de la réflexion engagée sur la mise en place de moyens par lesquels les Forces d’Autodéfense japonaises (FAD) pourraient jouer un rôle plus important. Ceci notamment en soutien à la stratégie Indo-Pacifique américaine, à la fois pour des opérations conventionnelles et nucléaires. Le Japon a ainsi annoncé une augmentation significative du budget de la défense étalée jusqu’en 2027 ainsi que l’acquisition de capacités de contre-attaque via des missiles à longue portée, tels que les missiles surface-navire de type 12 (12SSM) et des Tomahawks américains. Il prévoit également d’intégrer les FAD dans une nouvelle structure de commandement interarmées d’ici mars 2025.

Au-delà des stratégies de zone grise chinoises, la multiplication des tirs balistiques nord-coréens, l’agression russe contre l’Ukraine en février 2022 et la menace de coercition nucléaire agitée par Vladimir Poutine dans le cours du conflit ont également influencé ce renforcement de la posture stratégique du Japon. Ces évolutions de fond de situations régionales ayant une portée globale ont relancé les interrogations japonaises sur certains aspects de l’Alliance avec les Etats-Unis, toujours promptes à resurgir. Cette problématique récurrente s’est accompagnée de déclarations publiques et de discussions plus restreintes confinées aux cercles politico-militaires nippo-américains sur l’élargissement du partenariat de l’archipel avec l’OTAN, l’idée d’un « partage nucléaire » avec les Etats-Unis et plus récemment sur l’intégration du Japon au sein du deuxième pilier d’AUKUS. La thématique du « partage nucléaire » a pour sa part été lancé- sans doute comme un ballon d’essai- par Shinzo Abe, ancien Premier ministre japonais tragiquement assassiné en juillet 2022. A l’époque, il avait suggéré que le Japon devrait commencer à évoquer cette perspective avec les États-Unis. Bien que, pour l’heure, ce débat a été qualifié « d’inacceptable » par l’actuel premier ministre Fumio Kishida, élu parlementaire de la ville martyre d’Hiroshima, rien ne dit qu’il ne puisse resurgir, poussé par une accélération des tensions régionales et une tendance au réarmement global. Cette notion de « partage nucléaire » a également été soulevée par le président sud-coréen Yoon Suk-yeol qui entend en faire un élément constitutif de l’Alliance de sécurité entre la Corée du Sud et les Etats-Unis. Au moment où s’amorce une dynamique apparente de « trilatéralisation » des relations de sécurité et de recherche de synergies opérationnelles entre ces deux pays et les Etats-Unis, la problématique nucléaire propre au Japon prend une résonnance nouvelle.

Cette note prend donc date en évoquant les aspects principaux de ce débat non clôt.

LA QUESTION NUCLEAIRE ET L’ALLIANCE NIPPO-AMERICAINE

L’avenir nucléaire du Japon, ou les discussions qui s’y rapportent, est périodiquement un sujet d’intérêt. Par le passé, la question a souvent été posée de savoir si le Japon devait acquérir sa propre capacité d’armement nucléaire. En réponse, les contre-arguments ne manquent pas. L’idée est ancrée que le Japon, seul pays au monde à avoir subi le feu atomique, ne sera jamais en mesure de surmonter l’obstacle psychologique, émotionnel et politique que représenterait l’abandon de sa politique non nucléaire. Plus significativement, l’acquisition de telles capacités changerait fondamentalement l’organisation de l’Alliance américano-japonaise. Celle -ci joue un rôle essentiel dans la politique de défense des États-Unis en Asie de l’Est depuis les années cinquante. En continuant à s’adapter à l’évolution des dynamiques stratégiques dans la région, l’Alliance est considérée par ses deux protagonistes comme un puissant facteur de stabilité pour l’Indo-Pacifique et au-delà. En ce sens l’inclusion du Japon dans le deuxième pilier d’AUKUS consacré au développement de technologies militaires avancées (informatique quantique, IA, armes hypersoniques) était prévisible. Elle vise à maintenir le rapport de puissance capacitaire sino-américain en faveur des Etats-Unis et de son réseau d’alliés et de partenaires à l’échelle régionale mais aussi dans une optique de dissuasion globale.

La politique des Trois principes non-nucléaires (hikaku san gensoku).

Le renforcement progressif des FAD découlant de l’évolution des options politico-militaires du Japon a été étroitement lié à une relation américano-japonaise assez unique. Depuis la fin de la guerre froide, le Japon s’est efforcé d’adapter sa défense à un cadre de sécurité régional et international mouvant afin de jouer un rôle plus important au sein d’une relation avec les Etats-Unis où il s’est longtemps perçu comme un « junior-partner ». Ce rééquilibrage progressif, entamé dès les années 1960, s’est accéléré lorsque Shinzo Abe est revenu au poste de premier ministre pour la deuxième fois en décembre 2012. Sa politique de « contribution proactive à la paix » s’est traduite par l’adoption de la loi sur la protection des secrets spécifiques, de la première Stratégie de sécurité nationale du Japon en 2013, l’assouplissement des restrictions sur les exportations de technologies de défense en 2014 et la promulgation des Lois pour la paix et la sécurité en 2015. Ces dernières permettent désormais au Japon d’exercer le droit à l’autodéfense collective dans des circonstances spécifiques.

Tout au long de cette évolution, l’approche des cercles décisionnels nippons à l’égard des questions nucléaires est restée constante. Fortement influencé par les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945 et son identité de yuiitsu no hibakukoku (le seul pays), le Japon s’est opposé à la présence d’ogives nucléaires américaines sur son sol dans les premières années de la guerre froide, lorsque les États-Unis ont placé l’archipel sous leur parapluie nucléaire. On notera cependant que le Japon a servi de bases arrière pour les équipements américains, dont les bombardiers stratégiques, déployés dans le cadre de la guerre de Corée de 1950 à 1953. L’approche japonaise a été codifiée sous la forme des « Trois principes non nucléaires » (hikaku san gensoku) en 1967, selon lesquels le Japon s’engageait à ne pas posséder, à ne pas produire et à ne pas introduire d’armes nucléaires sur son territoire. Compte tenu de la persistance du rejet de l’opinion publique japonaise à l’encontre des armes nucléaires, ces principes ainsi que la signature du Traité de non-prolifération en 1968 constituent le fondement de l’approche du Japon en la matière depuis des décennies, tout en lui permettant de s’imposer comme un ardent défenseur du désarmement et de la non-prolifération nucléaires.

Depuis le milieu des années 1990, cette ligne a été régulièrement interrogée en raison des menaces grandissantes émanant des deux voisins nucléaires du Japon – la Chine et la Corée du Nord. La bellicosité nord-coréenne – le pays a réalisé à ce jour six essais nucléaires -s’est récemment aggravée avec des tests de missiles balistique intercontinentaux de plus en plus fréquents et les progrès de son programme spatial. Toutefois, la modernisation des capacités militaires conventionnelles et nucléaires de Pékin, associée à un comportement plus affirmé dans les mers de Chine orientale et méridionale, a incité le Japon à donner la priorité aux risques posés par la Chine au cours de la dernière décennie. Ce que souligne clairement la NSS 2022.

Dissuasion élargie et partage nucléaire avec les Etats-Unis

Plus récemment, la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine a intensifié les inquiétudes nippones concernant le danger nucléaire. Le Japon et la Russie ayant toujours un conflit de souveraineté non résolu sur les « Territoires du Nord » (Kouriles pour la Russie), la volonté apparente de Moscou d’utiliser des armes nucléaires pour menacer l’Ukraine et d’autres États impliqués dans le conflit a conduit Tokyo à s’interroger sur l’impact qu’une menace similaire – russe, chinoise, nord-coréenne – pourrait avoir sur l’Asie de l’Est et sa propre sécurité nationale. Ainsi, le conflit russo-ukrainien ne peut que nourrir le débat sur les possibles options nucléaires ouvertes au Japon, en particulier la question de savoir si l’archipel devrait commencer à envisager le « partage nucléaire » et le stockage d’armes nucléaires américaines sur son sol comme l’avait suggéré Shinzo Abe. Immédiatement après l’attaque russe, celui-ci avait déclaré que le Japon devrait discuter du concept de partage des armes nucléaires avec les États-Unis, comme le font certains membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), en faisant valoir que l’Ukraine n’aurait pas été envahie si elle avait été un État membre de l’OTAN. Une telle approche a été soutenue par d’anciens hauts fonctionnaires japonais, tant civils que militaires et certains parlementaires du parti gouvernemental appartenant à la fraction la plus conservatrice du Parti Libéral démocrate du Japon (PLD). En outre, la réaction de l’administration Biden au conflit entre la Russie et l’Ukraine – excluant toute intervention militaire directe en laissant entendre que la raison en est le statut de puissance nucléaire de la Russie – a alimenté des doutes supplémentaires quant à la volonté des États-Unis de respecter ses engagements de sécurité envers Tokyo.

Jusqu’à présent, les États-Unis n’ont pas esquivé la réponse aux préoccupations concernant la crédibilité de leur parapluie nucléaire. Des discussions sur le sujet se sont tenues régulièrement depuis 2010 avec des responsables japonais dans le cadre d’une enceinte spécifique, le Dialogue sur la dissuasion élargie, Extended Deterrence Dialogue, EDD, de consultations officieuses sur l’examen de la revue de Posture nucléaire, Nuclear Posture Review, NPR et de réunions 2+2 des ministres de la défense et des affaires étrangères. Néanmoins, à mesure que la Chine développe son arsenal nucléaire, Tokyo s’inquiète à juste titre de l’efficacité technique de la dissuasion élargie des États-Unis dans la région et s’interroge davantage sur ce qui déclencherait une réponse militaire américaine. Compte tenu des points chauds potentiels tels que le détroit de Taiwan, les mers de Chine orientale et méridionale et la péninsule coréenne, la crédibilité de la garantie de sécurité américaine, est cruciale pour la politique de défense du Japon et l’engagement des deux alliés à maintenir un Indo-Pacifique « libre et ouvert ». Les implications stratégiques de ce débat sur la défense du Japon, y compris ses possibles options nucléaires, peuvent avoir un impact profond sur l’Alliance américano-japonaise et au-delà sur le réseau de proches partenaires (like-minded partenaires) des deux pays, comme la Corée du Sud, l’Australie où le Royaume Uni. Washington pourrait ainsi devoir réévaluer ses discussions en cours avec Tokyo concernant les rôles, les missions et les capacités des forces armées des deux pays afin de rendre la coopération bilatérale plus efficace et opérationnelle tout en y intégrant une perspective régionale. Par exemple, si le Japon décide d’accepter le partage nucléaire et/ou d’autoriser les armes stratégiques américaines sur son sol, ou si la République de Corée acquiert des armes nucléaires de manière autonome ou par le biais d’un accord de partage nucléaire, l’organisation du dispositif militaire des forces américaines au Japon et plus largement en Asie de l’Est devra être réévalué. Pour l’heure, les Trois principes non nucléaires figurent aux côtés de la mention de la dissuasion élargie octroyée par l’Alliance comme bases fondamentales guidant la NSS 2022.

ENGAGÉ DANS LA NON-PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE, LE JAPON NE S’INTERDIT PAS DE REFLECHIR SUR SES OPTIONS NUCLÉAIRES POSSIBLES

Bien que l’invasion russe de l’Ukraine ait suscité des discussions sur l’avenir de la sécurité du Japon, y compris sur les options nucléaires, ce dernier reste attaché à son rôle de défenseur de la non-prolifération et du désarmement nucléaires. C’est particulièrement le cas sous l’actuelle administration Kishida. Le sommet du G7 à Hiroshima a reflété le dilemme du Japon qui, bien que défenseur de la non-prolifération et du désarmement nucléaires, continue à s’appuyer sur le parapluie nucléaire américain pour assurer sa propre sécurité nationale. De la même façon, le Japon n’a pas adhéré au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entré en vigueur en 2021. A moins que la Corée du Nord n’intensifie considérablement ses tirs de missiles à l’égard du Japon ou que la Russie ne lance une attaque nucléaire contre l’Ukraine, cette position consistant à poursuivre le désarmement nucléaire tout en bénéficiant de la dissuasion élargie américaine sera probablement maintenue. Toutefois, cette approche pourrait changer si le Japon envisageait d’autoriser les escales de sous-marins à propulsion nucléaire américains et non américains. On notera qu’à la demande insistante du président Yoon Suk-yeol, les Etats-Unis ont repris les escales de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) sur le territoire sud-coréen en 2023. Ces escales, suspendues depuis 1991 en raison de la décision américaine de retrait de toutes leurs armes nucléaires tactiques de Corée du Sud, s’inscrivent dans une logique de réassurance des garanties de sécurité. Il s’agit de conforter l’allié sud-coréen sur la solidité de l’engagement nucléaire de Washington face à la nucléarisation, désormais irréversible, de la Corée du Nord.

En réalité, la grande majorité de la population japonaise reste fermement opposée à l’acquisition par le pays de capacités nucléaires, que ce soit sous la forme d’un accord de partage nucléaire de type OTAN avec les États-Unis ou par le développement d’armes nucléaires propres. Leur soutien au maintien de l’engagement normatif de Tokyo à l’égard des Trois principes non nucléaires reste solide. Ce sentiment est fermement affiché par le Premier ministre Kishida, qui affirme que son gouvernement n’a pas l’intention d’envisager cette option et, outre les Trois principes, se réfère à la loi fondamentale sur l’énergie atomique stipulant que l’utilisation de l’énergie nucléaire par le Japon est limitée à des fins pacifiques.

Pour autant, le principe de « non-introduction » d’armes atomiques sur le territoire japonais est un élément important du débat global sur le nucléaire au Japon. Parmi les experts et les hauts fonctionnaires du pays, il y a des désaccords sur la question de savoir si un sous-marin nucléaire effectuant une escale de quelques jours doit être considéré comme une « introduction » d’armes nucléaires. A vrai dire, il n’y a pas de consensus sur la définition précise de l’expression « pas d’introduction », et notamment si elle décrit des situations permanentes implication une interdiction définitive où si elle admet des situations ponctuelles, c’est-à-dire une « semi-permanence » guidée par une opportunité stratégique. On peut imaginer qu’une situation extrême mettant en cause la sécurité de l’archipel puisse inciter les cercles dirigeants japonais à changer d’avis et à faire montre du pragmatisme qui a accompagné l’évolution des questions de défense et de sécurité de l’archipel sur ces cinquante dernières années. Les trois principes non nucléaires étant basés sur une politique déclaratoire mais pas juridiquement contraignante, ils devraient permettre une relative flexibilité pour coopérer dans le cadre d’une dissuasion élargie en cas d’urgence. Par exemple, le Japon pourrait autoriser l’atterrissage ponctuel de bombardiers stratégiques américains portant des armements nucléaires ou l’escale de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, SNLE, dans une situation de crise. On peut également imaginer une démarche japonaise rejoignant l’esprit de celle du président Yoon Suk-yeol afin de marquer la résolution de l’alliance avec les Etats-Unis à fixer des lignes rouges et dissuader tout perturbateur d’initiatives aventureuses.

L’INDISPENSABLE RE-EQUILIBRAGE OPERATIONNEL DE L’ALLIANCE

Si les questions liées aux visites temporaires d’aéronefs ou de bâtiments de combat dotés d’armes nucléaires font l’objet de nombreuses discussions, ceci n’est qu’un aspect des problèmes qui se posent. Le cœur du débat reste la manière dont la dissuasion élargie américaine sera mise en œuvre et sur la manière dont le Japon peut apporter son soutien dans le cadre des mécanismes existants ou à élaborer. Par exemple, le Dialogue sur la dissuasion élargie, EDD, est actuellement dirigé par des secrétaires adjoints américains et des directeurs généraux adjoints japonais, ce qui, selon certains critiques, n’est pas suffisamment élevé pour en accroître la portée et donc fournir publiquement le niveau approprié d’assurance politique. Le fait de hausser l’EDD au niveau ministériel, attirerait davantage l’attention du public et enverrait un message stratégique fort à la Chine, avec un risque moindre d’aggraver les tensions. Les discussions tenues en 2022 et 2023 ont d’ailleurs évoqué la perspective d’un renforcement des outils diplomatiques existant mais aussi des activités opérationnelles conjointes entre les forces armées des deux pays, à l’image de l’exercice d’entrainement majeur axé sur la défense antimissiles KEEN SWORD.

Donner des gages de « réassurance »

Les discussions au sein de l’EDD pourraient également porter plus précisément sur la planification, notamment sur les modalités suivant lesquelles les États-Unis mettraient en œuvre la dissuasion élargie, c’est à dire la façon et le moment où les forces américaines agiraient pour protéger le Japon en cas de crise. Par ailleurs, il serait sans doute utile pour les deux pays d’envisager la possibilité d’incorporer un nouvel organe consultatif dans l’EDD, similaire au Groupe consultatif nucléaire (NCG) américano-coréen annoncé dans la Déclaration de Washington en avril 2023 signée entre les présidents Yoon et Biden. La mise en place d’un forum similaire entre les Etats-Unis et le Japon permettrait à Tokyo de prendre part aux discussions de planification et à la prise de décision en matière d’opérations nucléaires, et les deux pays seraient en mesure d’établir un lien plus efficace entre la planification opérationnelle des forces conventionnelles et nucléaires.

Dans les faits, le Japon serait très probablement le dernier pays d’Asie du Nord-Est à se doter de ses propres armes nucléaires, et on peut citer au moins deux scénarios probables pour que le pays prenne une telle initiative : l’affaiblissement de l’Alliance entre les États-Unis et le Japon et la décision de la République de Corée de se doter de ses propres armes nucléaires. La forte « allergie nucléaire » du Japon et sa confiance dans l’alliance ont joué un rôle important dans la décision de Tokyo de s’appuyer sur le parapluie nucléaire américain plutôt que d’acquérir ses propres armes nucléaires. Toutefois, si les États-Unis laissent croire qu’ils ne sont pas disposés à combattre et à défendre le Japon contre une attaque armée, l’efficacité de la dissuasion élargie en serait diminuée, ce qui pousserait l’archipel à chercher à se doter de ses propres capacités nucléaires pour se défendre. De même, si la Corée du Sud se dote d’armes nucléaires, elle signalera au Japon que les États-Unis ne sont pas en mesure de défendre leurs alliés par le biais de la dissuasion élargie. C’est pourquoi il est important que les États-Unis rassurent le Japon en renforçant la crédibilité de l’Alliance, ce qu’ils peuvent faire par le biais de discussions pragmatiques et d’exercices combinés. Ceci posé, on peut penser que le Japon, en tant que puissance nucléaire du « seuil », constitue une menace implicite suffisante pour dissuader les adversaires potentiels, tels que la Chine et la Corée du Nord. Tokyo possède déjà la technologie, le savoir-faire et les matériaux nécessaires, dont des stocks de plutonium grâce à son programme civil, nécessaires au développement de capacités nucléaires militaires. L’archipel dispose également de lanceurs spatiaux très performants. Ces dispositions, caractéristiques d’une puissance nucléaire potentielle ou « virtuelle » ne peuvent qu’inciter tant Pékin que Pyongyang à une relative prudence dans leurs calculs stratégiques.

La transformation des structures de commandement et d’organisation des forces

Les nouvelles orientations stratégiques du Japon amorcées dans la NSS et la NDS de 2022 semblent indiquer que le Japon entend contribuer à l’alliance en coordonnant ses capacités de contre-attaque avec les États-Unis. Les missiles japonais à longue portée, incluant les 400 Tomahawks fabriqués aux États-Unis, permettraient de frapper la Chine en profondeur et pourraient réduire l’écart entre les capacités militaires chinoises et américaines dans la région. Toutefois, les moyens de contre-attaque du Japon restent faibles et il faudra beaucoup d’entrainement avant qu’ils soient opérationnels. Actuellement, le Japon possède des capacités limitées en matière de commandement, de contrôle, de communication, d’informatique, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (C4ISR). En outre, bien que les missiles à distance constituent une bonne option de dissuasion, ils comportent un risque inhérent d’escalade. Il est donc important que le Japon et les États-Unis discutent de la manière d’assurer une coordination opérationnelle harmonieuse et d’atténuer le risque d’escalade. Le Sommet bilatéral tenu le 10 avril 2024 entre les deux pays permet d’ailleurs à l’Alliance de franchir un nouveau cap stratégique en matière d’intégration et de partage des capacités avec la création d’un Conseil de défense conjoint et la mise en place prochaine d’un nouveau commandement américain dans l’archipel afin que les forces américaines soit mieux à même de se coordonner avec les FAD en cas de crise. Là aussi, la comparaison avec la Corée du Sud s’impose. Contrairement à cette dernière, où les troupes américaines et sud-coréennes peuvent opérer sous le commandement unifié d’un officier général quatre étoiles, Le Combined Force Command, les forces des Etats-Unis stationnées au Japon sont placées sous les ordres d’un officier général subordonné au commandement américain pour l’Indo-Pacifique (US INDOPACOM) établi à Hawai. Cet officier n’a aucun pouvoir de décision stratégique et ses responsabilités apparaissent limitées à la gestion des bases et des 54 000 soldats américains déployés dans l’archipel. La constitution d’une structure de commandement américaine interarmées basée au Japon apparait pourtant justifiée pour des raisons d’efficacité opérationnelle. Cette évolution pourrait d’ailleurs accompagner la montée en puissance d’une structure interarmées japonaise similaire, toujours en gestation. Toutefois, si on peut à terme déboucher sur un Etat-major conjoint capable d’exécuter des opérations de planification et de coordination il est difficile, pour des raisons politiques propres au Japon, de concevoir la constitution d’un état-major intégré, rassemblant sous un même commandement les forces américaines et japonaises.

Conclusion

En dépit des efforts de l’administration Biden pour se recentrer sur ses alliés et restaurer leur confiance dans l’engagement des États-Unis, la crainte demeure au Japon que la relation de sécurité ne soit pas suffisamment institutionnalisée pour résister à l’éventualité redoutée d’un retour de l’administration Trump. Il est indéniable que la capacité de l’Alliance à défendre le Japon et la région est plus étendue que jamais, mais à mesure que les enjeux de sécurité en Asie de l’Est s’accroissent, les actions des États-Unis sont étroitement scrutées tant par leurs alliés que par leurs adversaires, notamment la crédibilité du parapluie nucléaire américain. Les commentaires du président Biden rejetant l’idée d’envoyer des troupes en Ukraine en raison du statut de puissance nucléaire de la Russie ont eu un certain impact au Japon comme en Corée du Sud sur la dissuasion élargie des États-Unis appelant des éclaircissements et à tout le moins des discussions plus ouvertes entre partenaires. Vu du Japon, l’idée prédomine qu’ une alliance n’est pas un engagement à sens unique, et Tokyo se doit d’envisager les moyens par lesquels les FAD peuvent jouer un rôle plus important dans le soutien des forces américaines dans l’Indo-Pacifique, à la fois pour les opérations conventionnelles et nucléaires. Toutefois, il est essentiel que les États-Unis reconfirment constamment et visiblement leur engagement envers l’Alliance.

De façon plus générale, quelle que soit l’orientation que prendra tout débat sur la politique nucléaire du Japon, elle aura un impact profond sur la dynamique de sécurité en Asie de l’Est et plus largement en Indo-Pacifique. La Chine a toujours protesté contre ce débat, arguant qu’il mettait en lumière ce qu’elle n’a de cesse de dénoncer comme une dangereuse tendance militariste du Japon. Par conséquent, tout signe d’éloignement par Tokyo de la politique des Trois principes non-nucléaires pourra être utilisé pour justifier une nouvelle expansion des forces nucléaires chinoises, qui sont déjà en forte augmentation depuis plusieurs années. Il va sans dire que la Corée du Nord tirera elle aussi parti d’une telle évolution pour renforcer son comportement agressif. Il est donc essentiel de prendre au sérieux toute amorce de discussion au Japon sur l’orientation future de sa politique de défense, notamment son avenir nucléaire.

15.05.2024 à 10:30

« Une Europe féministe montrerait l’exemple au monde et serait plus forte »

Déborah Yapi

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