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05.05.2025 à 08:41

Bolloré : un empire centré sur le Luxembourg bien plus que sur la Bretagne

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Les Bolloré ne manquent pas une occasion de mettre en valeur leurs racines bretonnes et leurs activités industrielles dans la région. Une manière de masquer la réalité d'un groupe construit sur des coups financiers et des savantes constructions juridiques dont beaucoup passent par le Luxembourg. Extraits du rapport « Le Système Bolloré ».
Vincent Bolloré se plaît à cultiver une image locale et traditionnelle, celle d'un industriel solidement implanté dans son territoire finistérien, (…)

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Texte intégral (2993 mots)

Les Bolloré ne manquent pas une occasion de mettre en valeur leurs racines bretonnes et leurs activités industrielles dans la région. Une manière de masquer la réalité d'un groupe construit sur des coups financiers et des savantes constructions juridiques dont beaucoup passent par le Luxembourg. Extraits du rapport « Le Système Bolloré ».

Vincent Bolloré se plaît à cultiver une image locale et traditionnelle, celle d'un industriel solidement implanté dans son territoire finistérien, héritier d'une entreprise familiale vénérable qu'il a fait grandir et qu'il transmet à son tour à ses enfants. En 2022, l'entreprise Bolloré a fêté ses 200 ans d'existence avec cérémonie en costume breton, et a rejoint les rangs très fermés du « club des Hénokiens », une association d'entreprises familiales au moins bicentenaires. Une image en phase avec la foi catholique réputée très conservatrice du milliardfaire et avec son engagement politique de moins en moins caché en faveur des droites extrêmes. Économiquement, le groupe Bolloré serait, en somme, le modèle même de ce que défendent politiquement Vincent Bolloré et sa famille : un groupe industriel national aux racines profondes, fidèle à des valeurs ancestrales.

La réalité est cependant bien différente. Quand il hérite en 1981 avec son frère Michel-Yves de la direction de l'entreprise papetière familiale, spécialiste du papier bible et du papier à cigarettes, Vincent Bolloré – qui est né et a passé toute sa vie à Paris – a déjà commencé sa carrière dans la haute banque. Il fait de la société qu'il contrôle désormais un tremplin pour des opérations financières et spéculatives et pour la conquête d'un empire économique qui déploie ses activités aux quatre coins du globe. Les activités de papeterie sont petit à petit abandonnées. Seul souvenir lointain de l'entreprise familiale d'il y a quarante ans, la production de films plastiques ultra-fins destinés aux condensateurs électriques ne représente plus aujourd'hui qu'une part très marginale de l'empire Bolloré.

L'histoire du groupe Bolloré est donc surtout celle d'acquisitions (ou de tentatives d'acquisition) boursières d'entreprises ou d'actifs financiers dans des secteurs qui n'ont pas grand chose à voir les uns avec les autres. Ces actifs finissent généralement par être revendus au bout de quelques années, souvent avec une confortable plus-value – comme a même fini par l'être l'empire africain. En ce sens, et contrairement à l'image d'industriel qu'il aime entretenir, Vincent Bolloré opère à la manière de ces fonds qui investissent dans l'économie réelle dans une optique purement financière, dans le but de dégager des profits et des plus-value à la revente.

L'organigramme de la tête du groupe Bolloré est d'ailleurs un joyau d'ingénierie financière : des holdings en cascade, des boucles d'autocontrôle qui s'entrelacent, un enchevêtrement de sociétés aux noms exotiques. Une savante complexité, tout entière au service d'un unique objectif : verrouiller le contrôle de la multinationale par un actionnaire minoritaire. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, Vincent Bolloré et ses proches ne détiennent qu'une part réduite – 13,73 % à fin 2023 – du capital du groupe qui porte leur nom. Ils contrôlent pourtant la majorité des droits de vote et assurent une direction sans partage. Une forme de capitalisme sauvage … sans capital.

Poulies bretonnes

Comment est-ce possible ? Tout simplement grâce à un empilement de holdings qui permet, à chaque étage, de « collecter » des fonds auprès d'autres actionnaires ou par endettement. L'effet de levier joue à plein : de holding en holding, le capital des sociétés grossit grâce aux apports extérieurs, et permet de détenir des sociétés de plus en plus importantes. Pour autant, le contrôle reste entre les mains de la holding au sommet de l'organigramme, tout en haut, puisque chaque société détient un petit peu plus de 50 % du capital de l'étage inférieur et donc la majorité des droits de vote. Vincent Bolloré est loin d'être le seul à recourir à ces « holding de holding de holding » – Jean-Charles Naouri, ancien patron de Casino, en a par exemple abusé jusqu'à la faillite de son groupe – mais elles sont devenues si emblématiques du système Bolloré que l'expression « poulies bretonnes » est aujourd'hui entrée dans le langage courant de l'ingénierie financière pour désigner ce type de montage.

Au sommet de l'organigramme, on retrouve donc les membres de la famille Bolloré, actionnaires d'une société européenne non cotée, « Bolloré Participations ». C'est le cœur du pouvoir du groupe, où tout est organisé pour que le clan en conserve le contrôle : l'article des statuts détaille par exemple sur trois pages les conditions de cessions ou de transmissions des actions. Elles peuvent intervenir entre membres de la famille et entre sociétés contrôlées majoritairement par le groupe, mais sont soumises à accord des autres actionnaires au-delà, y compris en cas de simple nantissement et ou lors de cessions résultant d'une décision de justice.

Le capital social de « Bolloré Participations » est modeste, 8,5 millions d'euros. La société détient directement 50,04 % d'une autre holding, « Omnium Bolloré », qui elle-même détient 50,31 % de la « Financière V » (pour Vincent…), et ainsi de suite jusqu'à la « Compagnie de l'Odet », du nom du fleuve qui coule près du manoir familial, une ultime « poulie » qui est l'actionnaire direct – et majoritaire – du groupe Bolloré (« Bolloré SE »). Avec moins de 10 millions d'euros d'apport en capital, la famille Bolloré contrôle donc aujourd'hui un ensemble valorisé … près de 15,6 milliards d'euros à la bourse de Paris.

Mais on n'est jamais trop prudent ni à l'abri de querelles familiales, entre héritiers particulièrement. Alors, pour prévenir tout conflit, une des holdings de tête, la « Sofibol » a été transformée en « Société en commandite par actions (SCA) », une forme sociale très usitée dans les grandes familles du capitalisme français (Michelin, Mulliez, Lagardère, Pinault, etc.). Elle concentre le pouvoir et les responsabilités de gestion entre les mains d'un « commandite » unique – ici, une société familiale dénommée « Somabol » –, quelle que soit la composition du capital. Et les statuts de la « Somabol » permettent à Vincent Bolloré de désigner, à tout moment, celui de ses enfants qui assurera sans partage la direction. Un verrou supplémentaire dans le contrôle familial du groupe.

Des filiales stratégiques

On le constate au vu de l'organigramme : plusieurs des filiales clés du groupe Bolloré sont localisées au Luxembourg, pays réputé pour ses complaisance fiscales et réglementaires. À de nombreux égards, c'est dans le Grand-Duché qu'est le centre de gravité juridique et financier du groupe et non en Bretagne comme le patriarche aime à le faire valoir. Ces implantations luxembourgeoises sont en partie, mais en partie seulement, un héritage de l'écheveau du groupe Rivaud dont Bolloré a pris le contrôle dans les années 1990. Certains trusts enregistrés à Guernesey et au Liechtenstein sont longtemps restés associés, par exemple, à la gestion de la Socfin et de ses plantations d'huile de palme et d'hévéas, avant d'être rapatriés au Luxembourg.

Ces holdings luxembourgeoises sont des sociétés clés dans la stratégie d'autocontrôle* évoquée précédemment mais sont surtout les “coffre-forts” du groupe, où s'accumule la trésorerie dans l'attente de nouvelles opérations, et notamment les plus-values* réalisées à l'occasion de cessions d'entreprises comme Vallourec dans le passé ou Bolloré Logistics aujourd'hui. Elles ont ainsi permis à Bolloré de mettre en œuvre sa stratégie de montée discrète au capital des entreprises qu'il cible avant d'annoncer publiquement ses intentions et de sauter sur sa proie.

Enfin, ces nombreuses filiales servent aussi à assurer des revenus supplémentaires aux dirigeants du groupes, via le versement de jetons de présence ou grâce au système des “tantièmes” – une part convenue des bénéfices versée aux administrateurs de ces filiales, qui sont toujours peu ou prou les mêmes personnes. Les cinq administrateurs de la Socfin, dont Vincent Bolloré et son fils Cyrille, touchent ainsi statutairement 10 % des dividendes bruts versés par la société (soit 1,4 millions d'euros en 2024), sans que ne soit appliquée la retenue à la source habituelle de 15 % du fait d'un rescrit fiscal généreusement octroyé par le Luxembourg. Naturellement, ces sociétés bénéficient surtout de la fiscalité luxembourgeoise sur les « sociétés de participations financières » (SOPARFI), particulièrement légère en ce qui concerne les dividendes reçus et les plus-values de cessions.

La Socfin est une grande habituée des paradis fiscaux. Initialement belge, elle a déménagé en Suisse à Fribourg lorsque la législation fiscale s'est faite moins accommodante, puis au Luxembourg. Elle est détenue par Hubert Fabri en partie via des sociétés basées au Liechtenstein. Les cadres dirigeants étaient également rémunérés via une société basée dans ce territoire. Un rapport d'ONG suisses de 2021 a montré qu'une partie importante des bénéfices des plantations de la Socfin en Afrique était remontée vers la Suisse via des mécanismes comme le prélèvement de frais de management et de frais techniques.

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Coffre-fort luxembourgeois

La plus importante de ces filiales luxembourgeoises, autrefois domiciliée au Vanuatu, rapatriée au Luxembourg à la fin des années 1990, est aujourd'hui Plantations des terres rouges, qui dispose de 1,1 milliard d'euros de fonds propres à fin 2023. C'est à la fois une holding, avec 600 millions de participations financières dans d'autres sociétés de la galaxie Bolloré, et une « banque » pour l'ensemble du groupe, avec 500 millions de créances sur diverses filiales, via une convention de trésorerie intra-groupe – créances qui lui ont rapporté 20,4 millions d'intérêts sur l'exercice 2023. Cette holding* luxembourgeoise a par exemple été utilisée en 2024 par Vincent Bolloré pour monter discrètement au capital de Rubis, distributeur de produits pétroliers.

Comme le soulignait Martine Orange dans son enquête sur « la face cachée de l'Empire Bolloré », « Vincent Bolloré préfère accumuler les réserves financières plutôt que les distribuer […] : moins il verse aux actionnaires minoritaires, mieux cela vaut à ses yeux ». La multiplication des rachats d'actions et des boucles d'autocontrôle permet ainsi que les dividendes ne s'évaporent plus à chaque étage des « poulies bretonnes ». Dans une étude de 2015, Muddy Waters Research estimait ainsi que 57,2 % des actions de Bolloré SE étaient en réalité auto-détenues. En d'autres termes, « lorsque le groupe Bolloré verse 100 euros de dividendes, et qu'ensuite chaque holding redistribue ce qu'elle reçoit, alors 57 euros reviennent à la case départ dans les caisses du groupe Bolloré ».

Avec ces dividendes thésaurisées dans les multiples holdings du groupe et des plus-values de cessions qui s'accumulent – 3,15 milliards d'euros pour Bolloré Africa Logistics en 2023, 3,7 milliards d'euros pour Bolloré Logistics en 2024 –, la multinationale dispose aujourd'hui d'une trésorerie de 5,3 milliards d'euros. Un trésor de guerre, qui donne au groupe une énorme force de frappe pour de nouvelles acquisitions.

Le pari manqué des batteries

Par comparaison avec les activités dans les médias et la communication et avec celles dans les ports et la logistique cédées ces dernières années, les branches industrielles du groupe Bolloré – dont une partie est basée en Bretagne – n'ont jamais pesé très lourd.

Fin 2023, après cession des dernières activités logistiques, la branche communication représente 95 % des effectifs et 77 % du chiffre d'affaires contributif et même … 111 % du bénéfice (les activités industrielles du groupe étant déficitaires en 2023, comme d'ailleurs toutes les années précédentes). Les activités « communication » sont aussi les plus profitables, rapportant à Bolloré SE plus d'un milliard d'euros en 2022 et 2023, contre 141 et 44 millions pour les activités pétrolières et -125 et -114 millions pour les activités industrielles (batteries et films plastique). Les résultats annuels 2024 publiés le 17 mars 2025 confirment le déficit structurel des activités industrielles.

Une filiale industrielle de Bolloré a cependant attiré une attention disproportionnée de la part des médias, du public et des politiques : Blue Solutions, dédiée aux batteries électriques et à leur exploitation. C'est en partie pour promouvoir ces batteries que Bolloré s'est lancé dans l'autopartage (avec le contrat Autolib à Paris, censé servir de vitrine), la production de voitures, bus et de trams électriques (Bluecar, Bluebus, Bluetram) et le stockage de l'électricité (Bluestorage).

Le groupe est l'un des seuls acteurs de la filière à miser aujourd'hui sur un type particulier de batteries électriques, les batteries « lithium métal polymère » (LMP). Lancée au début des années 2010, avec notamment l'inauguration d'une ligne de production à Ergué-Gabéric, près de Quimper, cette technologie est pour l'instant un échec commercial. Elle n'est pas retenue par les grands constructeurs automobiles en raison de ses inconvénients pratiques – notamment le besoin de la maintenir en charge lorsqu'elle n'est pas utilisée –, et ne s'est écoulée, à très petite échelle, qu'à travers les contrats conclus par Bolloré pour Autolib en région parisienne et les services similaires, ou via la vente de Bluebus à des clients comme la RATP. La plupart de ces contrats ont d'ailleurs fini par être abandonnés, à commencer par celui d'Autolib en 2018, qui était de loin le plus important. Les contrats similaires passés à Bordeaux, Lyon, Singapour, Los Angeles, Londres, Turin et quelques autres villes ont été abandonnés dans la foulée. Les Bluebus ne décollent pas non plus, vendus aujourd'hui à seulement quelques exemplaires en région parisienne et à Bruxelles. Introduite en bourse en 2013, Blue Solutions a été retirée de la cotation quelques années plus tard par Bolloré.

Relations publiques

Le reste des activités industrielles de Bolloré sont réparties en deux branches. La branche « Films » est indirectement issue de l'activité historique papetière de l'entreprise Bolloré. Elle est spécialisée dans les films plastiques ultra-fins destinés à l'emballage (notamment dans l'industrie agroalimentaire) ou bien utilisés pour les condensateurs électriques. Avec deux usines en France et une aux États-Unis, elle employait en tout 443 personnes fin 2023 – soit une activité de taille très modeste à l'échelle du groupe, destinée à des marchés très spécialisés.

La branche « Systèmes » regroupe quant à elle un ensemble d'activités et de savoir-faire autour de la gestion des flux de personnes, de marchandises et de données. Ces activités, en partie liées aux investissements passés du groupe Bolloré dans la logistique, ont été conservées au sein du groupe après les cessions à MSC et CMA-CGM.

Marginales d'un point de vue économique à l'échelle du groupe Bolloré, ces activités basées en Bretagne ont cependant des avantages pour le milliardaire et ses alliés. Celui, par exemple, de se construire une image d'industriel traditionaliste. Ou encore celui de soigner ses relations avec les dirigeants politiques. Dès 1985, François Mitterrand martèle ainsi le message de la « France qui gagne » lors d'une visite en Bretagne où il passera par les sites Bolloré-Technologies à Ergué-Gaberic. En 2013, c'est le président François Hollande qui visite Ergué-Gaberic pour l'inauguration de l'usine de batterie de la BlueCar, où Jean-Louis Borloo s'était déjà rendu en tant que ministre de l'Écologie en 2009, ainsi qu'Eric Besson, ministre de l'Industrie, en 2011. Beaucoup plus récemment, en mai 2024, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire se rend dans la même commune bretonne, et en profite pour annoncer le projet d'une gigafactory du groupe à l'horizon 2030... mais en Alsace.

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