04.07.2025 à 07:30
Face à la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises, les grands patrons auditionnés ont accepté de donner certains chiffres sur les aides touchées par leurs groupes. Un aperçu qui reste lacunaire, mais qui illustre par défaut l'immense déficit de transparence dans ce domaine.
On pourrait croire que l'État, particulièrement avec ses difficultés budgétaires actuelles, serait soucieux de savoir où va l'argent public et de rendre compte aux citoyens de l'usage (…)
Face à la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises, les grands patrons auditionnés ont accepté de donner certains chiffres sur les aides touchées par leurs groupes. Un aperçu qui reste lacunaire, mais qui illustre par défaut l'immense déficit de transparence dans ce domaine.
On pourrait croire que l'État, particulièrement avec ses difficultés budgétaires actuelles, serait soucieux de savoir où va l'argent public et de rendre compte aux citoyens de l'usage qu'il fait des taxes et impôts qu'ils acquittent. Eh bien non. L'absence générale de transparence sur les montants et les bénéficiaires est l'une des principales critiques adressées au système actuel des aides publiques aux entreprises, et la défaillance de l'État dans ce domaine est à nouveau apparue au grand jour dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale sur ce sujet (lire Aides publiques aux entreprises : l'indispensable débat).
Mis à part quelques grosses subventions, comme celles accordées à ArcelorMittal ou STMicroelectronics dans le domaine de la décarbonation ou des batteries, on en est réduit jusqu'ici à des conjectures. Pour les aides à caractère automatique, comme les allégements de cotisations sociales, quelle est la proportion qui bénéficie aux grands groupes, et quelle proportion aux petites entreprises ? Impossible de le savoir. Divers signes laissent à penser que les dispositifs comme le crédit impôt recherche ou le crédit impôt mécénat sont surtout utilisés par un petit nombre de grosses firmes, mais les données manquent pour le confirmer. Cette opacité participe de la difficulté à effectuer une véritable évaluation de l'efficacité des aides aux entreprises.
Les auditions de la commission d'enquête ont permis de mettre sur la table quelques chiffres, la plupart des patrons ayant joué le jeu de la transparence (lire Transparence, conditions, compétitivité, dividendes... Que retenir de la commission d'enquête sur les aides aux entreprises ?). Ces données sont à prendre avec prudence, car elles sont souvent incomplètes voire très incomplètes, ou mêlent différentes aides, et elles ont été établies de manière différente selon les entreprises.
Si l'on se fie aux montants annoncés durant les auditions, ce sont donc au total au moins 4,9 milliards d'euros qui sont touchés annuellement par 32 sociétés auditionnées (sur 33, Google France ayant refusé de donner un quelconque chiffre). Soit plus de 150 millions d'euros en moyenne.
Ce chiffre ne représente qu'une fraction réduite des 150 milliards d'euros annuels annoncés par le ministre de l'Economie, ce qui laisse à penser soit que les aides bénéficient beaucoup à des entreprises plus petites, soit que ces données sont incomplètes. Le périmètre de calcul (quelles filiales ou franchises sont incluses ou non dans les chiffres donnés au niveau du groupe) n'est pas toujours très clair.
De fait, à y regarder de plus près, on observe des trous énormes dans les calculs selon ce que les entreprises concernées choisissent de considérer ou non comme une aide publique. Le régime fiscal dérogatoire dont bénéficie le transporteur CMA-CGM, la taxe au tonnage, représentait ainsi un manque à gagner de 5,7 milliards d'impôts supplémentaires au titre des résultats 2022, et de 583 millions de plus pour les résultats 2023. Beaucoup n'hésitent pas à le considérer comme une forme d'aide.
ArcelorMittal, Stellantis et TotalEnergies ont choisi de ne pas inclure dans leur décompte les 850 millions d'euros promis pour les actions de décarbonation du premier (les projets étant en suspens) et les 850 millions alloués au projet de « gigafactory » de batteries des deux autres à travers leur filiale commune ACC.
Patrick Pouyanné n'a pas souhaité non plus divulguer au public le montant – probablement très élevé – dont a bénéficié TotalEnergies au titre du « bouclier tarifaire », pour compenser le gel provisoire des prix de l'électricité. Plusieurs groupes dont Sanofi, Air Liquide et Thales ont similairement platement refusé de donner des chiffres sur les montants touchés ou économisés grâce aux dispositifs de type « IP Box » sur ses brevets.
Last but not least, beaucoup de groupes et non des moindres (Renault et EDF) n'ont pas donné de chiffre sur les réductions de cotisations fiscales dont ils bénéficiaient.
Bref, les éléments fournis aux sénateurs ne sont en un sens que la pointe émergée de l'iceberg.
Toujours selon les chiffres (donc très partiels) dévoilés lors des auditions de la commission d'enquête sénatoriale, la palme de l'entreprise la plus aidée revient à la SNCF avec 656 millions d'euros et à ST Microelectronics, avec 487 millions d'euros reçus en 2023. Suivent Safran (390 millions), TotalEnergies (362 millions), Carrefour (325 millions), ArcelorMittal (298 millions) et Thales (290 millions).
Ces entreprises ne touchent pas les mêmes aides dans les mêmes quantités. La SNCF, comme Carrefour, bénéficient surtout des réductions de cotisations sociales pour les bas salaires, à hauteur de plusieurs de centaines de millions d'euros par an. Cela représente 90% des aides dont bénéficie l'entreprise ferroviaire publique. TotalEnergies et ArcelorMittal ont surtout capitalisé sur les aides à l'achat d'électricité, tandis que des entreprises comme Safran ou Thales profitent avant tout du crédit impôt recherche et des aides spécifiques à l'aéronautique.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donEn termes quantitatifs, les aides les plus importantes sont les réductions et exonérations de cotisations sociales, avec 1,68 milliard d'euros. Et encore, comme indiqué précédemment, certains poids lourds n'ont pas donné de chiffre dans ce domaine. Selon les éléments fournis à la Commission par le ministre Éric Lombard, ces exonérations représentent aujourd'hui plus de la moitié des aides publiques aux entreprises en France.
Vient ensuite le crédit impôt recherche avec 1,1 milliard d'euros déclarés, principalement pour Thales (171 millions), Safran (152 millions), Renault (134 millions), STMicroelectronics (119 millions) et Sanofi (108 millions).
En troisième position, les aides visant à compenser le coût de l'énergie, pour 464 millions d'euros, profitent essentiellement à TotalEnergies et ArcelorMittal. Les chiffres déclarés sur les aides à l'aéronautique, le crédit d'impôt mécénat et les aides à l'apprentissage avoisinent les 200 millions d'euros chacun.
Au final, ces chiffres très partiels livrent donc quelques aperçus nouveaux sur des entreprises que l'on n'a pas forcément l'habitude d'évoquer à propos d'aides publiques, mais ils ont surtout valeur de confirmation. Confirmation que quelques formes d'aides, notamment les exonérations de cotisations sociales, représentent le gros du coût pour les finances publiques. Confirmation aussi que des poids lourds très profitables touchent tout de même des centaines de millions d'euros supplémentaires sur le dos des contribuables français. Et confirmation enfin qu'il serait parfaitement possible, si la volonté politique était là et avec des règles claires sur ce qu'il faut déclarer, de faire toute la transparence sur les aides publiques aux entreprises.