07.05.2025 à 08:28
L'entreprise spécialiste de l'analyse de données cofondée par Peter Thiel vient d'obtenir un nouveau contrat de 30 millions de dollars pour aider l'administration fédérale à traquer et déporter les migrants. Un autre exemple – au-delà de la figure emblématique d'Elon Musk – de la collaboration entre une partie du secteur de la tech et la présidence Trump.
Si l'intensification de la chasse aux migrants aux États-Unis depuis le retour au pouvoir de Donald Trump affole les défenseurs des (…)
L'entreprise spécialiste de l'analyse de données cofondée par Peter Thiel vient d'obtenir un nouveau contrat de 30 millions de dollars pour aider l'administration fédérale à traquer et déporter les migrants. Un autre exemple – au-delà de la figure emblématique d'Elon Musk – de la collaboration entre une partie du secteur de la tech et la présidence Trump.
Si l'intensification de la chasse aux migrants aux États-Unis depuis le retour au pouvoir de Donald Trump affole les défenseurs des droits humains, elle est aussi une source de profits pour certaines entreprises. Une récente enquête du média américain ProPublica s'est ainsi penchée sur le cas de Deployed Resources, une firme qui est en train d'engranger des centaines de millions de dollars de contrats de fourniture de tentes pour des camps de détention de migrants à la frontière ou avant leur déportation.
Autre grande gagnante de cette politique : la multinationale de la tech Palantir, avec qui le service de l'immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE) vient de signer un nouveau contrat de 30 millions de dollar pour un logiciel, « ImmigrationOS », une plateforme conçue pour mieux surveiller, traquer et expulser les personnes considérées comme en situation irrégulière.
Fondée en 2003 avec le soutien d'In-Q-Tel, le fonds d'investissement de la CIA, Palantir fournit à ses clients des logiciels capables de traiter des volumes massifs d'informations pour en tirer des modèles prédictifs et d'aide à la décision. L'entreprise collabore avec les services d'immigration étatsuniens depuis 2011, ce qui a déjà suscité l'inquiétude d'Amnesty international quant aux risques de violations des droits humains. Selon l'ONG, en 2017, lors du premier mandat de Donald Trump, ICE avait utilisé les logiciels de Palantir pour arrêter les parents de mineurs non accompagnés ou planifier des opérations d'arrestation ayant mené à la séparation de familles.
Ces alertes n'ont pas empêché l'agence de continuer à enchaîner les contrats avec Palantir. Le dernier en date d'avril 2025 vise à accélérer la mise en place d'ImmigrationOS pour mieux suivre les déplacements des migrants, croiser leurs données, identifier leurs réseaux pour pouvoir appliquer les décrets de Donald Trump tel que celui visant à « protéger le peuple américain contre l'invasion ». Un besoin tellement urgent, selon l'ICE, qu'il justifie de confier cette mission à Palantir sans mise en concurrence : seule cette entreprise est capable de déployer le système que souhaite l'administration dans des délais aussi courts, d'ici septembre 2025.
L'ICE est très loin d'être la seule agence publique étasunienne parmi les clients de Palantir : l'entreprise compte plus de 600 millions de dollars de contrats avec le gouvernement étatsunien, à commencer par le ministère de la Défense, la CIA, le FBI, mais aussi le ministère de la Santé, ce qui implique l'accès à des millions de dossiers médicaux, ou encore l'administration fiscale . Palantir collaborerait aujourd'hui avec les équipes du Département de l'efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency, DOGE) d'Elon Musk pour construire un « méga API » (interface de programmation d'application) pour traiter avec ses logiciels les données des millions de contribuables étatsuniens.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donCette collaboration avec le DOGE n'est pas très surprenante. L'un des co-fondateur de Palantir est Peter Thiel, qui avait auparavant co-fondé Paypal avec… Elon Musk. Peter Thiel est aussi très proche du vice-Président de Donald Trump, JD Vance, qui a travaillé pour lui et dont il a été le mentor : nul doute que l'entreprise saura trouver des oreilles attentives auprès de la nouvelle administration. Le directeur fédéral de l'Information nommé en février dernier, Gregory Barbaccia, a lui aussi travaillé pendant dix ans pour Palantir. Au sein de l'équipe du président Donald Trump, il sera chargé de superviser l'utilisation des technologies dans toute l'administration fédérale. Et Clark Minor, directeur exécutif de l'entreprise, vient également d'être nommé directeur des systèmes d'information du ministère de la Santé et des Services sociaux.
Le gouvernement des États-Unis finira-t-il déléguer à Palantir toute la gestion des données des citoyens américains ? La perspective peut inquiéter à plusieurs titres : outre le fait que confier autant de pouvoir à une entreprise privée présente des risques pour le respect des droits des citoyens, Peter Thiel est aussi très proche des milieux libertariens et ultra-réactionnaires, et connu pour avoir affirmé ne plus croire que la liberté et la démocratie étaient compatibles. Son espoir : dépasser la politique par la technologie. En attendant, il reste engagé dans la mouvance du national-conservatisme et du populisme de droite.
Palantir ne se contente pas de travailler avec le gouvernement étatsunien. Israël utilise aussi ses services, ce qui a conduit la société d'investissement norvégienne Storebrand à se désengager de l'entreprise, ses produits risquant de contribuer à des violations des droits humains et du droit international humanitaire en étant déployés dans les territoires palestiniens. En Europe, Palantir est bien moins présent auprès des agences publiques, même s'il a réussi à remporter un contrat pour la gestion des données du National Health Service (NHS), le système de santé britannique. En France, c'est la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui a recourt aux services de Palantir. Et qui essaie maintenant de passer à un logiciel français, mais la migration n'aura a priori pas lieu avant avril 2027.
Enfin, si la firme a été créée avec l'idée de travailler avec les services de défense et de sécurité, elle a très rapidement développé des logiciels et projets pour la gestion des entreprises. Parmi les clients français, on compte Airbus (dont Fabrice Brégier, jusqu'à récemment président de Palantir France, a été le directeur général), le réassureur Scor (où Fabrice Brégier siégeait au conseil d'administration), l'équipementier automobile Faurecia (devenu Forvia), Stellantis, le groupe Saur, fournisseur d'eau potable ou la banque Société générale. La France serait le troisième marché mondial de Palantir après les États-Unis et la Grande-Bretagne. Si toutes les entreprises ne semblent pas communiquer ouvertement sur leurs recours aux systèmes de la sulfureuse firme américaine, on trouve néanmoins des offres d'emploi mentionnant les logiciels de Palantir, que ce soit pour le Crédit Agricole ou la SNCF.
05.05.2025 à 08:41
Les Bolloré ne manquent pas une occasion de mettre en valeur leurs racines bretonnes et leurs activités industrielles dans la région. Une manière de masquer la réalité d'un groupe construit sur des coups financiers et des savantes constructions juridiques dont beaucoup passent par le Luxembourg. Extraits du rapport « Le Système Bolloré ».
Vincent Bolloré se plaît à cultiver une image locale et traditionnelle, celle d'un industriel solidement implanté dans son territoire finistérien, (…)
Les Bolloré ne manquent pas une occasion de mettre en valeur leurs racines bretonnes et leurs activités industrielles dans la région. Une manière de masquer la réalité d'un groupe construit sur des coups financiers et des savantes constructions juridiques dont beaucoup passent par le Luxembourg. Extraits du rapport « Le Système Bolloré ».
Vincent Bolloré se plaît à cultiver une image locale et traditionnelle, celle d'un industriel solidement implanté dans son territoire finistérien, héritier d'une entreprise familiale vénérable qu'il a fait grandir et qu'il transmet à son tour à ses enfants. En 2022, l'entreprise Bolloré a fêté ses 200 ans d'existence avec cérémonie en costume breton, et a rejoint les rangs très fermés du « club des Hénokiens », une association d'entreprises familiales au moins bicentenaires. Une image en phase avec la foi catholique réputée très conservatrice du milliardfaire et avec son engagement politique de moins en moins caché en faveur des droites extrêmes. Économiquement, le groupe Bolloré serait, en somme, le modèle même de ce que défendent politiquement Vincent Bolloré et sa famille : un groupe industriel national aux racines profondes, fidèle à des valeurs ancestrales.
La réalité est cependant bien différente. Quand il hérite en 1981 avec son frère Michel-Yves de la direction de l'entreprise papetière familiale, spécialiste du papier bible et du papier à cigarettes, Vincent Bolloré – qui est né et a passé toute sa vie à Paris – a déjà commencé sa carrière dans la haute banque. Il fait de la société qu'il contrôle désormais un tremplin pour des opérations financières et spéculatives et pour la conquête d'un empire économique qui déploie ses activités aux quatre coins du globe. Les activités de papeterie sont petit à petit abandonnées. Seul souvenir lointain de l'entreprise familiale d'il y a quarante ans, la production de films plastiques ultra-fins destinés aux condensateurs électriques ne représente plus aujourd'hui qu'une part très marginale de l'empire Bolloré.
L'histoire du groupe Bolloré est donc surtout celle d'acquisitions (ou de tentatives d'acquisition) boursières d'entreprises ou d'actifs financiers dans des secteurs qui n'ont pas grand chose à voir les uns avec les autres. Ces actifs finissent généralement par être revendus au bout de quelques années, souvent avec une confortable plus-value – comme a même fini par l'être l'empire africain. En ce sens, et contrairement à l'image d'industriel qu'il aime entretenir, Vincent Bolloré opère à la manière de ces fonds qui investissent dans l'économie réelle dans une optique purement financière, dans le but de dégager des profits et des plus-value à la revente.
L'organigramme de la tête du groupe Bolloré est d'ailleurs un joyau d'ingénierie financière : des holdings en cascade, des boucles d'autocontrôle qui s'entrelacent, un enchevêtrement de sociétés aux noms exotiques. Une savante complexité, tout entière au service d'un unique objectif : verrouiller le contrôle de la multinationale par un actionnaire minoritaire. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, Vincent Bolloré et ses proches ne détiennent qu'une part réduite – 13,73 % à fin 2023 – du capital du groupe qui porte leur nom. Ils contrôlent pourtant la majorité des droits de vote et assurent une direction sans partage. Une forme de capitalisme sauvage … sans capital.
Comment est-ce possible ? Tout simplement grâce à un empilement de holdings qui permet, à chaque étage, de « collecter » des fonds auprès d'autres actionnaires ou par endettement. L'effet de levier joue à plein : de holding en holding, le capital des sociétés grossit grâce aux apports extérieurs, et permet de détenir des sociétés de plus en plus importantes. Pour autant, le contrôle reste entre les mains de la holding au sommet de l'organigramme, tout en haut, puisque chaque société détient un petit peu plus de 50 % du capital de l'étage inférieur et donc la majorité des droits de vote. Vincent Bolloré est loin d'être le seul à recourir à ces « holding de holding de holding » – Jean-Charles Naouri, ancien patron de Casino, en a par exemple abusé jusqu'à la faillite de son groupe – mais elles sont devenues si emblématiques du système Bolloré que l'expression « poulies bretonnes » est aujourd'hui entrée dans le langage courant de l'ingénierie financière pour désigner ce type de montage.
Au sommet de l'organigramme, on retrouve donc les membres de la famille Bolloré, actionnaires d'une société européenne non cotée, « Bolloré Participations ». C'est le cœur du pouvoir du groupe, où tout est organisé pour que le clan en conserve le contrôle : l'article des statuts détaille par exemple sur trois pages les conditions de cessions ou de transmissions des actions. Elles peuvent intervenir entre membres de la famille et entre sociétés contrôlées majoritairement par le groupe, mais sont soumises à accord des autres actionnaires au-delà, y compris en cas de simple nantissement et ou lors de cessions résultant d'une décision de justice.
Le capital social de « Bolloré Participations » est modeste, 8,5 millions d'euros. La société détient directement 50,04 % d'une autre holding, « Omnium Bolloré », qui elle-même détient 50,31 % de la « Financière V » (pour Vincent…), et ainsi de suite jusqu'à la « Compagnie de l'Odet », du nom du fleuve qui coule près du manoir familial, une ultime « poulie » qui est l'actionnaire direct – et majoritaire – du groupe Bolloré (« Bolloré SE »). Avec moins de 10 millions d'euros d'apport en capital, la famille Bolloré contrôle donc aujourd'hui un ensemble valorisé … près de 15,6 milliards d'euros à la bourse de Paris.
Mais on n'est jamais trop prudent ni à l'abri de querelles familiales, entre héritiers particulièrement. Alors, pour prévenir tout conflit, une des holdings de tête, la « Sofibol » a été transformée en « Société en commandite par actions (SCA) », une forme sociale très usitée dans les grandes familles du capitalisme français (Michelin, Mulliez, Lagardère, Pinault, etc.). Elle concentre le pouvoir et les responsabilités de gestion entre les mains d'un « commandite » unique – ici, une société familiale dénommée « Somabol » –, quelle que soit la composition du capital. Et les statuts de la « Somabol » permettent à Vincent Bolloré de désigner, à tout moment, celui de ses enfants qui assurera sans partage la direction. Un verrou supplémentaire dans le contrôle familial du groupe.
On le constate au vu de l'organigramme : plusieurs des filiales clés du groupe Bolloré sont localisées au Luxembourg, pays réputé pour ses complaisance fiscales et réglementaires. À de nombreux égards, c'est dans le Grand-Duché qu'est le centre de gravité juridique et financier du groupe et non en Bretagne comme le patriarche aime à le faire valoir. Ces implantations luxembourgeoises sont en partie, mais en partie seulement, un héritage de l'écheveau du groupe Rivaud dont Bolloré a pris le contrôle dans les années 1990. Certains trusts enregistrés à Guernesey et au Liechtenstein sont longtemps restés associés, par exemple, à la gestion de la Socfin et de ses plantations d'huile de palme et d'hévéas, avant d'être rapatriés au Luxembourg.
Ces holdings luxembourgeoises sont des sociétés clés dans la stratégie d'autocontrôle* évoquée précédemment mais sont surtout les “coffre-forts” du groupe, où s'accumule la trésorerie dans l'attente de nouvelles opérations, et notamment les plus-values* réalisées à l'occasion de cessions d'entreprises comme Vallourec dans le passé ou Bolloré Logistics aujourd'hui. Elles ont ainsi permis à Bolloré de mettre en œuvre sa stratégie de montée discrète au capital des entreprises qu'il cible avant d'annoncer publiquement ses intentions et de sauter sur sa proie.
Enfin, ces nombreuses filiales servent aussi à assurer des revenus supplémentaires aux dirigeants du groupes, via le versement de jetons de présence ou grâce au système des “tantièmes” – une part convenue des bénéfices versée aux administrateurs de ces filiales, qui sont toujours peu ou prou les mêmes personnes. Les cinq administrateurs de la Socfin, dont Vincent Bolloré et son fils Cyrille, touchent ainsi statutairement 10 % des dividendes bruts versés par la société (soit 1,4 millions d'euros en 2024), sans que ne soit appliquée la retenue à la source habituelle de 15 % du fait d'un rescrit fiscal généreusement octroyé par le Luxembourg. Naturellement, ces sociétés bénéficient surtout de la fiscalité luxembourgeoise sur les « sociétés de participations financières » (SOPARFI), particulièrement légère en ce qui concerne les dividendes reçus et les plus-values de cessions.
La Socfin est une grande habituée des paradis fiscaux. Initialement belge, elle a déménagé en Suisse à Fribourg lorsque la législation fiscale s'est faite moins accommodante, puis au Luxembourg. Elle est détenue par Hubert Fabri en partie via des sociétés basées au Liechtenstein. Les cadres dirigeants étaient également rémunérés via une société basée dans ce territoire. Un rapport d'ONG suisses de 2021 a montré qu'une partie importante des bénéfices des plantations de la Socfin en Afrique était remontée vers la Suisse via des mécanismes comme le prélèvement de frais de management et de frais techniques.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donLa plus importante de ces filiales luxembourgeoises, autrefois domiciliée au Vanuatu, rapatriée au Luxembourg à la fin des années 1990, est aujourd'hui Plantations des terres rouges, qui dispose de 1,1 milliard d'euros de fonds propres à fin 2023. C'est à la fois une holding, avec 600 millions de participations financières dans d'autres sociétés de la galaxie Bolloré, et une « banque » pour l'ensemble du groupe, avec 500 millions de créances sur diverses filiales, via une convention de trésorerie intra-groupe – créances qui lui ont rapporté 20,4 millions d'intérêts sur l'exercice 2023. Cette holding* luxembourgeoise a par exemple été utilisée en 2024 par Vincent Bolloré pour monter discrètement au capital de Rubis, distributeur de produits pétroliers.
Comme le soulignait Martine Orange dans son enquête sur « la face cachée de l'Empire Bolloré », « Vincent Bolloré préfère accumuler les réserves financières plutôt que les distribuer […] : moins il verse aux actionnaires minoritaires, mieux cela vaut à ses yeux ». La multiplication des rachats d'actions et des boucles d'autocontrôle permet ainsi que les dividendes ne s'évaporent plus à chaque étage des « poulies bretonnes ». Dans une étude de 2015, Muddy Waters Research estimait ainsi que 57,2 % des actions de Bolloré SE étaient en réalité auto-détenues. En d'autres termes, « lorsque le groupe Bolloré verse 100 euros de dividendes, et qu'ensuite chaque holding redistribue ce qu'elle reçoit, alors 57 euros reviennent à la case départ dans les caisses du groupe Bolloré ».
Avec ces dividendes thésaurisées dans les multiples holdings du groupe et des plus-values de cessions qui s'accumulent – 3,15 milliards d'euros pour Bolloré Africa Logistics en 2023, 3,7 milliards d'euros pour Bolloré Logistics en 2024 –, la multinationale dispose aujourd'hui d'une trésorerie de 5,3 milliards d'euros. Un trésor de guerre, qui donne au groupe une énorme force de frappe pour de nouvelles acquisitions.
Par comparaison avec les activités dans les médias et la communication et avec celles dans les ports et la logistique cédées ces dernières années, les branches industrielles du groupe Bolloré – dont une partie est basée en Bretagne – n'ont jamais pesé très lourd.
Fin 2023, après cession des dernières activités logistiques, la branche communication représente 95 % des effectifs et 77 % du chiffre d'affaires contributif et même … 111 % du bénéfice (les activités industrielles du groupe étant déficitaires en 2023, comme d'ailleurs toutes les années précédentes). Les activités « communication » sont aussi les plus profitables, rapportant à Bolloré SE plus d'un milliard d'euros en 2022 et 2023, contre 141 et 44 millions pour les activités pétrolières et -125 et -114 millions pour les activités industrielles (batteries et films plastique). Les résultats annuels 2024 publiés le 17 mars 2025 confirment le déficit structurel des activités industrielles.
Une filiale industrielle de Bolloré a cependant attiré une attention disproportionnée de la part des médias, du public et des politiques : Blue Solutions, dédiée aux batteries électriques et à leur exploitation. C'est en partie pour promouvoir ces batteries que Bolloré s'est lancé dans l'autopartage (avec le contrat Autolib à Paris, censé servir de vitrine), la production de voitures, bus et de trams électriques (Bluecar, Bluebus, Bluetram) et le stockage de l'électricité (Bluestorage).
Le groupe est l'un des seuls acteurs de la filière à miser aujourd'hui sur un type particulier de batteries électriques, les batteries « lithium métal polymère » (LMP). Lancée au début des années 2010, avec notamment l'inauguration d'une ligne de production à Ergué-Gabéric, près de Quimper, cette technologie est pour l'instant un échec commercial. Elle n'est pas retenue par les grands constructeurs automobiles en raison de ses inconvénients pratiques – notamment le besoin de la maintenir en charge lorsqu'elle n'est pas utilisée –, et ne s'est écoulée, à très petite échelle, qu'à travers les contrats conclus par Bolloré pour Autolib en région parisienne et les services similaires, ou via la vente de Bluebus à des clients comme la RATP. La plupart de ces contrats ont d'ailleurs fini par être abandonnés, à commencer par celui d'Autolib en 2018, qui était de loin le plus important. Les contrats similaires passés à Bordeaux, Lyon, Singapour, Los Angeles, Londres, Turin et quelques autres villes ont été abandonnés dans la foulée. Les Bluebus ne décollent pas non plus, vendus aujourd'hui à seulement quelques exemplaires en région parisienne et à Bruxelles. Introduite en bourse en 2013, Blue Solutions a été retirée de la cotation quelques années plus tard par Bolloré.
Le reste des activités industrielles de Bolloré sont réparties en deux branches. La branche « Films » est indirectement issue de l'activité historique papetière de l'entreprise Bolloré. Elle est spécialisée dans les films plastiques ultra-fins destinés à l'emballage (notamment dans l'industrie agroalimentaire) ou bien utilisés pour les condensateurs électriques. Avec deux usines en France et une aux États-Unis, elle employait en tout 443 personnes fin 2023 – soit une activité de taille très modeste à l'échelle du groupe, destinée à des marchés très spécialisés.
La branche « Systèmes » regroupe quant à elle un ensemble d'activités et de savoir-faire autour de la gestion des flux de personnes, de marchandises et de données. Ces activités, en partie liées aux investissements passés du groupe Bolloré dans la logistique, ont été conservées au sein du groupe après les cessions à MSC et CMA-CGM.
Marginales d'un point de vue économique à l'échelle du groupe Bolloré, ces activités basées en Bretagne ont cependant des avantages pour le milliardaire et ses alliés. Celui, par exemple, de se construire une image d'industriel traditionaliste. Ou encore celui de soigner ses relations avec les dirigeants politiques. Dès 1985, François Mitterrand martèle ainsi le message de la « France qui gagne » lors d'une visite en Bretagne où il passera par les sites Bolloré-Technologies à Ergué-Gaberic. En 2013, c'est le président François Hollande qui visite Ergué-Gaberic pour l'inauguration de l'usine de batterie de la BlueCar, où Jean-Louis Borloo s'était déjà rendu en tant que ministre de l'Écologie en 2009, ainsi qu'Eric Besson, ministre de l'Industrie, en 2011. Beaucoup plus récemment, en mai 2024, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire se rend dans la même commune bretonne, et en profite pour annoncer le projet d'une gigafactory du groupe à l'horizon 2030... mais en Alsace.
29.04.2025 à 08:27
Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus influente que jamais, MCC Brussels, think tank financé par l'État hongrois, est la tête de pont de l'internationale des « nationalistes conservateurs », hostiles à l'état de droit et à l'environnement.
« Ils sont très actifs à Bruxelles, ils ont plus de vingt salariés, organisent des événements… Rien qu'en mars dernier, ils ont organisé deux événements au Parlement européen, avec du matériel de qualité, des posters. Tout cela a un (…)
Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus influente que jamais, MCC Brussels, think tank financé par l'État hongrois, est la tête de pont de l'internationale des « nationalistes conservateurs », hostiles à l'état de droit et à l'environnement.
« Ils sont très actifs à Bruxelles, ils ont plus de vingt salariés, organisent des événements… Rien qu'en mars dernier, ils ont organisé deux événements au Parlement européen, avec du matériel de qualité, des posters. Tout cela a un coût. » Pourtant, continue Olivier Hoedeman, coordinateur de l'ONG Corporate Europe Observatory (et partenaire de l'Observatoire des multinationales), plus de deux ans après l'ouverture de son bureau au coeur de l'Union européenne (UE), MCC Brussels n'a toujours pas publié la moindre donnée financière sur le Registre de transparence, comme sont censés le faire tous les représentants d'intérêts. Au point que Corporate Europe Observatory (CEO) a fini par porter plainte auprès des autorités bruxelloises.
Ces informations paraissent d'autant plus importantes quand on sait que MCC Brussels est une émanation du Mathias Corvinus Collegium (MCC) en Hongrie, une université privée si proche du pouvoir qu'elle est régulièrement qualifiée dans les médias de « pépinière de cadres pro-Orbán ». Elle est dirigée par Balász Orbán, directeur politique du premier ministre Viktor Orbán, et se fait un relai fidèle de l'idéologie du premier ministre, anti-woke et généralement anti-régulations (surtout si elles sont européennes).
En plus de former des milliers de jeunes Hongrois conservateurs, le Mathias Corvinus Collegium est au coeur des réseaux nationalistes réactionnaires dans le pays et au-delà. Il a ouvert des centres en Roumanie ou en Ukraine, organise des conférences et propose des programmes d'échange à l'étranger, y compris aux États-Unis. Il a racheté en 2023 le groupe Libri, plus grand éditeur de Hongrie et leader de la vente de livres dans le pays avec 57 enseignes. Son think tank bruxellois est une pièce dans une stratégie d'influence bien plus large.
Une stratégie d'influence qui ne manque pas de moyens. Car si MCC Brussels ne divulgue pas ses sources de financement, on sait que sa maison mère s'est vue accorder en 2020 plus de plus 462 millions de dollars en espèces et 9 millions de dollars en biens immobiliers par le Parlement hongrois. Ainsi que des participations de 10 % dans deux grandes entreprises hongroises, la société pétrolière et gazière MOL et dans la firme pharmaceutique Gedeon Richter, évaluées à 1,3 milliard de dollars.
« On sait que le Mathias Corvinus Collegium a ces parts dans la compagnie pétrolière hongroise, mais on voudrait connaître les détails de ses liens financiers de MCC Brussels, et savoir quel est leur budget, explique Olivier Hoedeman. On sait aussi qu'ils sont en lien avec des think tanks aux États-Unis, comme la Heritage Foundation, financée par des milliardaires et des fondations douteuses : on aimerait savoir si MCC en a aussi profité. » La plainte de CEO a été acceptée, mais l'enquête risque de prendre du temps.
Engagé dans une bataille culturelle au service des idées réactionnaires, MCC Brussels produit des rapports et organise des événements sur divers sujets chers aux conservateurs : questions de genre, dérégulation ou encore critiques des politiques environnementales, avec par exemple l'organisation d'une conférence pour « aller au-delà du consensus climatique » en amont des dernières élections européennes. La table-ronde avait été épinglée par le média DeSmog pour les liens de ses intervenants avec l'industrie du pétrole et les réseaux climato-sceptiques.
Cela fait une grosse différence, pour l'extrême droite, d'avoir des organisations qui portent leurs messages.
« MCC Brussels est très utile pour un groupe comme les Patriotes [qui regroupe notamment le RN français, le Fidesz hongrois, la Lega italienne, le PVV néerlandais et le FPÖ autrichien], car il leur permet d'avoir des « experts », des rapports, des médias dédiés, qui vont dire exactement ce qu'ils veulent, estime Olivier Hoedeman. Cela fait une grosse différence, pour l'extrême droite, d'avoir des organisations qui portent leurs messages. Je dirais qu'ils sont dans un processus graduel pour devenir 'mainstream', en train de prendre de l'espace pour faire valoir leurs points de vue . » Les eurodéputés du groupe des Patriotes sont régulièrement invités par le think tank, notamment, côté français, Angéline Furet, Mathilde Androüet et Virginie Joron, toutes trois élues de la liste du Rassemblement national (RN).
Le seul salarié français du think tank à Bruxelles, Paul Rougeron, faisait partie de l'équipe d'Eric Zemmour pour la présidentielle de 2022. Parmi les intervenants français du MCC Brussels, hors du champ purement politique, on retrouve aussi Nicolas Pouvreau-Monti, du très droitier Observatoire de l'immigration et la démographie (lire notre article), Florence Bergeaud-Blackler, fondatrice du Centre européen de recherche et d'information sur le frérisme (Cerif), qui bénéficie d'un financement de Pierre-Edouard Stérin dans le cadre du projet Périclès, ou encore les journalistes Jéremy Stubbs (Causeur), qui est aussi président des Conservateurs britanniques en France, Didier Rykner (fondateur de la Tribune de l'Art et intervenant régulier dans les médias, du Figaro à Radio France) ou Sylvie Perez (ex de L'Express, France Inter et Europe 1). Et Hélène de Lauzun, historienne travaillant aujourd'hui pour The European Conservative.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un don« Des publications comme 'The European Conservative', ou 'Brussels Signals' portent les mêmes messages que l'extrême-droite et MCC Brussels. Même si elles sont peu lues, ça les légitime », continue Olivier Hoedeman. Des médias hongrois ont rapporté que The European Conservative avait reçu des financements de la Fondation Batthyány Lajos (BLA), elle-même financée par le gouvernment Orbán. The European Conservative est enregistré à la même adresse que le Mathias Corvinus Collegium à Budapest. Brussels Signal a été lancé en 2023 par l'américain Patrick Egan, qui a été conseiller en communication du gouvernement Orbán. Sa société FWD affiche aussi comme client la CDU en Allemagne et l'UMP en France. Brussels Signal a refusé d'indiquer aux journalistes de Politico d'où provenaient les 275000 euros de son capital de départ. Sa société mère, Remedia Corp., est également immatriculée en Hongrie.
Des figures conservatrices françaises apparaissent aussi dans les événements et « invités internationaux » du MCC à Budapest. Côté politique, on y a vu Eric Zemmour ou Marion Maréchal. Claude Chollet, créateur de l'Observatoire du journalisme (OJIM) apparaît aussi sur le site du think tank. Plus critique de l'Agence France Presse que des attaques de la Hongrie contre l'indépendance des médias, il s'exprime surtout dans la presse d'extrême droite française (L'Incorrect, Breizh Info, Frontières). La journaliste Eugénie Bastié (Le Figaro, Europe 1, Cnews) est aussi présentée comme une invitée internationale de MCC à Budapest.
Parmi les autres figures francophones, Aymeric de Lamotte, avocat belge et directeur de l'institut Thomas More, a été invité à un événement du Mathias Corvinus Collegium en novembre 2024, aux côtés du Québecois Mathieu Bock-Côté (Cnews, Europe 1 et précédemment RMC). Le franco-hongrois Yann Caspar, chercheur au Centre d'études européennes du MCC à Budapest, écrit aussi régulièrement dans Conflits, une revue française qui, en janvier dernier, qualifiait le Mathias Corvinus Collegium de « miracle hongrois », et dont le directeur de publication Gil Mihaely est régulièrement invité sur les plateaux de BFM ou Arte (émission « 28 minutes »).
Lors de l'inauguration de l'antenne du Mathias Corvinus Collegium à Bruxelles, son directeur Franck Furedi - ancien trotskiste qui a évolué vers la droite libertarienne, à travers son média Spiked, qui aurait touché des fonds des frères Koch – n'a pas caché pas sa volonté de promouvoir un narratif pro-Hongrie. Mais le MCC Brussels s'emploie surtout à s'attaquer à l'Union européenne et à ses régulations, depuis le principe de précaution jusqu'aux récentes lois sur le secteur de la Tech. Le think tank s'est aussi immiscé la mobilisation des agriculteurs en co-organisant un rassemblement des agriculteurs français à Bruxelles en janvier 2024 avec la Coordination rurale (réputée proche de l'extrême-droite), et en diffusant des messages incendiaires ciblant la Commission européenne et les « environnementalistes extrémistes » [1]…
L'un des principaux combats de MCC Brussels porte aujourd'hui sur les financements européens accordés aux ONG.
L'un des principaux combats de MCC Brussels porte aujourd'hui sur les financements européens accordés aux ONG, qu'il s'agisse de celles défendant les droits des personnes LGBTQI+ ou les organisations environnementales. De manière parfaitement ironique pour une organisation qui ne publie pas d'informations financières, le think tank dit se battre pour la transparence des « opérations secrètes » des organisations de la société civile. En février dernier, il a publié un rapport s'en prenant aux fonds du programme « Citoyens, égalité, droits et valeurs », qui visent à protéger et à promouvoir les principes consacrés par les traités de l'UE et la charte des droits fondamentaux, accusés d'être un instrument de propagande pro-UE. Alors que le gouvernement hongrois vient d'adopter de nouvelles mesures violant ces droits fondamentaux – comme l'interdiction de la Gay Pride -, il n'est pas totalement surprenant que son allié à Bruxelles s'en prenne aux groupes qui défendent ces droits.
Bien sûr, ces attaques contre les ONG ne sont pas nouvelles. Cela fait une dizaine d'années que la droite européenne (European People's Party) cherche à pousser ce sujet. Mais avec le soutien d'une extrême droite toujours plus présente au Parlement européen et celui d'organisations comme MCC Brussels, les défenseurs de la société civile s'inquiètent des menace qui pèsent sur les financements des associations, notamment lors des débats pour le prochain cadre financier pluriannuel.
« On peut voir ces attaques contre les associations comme une problématique plus large, comme l'un des différents moyens de s'en prendre à la démocratie, en s'attaquant à la participation citoyenne via les ONG, et en faisant taire toute voix dissonante. Car bien sûr, ils ne s'attaquent qu'aux ONG qui ne sont pas d'accord avec eux », observe Nina Walch, qui suit ce dossier pour les Verts au Parlement européen.
Les eurodéputés Patriotes, notamment les Français du RN, ne se privent pas de relayer la croisade anti-ONG de MCC Brussels, tout comme celle qui vise une autre cible privilégié du think tank réactionnaire : la Commission européenne, accusée d'avoir trop de pouvoir. C'est ainsi que l'on verra aussi bien MCC Brussels que des eurodéputés RN réclamer la création d'un DOGE européen, sur le modèle du Departement of Government Efficiency d'Elon Musk aux États-Unis qui s'est donné pour mission de tailler à la hache dans l'administration fédérale.
Un rapport du Mathias Corvinus Collegium intitulé « The great reset : Rétablir la souveraineté des États membres dans l'Union européenne » appelle à une refonte des institutions européennes ou à une transformation des structures actuelles en leur retirant tout pouvoir réel. La Hongrie étant régulièrement mise en cause par les institutions européennes pour ses atteintes à l'état de droit et aux droits fondamentaux, il n'est là encore pas surprenant qu'elles soient la cible d'attaques des pro-Orbán. Ces derniers peuvent compter sur le soutien des extrêmes droites européennes traditionnellement eurosceptiques.
Pour Laurent Warlouzet, professeur d'histoire européenne à l'université Paris-Sorbonne, cette vision d'une réforme réactionnaire et nationaliste de l'Union européenne a été formalisée après le Brexit de 2016. Si les droites les plus radicales voulaient à l'origine suivre le Royaume-Uni en quittant l'Union, les négociations du Brexit ont montré à quel point c'était difficile. « Ils sont allés sur une autre stratégie : changer l'UE de l'intérieur. L'idée est de transformer l'UE en une zone de libre-échange un peu lâche, sans autre dimension. C'est une alternative qui existe depuis longtemps, pas que du côté de l'extrême droite. Cela montre que l'Europe promue par l'extrême droite est une Europe ultra libérale, sans aucune régulation sociale ou environnementale, que ce soit sur les pesticides, la préservation de la biodiversité… Dans certains pays, ce côté libéral est assumé, mais ça contraste avec le discours protecteur et populaire qu'ils peuvent avoir en France. »
Les liens entre les organisations hongroises pro-Orbán et les sphères trumpistes ne sont pas nouveaux.
Le 11 mars dernier, MCC et un autre think tank polonais, Ordo Iuris, ont présenté leur projet de réforme de l'Union européenne à la très influente Heritage Foundation, à Washington. La Heritage Foundation, qui a longtemps été un partenaire du réseau Atlas [2], est très proche de l'administration Trump, et a piloté le « Project 2025 » (lire notre article), feuille de route pour le président américain. Il est tout à fait probable que les plans de MCC pour affaiblir l'Europe intéressent le think tank étatsunien, lui-même très critique de l'UE. « Donald Trump a intérêt à gouverner face à des Européens divisés, ça lui donne plus de puissance. Donc il est forcément contre l'Union européenne, dans la vision du monde qu'il a : une vision purement transactionnelle et de court terme, où il y a forcément un gagnant et un perdant, et pas de collaboration « gagnant-gagnant » envisageable », commente Laurent Warlouzet.
Lire aussi « Project 2025 », ou comment la droite américaine imagine une seconde présidence Trump
Les liens entre les organisations hongroises pro-Orbán et les sphères trumpistes ne sont d'ailleurs pas nouveaux. Tous les ans, le MCC Budapest organise en Hongrie un festival ponctué de débats politiques, le MCC Feszt. John McEntee, ancien de la première administration Trump, très controversé notamment pour son rôle potentiel dans l'assaut du Capitole le 6 janvier 2020, et qui a ensuite rejoint la Heritage Foundation et le Project 2025, était l'un des invités de l'édition 2024 du festival. De même que Tucker Carlson, ex présentateur climato-sceptique de Fox News, très engagé dans la campagne de Donald Trump, ou l'influenceuse pro-Trump Lauren Chen, fondatrice de la société de production Tenet Media qui a été mise en cause par la justice américaine en septembre 2024 pour son rôle central dans une campagne de désinformation pro-russe financée par Russia Today.
Par ailleurs, en 2023, la Heritage Foundation a signé un accord de coopération avec le Danube Institute de Budapest, qui prévoit des échanges entre leurs chercheurs et l'organisation d'événements communs. Le Mathias Corvinus Collegium est aussi lié à cet institut créé par la Fondation Batthyány Lajos. Les deux organisations étaient par exemple derrière l'organisation de la National Conservatism Conference (NatCon) d'avril 2024 à Bruxelles. Ces grandes réunions du « conservatisme nationaliste » rassemblent des figures de droite et d'extrême droite et auraient bénéficié de financements de Peter Thiel, libertarien conservateur co-fondateur de Paypal et Palantir. Rod Dreher, ami proche du vice président américain JD Vance, s'est exprimée à celle de Bruxelles. Dreher a aussi été conférencier au MCC Budapest, il est l'un des contributeur de The European Conservative et un « visiting fellow » au Danube Institute. Tout comme l'a été le français Eric Trégner, fondateur du média d'extrême-droite Frontières.
Dans une capitale européenne où l'extrême droite est plus présente que jamais et réussit de plus en plus à imposer son agenda, MCC Brussels semble donc la tête de pont de ce mouvement des « nationalistes conservateurs » , hostile à une Europe unifiée et protectrice de l'état de droit, des droits fondamentaux ou de l'environnement. Une tête de pont financée par la Hongrie et peut-être par d'autres sources, et dont les messages sont abondamment repris par l'extrême droite et en particulier les eurodéputés RN. Olivier Hoedeman ne cache pas son inquiétude : « Ils prennent de l'espace, et il ne faut pas prendre ça à la légère. Des choses peuvent changer rapidement, en fonction des prochaines élections. »
Ni MCC Brussels ni la Heritage Foundation n'ont répondu à nos questions.
25.04.2025 à 12:08
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Le système Bolloré (…)
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Dans un nouveau rapport publié en partenariat avec Attac France, l'Observatoire des multinationales décortique l'histoire et le fonctionnement de l'empire Bolloré - un empire économique désormais mis de manière directe ou indirecte au service de l'extrême-droite et de ses idées.
L'occasion de casser quelques mythes que le milliardaire et ses proches aiment entretenir : non, le centre de gravité de son empire n'est pas en Bretagne, mais au Luxembourg. Non, ce n'est pas un groupe industriel bicentenaire ancré dans son territoire, mais un groupe financier qui s'est composé et décomposé au gré des opportunités boursières.
C'est aussi l'occasion de confirmer, chiffres et organigramme à l'appui, que le groupe Bolloré a bien tiré des milliards d'euros de ses activités africaines sous formes de remontées de dividendes et de plus-value, et que la famille continue à contrôler son empire au moyen de montages juridiques et financiers sophistiqués et grâce à une poignée de fidèles sans apporter beaucoup de capital. La récente scission de Vivendi en quatre entités distinctes s'inscrit dans le droit fil de cette manière de faire.
Nous montrons enfin à quel point l'empire Bolloré est le pur produit d'un système, qui s'est mis en place depuis les années 1980 : un système où les coups boursiers et la haute banque pèsent plus que l'économie réelle, où les milliardaires peuvent se construire des empires médiatiques et culturels sans garde-fous, où les pouvoirs publics de tous bords soutiennent aveuglément les prétendus « champions nationaux » en France et à l'étranger.
Aujourd'hui, avec sa machine de guerre culturelle et médiatique et ses milliards d'euros de réserves disponibles, l'empire Bolloré ne devrait plus être considéré comme une entreprise « comme les autres ».
Lire le rapport : Le système Bolloré
Ce 23 avril, TotalEnergies et son PDG Patrick Pouyanné ont convié les dirigeants des grandes écoles et des institutions de recherche présentes sur le plateau de Saclay à une soirée-cocktail pour échanger « en toute convivialité » sur leurs partenariats.
Après l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, le groupe pétrogazier s'est discrètement installé à quelques centaines de mètres de là, dans des locaux censés abriter des PME, qui lui permettent de cultiver son influence dans l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche, à travers des événements comme celui de ce mercredi.
Financements de chaires ou d'associations étudiantes, places au conseil d'administration... TotalEnergies reste de fait omniprésent dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur, et notamment sur le plateau de Saclay.
Des militants de Carnage Total étaient sur place pour dénoncer la tenue de cette soirée.
Lire notre article Comment TotalEnergies continue de cultiver discrètement son influence à Polytechnique et sur le plateau de Saclay
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donUne pièce supplémentaire au dossier Socfin. La Socfin, société basée au Luxembourg qui exploite des plantations d'huile de palme et d'hévéas dans une dizaine de pays d'Afrique et d'Asie, est l'un des principaux points noirs du « système Bolloré » que nous décrivons dans le rapport évoqué ci-dessus. Accaparement des terres, pollutions, travail de mineurs... les accusations (et les procédures judiciaires) se sont accumulées au fil des années sur plusieurs de ces plantations. Une enquête de Bloomberg vient de rajouter un pierre à cet édifice en révélant la teneur d'un rapport commandé par la Socfin – sous la pression de ses grands clients comme Nestlé et Colgate-Palmolive – à Earthworm, une firme qui s'est donné pour mission d'aider les grosses multinationales à améliorer leurs pratiques. Les auditeurs signalent notamment des cas de viols et de harcèlement sexuel au Liberia et dans d'autres plantations du groupe. Nous nous étions déjà penchés il y a quelques mois sur les relations entre la Socfin et Earthworm et ce que l'on pouvait en attendre. Lire Comment la Socfin essaie (avec difficulté) de redorer l'image de ses plantations.
Une institution financière publique loin d'être exemplaire. La Caisse des dépôts et consignations, qui gère notamment l'épargne des Français (livret A, livret de développement durable) et abrite plusieurs fonds de retraite, est censée mettre ces ressources au service de l'intérêt général : le logement, l'aménagement du territoire... et l'action climatique. Il y a quelques années, nous avions montré que cette vénérable institution financière continuait pourtant à investir dans les secteur des énergies fossiles (lire notre enquête Quand l'épargne publique finance les énergies fossiles), y compris dans des projets d'extraction de pétrole et de gaz parmi les plus controversés. Les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé depuis, à en croire un récent briefing de Reclaim Finance qui pointe l'opacité de la Caisse sur ses investissements et sur ses votes en assemblée générale des entreprises dont elle est actionnaire. À lire ici.
Rana Plaza : triste anniversaire. Il y a douze ans, l'effondrement d'un immeuble abritant plusieurs ateliers textiles à Dhaka, la capitale du Bangladesh, faisait plus de 1100 victimes, principalement des jeunes ouvrières qui fabriquaient des vêtements pour des marques occidentales – y compris, à en croire des étiquettes retrouvées dans les décombres, quelques groupes de grande distribution français. Le choc provoqué dans l'opinion mondiale avait conduit à quelques progrès qui n'avaient que trop tardé. Parmi eux, l'adoption en France en 2017 de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales (lire notre dossier Devoir de vigilance). Aujourd'hui, malheureusement, ces avancées sont menacées, avec le processus de dérégulation enclenché au niveau européen qui vise la directive adoptée en 2024 sur le même sujet (lire le communiqué conjoint des ONG). Selon une analyse de SOMO, les « simplifications » aujourd'hui envisagées dans la directive devoir de vigilance conduiraient précisément à dédouaner les chaînes de supermarché de toute responsabilité pour des abus sur leur chaîne de valeur du type de ceux constatés au Rana Plaza.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.
24.04.2025 à 17:09
Malgré l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay et - plus généralement - dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Mais la contestation ne faiblit pas.
Ce mercredi 23 avril au soir, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, accueillait les dirigeants de grandes écoles du plateau de Saclay, comme Polytechnique, AgroParisTech ou CentraleSupélec, pour une soirée privée (…)
Malgré l'échec de son projet d'implantation au sein même du campus de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay et - plus généralement - dans l'écosystème de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Mais la contestation ne faiblit pas.
Ce mercredi 23 avril au soir, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, accueillait les dirigeants de grandes écoles du plateau de Saclay, comme Polytechnique, AgroParisTech ou CentraleSupélec, pour une soirée privée dans les locaux de son pôle R&D Nouvelles Energies & Electricité, implanté au cœur du campus étudiant. Outre les écoles d'ingénieurs les plus prestigieuses, le plateau abrite un regroupement universitaire de rang mondial - l'université Paris-Saclay - ainsi qu'une part majeure - près de 20 % - de la recherche scientifique française publique et privée.
Sous le titre « Pionniers depuis plus de 100 ans », cette soirée réservée aux « partenaires [de TotalEnergies] d'innovation et de recherche de l'écosystème de Paris-Saclay » avait pour but de faire « faire découvrir les réalisations de nos équipes dans les domaines des énergies renouvelables et du développement durable ainsi que les résultats de nos collaborations », selon les termes de l'invitation confidentielle dont nous avons pu prendre connaissance. Ceci « en toute convivialité », autour d'un cocktail partagé avec les cadres dirigeants de la multinationale.
Les liens entre les grandes écoles et des entreprises comme TotalEnergies étant de plus en plus contestés, l'organisation de cette soirée a fait l'objet d'une grande discrétion... mais pas suffisamment. Des militants de Carnage Total, un mouvement de désobéissance civile non-violente, étaient présents pour dénoncer l'événement. « Les influences de TotalEnergies doivent cesser, et en particulier sa présence insidieuse au sein de l'écosystème de recherche et d'enseignement Paris-Saclay », ont-ils expliqué. Quant aux invités, questionnés sur les raisons de leur invitation ou sur leur rôle dans l'écosystème du plateau de Saclay, ils ont dit ne pas savoir, ou bien ont fait mine de n'avoir rien entendu, accélérant le pas jusqu'à l'entrée du bâtiment où une dizaine de gardes du corps et policiers assuraient la sécurité.
En 2018, la tentative de TotalEnergies d'implanter un bâtiment de R&D en plein cœur du campus de Polytechnique avait suscité de fortes oppositions et attiré l'attention des médias. Le bâtiment devait accueillir près de 250 personnes, avec la vocation d'être aussi un lieu de vie avec des services pour les étudiant·es [1]. La direction de l'Ecole soutenait fermement le projet, mais suite à la mobilisation d'élèves et d'ONG, ainsi qu'à plusieurs recours juridiques, l'entreprise a fini par jeter l'éponge en 2022.
En lieu et place de ce projet emblématique, mais trop visible, TotalEnergies a opté pour une implantation plus discrète, à quelques centaines de mètres de Polytechnique, dans un bâtiment théoriquement destiné, selon l'aménageur public, à « accueillir des petites et moyennes entreprises ». TotalEnergies occupe les trois derniers étages du bâtiment Le NEXT, dans lequel se trouve aussi le restaurant CROUS pour les étudiant·es des écoles environnantes (AgroParisTech principalement, mais aussi Télécom Paris ou Polytechnique). Selon l'entreprise, le pôle accueille désormais 200 chercheurs, en lien étroit avec les laboratoires des universités et écoles du plateau. Il lui sert aussi à organiser des soirées comme celle du 23 avril. Une soirée similaire a eu lieu en novembre 2024 à l'occasion des 100 ans du groupe.
De fait, même sans bâtiment au sein même de Polytechnique, TotalEnergies reste omniprésent sur le plateau de Saclay. Outre ses locaux, le groupe est le fondateur et financeur de deux centres de recherche de l'Institut Polytechnique de Paris - un regroupement de six grandes écoles dont, sur le plateau, Polytechnique, l'ENSTA, Télécom Paris et l'ENSAE. TotalEnergies a financé la Chaire « Défis technologiques pour une énergie responsable » du centre E4C (Energy for Climate) à hauteur de 3,8 M€ en 2018 ainsi que le centre Hi ! PARIS (avec HEC) sur l'IA et les sciences de données, créé en 2020. Sans oublier le partenariat avec le Laboratoire de Physique des Interfaces et des Couches Minces (LPICM) sur le solaire photovoltaïque, depuis 2007. Une étude récente de Greenpeace France montre que 85 % des structures de recherche de Paris-Saclay spécialisées dans le climat et la transition énergétique sont liées à TotalEnergies [2].
On retrouve aussi l'entreprise dans la gouvernance même des écoles du plateau. Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, est membre du conseil d'administration de Polytechnique depuis 2018 et a été" renouvelé en 2023 pour 5 ans. Il a aussi été nommé administrateur de l'Institut Polytechnique de Paris en 2019. Nathalie Brunelle, qui était directrice du projet d'installation de TotalEnergies sur le campus de Polytechnique, siège au conseil d'administration de l'ENSTA, établissement voisin. Sophie Vergne, directrice commerciale chez TotalEnergies, siégeait au conseil de l'École de Télécom Paris jusqu'en 2022.
TotalEnergies est enfin présente à travers le financement de la vie associative des étudiants du plateau, qui lui permet de soigner son attractivité parmi les étudiants. Par exemple, le groupe était parrain de la promotion 2017 de Polytechnique, de la promotion ENSTA 2021 et de la promotion Télécom Paris 2022.
Cette omniprésence, en plus de permettre au groupe pétrogazier de soigner son image auprès des chercheurs et des étudiants, a aussi des conséquences sur le contenu même de la recherche et de l'enseignement.
L'enquête de Greenpeace conclut que « la multinationale utilise sa puissance de frappe financière pour orienter les savoirs sur la transition énergétique dans le sens de ses intérêts ». Selon les données rassemblées par l'ONG, TotalEnergies ne noue aucun partenariat sur la sobriété énergétique ou sur les conséquences du réchauffement climatique. Par contre, l'analyse fait ressortir que « 44 % des partenariats concernent les technologies de captage du carbone (CCUS) pour réduire les émissions de CO2 ». Ces technologies non prouvées sont largement mises en avant par le secteur pétrolier. Les militants du climat y voient surtout un moyen de retarder l'adoption de tout cadre réglementaire qui la contraindrait à réduire sa production d'énergies fossiles et de détourner l'attention de solutions plus systémiques [3].
L'influence de groupes comme TotalEnergies dans l'enseignement supérieur et la recherche est favorisée par des politiques publiques : défiscalisation des mécénats, crédit impôt recherche, bourses pour employer des chercheurs ou des doctorants, fléchage de la taxe d'apprentissage, etc.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donDe plus en plus d'étudiant·es questionnent les partenariats de leur école ou université avec certaines entreprises privées, à commencer par celles engagées dans de nouveaux projets d'énergies fossiles. En 2024 à l'ESPCI (école d'ingénieur à Paris), les étudiant·es ont voté pour ne pas inviter TotalEnergies à leur forum étudiant. Au même moment, à Polytechnique, des étudiant·es ont souhaité débattre de la présence de la multinationale au forum d'entreprises organisé chaque année dans leurs locaux, mais la direction de l'Ecole les a empêché de soulever la question de l'exclusion d'entreprises particulières, comme ils voulaient le faire à travers un sondage.
La même année, 600 élèves et alumni ont envoyé une lettre à la direction de l'Ecole Polytechnique pour dénoncer les partenariats avec des entreprises liées aux énergies fossiles et lui demander des transformations profondes [4]. La direction a répondu dans un communiqué de presse discret, sans aucun argument scientifique alors que la lettre s'appuyait sur de nombreux rapports et avis sur la question : « Nous pensons qu'il faut coopérer avec les entreprises industrielles à haute intensité technologique et énergétique, qui ont entre les mains les leviers pour faire évoluer les systèmes productifs à l'échelle internationale. »
La situation est similaire dans d'autres écoles du plateau de Saclay, comme à AgroParisTech, à CentraleSupélec ou dans les autres établissements de l'Institut Polytechnique de Paris. Malgré des questions légitimes sur les tenants et les aboutissants de leurs partenariats avec des entreprises, ces hauts lieux de la science largement financés par l'argent public refusent tout débat.
Faut-il y voir un signe que les stratégies de relations publiques des multinationales comme TotalEnergies sur le plateau de Saclay sont efficaces ?
Ariane Pellion
[1] Voir pour plus d'informations : https://polytechniquenestpasavendre.fr/
[2] « Comment TotalEnergies influence la science », 2022.
[3] Lire par exemple cet article du Monde.
[4] Lire par exemple cet article de Novethic.