10.09.2023 à 16:16
Les Émirats arabes unis imposent leur rang régional dans la BRI
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Le spécialiste des relations Chine-Golfe, Jonathan Fulton, identifie quatre périodes permettant de décrire l’évolution des
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Le spécialiste des relations Chine-Golfe, Jonathan Fulton, identifie quatre périodes permettant de décrire l’évolution des relations entre les Émirats arabes unis (EAU) et la République populaire de Chine (RPC)1.
La première est dite celle de l’indifférence (1949-1965) : les deux pays maintenaient des idéologies qui ne se rencontrent pas, de même qu’ils ne possédaient pas d’intérêt stratégique l’un envers l’autre.
La période suivante s’est traduite par l’hostilité (1966-1971) causée par la Révolution culturelle et la défiance que celle-ci a provoqué chez les dirigeants des États de la Péninsule arabique envers la Chine.
Le rapprochement diplomatique et stratégique entre les deux pays s’est effectué au cours d’une troisième période : celle de la transition (1971-1990). La Chine parvient à imposer une politique étrangère plus pragmatique. Après une tentative avortée de reconnaissance diplomatique lors de l’année de formation des Émirats arabes unis tel que nous les connaissons aujourd’hui, en 1971, les deux pays scelleront officiellement leurs relations en 1984.
Vint ensuite une période d’interdépendance (1990- 2012). Les échanges commerciaux progressent et s’intensifient et, en 2012, la visite aux Émirats arabes unis du Premier ministre Wen Jiabao marque l’occasion de porter la relation bilatérale au statut de partenariat stratégique (strategic partnership). Les Émirats arabes unis deviennent ainsi le premier État du Golfe à sceller un tel type d’accord avec l’Empire du Milieu.
Avant même le lancement de la BRI, les relations politiques et économiques étaient investies, de même que déjà certains autres domaines. Retour sur les composantes d’une relation bilatérale plurielle.
Coordonner les politiques conjointes : les grands actes de la relation diplomatique
Le Sultan Al Jaber, alors ministre d’État pour les Affaires étrangères, assiste à la première Conférence de la Ceinture et de la Route à Pékin et en revient convaincu que le projet de Xi Jinping constitue pour Abou Dhabi « un pont reliant notre futur commun »2.
Un an plus tard, en 2018, la relation sino-émirienne se teintent d’une nouvelle couleur après que la visite de Xi Jinping à Abou Dhabi permit une fois de plus d’élever la relation bilatérale, cette fois-ci au rang de partenariat stratégique global (comprehensive strategic partnership). Cette rencontre marquait également la première visite d’État d’un président chinois dans la région du Golfe depuis presque 30 ans. C’est donc en 2018 que la relation sino-émirienne a pris le cap plus assumé qui se dessine encore à l’heure actuelle. Un important nombre de domaines sont alors officiellement investis entre les deux pays.

En avril 2019, Mohammed ben Rashid Al Maktoum retrouvait Xi Jinping à Pékin. La réunion s’est tenue en marge de la Deuxième Conférence de la Ceinture et de la Route pour la coopération internationale. Le Premier ministre affirmait alors que la collaboration avec la Chine servait la vision stratégique future des Émirats arabes unis et soutenait les objectifs des deux pays pour accélérer le développement.
Trois mois plus tard, c’était au tour de Mohammed ben Zayed d’être reçu à Pékin. Cette fois, les objectifs tirés des précédentes visites ont pu être affinés. Xi disait alors attendre le développement du projet du terminal 2 de conteneurs du port de Khalifa et la Zone de démonstration de coopération de capacités Chine-EAU. Le président chinois a exprimé son souhait de voir réaliser l’objectif de 200 milliards de dollars de commerce à double sens d’ici 2030. Aujourd’hui, certaines de ces initiatives ont bien avancé. Nous analysons dans cet article les tenants des différents projets de développement qui lient la Chine aux Émirats arabes unis.
Transport aérien et maritime : comment les Émirats arabes unis usent de leurs atouts pour se démarquer de leurs voisins
Les Émirats arabes unis comptent sur leurs installations aériennes et maritimes pour servir la BRI et se placer en acteur nécessaire à l’articulation du projet dans la région du Moyen-Orient.

Si l’aéroport international de Dubaï est l’un des aéroports les plus achalandés au monde, celui d’Abou Dhabi et de Dubaï Al Maktoum (principalement utilisé pour les vols de fret vers Dubaï) tentent également d’asseoir leur importance. Le premier sert de base à Etihad Airways, la compagnie aérienne nationale des Émirats arabes unis qui, en 2022, est devenue la première compagnie internationale à exploiter des vols dans les trois destinations chinoises de Pékin, Shanghai et Guangzhou. Le second est accueilli au centre de Dubaï South, une ville tentaculaire de 145 kilomètres carrés, lancée en tant que projet gouvernemental en 2006. Dans le but de stimuler la durabilité ainsi que l’attraction de Dubaï, Dubaï South a signé, en juin 2023, un accord-cadre avec Beijing New Aerotrolis. La société chinoise est responsable de la construction de la zone économique de l’aéroport international de Pékin-Daxing, qui s’est d’ailleurs associé avec le Dubaï Multi Commodities Centre, la plus grande zone de libre-échange des Émirats arabes unis. L’accord entre Dubaï South et Beijing New Aerotrolis prévoierait le partage mutuel d’informations et de statistiques relatives aux zones aéroportuaires d’Al Maktoum et de Pékin-Daxing.

Au-delà des seuls Émirats arabes unis, c’est avec les États du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) que la Chine fait progresser ses liens grâce à l’introduction de nouvelles lignes aériennes directes et de l’augmentation du pouvoir d’achat des touristes chinois. Les pays du Golfe n’attirent ces dernières années qu’un pour cent des touristes chinois (hors période de pandémie), mais les tendances prévues sont positives. Le marché chinois est considéré comme vital pour le secteur mondial du tourisme et les Émirats arabes unis ont donc fort intérêt à investir sur leur attractivité à l’égard des Chinois.
Un autre fait important dans le secteur aérien fut l’accord de partenariat signé au cours du mois d’avril 2023 entre deux sociétés chinoise et émirienne pour établir une installation de fabrique et d’exploitation d’avions et de drones électriques durables pour le transport de passagers et de fret à Abou Dhabi. Il s’agirait de la première initiative du genre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ce qui à terme pourrait renforcer la position d’Abou Dhabi en tant que première ville intelligente de la région. Le projet contribuerait à revitaliser les marchés et à faciliter la circulation des biens et des marchandises vers les points de vente, les ports et les aéroports, améliorant ainsi le commerce.
Même si les Émirats arabes unis relient le monde par voie aérienne, ils sont aussi présents le long de la route maritime (MSRI). Le pays importe, exporte et réexporte la majorité voire la quasi-totalité des marchandises par voie maritime.
Le port de Jebel Ali et la zone JAFZA
Le port de Jebel Ali à Dubaï est actuellement le 9e port à conteneurs le plus fréquenté au monde (par trafic de conteneurs). Il est de loin le port le plus achalandé de la région du Golfe et le troisième port international en dehors de la Chine.
DP World, compagnie florissante d’exploitation portuaire basée à Dubaï, participe non sans mal à l’attractivité des Émirats arabes unis pour la BRI. L’entreprise, qui gère le port Jebel Ali et sa zone franche JAFZA, a pris du poids dans le monde maritime et les investissements portuaires et stimule les ambitions de la BRI. Les investissements de DP World se font dans de nombreux ports en Chine (à Hong Kong, Qingdao, Shanghai, Shenzhen, Tianjin et Yantai). En mai 2023, DP World a signé des accords avec les ports chinois de Ningbo-Zhoushan et Zhejiang Seaport, pour coopérer sur les services de chaîne de l’industrie automobile et de la logistique. La signature s’inscrit dans le cadre du projet d’investissement de la Route Maritime de la Soie.

Le port de Khalifa et la zone KIZAD
Outre Jebel Ali, l’un des plus grands ports en eau profonde du monde est le port de Khalifa à Abou Dhabi. Bien que les six phases de construction prévues soient censées être terminées d’ici 2030, le port est dès aujourd’hui opérationnel. Le port de Khalifa est une partie de la plus grande zone industrielle de Khalifa Abu Dhabi (KIZAD), qui s’étend jusqu’à la mer sur une superficie de plus de 400 kilomètres carrés et dessert les émirats de Dubaï et d’Abou Dhabi. L’entreprise chinoise COSCO Shipping a conclu en 2016 un accord de 35 ans pour l’exploitation d’un terminal à conteneurs au port de Khalifa (le CSP Abu Dhabi Conteneur Terminal, le terminal à conteneurs semi-automatisé en eau profonde comprend la plus grande station de fret à conteneurs au Moyen-Orient, couvrant 275.000 mètres). Le terminal a été inauguré deux ans plus tard, faisant du port de Khalifa l’un des 36 hubs régionaux du réseau mondial de COSCO de soutien des échanges dans le cadre de la BRI.
La zone KIZAD et son port sont donc un important catalyseur de la relation Chine-EAU. L’infrastructure de circulation des marchandises dans les ports maritimes des Émirats arabes unis, ainsi que les zones franches industrielles et commerciales, constituent une base solide sur laquelle les Émirats arabes unis chercheront à élargir leur rôle dans le commerce international et à être un membre clé de la BRI.
« La Chine et les Émirats arabes unis entretiennent des liens solides et de longue date avec une variété de liens, y compris des liens économiques, culturels, commerciaux et d’investissement, ainsi qu’une vision commune d’un avenir stable et prospère pour nos peuples et le monde. » – Sheikh Hamed bin Zayed Al Nahyan, chef de la Cour du prince héritier d’Abu Dhabi.

En tant que troisième plus grand centre de réexportation au monde après Singapour et Hong Kong, Dubaï, avec la zone franche de Jebel Ali (JAFZA), la plus grande zone franche du monde, et le port de Jebel Ali pour la réexportation, fait transiter environ 60 % du commerce transfrontalier de la Chine3. En dehors de échanges liés au secteur de l’énergie, la Chine est le premier partenaire commercial des Émirats arabes unis.
Les Émirats arabes unis, terre d’accueil des investissements et du commerce chinois ? Les récentes initiatives du gouvernement
En lien avec les objectifs du partenariat stratégique global entre la RPC et les Émirats, l’accent est mis sur la levée des obstacles au libre-échange, à l’investissement et à la coopération industrielle. Ceci facilite dans le même temps l’intégration de Vision 2030 des Émirats arabes unis dans le cadre de la BRI. Les points qui rythment déjà et rythmeront encore la coopération sino-émirienne en matière de commerce et d’investissement concernaient ainsi l’élargissement des zones de libre-échange, l’amélioration des structures commerciales, mais également la facilitation des investissements émiriens en Chine et chinois aux Émirats arabes unis.
Des engagements d’amélioration des possibilités d’investissements conjoints au sein de différents secteurs économiques ont été pris le sous-secrétaire du Ministère de l’Économie émirien, Abdullah Ahmad Al Saleh, et le représentant adjoint au Commerce international pour la République populaire de Chine, Zhang Xiangchen, en marge du Forum économique Chine-EAU. Les Émirats arabes unis se prévalent déjà d’une politique assouplie visant l’amélioration de la compétitivité en termes d’investissement. En ce sens, la Loi sur les sociétés commerciales a été portée à modification, permettant la propriété étrangère à hauteur de 100% des parts. Le gouvernement espérait ainsi offrir des incitatifs pour soutenir sa croissance en encourageant les investissements du secteur privé.

À la suite de cet échange, les relations industrielles sino-émirienness se sont accélérées durant le mois d’avril 2023. À l’occasion de la Journée d’affaires de la Chine, le Dubaï Multi Commodities Center a reçu plus de deux cent entrepreneurs chinois auxquels a été présenté un nouvel écosystème économique favorisant l’implantation des investissements chinois aux Émirats arabes unis. Les initiatives prises en ce sens comprennent entre autres le lancement du site Web du DMCC en mandarin et l’ouverture d’un bureau de représentation à Shenzhen, inauguré pour amener le DMCC à la porte des entreprises chinoises.
L’importance de la relation entre les Émirats arabes unis et la Chine a été renforcée par la création du Fonds d’investissement conjoint, un fonds de co-investissement stratégique de 10 milliards de dollars, lancé en décembre 2015 pour se concentrer sur des investissements commerciaux diversifiés dans divers secteurs de croissance. Ce fonds est administré et géré par le fonds d’État d’Abou Dhabi, Mubadala, et une filiale de la China Development Bank. L’objectif de l’initiative est de créer un fonds équilibré qui intègre des investissements commerciaux diversifiés et couvre un éventail de secteurs en croissance.
Les deux pays approfondissent leurs relations en matière de services financiers en permettant à leurs succursales bancaires respectives d’aider la promotion des investissements par le renforcement de la collaboration entre la Bourse de Shanghai (SSE) et les centres financiers internationaux aux Émirats arabes unis. Le Belt and Road Exchange, établi à Abou Dhabi en 2018, par exemple, a été conçu pour devenir une plateforme internationale de levée de capitaux, aidant les entreprises chinoises, les sociétés étrangères et les organisations internationales à financer leurs investissements. Afin d’améliorer les partenariats d’Abou Dhabi avec le gouvernement chinois, l’Abu Dhabi Global Market (ADGM) a poursuivi l’accord en construisant son premier bureau de représentation à Pékin.
Plus encore, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), dont le siège est à Pékin, a signé un accord qui fait progresser son plan d’établir son premier bureau à l’étranger à Abou Dhabi. Ce bureau opérationnel servirait à soutenir le financement de projets dits capables de parvenir à une croissance économique durable. Les Émirats arabes unis sont devenus membres fondateurs et permanents de la BAII en 2015. Le capital de la banque se compose de 100 milliards de dollars et la contribution des Émirats arabes unis s’élève à environ 1,185 milliard de dollars.

Des entreprises chinoises ambitieuses dans le domaine agricole
Les investissements chinois dans l’agriculture aux Émirats arabes unis ont connu une croissance significative ces dernières années. Les Émirats arabes unis importent la majeure partie de leurs produits alimentaires en raison de leurs conditions climatiques arides et de la rareté des terres agricoles. La Chine, en tant que l’un des plus grands producteurs et exportateurs agricoles au monde, a identifié les Émirats arabes unis comme un marché potentiel pour ses investissements dans le secteur agricole.

Les Émirats arabes unis ont créé des zones franches agricoles, notamment dans l’émirat de Dubaï, pour attirer les investissements étrangers dans l’agriculture. Ces zones offrent des infrastructures modernes, des terres agricoles et des incitations fiscales aux entreprises étrangères qui souhaitent développer des activités agricoles. Plusieurs entreprises chinoises ont établi des partenariats ou investi dans ces zones franches pour cultiver des produits agricoles tels que les légumes, les fruits et les fleurs. C’est le cas de Tianjin TEDA Investment Holding Co ou de la China-Arab Investment and Development Corporation (CAIDC) ou encore plus curieux…la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) plus habituée à investir dans la construction d’infrastructures mais qui s’est lancée dans a construction de serres et d’infrastructures pour la culture de légumes.

Dans la gamme des produits laitiers, de plus en plus appréciés par la population émiratie, on retrouve les grands groupes chinois tels que Yili Group et Wahaha Group.
Une immigration chinoise prospère
Au-delà des opportunités économiques offertes par les Émirats arabes unis, des initiatives en matière de culture et d’éducation ont été prises pour attirer l’immigration chinoise. Le 1er septembre 2020, la Chinese School Dubaï a ouvert ses portes et a accueilli 200 enfants d’origine chinoise, leur permettant de suivre les mêmes enseignements que ceux donnés en Chine. L’ouverture de cet établissement est marquante puisqu’elle représente la première subvention du gouvernement chinois destinée à la création d’une école chinoise hors de Chine, proposant un programme identique à celui enseigné en Chine.

Les Émirats arabes unis entendent également accroître leur attractivité auprès des étudiants et des jeunes professionnels chinois, en faisant de Dubaï une destination privilégiée. Plusieurs accords ont été conclus dans ce sens, comprenant la reconnaissance mutuelle des diplômes, la facilitation d’obtention des visas ou encore la promotion des échanges universitaires. Par exemple, l’Université de Zayed à Dubaï a une collaboration avec l’Université de Tsinghua en Chine.
En 2018, à la suite de la visite de Xi à Abou Dhabi, un contrat audiovisuel avait été scellé entre les deux États. Celui-ci incluait la diffusion par des chaînes de télévision émiriennes de séries et films chinois doublés en arabe. L’accord témoigne de l’accroissement des liens commerciaux. Les Émirats arabes unis y voient ainsi d’asseoir la portée de la relation commerciale qu’ils entretiennent avec la Chine, quand Pékin exerce de ce fait une influence culturelle plus étendue.
Quid des liens énergétiques
En possédant 8,9% des réserves pétrolières mondiales en 2021, les Émirats se placent au 5ème rang des pays détenant des réserves de pétrole4. Le partenariat énergétique entre les Émirats arabes unis et la Chine, n’est néanmoins pas aussi étendu que les partenariats que Pékin entretient avec le Qatar et l’Arabie Saoudite. Abou Dhabi est tout de même devenus un partenaire de confiance de la sécurité énergétique chinoise après des accords historiques en 2017 et 2018.
En mars 2023, la Chine concluait son premier accord d’achat de gaz naturel liquéfié (GNL) via l’utilisation du yuan comme monnaie d’échange. L’accord concerne près de 65 000 tonnes de GNL émirati et transcrit la mise en œuvre des efforts de la part de la Chine pour pousser les pays du Golfe à l’utilisation du yuan. L’Arabie Saoudite avait quelques semaines plus tôt donné son feu vert pour l’apparition de ce type dans les achats d’énergie que l’a liait à Pékin. Le directeur de la China National Offshore Oil Corporation, à l’initiative de cette opération, soulignait la capacité de ce type de manœuvre à promouvoir un écosystème diversifié pour le commerce de l’énergie.
Le secteur des énergies vertes tente lui aussi d’être investi. Fin mai 2023 les deux pays ont annoncé leur intention de développer conjointement une usine d’hydrogène vert de 20 mégawatts aux Émirats arabes unis. L’initiative rencontrerait ainsi les intentions du calendrier émirien fixant un objectif national de carboneutralité pour 2050. Deux ans plus tôt, les EAU inauguraient le premier site de production d’hydrogène vert alimenté par l’énergie solaire au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Les Émirats arabes unis, au cœur de la rivalité sino-américaine ?
Tout comme du côté de l’Arabie Saoudite, on observe aux Émirats arabes unis l’installation d’une forme de défiance face à l’attitude des États-Unis au Moyen-Orient. Abou Dhabi a jugé sévèrement l’administration Obama en 2011 lors de l’abandon de leur allié égyptien au profit des Frères Musulmans, puis entre 2013 et 2015 lors de l’accord iranien qui fragilisa l’équilibre régional.
Au milieu de l’été 2020, le rapport annuel du département de la Défense américain sur la Chine avait déjà surpris : il mentionnait pour la première fois publiquement les Émirats arabes unis comme possible pays candidat à une implantation navale chinoise5. Les rumeurs sur la possible installation d’une base de la marine chinoise à Abou Dhabi circulent abondamment depuis la visite de Xi en 2018 et inquiètent de plus en plus les officiers américains qui y voient un risque majeur de compromission de leurs actions dans la zone.
Les dernières révélations concernant cette affaire ont été découvertes et publiées par le Washington Post6. Selon le journal, des constructions ont été observées dans le port Khalifa en décembre 2022. Les services de renseignement américains pensent que l’activité récente détectée sur le site est le résultat du renforcement des liens entre les Émirats arabes unis et la Chine et qu’elle s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par Pékin pour construire un réseau militaire mondial avec différentes bases à l’étranger. Le port de Khalifa représente en effet pour les Émirats arabes unis un espace offrant l’occasion de diversifier ses partenaires et de freiner sa dépendance à l’énergie.
Depuis 2002, la base aérienne d’Al Dhafra accueille la 380e escadre de l’armée de l’air américaine. Compte tenu de la proximité géographique, les autorités américaines ont ainsi été claires sur le fait qu’elles ne permettront pas à une base chinoise de devenir opérationnelle aux Émirats arabes unis.
Sur le plan des technologies militaires, il est à noter que les Émirats arabes unis possèdent des drones chinois Wing Loong I depuis 2016 et ont commencé à recevoir ses achats de l’aile améliorée et plus meurtrière Wing Loong II au début de 2018. Les appareils destinés à la surveillance et à la reconnaissance peuvent transporter des missiles et des bombes à guidage laser pour faire exploser des cibles terrestres ou aériennes. La Chine est un fournisseur important de drones militaires pour les pays du Moyen-Orient, en particulier ceux qui sont interdits de les importer des États-Unis. Abou Dhabi a également, début 2023, officialisé une commande de 12 jets d’entraînement L-15 chinois.

Ces transferts semblent moins concurrencer les ventes effectuées par les Américains dans ce domaine qu’ils ne reflètent l’entrée progressive des industriels chinois sur le marché émirien de la défense. Tout ceci intervient néanmoins alors que l’achat d’avions de chasse et de drônes F-35 par Abou Dhabi aux États-Unis a été suspendu en raison des initiatives en provenance de Washington de limitation des ventes de technologies chinoises, y compris de la 5G apportée par Huawei, dans les États arabes.
La participation des Émirats arabes unis à la BRI s’étend probablement au-delà du soutien de l’infrastructure physique pour le commerce. Des domaines comme ceux de la technologie, de la culture, du tourisme, du spatial ou encore de l’intelligence artificielle sont récemment de plus en plus exploités à l’intérieur de la coopération bilatérale. Les Émirats arabes unis sont devenus le premier États du Golfe a conclure un accord de coopération spatiale avec la Chine lors de l’accueil du véhicule émirien Rashid 2 à bord de la mission chinoise Chang’e-7 qui doit se rendre sur la Lune en 2026.
La relation que la Chine a instaurée avec Abou Dhabi s’est développée à l’image des différents liens qu’elle a tissé avec l’ensemble des pays du Golfe. Pour autant, il est à souligner la capacité dont les Émirats arabes unis ont fait preuve sur la scène diplomatique pour imposer leur importance aux côtés d’acteurs de taille tels que l’Arabie Saoudite et l’Iran. C’est d’ailleurs ce que prouve sa récente admission, aux côtés de ces deux puissances régionales, au sein de la communauté très sélective des BRICS. Si la Chine avait appuyé l’initiative d’une telle expansion, d’autres comme le Brésil et l’Inde se trouvaient plus sceptiques. Reste alors à Abou Dhabi de faire la preuve de son influence mondiale.
Les Émirats arabes unis sont bien placés pour diriger les pays de la BRI dans le Golfe et consolider leur position en tant que plaque tournante commerciale de la région. La Chine était déjà le deuxième partenaire économique des Émirats arabes unis avant de rejoindre la BRI. Les Émirats arabes unis ont les ports de mer, les aéroports et les zones franches les plus établies et diversifiées de la région en raison des investissements importants dans cette infrastructure. Tout cela est étayé par une solide structure juridique et réglementaire qui tend à permettre légalement l’ouverture aux investissements extra-territoriaux.

Par Alicia Tintelin, Cheffe du Pôle Proche-Orient à l’Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie (OFNRS)
1 Jonathan Fulton, « China-EAU Relations in the Belt and Road Era », Journal of Arabian Studies. 2019.
2 Sultan Al Jaber, « “Belt and Road” is a Bridge to Our Common Future », The National. 2017.
3 Jonathan Fulton, China’s Relations with the Gulf Monarchies, New York: Routledge. 2019.
4 Organization of the Petroleum Exporting Countries, OPEC share of world Crude Oil Reserves. 2021.
5 « Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China », Département de la Défense des États-Unis. 2020.
6 John Hudson, Ellen Nakashima et Liz Sly, “Buildup resumed at suspected Chinese military site in UAE, leak says”, Washington Post. 2023.
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