14.07.2025 à 09:46
Quand avez-vous acheté des fleurs pour la dernière fois ? Lors d'une visite à l'hôpital ? Pour la Saint-Valentin ? Un anniversaire, peut-être ?
Avez-vous imaginé quelqu'un en train de les cueillir dans un jardin ensoleillé, cultivées avec amour par un jardinier qui fredonne gaiement une mélodie ?
Ouais… Tout ça, c'est du fantasme.
Aujourd'hui, les fleurs sont une marchandise : doucereuse, mondialisée et rentable. Les pétales sont peut-être doux, mais ils cachent la dure réalité des (…)
Quand avez-vous acheté des fleurs pour la dernière fois ? Lors d'une visite à l'hôpital ? Pour la Saint-Valentin ? Un anniversaire, peut-être ?
Avez-vous imaginé quelqu'un en train de les cueillir dans un jardin ensoleillé, cultivées avec amour par un jardinier qui fredonne gaiement une mélodie ?
Ouais… Tout ça, c'est du fantasme.
Aujourd'hui, les fleurs sont une marchandise : doucereuse, mondialisée et rentable. Les pétales sont peut-être doux, mais ils cachent la dure réalité des nombres. L'industrie mondiale des fleurs, d'une valeur d'environ 27,34 milliards d'euros en 2023 (31,95 milliards de dollars US), est gérée par des marques gigantesques et des géants multinationaux.
Parmi ces marques, on trouve Queen Flowers. Basée au Danemark, l'entreprise fait passer ses fleurs par les célèbres enchères aux fleurs des Pays-Bas et les commercialise dans le monde entier. Sa plus grande serre se trouve en Turquie, dans la petite ville égéenne de Dikili, dans la province d'İzmir.
Ce commerce riche en couleur rapporte des milliards de dollars chaque année. Mais cette donnée cache une réalité tout autre : des millions de travailleurs, essentiellement des femmes, exténués par de longues journées de travail. Du Kenya à la Colombie, de l'Égypte à l'Inde, les fleurs sont cultivées dans l'ombre de produits chimiques toxiques, de vols de salaire, de violences sexistes, de travail des enfants et de pratiques antisyndicales.
Le Kenya, par exemple, est le panier à fleurs de l'Europe. Plus de 500.000 personnes y vivent de la culture et de la coupe de fleurs. Les fleurs sont transportées dans des chaînes de froid afin d'en conserver la fraîcheur. Briser la chaîne du froid, c'est perdre de l'argent. La pression est donc très intense. Les journées de douze à quatorze heures sont la norme. Les femmes endurent le harcèlement en silence afin de conserver leur emploi. Souvent, les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. La décision de se syndiquer peut entraîner le licenciement.
La Colombie est le deuxième pays exportateur mondial de fleurs après les Pays-Bas. Pendant les saisons les plus chargées, les travailleurs travaillent jusqu'à 100 heures par semaine. Les travailleuses doivent prouver qu'elles ne sont pas enceintes pour être embauchées et nombre d'entre elles font état d'abus sexuels fréquents.
Il n'est pas surprenant qu'en Colombie, la Saint-Valentin soit également connue sous le nom de « Journée internationale des travailleuses et travailleurs des fleurs », un moment pour faire grève, manifester et afficher sa solidarité plutôt que d'offrir des chocolats.
Dans les années 1970, la crise pétrolière a rendu le chauffage des serres trop coûteux en Europe. La production s'est donc déplacée vers le sud. Avec un soleil équatorial toute l'année, une main-d'œuvre bon marché et des altitudes plus élevées, l'Afrique et l'Amérique latine sont devenues les nouvelles ceintures florales.
Les multinationales se sont installées dans des paradis fiscaux comme les Pays-Bas, évitant ainsi de payer des impôts dans les pays où les fleurs sont cultivées. Les bénéfices restent en Europe. La pauvreté reste derrière. Les épines dans le pied de l'industrie sont nombreuses : contrats saisonniers, travail des enfants, accidents du travail, vols de salaire, maladies dues aux pesticides et traite des êtres humains.
La Turquie n'est pas épargnée : les salaires dépassent à peine le minimum légal, les journées de travail sont longues et les mesures de sécurité les plus élémentaires sont absentes. Mais un événement remarquable s'est produit récemment : pour la première fois dans l'industrie des fleurs du pays, une campagne de syndicalisation a réussi.
Dans la grande serre de Queen à Dikili, dans la province occidentale d'İzmir, quelque 340 travailleurs ont adhéré au Syndicat unifié des travailleurs de l'agriculture et de la sylviculture (DİSK/BTO-SEN). Ils ont réussi à se frayer un chemin dans le droit du travail byzantin de la Turquie et ont rempli toutes les conditions légales pour entamer des négociations collectives en novembre 2024.
La réponse de l'entreprise ? Une obstruction totale.
Elle a refusé le dialogue, esquivé les réunions de négociation et intenté des actions en justice pour retarder les négociations. Elle a proposé aux travailleurs une augmentation ahurissante de 0 %, en pleine crise du coût de la vie.
Et elle ne s'est pas arrêtée là. Les membres du syndicat ont été réaffectés à des tâches dangereuses et exténuantes. Les représentants syndicaux élus ont été licenciés. Certains travailleurs et leurs familles ont été directement menacés, y compris avec des armes à feu.
Pendant ce temps-là, la machinerie des relations publiques de l'entreprise se vante de promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes. À l'occasion de la Journée internationale de la femme, l'entreprise a organisé des promotions sur les fleurs. Mais les femmes qui cultivent ces fleurs vivent dans la pauvreté et sont menacées dès qu'elles demandent de la dignité.
Les tactiques d'intimidation n'ayant pas fonctionné, la direction a essayé un nouveau stratagème : la diversion syndicale. Elle a fait rentrer un autre syndicat, plus « complaisant » par la petite porte. Les travailleurs qui ont quitté le syndicat DİSK/BTO-SEN pour adhérer au nouveau syndicat ont été récompensés par une prime de vacances, puis par un mois de salaire supplémentaire.
Lors d'un pique-nique d'entreprise, le copropriétaire turc a ouvertement déclaré qu'il préférait travailler avec le nouveau syndicat.
Cela est non seulement contraire à l'éthique, mais aussi illégal. En vertu des droits pénal et syndical turcs, les employeurs ne peuvent pas manipuler l'adhésion à un syndicat ou favoriser un syndicat par rapport à un autre.
Mais les travailleurs ne plient pas. Leurs manifestations continuent. Ils se sont rassemblés devant le consulat du Danemark à Istanbul. À Dikili, ils brandissent des bannières dans les champs. À Aarhus (la ville d'origine de Queen au Danemark), de jeunes syndicalistes et des immigrés turcs sensibilisent l'opinion publique.
Ce mouvement qui a débuté dans une serre de l'ouest de la Turquie s'étend au monde entier. Et il touche une corde sensible.
Ces travailleurs ne se battent pas seulement pour une augmentation de salaire. Ils contestent un modèle économique qui place l'image au-dessus de l'intégrité, les fleurs au-dessus de l'équité.
Observez ce bouquet de plus près. Ce que vous ne voyez pas, ce sont les journées de travail de 12 heures. Les brûlures chimiques. Le tract syndical glissé en dessous de la gamelle des ouvriers. La mère sous la menace d'une arme à feu pour avoir réclamé un travail décent.
Les fleurs peuvent être belles. Mais la justice ? C'est ce qui les fait vraiment éclore.