07.05.2025 à 17:30
Les Européens sont-ils sevrés des énergies fossiles russes ? Sur le papier, les chiffres sont assez clairs. Début 2022, "une unité sur cinq de l'énergie consommée dans l'Union européenne provenait des combustibles fossiles russes. Aujourd'hui, c'est une sur vingt", se félicitait mi-février 2024 la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Avant la […]
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Les Européens sont-ils sevrés des énergies fossiles russes ? Sur le papier, les chiffres sont assez clairs. Début 2022, "une unité sur cinq de l'énergie consommée dans l'Union européenne provenait des combustibles fossiles russes. Aujourd'hui, c'est une sur vingt", se félicitait mi-février 2024 la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Avant la guerre, l'UE dépendait pour 45 % des importations de gaz naturel venu de Russie. Cette part est descendue à 15 % en 2023 avant d'enregistrer un rebond l'an passé, pour atteindre 19 % des achats totaux de gaz de l'Union. Les Européens ont également arrêté d'acheter du charbon russe et ont drastiquement réduit leurs importations de pétrole russe. En août 2021, l'UE achetait 14,9 millions de tonnes de pétrole à la Russie, un chiffre qui s'est effondré à 1,7 million au même mois de 2023. Ce chiffre a atteint 13 millions de tonnes en 2024, soit 3 % de la consommation européenne (contre 27 % avant la guerre).
Face à l'attitude de Moscou en Ukraine et aux incertitudes sur l'approvisionnement, la Commission européenne a publié en mai 2022 le plan REPowerEU, avec l'objectif de se passer des énergies fossiles en provenance de Russie d'ici à 2027. Trois actions structurent cette stratégie qui approfondit certains aspects du Pacte vert européen : diversifier l'approvisionnement, économiser de l'énergie et parier sur les énergies renouvelables.
C'est dans ce contexte que le commissaire européen à l'énergie, Dan Jørgensen, a dévoilé au Parlement européen à Strasbourg une nouvelle feuille de route pour "débarrasser" l'UE de sa dépendance historique à l'égard du gaz russe, mercredi 6 mai 2025. "Aujourd'hui, l'UE fait preuve de force et de résolution. Le message à la Russie est clair : vous ne ferez plus de chantage à nos États membres. Les euros n'entreront plus dans votre coffre de guerre. Votre gaz sera interdit", a déclaré le Danois.
L’Union européenne s’est donc tournée vers d’autres pays afin de diversifier son approvisionnement. L'Europe a massivement acheté du gaz naturel liquéfié (GNL) américain, transporté par bateau. Entre 2021 et 2022, les importations de GNL en provenance des États-Unis ont plus que doublé. Et au troisième trimestre 2023, la Russie n'était que le quatrième fournisseur des Européens en gaz, derrière les États-Unis (23 %), l'Algérie (19 %) et la Norvège (18 %). La Russie devrait représenter seulement 13 % des importations de gaz de l'UE en 2025, alors que Kiev a mis fin à l’acheminement de ce mélange d'hydrocarbures russe via l’Ukraine.
Le plan européen présenté par la Commission début mai prévoit que d’ici à la fin de 2025, aucun nouveau contrat d’achat de gaz ne sera autorisé. Les contrats anciens pourront continuer à courir. Mais les pays membres devront élaborer un plan pour y mettre un terme d’ici à la fin de 2027. "Il est temps pour l’Europe de rompre complètement ses liens énergétiques [avec la Russie]", a lancé la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. "Nous le devons à nos citoyens, à nos entreprises et à nos courageux amis ukrainiens".
Si les Européens ont décidé de se coordonner pour moins acheter de gaz, la baisse du transit est, au départ, une décision de Moscou. Déjà fin 2021 puis au début de la guerre en Ukraine, le Kremlin a coupé les robinets vers l'ouest afin de faire pression sur les Européens. "Les Russes ont pris la décision d'interrompre le trafic via le gazoduc Yamal, entre la Pologne et la Biélorussie", rappelle ainsi Céline Bayou, chercheuse associée au centre de recherches Europe-Eurasie de l'INALCO. Fin septembre 2022, les pipelines de Nord Stream ont par ailleurs fait l'objet d'un sabotage, dont les auteurs restent à ce jour inconnus.
Pour le pétrole, l'UE a principalement regardé du côté des États-Unis, de la Norvège et de l’Arabie saoudite. Elle a même trouvé des partenaires moins traditionnels en la matière, à l’image du Brésil. Selon une étude de l’ONG Transport et Environnement, le pétrole russe importé en France a par exemple diminué de 22 % entre 2021 et 2022. À l’inverse, l’Hexagone s'est tourné vers l'Angola (+570 %), le Koweït (+150 %), ou encore les États-Unis (+28 %). D'après les informations de l'Insee et du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la part du pétrole brut russe importé en France était nulle en 2023.
En plus de diversifier leur approvisionnement, les Européens ont réalisé d'importantes économies d'énergie. Entre 2022 et 2023, la demande en gaz naturel a chuté de 10 % en Italie et de 11,7 % en France. De façon générale, "on observe une baisse de 8 % de la consommation de gaz entre 2022 et 2023, et même jusqu'à 20 % si l'on compare à la moyenne des années 2017 et 2021", note Phuc-Vinh Nguyen, chercheur à l'institut Jacques Delors. Cette diminution est liée à la hausse des prix, à une politique active des États membres de l'UE pour économiser de l'énergie, "mais aussi à une destruction de la demande industrielle", souligne l'expert. Une situation dont il est difficile de savoir si elle est structurelle ou conjoncturelle, selon lui.
Enfin, les énergies renouvelables ont aussi contribué à ce que les Européens consomment moins de gaz. La part de ces énergies vertes dans le mix électrique européen a atteint 44 % en 2023, pour la première fois au-dessus de la barre des 40 %. De quoi faire dire à Ursula von der Leyen, le 13 février 2024, que "la tentative de Vladimir Poutine de faire chanter notre Union a totalement échoué […] Au contraire, il a vraiment poussé la transition verte". Cette part augmenté l'année suivante, pour atteindre 47 % selon un rapport du groupe de réflexion Ember rendu public le 23 janvier 2025.
Les Européens continuent toutefois d'importer de l'énergie russe, même si les quantités sont moindres. En 2022, l'Union européenne était encore le premier importateur mondial d'énergies fossiles de Russie. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’UE a versé davantage d’argent à la Russie pour ses importations d’énergies fossiles qu’elle n’en a accordé à Kiev sous forme d’aide selon Dan Jørgensen. Le Commissaire estime le montant global des achats de gaz russe à près de 200 milliards d’euros - soit, "l’équivalent de 2 400 avions de chasse F-35" - contre 135 milliards d’euros d’aide européenne à l’Ukraine.
Depuis le 1er janvier 2025, le transit de gaz russe via le territoire ukrainien n'est plus possible. Après "une hausse notable de 36 %" des importations de GNL provenant de Russie par bateau, selon le centre pour la recherche sur l'énergie et la propreté de l'air (CREA), l'UE a importé 18 milliards de mètres cubes de gaz russe via des méthaniers en 2023, principalement par le biais d'accords à long terme signés avant le début de la guerre. Un chiffre tiré du rapport de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), publié fin avril 2024. Les Vingt-Sept ont encore importé 52 milliards de mètres cubes de gaz russe en 2024 (les deux tiers par gazoduc et un tiers en GNL).
La situation pourrait-elle changer ? Le 24 février 2025, l'Union européenne a adopté un 16e paquet de sanctions contre la Russie. En matière d'énergie, celui-ci étend notamment "l'interdiction de fournir des biens, des technologies et des services pour l'achèvement des projets liés au pétrole brut en Russie, tels que le projet pétrolier Vostok, tout comme pour l'achèvement des projets liés au GNL qui sont en cours".
Par ailleurs, si les Européens se sont notamment tournés vers l'Azerbaïdjan pour leur approvisionnement, une partie du gaz que l’UE fait venir depuis ce pays du Caucase provient de Russie. "On ne lui achète pas directement, mais la molécule est quand même russe", résume Céline Bayou.
En ce qui concerne le pétrole, les Vingt-Sept ont imposé des restrictions sur les importations de Russie. Mais ce n’est pas le cas de tous les pays, à l'image de l'Inde ou la Turquie. Aux confins de la Syrie et de la mer Méditerranée, le terminal turc de Dörtyol envoie par exemple à ses voisins européens du diesel ou du kérosène issus du pétrole russe. "En 2023, environ 85 % du pétrole expédié depuis Dörtyol était destiné à l'Europe, principalement à la Grèce, à la Belgique et aux Pays-Bas, contre 53 % en 2022", écrit le Financial Times. De son côté, l’Inde aussi a augmenté ses importations venues de Russie. Le pétrole y est raffiné avant d’être expédié vers l’Europe, qui a vu bondir de 115 % le nombre de barils indiens entre 2022 et 2023.
Tous les pays européens n'ont pas le même niveau de dépendance à la Russie. Au moment où l'UE décidait d'interdire l'importation de pétrole russe, la Bulgarie et la Croatie ont par exemple bénéficié de dérogations temporaires. Les pays baltes ou la Finlande étaient quant à eux largement irrigués par le gaz de leur grand voisin, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. La France, elle, est en première ligne. Selon l'Institut pour l'économie de l'énergie et l'analyse financière (IEEFA), l'Hexagone a augmenté de 81 % ses importations de GNL russe entre 2023 et 2024, et versé 2,68 milliards d’euros à la Russie.
Aujourd'hui, dix États membres continuent d'acheter du GNL russe. À commencer par la Hongrie et la Slovaquie, connues pour leur inclinaison prorusse, ou encore la Grèce. Mais aussi l’Espagne, la France et la Belgique, dont les ports réceptionnent ce GNL avant que des usines le regazéifient et qu'il soit réinjecté dans le réseau européen.
Pour se déplacer, se chauffer ou produire de l’électricité, les Européens restent dépendants des énergies fossiles, bien que leur part dans la production d'électricité ait diminué. Selon le dernier rapport publié par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) fin mars, la part des fossiles dans la production d'électricité dans l'UE a atteint 29 % en 2024 contre 39 % en 2019, preuve d'une prise de conscience et de nombreux efforts.
La consommation de gaz naturel, elle, a augmenté d’environ 1 % dans l’Union européenne en 2024, tirée par une reprise dans l’industrie et stimulée par des prix plus faibles. Mais la tendance reste bien différente de celle constatée au niveau mondial, où la consommation de gaz a le plus progressé avec une hausse de 115 milliards de mètres cubes (+ 2,7 %).
"L'UE a réussi à retrouver les ressorts pour faire face à la baisse de l'offre en gaz russe, de manière très rapide. Il s'agit désormais de pérenniser ces politiques", insiste Phuc-Vinh Nguyen. Et le chercheur de citer plusieurs leviers, dont les énergies renouvelables, l'amélioration de l'efficacité énergétique et la sobriété.
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