27.09.2025 à 15:17
Atrazine-Déséthyl. Chlorothalonil-R471811. Perchlorates. Ces noms ne vous sont peut-être pas familiers. Ils ne l’étaient pas non plus pour nous lorsque nous avons débuté l’enquête « Under the surface”. Ce sont pourtant ceux de quelques-uns des 300 polluants que l’on retrouve dans presque toutes les eaux souterraines surveillées en France, source d’eau potable pour les deux tiers de la population.
Dans plus de 28 % des stations de mesure du réseau français de surveillance des eaux souterraines, leur présence a dépassé les limites légales de qualité au moins une fois au cours des huit dernières années.
L’épuisement des ressources en eau est également un défi urgent. La France connaît des sécheresses de plus en plus fréquentes, et les conflits d’usage pour les ressources entre les villes, les agriculteurs et l’industrie exacerbent les tensions.
Cette enquête a commencé dans le cadre de l’investigation transfrontalière “Under the Surface” examinant la dégradation des eaux souterraines en Europe. Un projet collaboratif initié par Datadista et Arena for Journalism in Europe et soutenu par JournalismFund Europe. Alors qu’ils enquêtaient sur la dégradation des eaux souterraines en Espagne, les journalistes Antonio Delgado et Ana Tudela sont parvenus à trouver comment accéder aux derniers rapports des États membres de l’Union européenne sur l’état de leurs masses d’eau ; rapports que ces pays doit envoyer à la Commission européenne tous les six ans.
Arena for Journalism in Europe a suggéré d’étendre l’enquête à l’échelle européenne et m’a contactée pour travailler sur la situation en France. J’ai fait équipe avec mes collègues Léa Sanchez, qui m’a aidée dans l’analyse des données et la rédaction des articles, et Elsa Delmas, avec qui j’ai collaboré pour la cartographie et le développement de l’article visuel. Léa Girardot et Thomas Steffen, respectivement graphiste et responsable du service de la direction artistique numérique, nous ont également épaulées pour le design et les infographies.
Les premières données européennes ont révélé une situation préoccupante : les masses d’eau souterraines françaises y apparaissaient en piteux état, notamment en termes de qualité. Nous voulions découvrir pour quelles raisons. Quels contaminants étaient à l’origine de cette dégradation ? D’où venaient-ils ? Était-il possible d’informer nos lecteurs de l’état des eaux souterraines au plus près de chez eux ?
Grâce aux rapports européens, nous savions que la France compilait de nombreuses données en continu de nombreuses données. Ades, le Portail national d’accès aux données sur les eaux souterraines, nous a permis d’accéder aux résultats de toutes les mesures effectuées dans toutes les stations. Mais ces « données ouvertes » n’étaient pas aussi accessibles que nous l’aurions aimé… À l’époque, l’interface de programmation d’application (API) ne pouvait traiter des requêtes ambitieuses. Le bouton d’exportation de l’interface, difficile à trouver, ne nous permettait pas de télécharger les données de tout le pays en une seule fois. Nous avons donc extrait les données région par région, en exportant des millions d’enregistrements et en les stockant sur notre propre serveur.
Mais ce n’était que le début du défi. Les noms des produits chimiques étaient cryptiques et le nombre de mesures, écrasant. Nous nous sommes tournées vers le « journalisme évalué par des experts » (« expert-reviewed journalism », en anglais), en collaborant étroitement avec des scientifiques, afin de donner un sens à ces informations.
L’hydrogéologue Florence Habets, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a accepté de nous accompagner dès le début de l’enquête.
« Vous devriez vous intéresser à l’atrazine », nous a-t-elle dit. « Cet herbicide est interdit depuis des années, mais on le retrouve encore dans les échantillons. » La scientifique avait raison : cette substance, et en particulier ses métabolites (sous-produits de la substance active), dépassait 1 microgramme par litre dans environ 1.700 stations de surveillance (7 % des points où elles ont été testées).
Cartes issues de l’enquête, montrant les zones de production de betteraves en France (en haut) et les résultats des analyses de l’herbicide chloridazone (en bas), autorisé par l’UE pour le contrôle des mauvaises herbes dans les cultures. Visuels : avec l’aimable autorisation de Raphaëlle Aubert, Le Monde.
Pour déterminer les polluants à surveiller, nous avons suivi les critères d’évaluation des eaux souterraines du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Laurence Gourcy, hydrogéologue au BRGM, nous a ainsi guidées dans l’interprétation des données et des méthodologies. Nous avons retiré 25 substances de la liste du BRGM, notamment des éléments naturels tels que le fer, le manganèse ou des substances liées au traitement de l’eau. Notre liste restreinte comptait alors 226 contaminants.
Pour savoir si les mesures étaient préoccupantes ou non, les normes officielles constituaient la meilleure source d’information. Nous avons donc rassemblé toutes les normes de qualité environnementale que nous avons pu trouver dans l’Union européenne et en France, en particulier ceux cités dans les arrêtés de 2008 et 2023. Nous avons ainsi pu déterminer si une concentration pouvant sembler négligeable – telle que 0,1 microgramme d’une substance par litre d’eau – dépassait les seuils légaux. La réponse est oui, pour de nombreux polluants tels que les pesticides.
Cependant, bon nombre des polluants que nous avons pu trouver dans les données n’étaient pas du tout réglementés dans les eaux souterraines. Nous avons ajouté à notre liste 74 de ces composés, qui font l’objet d’une surveillance particulière de la part des autorités. Il s’agit notamment du bisphénol A, utilisé dans la production de plastiques et de résines époxy, de produits pharmaceutiques et de certains PFAS ou « polluants éternels » – auxquels j’étais particulièrement attentive, ayant déjà enquêté sur ce type de contamination. Bien qu’il n’existe aucun seuil officiel, la découverte de traces de médicaments tels que des antiépileptiques, des analgésiques ou des pilules contraceptives dans nos eaux souterraines a aussi démontré à quel point celles-ci sont vulnérables quel point celles-ci sont vulnérables.
Notre liste était enfin complète, avec 300 contaminants. Comment les rendre compréhensibles pour le grand public ? Une fois de plus, les scientifiques nous ont été d’une grande aide. Florence Habets nous a conseillé de les grouper par type d’usage.
Nous avons créé six catégories :
Pour filtrer et analyser les données, nous avons écrit un script Python à l’aide de Pandas, une bibliothèque open source conçue pour l’analyse de données. Comme le traitement de plusieurs gigaoctets prenait des heures, nous lancions souvent le script pendant la nuit, pour analyser les résultats au réveil.
Ceux-ci ont été sans appel :
Par ailleurs, cette cartographie alarmante demeure partielle.les zones vides sur la carte ne signifient pas nécessairement que l’eau est propre : en effet, la principale motivation pour tester les eaux souterraines est la possibilité de les pomper pour la production d’eau potable. Certains puits, déjà trop pollués, ont été abandonnés et n’apparaissent pas dans nos données, faute de surveillance.
Quid de la raréfaction de l’eau ? Pour faire parler les données quantitatives, nous avons fait appel à l’expertise du Centre international d’évaluation des ressources en eaux souterraines (IGRAC). Ses hydrogéologues et ses analystes de données avaient déjà mis au point une méthode pour calculer les tendances des niveaux des eaux souterraines. Grâce à leur soutien sur cet aspect de l’enquête, nous avons pu concentrer nos efforts sur les données relatives à la pollution.
De nombreux autres scientifiques, spécialisés dans des domaines allant de la santé publique à la biogéochimie en passant par les systèmes d’information géographique, ont accepté de nous conseiller ou d’examiner nos travaux. Établir une relation de confiance avec eux a été essentiel à la réussite de notre enquête.
Les chiffres seuls semblaient trop abstraits. Pour les rendre tangibles, nous avons recherché des témoignages auprès des communautés touchées. À Chartres, au sud-ouest de Paris, la contamination de plusieurs nappes par les nitrates et les pesticides, et les prélèvements agricoles conséquents, mettent l’approvisionnement de la ville sous tension, notamment en période de sécheresse. De nombreuses municipalités confrontées à une pollution fréquente investissent dans des traitements ou de nouveaux forages, ce qui augmente le prix de l’eau potable pour leurs administrés.
Nous voulions également que les lecteurs puissent visualiser l’ampleur du problème. Nos cartes sont devenues la pièce maîtresse de l’enquête, et j’encourage vivement tout journaliste souhaitant reproduire notre méthodologie à présenter ses résultats sur une carte interactive. Nous avons superposé nos résultats à d’autres ensembles de données spatiales, telles que la culture de betteraves (calculée à partir du « registre parcellaire graphique »), associée à un herbicide spécifique appelé chloridazone.
Un outil cartographique qui mérite d’être mis en avant est Protomaps, une solution open source basée sur OpenStreetMap, qui permet aux journalistes et aux développeurs d’héberger leurs propres fonds de cartes sous forme de tuiles vectorielles. En 2022-2023, je l’ai mis en place pour notre rédaction comme alternative open source aux logiciels propriétaires, très coûteux. Utilisé avec MapLibre et DeckGL, Protomaps nous a permis de créer une grande variété de visuels, des modules explorables aux cartes animées à mesure que l’article défile. Grâce à cet outil et à ses compétences en développement, Elsa Delmas a transformé nos ensembles de données et nos prototypes de cartes en un saisissant article « scrolltytelling » – ou “récit-molette”, cette pratique qui consiste à raconter une enquête en indexant des visuel animés sur le récit. Nous avons également inclus des boutons « explorer la carte » pour permettre aux lecteurs les plus curieux de faire une pause dans leur lecture et de zoomer sur n’importe quel point.
Après la publication de notre article, nous avons publié nos données en open data. Notre méthodologie est également accessible au public. Si vous avez accès à des données ou pouvez tester des échantillons d’eau souterraine dans votre région, vous pouvez reproduire cette enquête.
Raphaëlle Aubert est journaliste Monde. Elle s’intéresse particulièrement, par le prisme des données, aux pressions exercées par l’Homme sur l’environnement, souvent dans le cadre d’enquêtes réalisées en collaboration avec des scientifiques et d’autres journalistes. Elle a ainsi développé la carte de la contamination par les PFAS en Europe du Forever Pollution Project, publiée en 2023, et a dirigé l’évaluation des coûts de la décontamination des PFAS deux ans plus tard. En 2025, son article « 300 contaminants dans nos nappes », publié dans Le Monde avec Léa Sanchez et Elsa Delmas dans le cadre de l’enquête transfrontalière « Under the Surface », a reçu un Sigma Award qui récompense les meilleurs projets basés sur des données. Vous pouvez la contacter à l’adresse aubert@lemonde.fr.
02.09.2025 à 13:18
GIJN Afrique a organisé le 16 septembre 2025 un webinaire durant lequel quatre journalistes d’expérience ont partagé leurs astuces pour enquêter sur les abus des régimes militaires et/ou révolutionnaires en Afrique.
Voici le REPLAY de ce webinaire :
L’Afrique se trouve à un tournant en matière de gouvernance. Entre août 2020 et septmebre 2025, le continent a connu sept coups d’État ou prises de pouvoir militaires au Niger, au Burkina Faso, au Soudan, en Guinée, au Mali, au Tchad et au Gabon, suscitant des inquiétudes quant à une résurgence des régimes militaires à travers l’Afrique.
En outre, les présidents de pays comme l’Ouganda, le Rwanda et l’Érythrée, autrefois présentés comme « une nouvelle génération de dirigeants africains », se maintiennent au pouvoir depuis trois décennies ou plus. Et les dirigeants de démocraties naissantes comme la Tanzanie, le Bénin, le Kenya, l’Éthiopie et le Mozambique deviennent de plus en plus autocratiques et remettent en cause les consensus politiques acquis par le passé. Il est donc primordial que les journalistes d’investigation s’intéressent davantage aux régimes révolutionnaires et/ou militaires sur le continent.
GIJN a donc été heureux d’organiser ce webinaire qui a fourni aux journalistes d’investigation africains des conseils, des outils et des ressources pour examiner de près les actions politiques des gouvernements militarisés du continent, qui réduisent souvent l’espace dont disposent les médias pour remplir leur rôle de redevabilité.
Dans ce seminaire en ligne, gratuit pour tous les journalistes d’Afrique et d’ailleurs, GIJN a réuni quatre journalistes africains expérimentés qui ont évoqué comment obtenir des informations dans des régimes répressifs; suivre les outils utilisés par ces régimes pour asservir leur population; vérifier les faits et de démystifier la désinformation et la propagande; et d’enquêter sur les alliés stratégiques et géopolitiques qui contribuent à maintenir les autocrates au pouvoir malgré l’opposition des citoyens.
Intervenants :
La modératrice a été Busola Ajibola, directrice adjointe, responsable du programme de journalisme, au Centre pour l’innovation et le développement du journalisme (CJID).
Consultez notre fil Twitter @gijnAfrique et notre newsletter mensuelle en français pour plus de détails sur les événements à venir.
27.08.2025 à 17:38
Les images satellites sont désormais d’importance capitale pour un grand nombre d’enquêtes. Elles ont notamment permis de mettre au jour la destruction d’habitations à Gaza, des charniers dans les régions ukrainiennes contrôlées par la Russie, ou encore le lien entre la déforestation provoquée par les entreprises en Amazonie et d’importants incendies de forêt.
On associe ce genre d’outils aux grands médias, qui disposent de ressources importantes. L’accès à ces images – ainsi que la liste croissante de fournisseurs d’images et d’options d’analyse avancée – peut intimider les nouveaux venus, en particulier dans les pays du Sud.
Selon les experts, de nombreuses rédactions manquant de ressources ont l’impression que ces images sont soumises à des contrats d’exclusivité ou nécessitent des compétences avancées en matière de données et de recherche. Nombreux sont ceux qui craignent également que les fournisseurs d’imagerie satellite s’opposent forcément aux demandes d’accès gratuit aux données qui émaneraient d’organes de presse qu’ils ne connaissent pas.
La réalité est toute autre. Malgré certaines restrictions, de nombreuses images de qualité sont bel et bien disponibles.
GIJN a interrogé deux journalistes de premier plan qui ont travaillé auparavant pour des fournisseurs privés d’imagerie satellitaire : Laura Kurtzberg, enseignante en visualisation de données à l’Université internationale de Floride et ancienne ingénieure en applications chez Descartes Labs, et Daniel Wolfe, journaliste graphique au Washington Post et ancien ingénieur en visualisation de données chez Planet Labs.
Selon ces journalistes :
« Je pense que, pour le journaliste moyen, Google Earth et EO Browser sont les seuls outils dont vous avez réellement besoin pour obtenir des images satellites gratuites », avance Laura Kurtzberg. « Investir du temps pour s’entraîner et apprendre à utiliser ces deux outils permet donc de couvrir la plupart des besoins. N’hésitez pas à vérifier si ces bases de données contiennent des images très récentes : elles pourraient contenir une image sans couverture nuageuse du lieu qui vous intéresse au cours des deux derniers jours ».
Et d’ajouter : « Cela dit, si vous ne trouvez pas l’image dont vous avez besoin via ces deux outils, il serait bon de connaitre quelqu’un qui travaille pour une société privée d’imagerie ».
Choisir des outils d’imagerie satellitaire gratuits et faciles d’emploi
Un article publié par GIJN en 2019 et traitant du Centre INK pour le journalisme d’investigation, organisation à but non lucratif au Botswana, a permis de souligner l’importance d’un accès gratuit à ce genre de données. Le cofondateur d’INK, Joel Konopo, y a révélé que des journalistes du média ont réduit leurs salaires pourtant déjà modestes afin de réunir les fonds nécessaires pour acheter une seule image satellite privée, dans le but de vérifier les informations de leur enquête sur la maison de campagne du président de l’époque.
Cette image de DigitalGlobe, via la société sud-africaine Swift Geospatial Solutions, montre des aménagements importants dans le domaine privé d’un ancien président du Botswana. Une enquête menée en 2019 par l’organisation à but non lucratif INK, au Botswana, a révélé que des deniers publics ont financé ce développement immobilier.
Selon Laura Kurtzberg, l’image de ce domaine est un exemple type de données qu’aucune rédaction ne devrait aujourd’hui avoir à acheter, ni même demander. En effet, INK n’avait pas besoin d’une image datant d’un jour en particulier, et le domaine contient de grands bâtiments faciles à identifier même avec les images que fournirait un satellite à résolution moyenne et en libre accès, tel que le Sentinel-2 de l’Agence spatiale européenne.
Selon Daniel Wolfe, les nouveaux utilisateurs devraient commencer par évaluer les besoins de leur enquête : la date et la résolution de l’image sont-elles des priorités ?
« En général, votre rédacteur en chef veut l’image parfaite : une image nette ou récente, voire les deux en même temps », explique-t-il. « Imaginons que vous vous penchez sur des stades financés par le gouvernement chinois en Afrique, et que vous voulez savoir où en sont les travaux. Vous aurez fait un grand pas en avant si vous savez quelle période de temps vous intéresse, et quelle doit être la netteté de l’image. Une plaine inondable n’a pas besoin d’être en haute résolution. S’il s’agit d’une image pour montrer la topographie du lieu avant l’évènement qui vous préoccupe – afin de publier un avant / après – l’image peut être tout à fait claire puisque vous n’avez pas à utiliser une image datant d’un jour en particulier ».
Il ajoute : « Les choses se compliquent lorsqu’il s’agit d’un événement très récent. Mais il est souvent possible d’obtenir gratuitement des images suffisamment proches de la période qui vous intéresse.
Les satellites publics que Daniel Wolfe consulte en priorité sont LandSat de la NASA, dont la résolution est faible ou moyenne – « la résolution est à l’échelle d’une ville » – et Sentinel-2, qui a une résolution moyenne d’environ 10 mètres par pixel. Mais il ajoute que les nouveaux venus n’ont probablement pas à s’inquiéter du choix de la source satellitaire, car les outils en sources ouvertes font le travail à leur place : Google Earth présélectionne la meilleure image disponible à partir d’un mélange de satellites, EO Browser choisit par défaut l’excellent service Sentinel-2, et dispose également de LandSat et d’autres bases d’images dans sa bibliothèque que vous pouvez sélectionner d’un simple clic.
« Si vous créez un compte gratuit sur NASA WorldView, vous bénéficiez d’un accès à tous les flux de données de la NASA et utiliser cette base de données aussi simplement que Google Maps », explique-t-il. Le bouton « Add layer » (« Ajouter une couche ») permet de rechercher une catastrophe qui vous intéresse. Vous pouvez également rechercher les données brutes et utiliser des éléments tels que la fonction « Fire and Thermal Anomalies » (« Anomalies thermiques et d’incendie ») pour corroborer des informations sur les incendies ou les explosions.
La fonction « Fire and Thermal Anomalies » de l’outil Worldview de la NASA montre les principaux incendies qui se produisent chaque jour. Image : Capture d’écran, NASA
Daniel Wolfe explique : « Les journalistes n’ont pas forcément besoin d’utiliser toutes les fonctions disponibles. Pour les débutants, je recommanderais Sentinel Hub. »
Outre la facilité d’usage de son tableau de bord EO Browser, l’un des principaux avantages du programme Sentinel Hub, selon lui, est la fréquence des prises de vue par Sentinel-2 : les mêmes lieux sont pris en photo tous les cinq ou six jours.
« Les satellites sont espacés de telle sorte que, jour après jour, chaque région est survolée, plus ou moins, et les images sont prises à peu près au même moment de la journée, pour des raisons d’ombres comparables, etc. »
En résumé, il faut d’abord apprendre à utiliser les interfaces « pointer-cliquer » de Google Earth et d’EO Browser, qui sont excellentes. Quand on n’a pas l’habitude, un outil comme EO Browser n’est pas si facile à manier, surtout quand on a des délais à tenir », explique Laura Kurtzberg.
(Les journalistes ayant des compétences informatiques avancées peuvent approfondir les données de Sentinel Hub grâce à cette collection de codes Javascript et de scripts personnalisés).
Selon Carl Churchill, infographiste au sein du Wall Street Journal, le satellite GOES, exploité par la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis, est une source gratuite utile qui ne figure pas dans EO Browser. « Il s’agit d’un satellite géostationnaire qui prend une photo géante de l’ensemble de l’hémisphère occidental toutes les 10 minutes », explique-t-il. Outre les options de téléchargement facile et gratuit de ce satellite via NASA Worldview, Carl Churchill recommande de consulter l’excellente plateforme brésilienne DSAT.
Réglé ici à 80 %, le curseur « Couverture nuageuse maximale » d’EO Browser n’affiche que les images de l’aéroport international Murtala Muhammed de Lagos dont la couverture nuageuse est inférieure à 20 %. Image : Capture d’écran, Sentinel Hub EO Browser
Le calendrier intelligent de Sentinel Hub révèle les dates auxquelles les images d’un lieu ont été prises et sélectionnées. Image : Capture d’écran, EO Browser
L’outil « règle » d’EO Browser, montrant ici la distance (1 700 mètres) entre les pistes de l’aéroport Murtala Muhammed de Lagos, au Nigeria. Image : Capture d’écran, EO Browser
⇒ Assurez-vous d’avoir créé un compte gratuit sur EO Browser.
⇒ Tapez le nom ou les coordonnées de la zone dans la barre de recherche et lancez la recherche.
⇒ Cliquez sur « Visualiser » sur une vignette dans le menu principal pour voir l’image et affiner les limites de temps.
⇒ Faites défiler jusqu’à l’icône montrant une bobine de film puis cliquez sur « Create timelapse », et sélectionnez les dates de début et de fin.
⇒ Désélectionnez les vignettes où les nuages bloquent la vue. Conseil : veillez à ne pas confondre nuages et fumée sur ces petites images, et à ne pas désélectionner par erreur des images de feux de forêt ou de conflits.
⇒ Choisissez le nombre d’images par seconde à l’aide de l’icône « SPEED » située en bas de l’écran. « Vous pouvez contrôler la vitesse à laquelle défilent les images, et vous pouvez faire durer la dernière image pour que votre lecteur se concentre vraiment dessus », explique Daniel Wolfe. « Vous pouvez ensuite exporter la vidéo au format MPEG. »
⇒ Prévisualisez en cliquant sur « Play » et téléchargez la vidéo.
Toutefois, si votre enquête nécessite une image prise à un moment précis ou une vue claire d’un objet de la taille d’un véhicule, vous aurez besoin d’une image à haute résolution, précis jusqu’à un mètre ou moins. Outre les satellites militaires, ces images ne sont recueillies que par des fournisseurs commerciaux tels que Planet Labs, Maxar Technologies, Airbus Earth Observation et BlackSky. Ces fournisseurs peuvent également aider les clients à trouver des images plus anciennes à une date et à une heure données, et à donner aux satellites des objectifs de prise de vue pour des projets futurs.
« Si vous devez vérifier que la voiture du président se trouvait à tel endroit à telle heure, alors, oui, vous devrez peut-être contacter un attaché de presse d’une entreprise privée », explique Daniel Wolfe. « Ces entreprises disposent d’équipes de marketing dont le travail consiste, en partie, à anticiper et à créer des images avant même que les journalistes ne les demandent. Ainsi, s’il s’agit d’un événement comme le tremblement de terre de Taïwan, nous n’avons pas besoin de les solliciter, car ils nous envoient déjà ce matériel par courrier électronique si nous figurons sur leur liste de journalistes.
Daniel Wolfe souligne que le personnel chargé du marketing et de la presse dans les entreprises de satellites a tendance à être ouvert aux demandes d’images gratuites de la part des médias et anticipe souvent les besoins de la presse.
« Les attachés de presse de ces entreprises souhaitent généralement fournir ces données aux journalistes, parce qu’ils savent que les entreprises seront alors citées dans la presse », explique-t-il. « N’oubliez pas qu’un grand nombre de personnes travaillant pour ces fournisseurs se sont lancées dans ce secteur parce qu’elles croient en leur mission, à savoir qu’il ne s’agit pas de surveillance, mais que ces données sont utiles au monde entier lorsqu’elles sont entre de bonnes mains. Lorsque je travaillais chez Planet, il arrivait que des gens nous écrivent : « Nous effectuons une mission de sauvetage, l’avion de notre ami s’est écrasé dans cette forêt, pouvez-vous nous envoyer des images de la zone ? Je peux vous dire que nous laissions tout tomber pour leur venir en aide. L’importance et la nécessité font toute la différence ».
Les rédactions de petite taille doivent absolument rentrer en contact avec ces entreprises.
Daniel Wolfe se souvient : « Quand je recevais des demandes émanant de petits médias, je ne me suis jamais dit : Ils ne sont pas le New York Times, je ne vais donc pas me pencher sur la question. Du point de vue du service de presse, il est facile de télécharger l’image et de l’envoyer par courrier électronique. »
Ces fournisseurs éprouvent une grande fierté à soutenir les enquêtes de presse, comme le révèle cette page du site web de Maxar. Quant à Planet, l’entreprise déclare : « Chaque jour, nos données donnent vie à l’actualité et à des enquêtes dans des endroits isolés et souvent dangereux. »
En outre, le WeatherDesk de Maxar a fourni des cartes de données associées à des conflits, comme cette carte montrant un net déficit dans la plantation de cultures, en rouge, en 2022, par rapport à la période d’avant-guerre. Image : Capture d’écran, Maxar
Laura Kurtzberg souligne que, d’après son expérience de la filière de l’imagerie satellite, il existe une légère tension entre l’envie des responsables du marketing d’aider à la rédaction d’articles et le désir de leurs supérieurs d’y trouver un avantage pour la marque de l’entreprise.
C’est pourquoi elle conseille aux journalistes des rédactions moins connues de décrire brièvement, dans les demandes qu’elles envoient par courrier électronique, la taille de leur lectorat, leur importance relative dans le paysage médiatique, leur indépendance journalistique et les prix qu’elles ont reçu.
Lorsque je travaillais pour une société d’imagerie satellitaire et que j’entendais parler d’un journaliste qui voulait utiliser nos images, je me disais toujours « Super ! Allons-y ! Mais la direction me répondait ensuite : « D’accord, mais que va-t-on en tirer ? » », se souvient-elle. C’est pourquoi il est utile de préciser [au fournisseur d’images satellites] : « Nous avons tant de lecteurs » si vous en avez beaucoup, ou « Nos articles sont repris par de nombreux médias », ou « Nous avons tel impact dans notre pays ». S’il s’agit d’une demande détaillée et que vous dites que vous êtes le média le plus populaire ou le plus primé dans tel petit pays, vous avez plus de chance que l’entreprise vous vienne en aide.
Conseil pour les médias de petite taille : Accompagnez votre première prise de contact d’une demande d’image simple et non urgente, en précisant les coordonnées géographiques, pour illustrer un article sur lequel vous travaillez réellement et qui ne nécessite pas de photo à une date précise. Une fois publié, envoyez à votre contact une copie de l’article avec l’image fournie, accompagnée d’un message de remerciement.
En outre, le WeatherDesk de Maxar a fourni des cartes de données associées à des conflits, comme cette carte montrant un net déficit dans la plantation de cultures, en rouge, en 2022, par rapport à la période d’avant-guerre. Image : Capture d’écran, Maxar
« Essayez de tenir compte de leurs contraintes de temps, comme vous le feriez avec n’importe quelle source », conclut Daniel Wolfe. « Écrivez donc : Voici ce que nous faisons, cette enquête est importante, voici comment nous avons l’intention d’utiliser l’image, avez-vous des images de cet endroit à telle heure ? »
« L’utilisation actuelle de l’imagerie satellite dans le cadre du journalisme d’investigation n’est que la partie émergée de l’iceberg », déclare Andrew Lehren, directeur du journalisme d’investigation à l’école de journalisme CUNY de New York. « Il s’agit d’une forme puissante de preuve qui est largement disponible gratuitement. Nous constatons l’intérêt de ces images pour la couverture des catastrophes naturelles, bien évidemment, mais il y a tellement d’autres reportages qui pourraient s’appuyer sur ces données. La construction et la pollution illicites et presque toutes les activités illégales à grande échelle qui se déroulent derrière une clôture peuvent désormais être observées. Il n’est même plus nécessaire d’avoir recours aux grandes entreprises privées : on peut le faire soi-même, depuis son ordinateur. »
Traduit de l’anglais par Olivier Holmey.
Rowan Philp est grand reporter au sein de la rédaction de GIJN, responsable de la stratégie d’impact. Il a été grand reporter au Sunday Times sud-africain. En tant que correspondant étranger, il a couvert l’actualité politique, économique et militaire d’une vingtaine de pays.