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05.03.2023 à 12:54

La chanson des gestes

La chanson des gestes
Les nouvelles de la vie
 Mars 2023 / Page 1
JUSTE UN INSTANT La fin du livre. Alors que l’hiver jette ses derniers frimas, célébrons avec l’illustratrice britannique Dee Nickerson ce moment suspendu et enchanté où la lectrice vient de refermer la dernière page du roman, encore tout habitée par l’histoire et l’écriture. Ce tableau est l’une des rares scènes d’intérieur peintes par l’artiste qui vit à la frontière du Norfolk et du Suffolk dans une caravane simple et cosy.
L’immense majorité de ses œuvres, qui se déclinent en cartes de vœux très populaires en Angleterre, représente des petits moments de la vie rurale au fil des saisons. Elles possèdent un charme magnétique, avec leurs personnages de femmes à l’allure d’icônes – yeux en amande et visage ovale –, leurs couleurs douces, leurs lignes simples et leur façon de donner une texture à l’impalpable : le vent, la fraîcheur de l’air, la tiédeur du printemps. Il émane des peintures de Dee Nickerson une atmosphère paisible qui fait du bien. On peut en découvrir davantage sur sa page Twitter ou sur ce site.  

Bonne(s) journée(s), chères lectrices et chers lecteurs !   

Ce sera lundi 6 mars, aux Etats-Unis, la journée nationale du cheesecake au chocolat blanc et le début, dans le calendrier traditionnel japonais divisé en 72 micro-saisons, de Sugomori mushito o hiraku (蟄虫啓戸), celle où « les insectes sortent de leur hibernation ». Bienvenue dans L'Intimiste, la lettre de l'infra-ordinaire et des histoires minuscules, un magazine (à peu près) mensuel par mail qui se feuillette page à page en cliquant sur les liens ci-dessous, pour une lecture par petites bouchées au fil des semaines.
Grâce à vos votes pour le Prix coup de cœur du Festival de l’infolettre, où L’Intimiste a fini deuxième (MERCI infiniment !), et au joli coup de pouce de la newsletter My Little Book Club, cette newsletter a été découverte par bien des épicurieuses et épicurieux qui ne la connaissaient pas encore et nous ont rejoints pour célébrer la vie comme elle va : vous êtes maintenant plus de 5 100 à nous lire. BIENVENUE aux nouveaux et nouvelles abonné(e)s ! L’équipe est tellement heureuse que nous vous offrons deux petites nouveautés avec ce numéro : une citation inspirante en plus et un « atelier d’écriture » pour développer, si vous le souhaitez, votre talent d'auteur(e).
Pour ce deuxième numéro de l'année (que quelques jours sans Internet ont un peu retardé…), nous avons composé un bouquet d'histoires à la gloire des nouveaux envols avec (entre autres) : un récit biographique sur l’homme qui s’est inventé une vie tout en poésie de ferraille ; une invitation à fréquenter la petite cinémathèque des recettes de nos grands-mères, dont c’est la fête ce dimanche 5 mars ; un troublant travail photographique sur le « solitudîner » au restaurant ; et un autre regard sur le ménage... Car c'est fou ce que l'on perd à ne pas voir la beauté majestueuse des gestes ordinaires ; ceux de la nature, ceux des humains. Celui, par exemple, que raconte l'amuse-bouche de ce menu...   
Bonne dégustation à toutes et à tous !

L'AMUSE-BOUCHE
Une introduction 
Les yeux neufs

Melanie Maure n’oubliera jamais ce samedi matin ensoleillé où elle était sortie de sa voiture pour déposer six dollars et quelques en petite monnaie, ramassés à la va-vite, dans la casquette de l’homme famélique et déglingué qui faisait la manche accroupi contre un mur de brique de Kilowna, au Canada. Il lui avait fallu quelques secondes à peine pour faire l’ensemble des gestes impliqués, qui lui avaient paru une éternité à force d’éprouver cette gêne et de ruminer les mêmes questions sans réponse que nous nous posons souvent en pareilles circonstances : je me soucie vraiment de lui ou j’achète ma bonne conscience ? Comment lui donner ? Faut-il sourire ? Comment éviter la condescendance ? Ai-je le droit de me dire que je pourrais être à sa place, alors que je n’en crois pas un mot ?
Elle n’avait pas sitôt déposé l’argent en souriant dans sa casquette et non sa main qu’elle s’en voulait de mettre cette distance, pas sitôt murmuré en cascade des « bonne journée/je vous en prie » dénués de sens que déjà elle tournait les talons, impatiente de revenir à sa vie, au chèque de 5 000 dollars qu’elle devait déposer d’urgence à la banque sous peine d’agios, et ne plus avoir à se demander si c’était assez ; assez d’argent, assez de respect.
« M’dame, excusez-moi ! » Voilà, elle le savait… Ce n’était pas assez. Elle se retourne et le voit enfin, ses yeux de la couleur du ciel, sa bouche édentée, son visage d’homme dont les autres ont toujours profité. Il lui dit : « Merci, c’est vraiment sympa, mais ce qui me serait réellement utile, c’est un sac de nourriture pour chien. » Il a un chien ? Non. Mais dans le foyer où il est hébergé, un gars vit avec deux chiens qui crèvent la dalle. Elle est liquéfiée, Melanie Maure, par cette réponse. Elle l’avait supposé démuni de toit et de tout. Il cherchait à donner.

« ON ME LES A DONNÉS.
PRENEZ-EN
AUTANT QUE VOUS VOULEZ !

 

Elle s’est ruée dans la première supérette, a pris le plus gros sac de nourriture pour chien qu’elle puisse porter. Et a raccompagné l'homme chez lui. Pendant les deux minutes de trajet, la jeune femme a appris qu’il avait perdu vingt kilos puis repris dix, ne buvait une bière que de temps en temps, prenait des médicaments contre l’arthrose et que sa mère avait été coiffeuse. Quand Melanie a déposé le sac qui allait nourrir les chiens pendant un bon mois, l'homme s’est précipité sur des cartons de pommes, de citrons et de patates qui squattaient la pelouse à l’abandon : « On me les a donnés. Prenez-en autant que vous voulez ! » Et il lui a fourré dans les bras tout ce qu’il pouvait. Melanie Maure n’oubliera jamais ce samedi matin où une rencontre inattendue l’avait invitée à changer de regard en lui apprenant ce que « générosité » veut dire.
L’avant-printemps, dans les rues de Kilowna ou d’ailleurs, est la saison par excellence où l’on guette les signes que les autres, le monde, la vie nous envoient. On inspecte la petite bosse des premiers bourgeons, on s’enivre de mimosa, on s'enchante de magnolias, on s’impatiente à l’abord des forsythias, des amandiers et des prunus qui ne vont pas tarder à fleurir, on scrute les nids et les envols. Puis on sonde en soi les jeunes élans nés à la faveur de l'hiver. Toutes les renaissances, après tout, commencent par ça, une bifurcation du regard vers d’autres horizons.
Ce sont, chacune à sa manière, des histoires de nouveaux regards que vous propose ce numéro. Puissent-elles vous donner l’envie d’« expérimenter chaque pas de cette promenade que nous appelons vie. » (Golarda Sapienza)

Sandrine Tolotti
Une fois par mois, L'Intimiste célèbre la beauté et la grandeur de la vie comme elle va, à l'abri de l'actualité. Offrez à vos proches des instants de lecture de nos belles histoires du quotidien sensible : invitez-les à nous rejoindre !
LE CHEVALIER SUREXISTANT. Il était une fois un homme persuadé qu’on peut faire de son rêve sa vie et qui a décidé de le montrer dans un lieu improbable et enchanteur. Envers et contre toutes les épreuves. (Photo D.R.)
Page 2
DU PASSÉ FAISONS TABLE EXQUISE. Et si au lieu d’offrir fleurs et chocolats, on se faisait des films pour la fête des grands-mères ? Un cinéaste accueille toutes nos histoires singulières dans un lieu à la mémoire des recettes de famille et des générations qu’elles permettent de lier.
Page 3
CUISINE ET INDÉPENDANCES. Pendant une trentaine d’années, la photographe Nancy Scherl a immortalisé cette pratique réprouvée depuis des millénaires : manger seul(e) en public. Ses images possèdent l'atmosphère énigmatique les tableaux d’Edward Hopper. Car enfin, que traduisent-elles : la tristesse ou la sérénité ? La réponse est dans l'œil de celui ou celle qui regarde ! © Nancy Scherl 
Page 5
MÉMOIRES D’UN GARÇON RANGEUR. Faire son ménage, cette tâche aliénante « semblable au châtiment de Sisyphe » (Simone de Beauvoir) est une corvée, principalement dévolue aux femmes ; aujourd’hui, comme hier dans le quotidien des Bordelaises qui peuplent la mémoire de Didier Pourquery et s’activaient à l’ombre du « monmari ». Mais pour elles, pour le garçon rangeur que le journaliste est resté, pour les moines japonais et pour beaucoup d’autres, nettoyer son lieu de vie peut être aussi une bulle bienfaisante, voire une ascèse. « Quel émerveillement de redevenir vraiment l’auteur du geste machinal ! », écrit Gaston Bachelard. © Clare Gallagher 
Page 6
OEUVRES D'AILLEURS. Quand une artiste Rom fait du quotidien des siens des chefs-d'œuvre textiles, quand Vermeer est une star de la télé-réalité, quand les piles de livres sont statufiées, la vie réellement vécue devient un art... 
Page 8
À LA GRÂCE DES PIGEONS. Il suffit parfois de quelques battements d’ailes pour transformer un moment sordide en instant de féérie. Une pépite du cinéma d’animation.
Page 10
ET AUSSI...

Entre ces sujets se glisse de la poésie, des pensées et le talent d'un de nos lecteurs : un haïku de Buson (page 4), une citation de Jean Follain  (page 7) et l'atelier d'un lecteur (page 9). 
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Les Presses de la lenteur 784 impasse de la Brugère Les Assions 07140 France.

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21.01.2023 à 11:16

La piste aux étoiles

La piste aux étoiles
Les nouvelles de la vie
 Samedi 21 janvier 2023 / Page 1
JUSTE UN INSTANT Sœurs. L’illustratrice franco-libanaise Aude Nasr transforme les désarrois contemporains, dans le monde arabo-musulman comme ailleurs, en scènes sensibles d’une grande délicatesse. Et elle dessine un autre monde possible en faisant une large place aux minorités et aux groupes marginalisés du Moyen-Orient et de la diaspora. Ses images mettent l’accent sur les révolutions de l’intime et notamment les combats féministes et homosexuels. Mais elles traduisent surtout les émotions universelles qui structurent la vie des jeunes générations : la colère et la tristesse face aux événements, les affections, la mélancolie douce et la détermination à faire évoluer les normes. Aude Nasr se fait ainsi l’écho d’une région et d’un monde qui changent envers et contre toutes les impasses politiques, comme nous le rappellent avec un courage stupéfiant les Iranien(ne)s. On peut découvrir d’autres œuvres d’Aude Nasr sur sa page Instagram ou sur son site.

Bonne(s) journée(s), chères lectrices et chers lecteurs !   

Cest aujourd’hui 21 janvier la journée internationale du pantalon de survêtement et des câlins. Selon le calendrier traditionnel japonais, divisé en 72 micro-saisons, nous traversons pour quelques jours Fuki no hana saku (款冬華), celle où « les pétasites bourgeonnent ». Bienvenue dans L'Intimiste, la lettre de l'infra-ordinaire et des histoires minuscules, un magazine mensuel par mail qui se feuillette page à page en cliquant sur les liens ci-dessous et qui paraît désormais le samedi matin, à la demande de certain(e)s d'entre vous.
Pour ce premier numéro de l'année, nous avons composé un bouquet d'histoires à la gloire du récit de soi avec (entre autres)
 : une enquête biographique long format sur l'improbable destin d'une fermière remarquable ; un anti-album de famille merveilleux ; un documentaire tendre et déjanté au côté de pères en goguette introspective... Car rien n'est plus terrible que de ne pouvoir raconter son vie, comme le rappelle l'amuse-bouche de ce menu.   
Bonne dégustation et très bonne année à toutes et à tous !

L'AMUSE-BOUCHE
Une introduction 
Raconter sa vie

D’elle nous ne connaissons que le nom de jeune fille, assez banal au Canada où elle vivait : Donnelly, un patronyme venu d’Irlande avec les siens. Dans la famille, c’était son mari, rédacteur en chef du quotidien local, qui était dépositaire de la « grande » histoire et des honneurs que lui avait valu son métier. Elle, la sans-prénom, s’en tenait aux petites histoires de rien, les histoires de bonne femme quoi. Même ses proches les écoutaient d’une oreille distraite, confie Catherine, sa petite fille, dans le Guardian britannique.
Car elle, les histoires de la sans prénom, elle les buvait à grandes goulées. Si la grand-mère se souvenait de certains déchirements d'enfance, Catherine entendait des contes du possible et de l’impossible dans la classe ouvrière de l’Ontario au début du XXe siècle. Si la grand-mère évoquait les survivants de la Grande guerre ou ceux de la grippe espagnole, Catherine voyait ces inconnus prendre vie sous ses yeux. Elle ne se lassait pas de ces « promenades chemin des souvenirs » qui lui parlaient de sa ville, de sa famille, de ses voisins et dont personne ne se souciait.
Quand la sans-prénom a atteint les 85 ans (elle allait vivre jusqu’à 98), elle a craint que sa mémoire ne s’effiloche et commencé d’écrire ses petits récits sur des fiches blanches qu’elle attachait aux objets chéris. Avec certains des instruments à corde fabriqués par son père, par exemple, une fiche témoignait des nuits d’hiver glaciales que l'on passait à chanter des airs de l’Irlande natale. Au bout d’un an, explique Christine, il y en avait un peu partout, des fiches et des petits bouts de papier arrimés aux photos, aux bibelots, aux tableaux, aux livres. « Elle était résolue à revendiquer sa propre histoire. » Sa famille l’a faite taire.

DE TOUTES LES SAISONS,
L'HIVER EST LA PLUS VIEILLE.
ELLE MET DE L'ÂGE
DANS LES SOUVENIRS.

Quand, devenue presque aveugle, la grand-mère s’est blessée un lundi en heurtant une table, les siens l’ont envoyée dès le mardi dans une maison de retraite. Le mercredi, les débarrasseurs et l’antiquaire étaient là. Le vendredi, au retour de Catherine qui étudiait à Toronto, il ne restait plus rien. Rien sauf « la multitude de fiches et de bouts de papier qui recouvraient le sol comme un manteau de neige ». La petite-fille de la sans-prénom les a ramassés et conservés. Mais, sans les objets, ils étaient devenus muets.

L’hiver, aujourd’hui comme hier dans l’Ontario autour d’un violon irlandais, est la saison des histoires. Quand, emmitouflés dans la chaleur de la maison, autour des agapes et de leurs restes, de la galette et des vœux, ou sans qu’il soit besoin d’autre raison que la brièveté du jour, on écoute ceux qui transmettent les contes fondateurs. « De toutes les saisons, écrit Gaston Bachelard dans Poétique de l’espace, l’hiver est la plus vieille. Elle met de l’âge dans les souvenirs. Elle renvoie à un long passé. » Ces semaines où la nature ourdit le printemps est propice aux belles légendes vraies que se passent les humains pour s’apprendre à vivre et se rappeler que ça en vaut la peine ; des légendes à appliquer, qui nous font signe et parfois nous changent. Certaines laissent davantage que l’infime trace de la sans-prénom. Ce sont ces histoires-là que vous proposent ce numéro. Puissent-elles vous inspirer. Comme les « paroles gelées » nous parlent dans une légende amérindienne du Canada : « On dit qu’il y a un pays où le froid est si grand que toutes les paroles s'y gèlent et, quand le printemps s'approche, ces paroles venant à se dégeler, on entend, quasi en un moment, tout ce qui s'est dit pendant l'hiver. »


Sandrine Tolotti
Une fois par mois, L'Intimiste célèbre la beauté et la grandeur de la vie comme elle va, à l'abri de l'actualité. En 2023, souhaitez à vos proches la lecture des plus belles histoires du quotidien sensible : invitez-les à nous rejoindre !
PORTRAIT DE L'ARTISTE EN PETITE FILLE TÊTUE. C’est l’histoire d’un conte de fée et d’une malédiction. Quand un collectionneur new-yorkais découvre les tableaux d’Anna Mary Robertson Moses, un jour de 1938, il fait accéder la vieille fermière de 77 ans au panthéon des artistes les plus célèbres de son temps. Elle le paiera du mépris des élites culturelles et du consentement à endosser le piètre avatar médiatique d’elle-même.
Page 2
LE VIETNAM A FLEUR DE TIMBRES. Inspiré par un oncle collectionneur, le jeune illustrateur vietnamien Luongdoo a créé une fabuleuse archive en ligne dédiée aux timbres historiques du pays. Pour célébrer ces chefs-d’œuvre miniatures qui disparaissent à petit feu de nos vies, mais dont les outils numériques permettent de conserver la trace bavarde et touchante. ©Buu Hoa
Page 3
L'ENFANCE A LA VOLETTE. A la naissance de sa première fille, Tim Topple décide de se transformer en street-photograph du foyer, pour ne pas laisser aspirer sa créativité par le tourbillon de la paternité. L’enfant ne serait pas une entrave mais une source d’inspiration, sa tempête et sa muse. Le résultat est une collection d’images d’une poésie qui n’est pas un effet de style mais une forme de sensibilité au monde, une façon de faire apparaître le merveilleux sans enjolivures. © Tim Topple 
Page 5
LA PRIERE, LE SALUT ET LE PARQUET DE BASKET. Au terme d'un long voyage à travers le bouddhisme, l'hindouisme, le christianisme et les réseaux sociaux, les mains jointes sont devenues un geste universel, polysémique... et prophylactique.
Page 6
OEUVRES D'AILLEURS. Quand la complainte d’un cœur brisé se transforme en succès phénoménal, quand les habitants du Bronx sont statufiés, quand les listes de courses entrent au musée, la vie réellement vécue devient un art... 
Page 7
UN DERNIER PIANO POUR LA ROUTE. Le cinéaste Bertrand Latouche a brodé un film exceptionnel autour d’une déchirure banale : l’enfant qui s’envole du nid. Officiellement, A la légère est le road-movie musical d’un père qui déménage le piano de sa fille à l’autre bout de la France. En réalité, c’est le road-movie musical d’un père qui réunit quatre potes pour l’aider à digérer le départ en prenant des chemins de traverse. Un monument à l’amitié et aux vies que l’on mène vraiment. © Point du Jour / Les Films du Balibari
Page 9
ET AUSSI...

Entre ces sujets se glisse de la poésie couleur de saison : un haïku de Bashô (page 4) et un poème de Richard Rognet (page 8). 
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01.12.2022 à 13:03

NUMERO SPECIAL Se munir des belles choses

NUMERO SPECIAL Se munir des belles choses
Les nouvelles de la vie
Numéro spécial - Jeudi 1er  décembre 2022 / Page 1

JUSTE UN INSTANT « Quand la famille est le seul refuge »... Pendant l’attaque israélienne contre Gaza, en mai 2021, explique la jeune artiste palestinienne Malak Mattar, il n’y avait pas d’abri ni d’endroit sûr où se réfugier. « Nous ne pouvions que rester les uns près des autres en espérant ne pas être tués. C’était très traumatisant, mais cette situation a aussi approfondi les liens au sein des familles. Au milieu de la destruction, il y avait beaucoup d’amour. »
Malak Mattar avait 13 ans à l'été 2014, pendant la « guerre de Gaza » (la troisième de sa vie, déjà). Sous les bombardements, pour tromper la peur et cinquante et un jours d'enfermement, elle prend une boîte d'aquarelles offerte par l'école. Et commence à peindre. C'est le seul moyen qu'elle ait trouvé pour survivre sans devenir folle. Au cours de ces quelques semaines, elle crée des centaines d'œuvres. Un jour, l’adolescente poste la première sur Facebook et attire immédiatement l'attention du monde entier. Très vite, elle les vend et peut en vivre.
Malak Mattar a aujourd'hui 22 ans, étudie à Istanbul et est exposée dans le monde entier. Son œuvre se compose principalement de portraits de femmes mélancoliques aux yeux en amande surdimensionnés qui évoquent parfois Picasso, une source d’inspiration revendiquée. Ses personnages racontent la réalité de Gaza dans des scènes souvent chargées de symboles ; mais il se dégage une sérénité paradoxale de ses toiles aux couleurs souvent chatoyantes et d’une infinie tendresse qui ne peignent pas la guerre et la destruction mais le désir de paix, la chaleur humaine, l’espoir. « Nous devons vivre dans la beauté, dit-elle ; il n’y en avait pas dans la bande de Gaza, alors j’ai créé ma propre réalité. » Malak Mattar est aussi l’auteure d’un livre pour enfant (en anglais) consacré à sa propre histoire, Sitti’s bird. On peut la découvrir davantage sur Instagram et dans cet article.

Bonne(s) journée(s), chères lectrices et chers lecteurs !   

Ce sera dimanche 4 décembre, aux Etats-Unis, la journée nationale de la chaussette et, dans le calendrier traditionnel japonais composé de soixante-douze micro-saisons, nous sommes à la toute fin de Kitakaze konoha o harau, celle où « le vent du nord emporte les feuilles des arbres » ; demain commencera Tachibana hajimete kibamu, celle où « les feuilles des mandariniers tachibana jaunissent  ».
Bienvenue dans L'Intimiste, la news-revue de l'infra-ordinaire et des histoires minuscules, qui vous propose un numéro spécial renforcé et un peu plus riche en photographie que d'habitude. C'est notre cadeau pour marquer le premier jour du calendrier de l’Avent.
Inspirée par les convulsions du monde dans lequel nous vivons, cette édition est entièrement consacrée à l'étonnant recours qu'offrent les pratiques et les choses banales face aux événements qui nous violentent, notamment la guerre et ses conséquences.
Pour l'occasion, cette newsletter prend la forme d'un magazine numérique à feuilleter de page en page. Vous pouvez le parcourir grâce au sommaire ci-dessous, ou en cliquant au bas de chaque page pour aller à la suivante. Nous espérons que ces histoires vous toucheront autant qu'elles nous ont touché(e)s
Bonne lecture à toutes et à tous, en particulier aux nombreux nouveaux et nouvelles venu(e)s qui ont rejoint récemment la communauté des lecteurs de L'Intimiste. Merci !

L'AVANT-GOÛT
Une introduction 
Le courage de vivre

Elle est un peu étrange quand même, cette schizophrénie avec laquelle nous envisageons la vie ordinaire, ses pratiques, ses objets, ses rites, selon le contexte dans lequel elle se déroule. Une fillette à la voix d’or pousse-t-elle la chansonnette au cours d’un repas de famille ? Charmant et banal pour peu que l’on ait une jolie voix. Une fillette à la voix d’or pousse-t-elle la chansonnette dans un abri à Kiev sous les bombes ? Extraordinaire et bouleversant. Un jeune pianiste s’installe-t-il pour jouer une mélodie dans l’appartement familial ? Délicieux et bien normal pour peu que l’on soit musicien. Un jeune pianiste s’installe-t-il pour jouer une mélodie dans l’appartement éventré par l’explosion du port de Beyrouth ? Sublime et glorieux. Une femme envoie-t-elle une carte à une amie pour lui souhaiter sa fête ? Aimable et insignifiant pour peu que l’on ait une amie. Une femme envoie-t-elle une carte à une amie pour lui souhaiter sa fête depuis un camp du Goulag sibérien ?  Fabuleux et héroïque.

On comprend, bien sûr, ce « deux regards, deux mesures » que nous pratiquons tous, émus de voir certains êtres humains persister à vivre dans les pires circonstances en s’accrochant à une habitude, une passion d’avant ; surtout quand elle possède la noblesse de l’art. Le courage qu’il faut pour cela nous laisse sidérés et admiratifs. Mais est-ce une raison pour juger insignifiantes ces petites passions banales en temps de non-catastrophe ? Et même pour les mépriser dès lors qu’elles côtoient l’événement sans en être apparemment affectées ? L’acharnement à vivre normalement, alors, deviendrait indécent. En témoigna, cet été encore, la réprobation de beaucoup face aux estivants du Haut-Pyla bordé par les flammes, exposés sur une image belle et trompeuse (elles le sont toutes) que Sonia Devillers décortique dans Le Dessous des images, une nouvelle émission d’Arte. Le même type d'indignation s’était déjà manifesté en 2006, quand Thomas Hoepker avait enfin publié une photo prise le 11 septembre 2001 : des jeunes new-yorkais, immédiatement stigmatisés, semblaient profiter de la journée radieuse dans un parc des bords de l’East River… Mais le jeune Américain sur la droite s’est reconnu et a contesté cette interprétation, soulignant l’état de choc dans lequel ses amis et lui se trouvaient.
Comme il n’est pas facile de photographier les sentiments d’un groupe humain, nous ne saurons sans doute jamais vraiment ce que pensaient les jeunes du parc ni les vacanciers du bassin d’Arcachon. Mais la controverse provoquée par ces deux images délivre un message clair : il serait honteux, parfois, de continuer à cultiver certains plaisirs de vivre. Ce dolorisme n’est pas seulement simpliste – que savons-nous vraiment de ceux que nous jugeons ? Il rend aussi aveugle.

 
PARTAGER DES RECETTES EST,
SOUS TOUTES LES LATITUDES
CONCENTRATIONNAIRES, 
UNE MANIERE ACCESSIBLE
DE S’ACCROCHER A LA VIE D’AVANT.

 

Parmi les souvenirs que les anciens déportés ont gardés par devers eux après la Seconde Guerre mondiale, il en est qui sont restés secrets plus longtemps que d’autres : la bonne chère qu’ils faisaient de temps à autre là-bas ; en imagination. Dans les rares moments de repos, de nombreux détenu(e)s s’échangeaient des recettes et parfois les notaient : « riz à l’impératrice », « saucisse à l’orange », « soufflé à la crevette », « gâteau aux Petits-Beurre », « charlotte au rhum », « baisers de boutons de rose bon marché »… Ils faisaient ça à la bonne franquette et les transcriptions ne permettent pas toujours de cuisiner, faute de proportions justes ou de précisions essentielles. Le poète Robert Desnos, qui participait aux séances d’évocation culinaire du camp de Flöha et avait écrit en 1942 un Précis de cuisine pour les jours heureux, avait d’ailleurs promis de publier après sa libération un Imprécis de cuisine pour les jours peureux (il est mort du Typhus un mois après la fin de la guerre). Mais le but n’était pas de suivre plus tard les recettes. « C’était plus pour manger tout de suite qu’autre chose », remarque joliment Anne Georget dans un superbe entretien sur RFI.
La documentariste a consacré deux films aux recettes des camps : d’abord, uniquement sur Les recettes de Minna, une détenue tchèque de Terezin ; puis sur l'ensemble des Festins imaginaires. Puisque des traces de cette pratique ont été retrouvées partout : dans les camps nazis, mais aussi au Goulag, mais aussi dans le laogai chinois, mais aussi dans les camps de prisonniers de guerre japonais… Partager des recettes est sous toutes les latitudes concentrationnaires une manière accessible à tous – à la différence de la musique, de la poésie ou du dessin, autres activités clandestines fréquentes
 – de s’accrocher à un pan de la vie d’avant. « Notre "brunch" du dimanche nous donnait la force pour survivre et c’était important, écrit dans son carnet Edith Gombus, détenue à Ravensbrück, citée par Anne Georget. Nous avons commencé à parler de plats magnifiques qui étaient servis à la table familiale en des temps meilleurs. En parlant de ces repas somptueux, nous avalions notre salive et après ce festin rêvé, nous étions, d’une certaine manière, repues. Nous étions soulagées non seulement par cette satiété imaginaire mais aussi par le fait d’être assises ensemble, comme autour d’une table et de faire revivre un cercle familial. »

Après la libération, les survivants ou leurs familles ont conservé précieusement ces petits livrets culinaires, mais sans jamais en parler. Par peur qu’on ne comprenne qu’ils aient pu s’occuper à de telles futilités, par peur qu’on nie leur souffrance, même… Parle-t-on casseroles et fricassées en enfer ? S’y forge-t-on quelques instants de « bien-être » ? Le premier film d’Anne Georget a ouvert les vannes. Quand il contacte la documentariste pour l’entretenir des notes écrites par son père Marcel avec 400 recettes, Emile Letertre précise : « Je sais que vous allez me prendre au sérieux, que vous n’allez pas considérer qu’ils n’avaient pas souffert et qu’au contraire, ils ont écrit ces recettes parce qu’ils souffraient terriblement. » Regardez Anne Georget raconter les coulisses de ses recherches.

Plus personne aujourd’hui ne songerait à minimiser la souffrance des déportés sous prétexte qu’ils ont pu s’échanger, en prenant des risques inouïs, des recettes de cuisine. Au contraire. Mais ce malaise initial reste exemplaire d’un mépris sous-jacent que nous avons pour la simple occupation de vivre. C’est pourquoi les séismes historiques révèlent avec une puissance sans pareille la trempe des passions minuscules du quotidien : jardiner, photographier, chanter, décorer, broder... C’est pourquoi ce numéro est entièrement consacré à ces noces du banal et de l’exceptionnel. Parce que rien n’est jamais acquis. Parce que savourer, en temps normal, les sources de joie les plus menues n’est pas une forme d’indifférence aux secousses de l’histoire ou au sort des autres. C’est, au plus profond, une forme de gratitude pour les offrandes du monde. Nous devons bien cette reconnaissance tacite à ceux et celles qui ont (eu) le courage de s’acharner à exister face au pire. « Préparons-nous, comme l’écrit Claudie Hunzinger dans Les Grands Cerfs, à la joie d’être encore en vie. » Et célébrons, chacun à sa manière, le panache du premier tract clandestin rédigé à l’été 1940, dans Paris tout juste occupé, par la résistante Germaine Tillion : « Nous pensons que la gaieté et l’humour constituent un climat intellectuel plus tonique que l’emphase larmoyante. Nous avons l’intention de rire et de plaisanter et nous estimons que nous en avons le droit. »

Sandrine Tolotti
 
Les cadeaux les plus précieux ne sont pas les plus coûteux invitez vos proches à rejoindre la communauté des lecteurs de L'Intimiste, le petit média conçu pour se réchauffer et se rapprocher avec de belles histoires humaines qui racontent la vie comme elle va (ou pas). 

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Le sommaire de ce numéro
ELOGE DE L'ORDINAIRE Tout oppose la guerre et le jardin. La première est le royaume de l'incertitude, du désespoir et de la mort. Le second est le royaume du solide, de l'espoir et de la vie. Ces deux-là, pourtant, ne se quittent pas. Car rien n'est plus souverain que le petit luxe des fleurs pour se mettre à bonne distance mentale de la violence... © Australian War Memorial
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L'ARCHIVE MINUSCULE Voilà quinze ans que le grand photographe sud-africain Gideon Mendel parcourt le monde pour raconter l'impact des inondations sur les foyers concernés. Parallèlement, il recueille les photos de famille ruinées ou transformées par les eaux, qu'il trouve dans les décombres ou que lui confient les personnes rencontrées. Cette archive unique compte aujourd'hui un millier d'images qui portent la puissante trace matérielle du désastre et donnent une dimension intime à la catastrophe. © Gideon Mendel 
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VIES ET DESTINS 52 kilomètres d’enregistrements, plus de 800 chansons, soixante pièces instrumentales, 2 300 poésies et on en passe : Aleksander Kulisiewicz a recueilli la plus monumentale archive des œuvres composées en déportation. Et il a interprété ces textes d'une manière unique, habité par ses souvenirs : il y était. © United States Holocaust Memorial Museum, avec l'aimable autorisation d'Aleksander Kulisiewicz
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UN CERTAIN REGARD Quand il découvre en mars 2016 la manière d’habiter des migrants et réfugiés dans la « Jungle » de Calais, le photographe Bruno Fert est époustouflé par ces intérieurs « saisissants d’ingéniosité et de beauté ». Et il en tire une série émouvante, qui nous fait entrer dans les foyers fugaces des étrangers de passage. © Bruno Fert 
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LA SEQUENCE DU SPECTATEUR Dans un orphelinat, un petit garçon et une fillette se disputent pour un parapluie jaune. Est-ce l'éternelle histoire des enfants qui se chamaillent pour le moindre objet ? Rien n’est moins sûr… Car ce parapluie est magique. Il a le pouvoir de faire resurgir les êtres aimés et de changer le destin. Prenez huit minutes pour regarder un bijou du court métrage d’animation, couvert de prix !
Page 6
OEUVRES D'AILLEURS Peu après l'attentat de Grand-Bassam, près d'Abidjan, la photographe Joana Choumali commence de broder les images qu'elle a prises dans la ville balnéaire meurtrie. Comme pour suturer les plaies... Depuis ce tournant, elle ne cesse de d'« apporter un peu de beauté » face à toutes les formes de douleur avec ses photographies brodées. ©Joana Choumali
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10.10.2022 à 19:31

Eux, leurs souliers ont beaucoup patienté

Eux, leurs souliers ont beaucoup patienté
Les nouvelles de la vie
Lundi 10 octobre 2022
JUSTE UN INSTANT Il émane des illustrations de Luis Mendo un optimisme tranquille, une sérénité simple qui les rend irrésistibles. D’une touche légère, il croque des scènes du quotidien avec une tendresse qui, parfois, n’est pas sans rappeler Sempé. Comme s’il ne dessinait que des amis. Qu’elles soient joyeuses, mélancoliques ou simplement contemplatives, ses images sont baignées d’une lumière bienveillante qui rassure et aide à attendre des temps meilleurs. Comme sur le dessin ci-dessus, fait un jour un peu maussade, ou sur les fausses couvertures du magazine imaginaire The Homestayer (inspiré du New Yorker), qu’il s’est amusé à réaliser pour raconter nos vies confinées.
Artiste espagnol installé à Tokyo depuis quelques années, Luis Mendo collabore au New York Times, au Washington Post, au New York Magazine, à Monocle, au Guardian… On peut le découvrir davantage sur son site et sa page Instagram.

Bonne(s) journée(s), chères lectrices et chers lecteurs !   

Ce sera mercredi 12 octobre la journée internationale de la toupie, créée en 2003 à l’initiative du Musée de la toupie et du yo-yo de Burlington (Wisconsin) et, selon le calendrier traditionnel japonais, divisé en 72 micro-saisons, nous sommes au beau milieu de Kôgan kitaru (鴻雁来), celle où « les oies sauvages sont de retour ». Bienvenue dans L'Intimiste, la lettre de l'infra-ordinaire et des histoires minuscules, un magazine mensuel par mail qui se déplie en éventail : après un court préambule sur cette page, certains sujets comme le grand récit photographique et l’enquête sur les coulisses du quotidien se découvrent à l'arrière-plan, en cliquant sur un lien ; tout comme notre « pochette surprise », par définition.
Nous sommes très heureux d'accueillir les nouveaux et nouvelles abonné(e)s qui ont rejoint L'Intimiste en nombre cet été avec ce premier numéro de la rentrée.

Un numéro tardif (d'autant qu'un problème de transmission d'image nous a contraints de décaler la sortie du dimanche au lundi...). Parce que voilà : nous travaillons depuis quelques semaines à la conception d’une nouvelle newsletter que nous aimerions vous proposer en 2023 : plus légère et plus fréquente, elle accompagnerait de plus près le cours des jours. Surtout, elle insisterait davantage encore sur les beautés du quotidien ; aujourd’hui plus que jamais, nous pensons que « cesser d'admirer c'est régaler les catastrophes », comme l’écrit la romancière Catherine Vigourt. Un premier prototype est sorti  il y a quelques jours, bébé tout fripé et grognon. Nous allons le peigner et l’habiller de frais dans les prochains mois, en espérant vous le présenter au printemps prochain. Nous en reparlerons.
En attendant cette nouvelle naissance, bonne lecture à toutes et à tous !

VIES ET DESTINS
Nos épopées « minuscules »
L'artiste du soin 

Faire son lit et sa lessive, remplir et vider le lave-vaisselle, acheter les provisions, lacer ses chaussures, le coiffer… Les journées de Danny Valentine aux côtés de Buzz Alexander, qu’il était venu aider à vivre ses derniers temps, ressemblaient aux journées de tous ceux qui s’occupent d’un être en train de s’estomper. Lourdes, pénibles, routinières, fastidieuses. Sauf que celles-ci étaient baignées d’une affection solaire. Quand Buzz, atteint de dégénérescence Fronto-Temporale (une forme d’Alzheimer), n’a plus supporté les douches, Danny a commencé de lui faire sa toilette à l’éponge, en lui demandant l’autorisation pour chaque partie du corps, comme une psalmodie : « Est-ce que je peux te laver les pieds ? » « Ok, on passe aux bras ? » « Maintenant, occupons-nous de ton dos ». Quand il lui coupait les ongles des pieds, « Raphaël n’aurait pas pu peindre quelque chose de plus beau », si l'on en croit une amie ayant surpris la scène. Danny Valentine n’a jamais vécu ces tâches comme une corvée. Plutôt comme une vocation. Ce pour quoi, finalement, il était sur terre. « Certaines personnes sont douées pour l’écriture, d’autres pour la mécanique. Je suis doué pour m’occuper des gens », confie-t-il à Kelly Loudenberg qui raconte l’histoire dans le magazine en ligne The Atavist.

Danny, qui pouvait avoir ses colères, ne s’énervait jamais contre Buzz. Il était d’une patience d’ange quand il fallait ranger les piles de vêtements, de livres, de tableaux que le professeur malade accumulait de manière obsessionnelle. Il débarrassait illico les excréments que Buzz disposait un peu partout, son cerveau ayant oublié ce qu’il était convenu d’en faire. Il savait comme personne convaincre son ami de faire ce dont il n’avait pas envie, comme sortir de la voiture pour rentrer à la maison. Il devinait ses besoins, pressentait ses désirs, savait d’instinct ce qu’il voulait. Manger, écouter de la poésie, être seul. Ensemble, ils faisaient de grandes balades en voiture et Buzz pointait du doigt avec la certitude d'être compris les endroits où il avait vécu et travaillé ; non sans avoir fait une halte obligatoire au McDo, où le professeur descendait d’un trait son milkshake au chocolat avant de se jeter sur celui de Danny.

Auprès de Buzz et de sa femme Janie Paul, il avait trouvé sa place. Ç’avait été long.


DANS SA CELLULE D'UNE PRISON
DU MICHIGAN, DANNY
AVAIT PREVU DE SE TUER
A L'HEURE DE LA GAMELLE.

 

Même que le jour de l’automne 1996 où il avait reçu la lettre décisive, Danny, numéro d’écrou 156 689, avait bien failli renoncer à la chercher pour toujours, cette satanée place. Dans sa cellule d’une prison du Michigan, il était bien décidé à mettre fin à ses jours de misère : « Danny n’avait pas encore 35 ans, écrit Kelly Loudenberg. Il avait fait quatre ans de prison [sur une peine de 30 ans] et se sentait incapable de tenir ne serait-ce qu’un jour de plus. Il avait prévu de se tuer le soir à l’heure de la gamelle et conçu deux plans de secours au cas où sauter de la coursive ne marcherait pas : la corde et l’overdose d’héroïne. » La vie de Danny ressemblait à une caricature. Milieu ouvrier ; mère courage ; père violent (sa femme l’avait surpris in extremis sur le point de casser les jambes de son fils) ; fugue à 12 ans ; première rencontre avec les flics ; début de l’engrenage ; rien de bien spectaculaire, des petits ou grands larcins sans violence, mais un cycle sans fin d’allers-retours en prison ; jusqu’au jour où, en liberté depuis un an, pour fêter une petite victoire sur la vie, il avait décidé d’aller dans un bar à hôtesses et s’était retrouvé accusé de viol par une prostituée ; il avait toujours nié ; personne ne l’avait cru ; il avait pris 30 ans. Et donc, il ne voulait pas en faire un de plus.

Sauf qu’un gardien a glissé un petit mot dans sa cellule. Le numéro 156 689 a bien essayé de l’ignorer, mais quelque chose là-dedans l’aimantait. Allez comprendre, il a décacheté l’enveloppe. Et trouvé la petite lueur d’espoir qu’il lui fallait pour décider de vivre.

Le court message était signé d’un homme, Buzz Alexander, qui vivait à des années-lumière du délinquant multi-récidiviste. Lui avait toutes les chances : professeur de littérature à l’université du Michigan, poète lui-même, militant progressiste, il ressemblait à Henry Fonda et était convaincu que l’art permettait de jeter des ponts, était une voie vers la liberté, pouvait rendre le monde meilleur. « C’est notre devoir de hurler » l’injustice et l’indignité du système carcéral américain, avait-il écrit à l’un de ses anciens étudiants. Avec sa femme, peintre, il avait créé au sein de l’université le Prison Creative Arts Project pour soutenir la création derrière les barreaux. Et c’est bien ce qui l’amenait : « Cher Daniel Valentine, Je m’appelle Buzz Alexander, professeur de littérature anglaise à l’université du Michigan. Ma collègue Janie Paul et moi organisons au printemps prochain notre première exposition annuelle d’art des prisonniers du Michigan. J’ai entendu dire que vous étiez un formidable artiste et j’aimerais savoir si vous aimeriez participer. »


« JE NE M'EN SORS PLUS TOUTE SEULE.
PEUX-TU VENIR S'IL TE PLAÎT
 ?

Car voilà, Danny sculptait et dessinait avec un talent dingue depuis toujours. (Ironie de l’histoire : c’est la vente de deux dessins qu’il était allé fêter dans ce fichu bar.) Comme beaucoup d’autres (lire « L’évasion du bout des doigts » dans un ancien numéro de L’Intimiste), il avait trouvé dans cette passion une façon de supporter le quotidien carcéral. Le projet d’exposition fendillait les murs.

Quelques heures plus tard, quand la cloche de la gamelle avait sonné, Danny Valentine voulait vivre. Il allait présenter deux œuvres, dont Stéréotypes, le dessin à droite sur cette image : un homme à la peau bleue et une femme à la peau rose en train de s’embrasser. Dans le livre, quelqu’un a écrit : « D. Valentine, je ne savais même pas que des crayons de couleur pouvaient faire ça. »

Il faut lire, si l’on connaît l’anglais, ce chapitre du livre que Buzz Alexander a consacré à l’histoire du projet pour mesurer ce que ça peut changer, ce regard des visiteurs, de la famille même, pour des prisonniers qui découvrent soudain qu’ils ne valent pas rien. Après avoir reçu la vidéo tirée de la première exposition, Danny Valentine a écrit une lettre citée dans l'ouvrage : « J’ai versé des larmes de joie pour la première fois depuis des années et des années. Ça n’a l’air de rien peut-être, mais un homme en prison dont l’âme devient dure et amère oublie vite comment on pleure. »

Alors, le soir du réveillon de Noël 2016, quand il avait reçu le coup de fil de Janie dans la caravane déglinguée où il peinait à se remettre debout depuis sa libération – « Je ne m’en sors plus toute seule. Peux-tu venir s’il te plaît ? » – la réponse allait de soi. Danny est parti le lendemain, a roulé douze heures sous la neige, un peu hésité à franchir le seuil de la belle maison chaleureuse comme il n’en avait jamais connu, puis est entré pour aller adoucir les dernières années de la vie d’un homme qui avait sauvé la sienne et possédait quelque chose de magique en lui. Résolu à être « le compagnon dont on est sûr, toujours » qu’invoque Albert Camus dans une lettre à son ami René Char.
Sandrine Tolotti

ENTRACTE/L'ARCHIVE MINUSCULE

« Le doute est le commencement de la sagesse », aimait à dire Aristote. Peut-être est-il aussi celui de la création. C’est en tout cas sous ce parrainage pénible mais stimulant qu’est née l’étonnante archive recueillie et composée par l’artiste chinoise Wang Ruijia, alias Odding. Un soir de l'hiver 2017, la jeune femme incertaine de son talent et le moral en berne se rongeait les méninges dans un café de Tokyo, où elle vit, quand elle aperçut un autre client prendre des notes au dos de son ticket. Ce fut une évidence ! « J’avais juste besoin de créer quelque chose là maintenant, aussi petit que cela soit. »
Ni une, ni deux ; elle a pris sa note, griffonné au verso une mini histoire dessinée et s’est immédiatement sentie mieux. Elle a projeté d'en écrire peut-être une centaine comme ça, dans une centaine d’établissements différents et puis ce serait tout. Aujourd’hui, ses Coffee Receipt Stories comptent plus de sept cents pièces et Odding ne prévoit pas d’arrêter sa collection.
Côté pile, donc, une addition émise dans un café du Japon ou d’ailleurs (seule l’Europe manque pour le moment au palmarès de l’artiste, la pandémie ayant compliqué la vie des voyageurs). C’est un éventail émouvant qui reflète l’uniformisation des modes de vie, mais aussi les particularités qui restent. Odding avoue ainsi ses faibles pour une note faite à Marrakech à sa demande par un marchand de café des rues, pour le ticket unique extirpé aux serveurs d’un établissement laotien qui ne délivrait pas d’addition (avec la mention « one lao-style coffee »), ou pour la note (n°491) joliment manuscrite en anglais recueillie dans une gargote japonaise dont le personnel ne parlait pas l’anglais : « Café au lait… with a piece of cake ». Chaque élément ici est banal ; et aucun ne l’est. Odding a réuni des tickets de toutes les formes, de toutes les tailles, de toutes les textures, de toutes les couleurs et cela fait une accumulation magnifique.
Côté face, ses petites BD au dos des notes racontent des histoires du quotidien en apparence insignifiantes. Il est question du temps qui passe et de la météo du jour (comme celle sur la neige, d’un humour poétique irrésistible), de voyages et d’après-midi shopping, de visites au musée et de petites considérations philosophiques et même d’un rêve d’huître bleue. L’ensemble est drôle, enchanteur, spirituel et tout simplement beau. Pour le site It’s Nice That qui met en valeur sa démarche, « Odding a réussi précisément à sacraliser le banal ». Et à donner une impulsion, peut-être, à ceux et celles que le doute paralyse.
Une sélection de trois cents tickets est disponible sur le site qu’elle a créé, où l’on peut les contempler en navigant par thèmes ou par pays. Une petite partie est aussi visible sur sa page Instagram.

UN CERTAIN REGARD
Le récit photographique
Melissa Breyer est une photographe de rue singulière. Aussi vraies que soient ses images, le réel ne lui suffit pas. Il lui faut en extraire la substantifique histoire, capter l’invisible, laisser percevoir quelque chose de la vie intérieure. Il n’y a jamais bien loin, chez elle, de la photographie à la littérature. Son esprit nourri par les contes de fée et les romans du XIXe siècle met en scène des images en conséquence. Ce n'est nulle part plus flagrant que dans son travail sur les serveuses de New York, Watchwomen© Melissa Breyer 
Un grand récit photo à découvrir ici

LE GESTE A LA PAROLE
Une chronique de Didier Pourquery
Variations sur les mains dans les poches 
 
Vous ne voyez plus mes mains, elle se sont absentées, elles font grève, je les ai fourrées dans mes poches de pantalon ou de blouson. Elles ne servent pas, elles ne serrent pas, elles ont disparu. Quand je mets mes mains dans mes poches, je signifie que je suis en retrait, nonchalant, insouciant ; désinvolte (poches de pantalon) ou passif-agressif (poches de blouson). Notons tout de suite que le froid peut nous conduire à nous protéger ainsi, sans aucune autre signification. Mais prenons un exemple par beau temps : arriver en réunion les mains dans les poches, sans dossier ni ordinateur semi-plié dans les bras, lance à la cantonade que je n’ai rien préparé… ou que je n’en ai pas eu besoin puisque je maitrise tout cela parfaitement. Dans les deux cas, il y a une certaine arrogance dans ce geste. Ces mains cachées parlent clair, si l’on peut dire.
En effet, les mains dans les poches savent dire une foule de choses en communication non-verbale (en BL ou « body langage » disent les plus branchés). Quand je parle, je peux garder une main enfouie pendant que l’autre appuie le discours. Je signifie alors que mon propos est sérieux, mais pas dramatique. En revanche, si j’écoute quelqu’un les deux mains dans les poches, je lui annonce que je me mets en retrait de ce qu’il veut partager ; une fermeture ; j’écoute d’une oreille. Mes mains cachées ne peuvent, ou ne veulent, rien saisir ; je n’entends pas retenir grand-chose de ce qui m’est expliqué. Et si, quand on m’interroge, je garde mes mains dans les poches, n’est-ce pas au fond que je ne veux rien « sortir » ? Que je cache quelque chose ?
Croiser quelqu’un en gardant les mains dans ses poches était, au XVIIIe siècle, une façon de dire qu’on ne va pas le saluer, impolitesse ou grossièreté impardonnable selon les cas. C’est en effet vers le milieu du XVIIIe que la culotte des hommes, boutonnée sur le devant, commence à porter des poches latérales sur le rabat. La main peut s’y glisser comme naturellement quand elle n’est pas utilisée. Plus tard, elle se glissera aussi dans les gilets. Autant de signaux de décalage par rapport à une fonction : la posture montre qu’on s’affranchit des règles, soit par volonté de se démarquer soit par contentement et insouciance.
Avez-vous remarqué le geste des mannequins arpentant le podium les mains dans les poches de leur pantalon ou de leur veste ? Sublime nonchalance… Le vêtement est alors un accessoire d’affirmation et de liberté, un vieux souvenir des premiers pantalons pour femme, depuis Gabrielle Chanel posant dans cette attitude en 1928 jusqu’à Marlène Dietrich arrivant à Paris le 19 mai 1933 en costume-cravate, aux côtés de son mari, gare Saint Lazare, la main droite dans sa poche ; assumant son look garçonne jusqu’à reprendre un geste typiquement masculin. La photo a fait le tour du monde. L’Intimiste vous a tout raconté sur l’histoire des poches libérées en mai 2021.
Et puis il y a Rimbaud. Le jeune Arthur, dans Ma Bohême, chante « Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal. » Les poches servent ici à ne pas avoir trop froid, certes, mais ce sont deux poings qui s’y retranchent : deux poings de révolte et de mise à l’écart volontaire de la société. Les poches ne sont pas seulement trouées, elles sont crevées ; perforées par toute cette énergie poétique sans doute. Elles ne peuvent rien garder, sauf l’absolu. Point d’insouciance ici, mais une détermination à la nonchalance face aux contraintes sociales. Rimbaud n’a pas inventé le geste mais il en a donné la signification ultime, le véritable manifeste.
Parce que nous avons besoin de ce média  à contre-courant d'un monde de plus en plus immonde, je fais découvrir L'intimiste à mes proches.


ELOGE DE L'ORDINAIRE 
Les coulisses du quotidien
Le mystère des chaussures emmurées 

Le 7 septembre dernier, deux fast-foods du quartier de La Guillotière, à Lyon, ont fait l’objet d’une fermeture administrative pour manquement à l’hygiène. Les gazettes et les inspecteurs qui racontent le petit événement se sont notamment étonnés de trouver dans un four… des chaussures. Qu’y faisaient-elles ? Mystère ! Et ce mystère en rappelle un autre, autrement plus passionnant et humain...
 
Christina Marsden Gillis a retrouvé cette chaussure cachée dans un mur de sa maison de l’île de Gotts lors de travaux de rénovation. Que faisait-elle là ? (Photo Peter Realston.)
Une enquête long format à lire ici
ENTRACTE/LE MOMENT LITTERAIRE

 Automne
 
Le vent s’éveille,
balaie les pensées de mon front
et me laisse en suspens
dans la la lumière qui sourit pour personne :
tant de beauté répandue !
Automne : entre tes mains froides
le monde flamboie.


Octavio Paz, Œuvres,  Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
Pour décoller chaque mois les yeux du pire, je m'abonne gratuitement à L'Intimiste !

L'ATELIER DES LECTEURS ET DES LECTRICES
Une sélection de photos, dessins et récits signés de nos abonné(e)s 
« Après une vie professionnelle passée au cœur de la photographie de presse, maintenant, je regarde. Alors, je vois. Je cherche la lumière et son alliée l’ombre portée. Le cadrage se fait sans chercher la perfection. J’aime qu’il y ait des personnes. Du mouvement. Des arbres et des fleurs. La vie. À chaque fois, l’instinct qui se révèle dans le clic, raconter une histoire. J’aime également le charme, le calme des photos d’intérieur. Un pan de mur. Une ombre. Une lumière. Ma maison devient tout naturellement un modèle préféré. J’appelle ainsi l’appartement où je vis depuis peu. Ma maison représente toutes les photos des voyages que je ne ferai jamais. Je le sais. Et ça m’va. Avant, jamais je n’eus d’appareil. » (Anna Urli-Vernenghi)
Anna Urli-Vernenghi tient un blog savoureux et un merveilleux compte Twitter.)

ŒUVRES D’AILLEURS
Livres, films, spectacles, expos sans frontières...
PHOTO 
Si, d’aventure, vos pas vous mènent du côté de Denver avant le 19 novembre, ne manquez pas l’exposition que le Colorado Photographic Arts Center consacre à une pionnière de la photographie complètement oubliée et récemment redécouverte : Lora Webb Nichols. Née en 1883, la jeune fille d’une petite bourgade du Far West reçoit son premier appareil pour ses 16 ans. Un présent inouï, offert par un prétendant de 30 ans. Ils s'épouseront l'année suivante, divorceront dix ans plus tard ; mais le cadeau change sa vie. En 1906 déjà, dans la petite ville minière d'Encampment (Wyoming), on embauche Lora Webb Nichols pour faire des portraits. Vingt ans plus tard, elle installera son propre studio, qui deviendra l'un des centres névralgiques du bourg.
Au total, elle nous a laissés une archive unique de 24 000 images sur le quotidien et les gens d'Encampment entre 1910 et 1940, comme l'album de famille de cette localité isolée : Lora Webb Nichols photographiait ses voisin(e)s, ses ami(e)s, sa famille, des gens qu'elle connaissait depuis des décennies. Ils lui faisaient confiance et lui permettaient de prendre des images intimistes. Elle  photographiait la texture des jours, les rituels du quotidien, les gestes banals. Des pique-niques et des lessives, des rodéos et des parties de pêche, des nouveaux nés et l'équipe de basket. Mais le plus frappant, dans cette archive, c'est le monde des femmes. Car beaucoup de ses images n'auraient pas pu être faites par un homme et donnent accès à une réalité bien différente des stéréotypes. Elles révèlent une beauté, un raffinement, une modernité, une liberté que l’on prête rarement aux femmes de l’Ouest américain. L’œuvre de Lora Webb Nichols a été exhumée en 2013 seulement par la photographe Nicole Jean Hill. Et si vos pas vous maintiennent loin de Denver, consolez-vous en allant vagabonder sur le site qui est maintenant consacré à la photographe ou en feuilletant le livre tiré de son œuvre, une merveille confectionnée par l'éditeur néerlandais Fw Books.


ART 
L’obligation de rester chez soi pendant les confinements a transformé notre intérieur à la fois en ultime refuge et en prison atténuée. Le Musée des Beaux-Arts de Montréal invite à se réconcilier avec lui, au besoin, en présentant jusqu’en juin 2023 une exposition de quarante œuvres issues de sa collection permanente autour de ce thème et de ses nouveaux enjeux : Vues de l’intérieur. Tableaux, photographies, collages, estampes, sculptures sont exposées autour de cinq thèmes qui invitent à réfléchir et « rêver collectivement l’espace habité » : l’atelier, chez-soi de l’artiste ; l’entre-lieu, consacré aux espaces souvent négligés et pourtant essentiels comme les fenêtres ; l’intérieur utopique, dédié aux constructions imaginaires ; l’intérieur intime, celui où l’on prend soin de soi et des autres ; et l’intérieur domestique, celui du quotidien et de ses tâches. Le tableau le plus célèbre de l’exposition est un chef-d’œuvre du peintre Paul André, rarement montré : Moving Day (« Le jour du déménagement ») ; une magnifique évocation de la maison qui nous habite. (Merci à notre lectrice Sara Teinturier de nous avoir signalé cette exposition.)

CHANSON 
C’est l’histoire d’un de ces petits miracles que produisent les réseaux sociaux. Le 4 août, une jeune chanteuse-compositrice écossaise de 21 ans a posté sur TikTok une vidéo d’une minute où elle interprétait le refrain d’un de ses textes, Complex. L’histoire autobiographique d’un amour sans grande réciprocité, ce moment complexe où la relation existe encore mais s’éteint. Le lendemain, l’hymne mélancolique et intime était devenu viral. A ce jour, la vidéo a été vue 6,9 millions de fois. Et fin août, Katie Gregson-MacLeod postait une version de démonstration complète sur les plateformes de streaming, quelques jours après avoir signé un contrat avec le label Columbia Records.
ET UNE POCHETTE SURPRISE...

La rédaction vous offre une histoire en plus, hors catégorie mais intimiste en diable. Ce mois-ci, un court-métrage d'animation sublime et déchirant sur les êtres brisés (mais pas seulement) par les pires formes de répression.  A voir ici !
Voilà, vous pouvez maintenant reprendre le cours habituel de votre vie. Non sans adopter de nouvelles habitudes de rangement (c’est de saison !) sous le parrainage drôle et enchanteur de la photographe sud-coréenne Pionara, qui vous montre comment entreposer vos objets en pleine nature exotique. Les verres de vin dans un bananier, par exemple... On se retrouve en novembre. Si, entretemps, vous souhaitez réagir à ce numéro, nous suggérer des sujets ou collaborer à l'atelier des lecteurs, écrivez-nous.
Notre magazine se referme comme toujours sur une ode à la photographie anonyme, avec ce mois-ci, un aperçu de l'étonnante collection de cinq mille photos de famille avec la télévision recueillies par Lynn Spigel. Elle en a tiré le livre TV Snapshots, qui éclaire ce moment (entre les années 1950 et 1970) où avoir la télévision fut une fierté et l’occasion de nouvelles mises en scène de soi. Bon début d'automne à tous et à toutes ! 
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22.08.2022 à 00:27

Chez les heureux du monde

Chez les heureux du monde
Les nouvelles de la vie
Numéro spécial été / Dimanche 21 août 2022
JUSTE UN INSTANT Conte d'été... Alejandra Caballero regarde les femmes vivre, bouger, être, avec une palette douce et lumineuse qui évoque volontiers la mer et l’enfance. De toile en toile, l’artiste espagnole compose un journal intime (elle est souvent son propre modèle) d’un fil des jours contemplatif et épuré. La vie y possède la texture des souvenirs et, comme dans les souvenirs, efface les détails superflus pour ne garder que l'essence du moment. Ses scènes d’une fraîcheur revigorante suggèrent le goût du temps alangui et des bruits assourdis. Mais elles sont suffisamment ouvertes et universelles pour que chacun y projette sa propre interprétation. On peut découvrir le travail d'Alejandra Caballero sur son site ou sa page Facebook.

Bonne(s) journée(s), chères lectrices et chers lecteurs !   

Ce sera demain lundi 22 août, aux Etats-Unis, la journée nationale de la petite souris et, dans le calendrier traditionnel japonais composé de soixante-douze micro-saisons, nous sommes à la toute fin de Fukaki kiri matô, celle où « le brouillard épais descend » ; mercredi commencera Wata no hana shibe hiraku, celle où « les fleurs de coton fleurissent ». 
Bienvenue dans L'Intimiste, la lettre de l'infra-ordinaire et des histoires minuscules, qui vous propose ce numéro double spécial pour aborder le dernier tiers d'un été sans répit. Pour souffler un peu
, cette édition est consacrée à un thème unique qui accompagne à merveille les vacances, ou les prolonge : les cabanes.
Ce numéro a été conçu comme une sorte de festival. Il est donc un peu plus artistique que d’habitude et un peu moins textuel. Pour l'occasion, la newsletter prend d'un bout à l'autre la forme d'un magazine à feuilleter en se déployant page après page. Vous pouvez la parcourir grâce au sommaire ci-dessous, ou en cliquant au bas de chaque page pour aller à la suivante. Nous espérons que cette promenade en pleine nature vous plaira.
Bonne lecture à toutes et à tous, en particulier aux nouveaux et nouvelles venu(e)s qui ont profité des vacances pour nous rejoindre. Merci
 ! 

L'AVANT-GOÛT
Une introduction 
L'appel des cabanes

un jour Agnès Varda, pour une exposition, a construit une cabane de cinéma dont les murs étaient composés des bobines de son film Le Bonheur. Coïncidence ? Peut-être pas, si l’on en juge par la nouvelle passion  des cahutes. Voilà quelque temps déjà que les citadins de notre monde hyper-mécanisé ont pour la cabane et ses murs déguenillés les yeux du prince pour Cendrillon, fin prêts à anoblir le plus loqueteux des habitats et en faire le palais de leurs rêves ; comme en témoigne l’explosion des recherches sur Google.
Ce palais, les cabanophiles ne l’habiteront peut-être jamais, mais il leur tient lieu d’horizon. Les jours bas et lourds, ils s’autorisent à en contempler l’image plus ou moins aseptisée sur le site Cabin porn ou à courir les refuges, les vrais, les durs, les tatoués, du site Refuges info. La vogue est telle que certaines enseignes en font une ressource publicitaire, qu’Airbnb cultive grâce à elle ses choux gras, que des aires de loisir la transforment en affaire juteuse grâce à la mode du « glamping » et que les géants de la Silicon Valley cherchent dans ses rondins une pureté originelle, à commencer par les deux cabanes familiales déménagées dans les locaux de Twitter...

C’est étonnant tout de même, la manière dont peut changer la destinée des choses. Si la cabane était une personne, on imagine la mine sidérée qu’elle ferait en se découvrant si belle dans le miroir que nous lui tendons. Objet architectural insaisissable, elle est le premier abri non animal que se soit construit l’être humain, au sortir de la grotte ; un abri si sommaire qu’il reste aujourd’hui l’ultime refuge des misérables, juste avant le porche, le pont, le bosquet ou les nuits à la laide étoile ; un abri quand même, et rien n’est plus déchirant que de voir sur les photographies de Bruno Fert la manière dont les réfugiés avaient investi d’un peu de beauté, de douceur et d’âme leurs cabanes de Calais, de Grande Synthe ou de Grèce.
 
Mais pour ceux qui ont la chance de n’être pas sans toit, l’idée de cabane réveille des moments bénis de l’enfance, quand elle figurait une vie libérée des parents omniprésents et de leurs règles assommantes, une vie féconde en histoires plus ou moins abracadabrantesques, une vie enfin à soi ; à coups de branchages, de planches, de simples draps, de bouts de ficelle, de coussins de canapé (comme les fillettes confinées du grand photographe Jonas Bendiksen) ou de cartons électroménagers qui ravissent une de nos lectrices et se transforment en abri face à la guerre dans ce court-métrage d’animation poignant.

LA CABANE INCARNE UNE EXISTENCE
LIBEREE DES TUTELLES QUOTIDIENNES,
UN ART D'HABITER SANS ENTRAVE.

Les cabanes sont les « maisons favorites du monde imaginaire » aimait dire Agnès Varda. Et peut-être faut-il voir dans cette nature le secret du charme qu’elles exercent aujourd’hui sur les adultes, au moment même où l'existence des frêles abris est menacée par l’aménagement du territoire, l’urbanisme, la déforestation, l’érosion du rivage, les normes, à Beauduc comme ailleurs. Le désir de cabane a tout d’une réponse, modérée ou radicale, fantasmée ou concrète, à un monde qui donne souvent envie de prendre la tangente. Dans une société carencée en lenteur, en silence, en solitude, en repos, où l’on confond volontiers valeur et prix, la bicoque ressuscite nos élans d’enfants et ce désir irrésistible de décaper sa vie, envoyer paître l’époque et tout (re)construire.

Qu’elle soit balnéaire ou spirituelle, solitaire ou collective, révoltée ou artiste, la cabane incarne une existence libérée des tutelles quotidiennes, une manière d’habiter sans entrave ; une planque pour réfléchir, prendre du recul, créer. Sa minuscule coquille, si proche qu’elle semble nous border, forme l’habitat le plus intime, celui qui « joue un rôle de laboratoire de la personnalité en devenir », écrit Gilles Tiberghien. Emmaillottés entre ses planches, les grands eux aussi peuvent dire « pouce », suspendre le temps ordinaire et laisser vagabonder leur imagination. Malgré le froid, les risques et les inconforts dont elle est coutumière et que la Québécoise Gabrielle Filteau-Chiba raconte dans son roman Encabanée. Comme elle, dans des conditions aussi extrêmes ou plus douces, d’innombrables écrivains ont créé entre quatre murs humbles une bonne partie de leur œuvre. La romancière Deborah Levy confie dans Le Coût de la vie comment elle est devenue véritablement écrivain à cinquante ans, après un divorce, grâce à l’abri contre les distractions fourni par un cabanon de jardin loué à une amie. Roald Dahl, Virginia Woolf, George Bernard Shaw, Jim Harrison, Michael Pollan ont tous écrit depuis une forme ou une autre de cabane. C’est aussi dans son atelier-cabane en bois, édifié dans la cour d’un immeuble de Prague, que Josef Sudek s’est calfeutré durant l’occupation nazie ; et qu’il est devenu l’un des plus grands photographes du XXe siècle, en commençant à composer des natures mortes de sa fenêtre.


« CE QU'IL ME FALLAIT,
C'ETAIT VIVRE ABONDAMMENT,
SUCER TOUTE LA MOELLE DE LA VIE.

HENRY-DAVID THOREAU

Des cabaniers d’une autre fibre s’y recroquevillent, eux, pour essayer de changer la vie. La leur seulement, parfois. La leur ET celle des autres, souvent. La cabane a beau être amie de la solitude, elle sert rarement au repli sur soi égoïste. Même le Baron perché d’Italo Calvino (écoutez sa lecture par Guillaume Galienne), monté depuis ses douze ans passer sa vie dans les arbres, veut « faire quelque chose d’utile pour son prochain » et s’illustre notamment en organisant un système de prévention des incendies qui sauve la forêt, pendant un été particulièrement brûlant…

Dès la parution en 1854 du livre fondateur de Henry-David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, l'esprit critique de la cabane sautait aux yeux. Quand l’essayiste américain se retire en 1845, à 27 ans et pour vingt-six mois, dans une cabane installée au bord de l’étang de Walden, il est animé par un rejet implacable d’une société industrielle dans laquelle les hommes vivent pour travailler, « si bien pris par les soucis factices et les travaux inutilement rudes de la vie, que ses fruits plus beaux ne savent être cueillis par eux » ; ils n’ont plus « le temps de n’être rien d’autre qu’une machine », esclaves d’eux-mêmes.
« Je gagnai les bois, écrit-il, parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n’affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je ne pourrais apprendre ce qu’elle avait à enseigner, non pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n’avais pas vécu. Je ne voulais pas vivre ce qui n’était pas la vie, la vie est si chère ; plus que ne voulais pratiquer la résignation, s’il n’était tout à fait nécessaire. Ce qu’il me fallait, c’était vivre abondamment, sucer toute la moelle de la vie, vivre assez résolument, assez en Spartiate, pour mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie. » Et quand il en ressort, c’est pour écrire le livre qui fera bénéficier les autres de son expérience : « Soyez un Colomb pour de nouveaux continents et mondes entiers renfermés en vous, ouvrant de nouveaux canaux, non de commerce, mais de pensée. Tout homme est le maître d’un royaume à côté duquel l’empire terrestre du Tsar n’est qu’un chétif État, une protubérance laissée par la glace. »
 
Comme lui – et de nombreux exemples le rappellent dans ce numéro –, rares sont les habitants des cabanes qui cultivent l’indifférence envers le monde et envers les autres. Au minimum, ils veulent inciter, par l’exemple, à emprunter un sentier non battu, à s’éloigner de l’avoir pour mieux être, à s’appartenir davantage. Au maximum, ils font de la cabane l’étendard d’une alternative radicale, comme les zadistes de Notre-Dame des Landes dont Marielle Macé raconte la geste dans Nos Cabanes : « Il faut faire des cabanes, pas pour tourner le dos aux conditions du monde présent, retrouver des fables d’enfance ou vivre de peu ; mais pour braver ce monde, pour l’habiter autrement, pour l’élargir. »
Il revient à chacun de définir, pour soi-même et ce(ux) qui compte(nt), la hutte de rêve. Mais nous avons tous besoin de posséder, fut-ce par procuration, l’un de ces châteaux de l’extraordinaire-ordinaire où l’on pourrait retrouver la saveur de vivre le banal jusqu’à la dernière goutte de rosée sur le brin d’herbe. Nous avons tous besoin de mitonner là, comme Peau d’âne son cake d’amour, une autre façon de s’y prendre avec la vie. Quelques ingrédients suffisent pour la recette de base, qu’on pourra enrichir à l’infini : dans une solide terrine de nature, mélanger une bonne poignée de simplicité, un bol d’isolement, une dose de bricolage selon votre goût ; ajouter une louche de rêverie et un soupçon de confort ; laisser reposer au moins une semaine ; recouvrir d’un épais glaçage de temps pour soi ; déguster.


Sandrine Tolotti
L'Intimiste est un petit média conçu comme une cabane à l'abri de l'actualité. Pour ralentir, prendre du recul, célébrer la vie. L'entrée est libre. Invitez vos proches à franchir la porte.

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Le sommaire de ce numéro
Avec son âme de cabane dans un corps de ferme patricienne, le repaire construit par Paul du Marchie au-dessus de Montreux est bien davantage qu’une maison : une œuvre, fruit de sa vie et de sa philosophie. Bienvenue au Liboson ! © DR
Page 2
Quoi de mieux que la cabane, cet habitat fondateur, pour recueillir les ocres du monde ? C'est donc là qu'Heidi Gustafson a établi un sanctuaire où elle les rassemble et les écoute. ©Heidi Gustafson
Page 3
Avec sa technique proche de la gravure, le grand auteur de bande dessinée Nylso est un peintre de paysages à peu d’autres pareil. Et au milieu se tient souvent une cabane. Cachée ou en majesté sur la page, elle surgit de ses souvenirs. A moins que ce ne soit des nôtres... © Nylso 
Page 5
La cabane de plage – qu’on appelle aussi, selon le lieu, « cabine », « kiosque », « chalet » – a l’utopie humble. Elle se glisse facilement dans la trame de nos jours, pour l’adoucir un peu sans tout chambouler. Rien ne le montre mieux que le très joli documentaire réalisé par Jean-Marie Châtelier sur celles de sa ville, Le Havre. Un film en accès libre pour les lecteurs de L'Intimiste. 
Page 7
Des maisons perchées, des abris sous la table et de la musique au fond des bois… La cabane inspire les artistes ! © Jean-Pierre Dalbéra
Page 9
« Je suis née une sauvage et une solitaire et ces dispositions ont crû tout le long des ans que j'ai vécus. Je leur dois des joies que je n'aurais jamais connues sans elles. » Les mots de l’écrivaine voyageuse Alexandra David-Néel auraient pu être écrits par Rachel Denton. Du plus loin qu’elle se souvienne, cette catholique fervente entrée en ermitage en 2002, après des débuts frustrants dans l’enseignement, a recherché la solitude. Elle vit aujourd’hui des fruits de son petit atelier de calligraphie dans une maison isolée du Lincolnshire. Rachel fait partie des « ermites du troisième millénaire » que le photographe Carlo Bevilacqua est allé rencontrer à travers le monde. Un travail photographique splendide, comme une invitation à l’introspection. © Carlo Bevilacqua 
Page 11
ET AUSSI...

Entre ces sujets se glissent de-ci de-là des interludes, comme des respirations enchanteresses : un poème (page 4), une chanson (page 6), l'atelier des lecteurs (page 8), un haïku (page 10). 
Tourner la page... et découvrir une bergerie unique au monde
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