07.05.2025 à 08:28
L'entreprise spécialiste de l'analyse de données cofondée par Peter Thiel vient d'obtenir un nouveau contrat de 30 millions de dollars pour aider l'administration fédérale à traquer et déporter les migrants. Un autre exemple – au-delà de la figure emblématique d'Elon Musk – de la collaboration entre une partie du secteur de la tech et la présidence Trump.
Si l'intensification de la chasse aux migrants aux États-Unis depuis le retour au pouvoir de Donald Trump affole les défenseurs des (…)
L'entreprise spécialiste de l'analyse de données cofondée par Peter Thiel vient d'obtenir un nouveau contrat de 30 millions de dollars pour aider l'administration fédérale à traquer et déporter les migrants. Un autre exemple – au-delà de la figure emblématique d'Elon Musk – de la collaboration entre une partie du secteur de la tech et la présidence Trump.
Si l'intensification de la chasse aux migrants aux États-Unis depuis le retour au pouvoir de Donald Trump affole les défenseurs des droits humains, elle est aussi une source de profits pour certaines entreprises. Une récente enquête du média américain ProPublica s'est ainsi penchée sur le cas de Deployed Resources, une firme qui est en train d'engranger des centaines de millions de dollars de contrats de fourniture de tentes pour des camps de détention de migrants à la frontière ou avant leur déportation.
Autre grande gagnante de cette politique : la multinationale de la tech Palantir, avec qui le service de l'immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE) vient de signer un nouveau contrat de 30 millions de dollar pour un logiciel, « ImmigrationOS », une plateforme conçue pour mieux surveiller, traquer et expulser les personnes considérées comme en situation irrégulière.
Fondée en 2003 avec le soutien d'In-Q-Tel, le fonds d'investissement de la CIA, Palantir fournit à ses clients des logiciels capables de traiter des volumes massifs d'informations pour en tirer des modèles prédictifs et d'aide à la décision. L'entreprise collabore avec les services d'immigration étatsuniens depuis 2011, ce qui a déjà suscité l'inquiétude d'Amnesty international quant aux risques de violations des droits humains. Selon l'ONG, en 2017, lors du premier mandat de Donald Trump, ICE avait utilisé les logiciels de Palantir pour arrêter les parents de mineurs non accompagnés ou planifier des opérations d'arrestation ayant mené à la séparation de familles.
Ces alertes n'ont pas empêché l'agence de continuer à enchaîner les contrats avec Palantir. Le dernier en date d'avril 2025 vise à accélérer la mise en place d'ImmigrationOS pour mieux suivre les déplacements des migrants, croiser leurs données, identifier leurs réseaux pour pouvoir appliquer les décrets de Donald Trump tel que celui visant à « protéger le peuple américain contre l'invasion ». Un besoin tellement urgent, selon l'ICE, qu'il justifie de confier cette mission à Palantir sans mise en concurrence : seule cette entreprise est capable de déployer le système que souhaite l'administration dans des délais aussi courts, d'ici septembre 2025.
L'ICE est très loin d'être la seule agence publique étasunienne parmi les clients de Palantir : l'entreprise compte plus de 600 millions de dollars de contrats avec le gouvernement étatsunien, à commencer par le ministère de la Défense, la CIA, le FBI, mais aussi le ministère de la Santé, ce qui implique l'accès à des millions de dossiers médicaux, ou encore l'administration fiscale . Palantir collaborerait aujourd'hui avec les équipes du Département de l'efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency, DOGE) d'Elon Musk pour construire un « méga API » (interface de programmation d'application) pour traiter avec ses logiciels les données des millions de contribuables étatsuniens.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donCette collaboration avec le DOGE n'est pas très surprenante. L'un des co-fondateur de Palantir est Peter Thiel, qui avait auparavant co-fondé Paypal avec… Elon Musk. Peter Thiel est aussi très proche du vice-Président de Donald Trump, JD Vance, qui a travaillé pour lui et dont il a été le mentor : nul doute que l'entreprise saura trouver des oreilles attentives auprès de la nouvelle administration. Le directeur fédéral de l'Information nommé en février dernier, Gregory Barbaccia, a lui aussi travaillé pendant dix ans pour Palantir. Au sein de l'équipe du président Donald Trump, il sera chargé de superviser l'utilisation des technologies dans toute l'administration fédérale. Et Clark Minor, directeur exécutif de l'entreprise, vient également d'être nommé directeur des systèmes d'information du ministère de la Santé et des Services sociaux.
Le gouvernement des États-Unis finira-t-il déléguer à Palantir toute la gestion des données des citoyens américains ? La perspective peut inquiéter à plusieurs titres : outre le fait que confier autant de pouvoir à une entreprise privée présente des risques pour le respect des droits des citoyens, Peter Thiel est aussi très proche des milieux libertariens et ultra-réactionnaires, et connu pour avoir affirmé ne plus croire que la liberté et la démocratie étaient compatibles. Son espoir : dépasser la politique par la technologie. En attendant, il reste engagé dans la mouvance du national-conservatisme et du populisme de droite.
Palantir ne se contente pas de travailler avec le gouvernement étatsunien. Israël utilise aussi ses services, ce qui a conduit la société d'investissement norvégienne Storebrand à se désengager de l'entreprise, ses produits risquant de contribuer à des violations des droits humains et du droit international humanitaire en étant déployés dans les territoires palestiniens. En Europe, Palantir est bien moins présent auprès des agences publiques, même s'il a réussi à remporter un contrat pour la gestion des données du National Health Service (NHS), le système de santé britannique. En France, c'est la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui a recourt aux services de Palantir. Et qui essaie maintenant de passer à un logiciel français, mais la migration n'aura a priori pas lieu avant avril 2027.
Enfin, si la firme a été créée avec l'idée de travailler avec les services de défense et de sécurité, elle a très rapidement développé des logiciels et projets pour la gestion des entreprises. Parmi les clients français, on compte Airbus (dont Fabrice Brégier, jusqu'à récemment président de Palantir France, a été le directeur général), le réassureur Scor (où Fabrice Brégier siégeait au conseil d'administration), l'équipementier automobile Faurecia (devenu Forvia), Stellantis, le groupe Saur, fournisseur d'eau potable ou la banque Société générale. La France serait le troisième marché mondial de Palantir après les États-Unis et la Grande-Bretagne. Si toutes les entreprises ne semblent pas communiquer ouvertement sur leurs recours aux systèmes de la sulfureuse firme américaine, on trouve néanmoins des offres d'emploi mentionnant les logiciels de Palantir, que ce soit pour le Crédit Agricole ou la SNCF.