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29.09.2023 à 17:00

“Le Temps qu’il nous faut” : sommes-nous encore capables de glander ?

nfoiry

“Le Temps qu’il nous faut” : sommes-nous encore capables de glander ? nfoiry ven 29/09/2023 - 17:00

Quelle est la différence entre la « pause » et la « glande » ? L’une est dépendante d’une logique productiviste, tandis que sa version argotique est rebelle, résolument hostile à tout travail. C’est cette distinction que permet – entre autres – de revisiter l’exposition Le Temps qu’il nous faut, qui débute samedi au Maif Social Club. Visite guidée avec les philosophes Jean Baudrillard et Herbert Marcuse.

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Une petite enveloppe très chic de la part de la Fondation du rien. C’est ce que l’on reçoit si l’on vient visiter l’exposition Le Temps qu’il nous faut, organisée par le Maif Social Club. Avec cette enveloppe, on peut s’inscrire à l’activité de son choix – cours de voile, yoga, ou conférence – et choisir un créneau.

Si vous tentez l’expérience, vous allez recevoir à coup sûr… un mail d’annulation le jour J.  Rassurez-vous, Nicolas Heredia, l’artiste à l’origine de cette facétie, ne cherche pas à vous décevoir mais plutôt à satisfaire cette petite voix en vous qui se réjouit secrètement lorsqu’un ami annule un dîner à la dernière minute. Bref, il vous offre une plage horaire aussi inopinée qu’opportune pour… ne rien faire du tout.

Ce temps, dédié au pur néant, est en l’occurrence localisé à une heure et à une date précise. Un peu comme une séance de méditation bloquée entre deux réunions. En proposant d’inclure ce temps libéré à l’intérieur de notre agenda, l’artiste souligne aussi qu’il y a peut-être un problème dans notre manière d’envisager le temps libre dans la mesure où nous en avons fait, un outil de « pause », une façon de « recharger les batteries » pour mieux enchaîner ensuite. Dans son essai sur La Société de Consommation (1970), le philosophe Jean Baudrillard désigne ces moments de loisirs modernes et aliénés comme « des parenthèses évasives dans le cycle de la production ». Autrement dit : ces pauses permettent de se reposer vite (et mieux) pour travailler plus. Ce genre de temps libre imite donc, dans sa forme, ce que l’auteur appelle « le temps productif de la quotidienneté asservie » : le fameux métro, boulot – yoga, méditation, jardinage… insérez ce que vous voulez au milieu – dodo.

 

Plaidoyer contre la micro-sieste

On peut donc distinguer d’une part la « pause » et de l’autre sa version argotique, « la glande ». Là où la pause se veut productive, la glande déborde, s’étale et n’en fait qu’à sa tête. Rebelle, elle sort de la case de notre emploi du temps et nous pousse à rêvasser au-delà des « dates limite ». Bref, la pause est à la glande ce que la « micro-sieste » chronométrée est à la vraie bonne sieste : une version pâlotte, calculatrice et mesquine du temps libre.

Bien glander : c’est tout le thème de notre dernier hors-série consacré à « L’art de ne rien faire » mais aussi celui de l’exposition du Maif Social Club, Le Temps qu’il nous faut, qui fait sentir au spectateur ce que signifie « s’arrêter » via différentes installations artistiques. Dans cette atmosphère ouatée – où les œuvres sont placées dans des bulles jonchées de plantes et émettant de petits bruits –, le spectateur est invité à déambuler sans se presser. Personnages miniatures à observer pendant des heures (Lingzi Ji), tapis coloré sur lesquels on peut se vautrer goulûment (Julie C.Fortier), concert de chaussures à écouter autant que bon nous semble (Arno Fabre)… Les œuvres, très belles à regarder, contiennent toutes un côté ludique et un brin ironique. Ce n’est pas un hasard si l’artiste qui a réalisé l’orchestre de chaussures mécaniques frappant le sol confesse qu’il a eu l’idée de cette œuvre… pendant sa sieste, alors même qu’il entendait, au loin, les pas trop pressés des passants.

Ce mélange de jeu et d’ironie, loin d’être anecdotique, est l’un des éléments clefs de la glande. Le philosophe Herbert Marcuse, dans Éros et Civilisation (1955), estime que le jeu est une manière de « refuse[r] les traits répressifs et exploiteurs du travail et des loisirs », en étant tout à fait « improductif et inutile ». Au sein de l’exposition, les « Chindogu » : des objets parfaitement fonctionnels mais totalement inutiles inventés par l’artiste japonais Kenji Kawakami, incarnent cet esprit de railleries ludique propre à la glande.

Vous avez donc jusqu’au 24 février pour vous précipiter au Maif Social Club (37, rue de Turenne, Paris IIIe) afin d’observer en détail les chaussettes avec ongles vernis intégré, le beurre en stick, et autres casques à horloges intégrées : vous pourrez alors peut-être glander vraiment, avec panache et, on l’espère, sans une once de culpabilité.

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29.09.2023 à 16:00

“Sapere aude” : une ode à savourer la vie ?

hschlegel

“Sapere aude” : une ode à savourer la vie ? hschlegel ven 29/09/2023 - 16:00

Savourer l’existence : derrière cette locution bien connue se cache peut-être un sens très philosophique. C’est en tout cas ce qu’assure Valentin Husson dans L’Art des vivres. Une philosophie du goût (PUF, 2023), un livre réjouissant qui célèbre ce qui est « bon pour le moral » !

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  • Sapere aude ! Et si l’on traduisait ce célèbre appel des Lumières non par « ose penser », mais par « ose savourer » ? C’est le pari réjouissant du nouvel ouvrage du jeune philosophe Valentin Husson. Sapere, après tout, est autant affaire de savoir que de saveur. « Ose savourer ton existence, et distinguer en elle […] ce qui en fait le sel et le mordant » : le mot d’ordre a de quoi déconcerter. Car la philosophie s’est presque toujours défiée des nourritures terrestres. « La cuisine […] pour le philosophe, est dangereuse. […] Le concept est un mot qui unifie le divers de l’expérience. Or, chaque moment de gastronomie, de partage, de convivialité est unique. »
  • Manger sera en général réduit, par les philosophes, au comblement utilitaire d’un manque, lui-même compris comme rappel dégradant de notre pauvreté d’être. L’ascète cultive ce dépouillement : s’affamant, il « jouit de son vide intérieur qu’il assimile à une élévation spirituelle. […] Plus il se prive, plus il se sent lui. » Au contraire, le jouisseur dévore jusqu’à l’écœurement de la réplétion, vaine tentative pour combler compulsivement l’angoisse d’un manque à être.
  • Se dégage, cependant, une troisième voie : celle du « bon vivant » qui, à l’ordre morbide du vide et du plein, du néant et de la saturation, oppose la dynamique vivante du désir gourmand, l’appétit d’une vie qui, riche d’elle-même plutôt qu’affligée de sa propre pauvreté, se laisse sereinement séduire par les suggestions truculentes du monde. « Le bon vivant ne repaît pas un besoin, mais un désir en quelque façon inutile. L’appétit de vivres [sic] vient en mangeant. »
  • Les nourritures, pour le bon vivant, sont les occasions joyeuses d’une surabondance d’être ; et c’est pourquoi, au contraire de l’ascète et du jouisseur, il les partage. « Le “manger” […] est un art de la convivialité. […] L’art culinaire est tout entièrement lié […] à un plaisir se plaisant à en donner. » On ne saurait mieux résumer ce délicieux plaidoyer pour un « bon-vivre » qui, à l’abstraction du Bien moral, préfère la recherche du « bon pour le moral ».

 

L’Art des vivres. Une philosophie du goût, de Valentin Husson, vient de paraître aux Presses universitaires de France. 208 p., 13€ en édition physique, 9,99€ en format numérique, disponible ici.

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