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27.03.2023 à 17:33

Les polluants éternels ne sont pas intemporels

Thomas Le Roux

Saviez-vous que dix millions de composés chimiques ont été créés au cours du XXe siècle, parmi lesquels 150 000 ont reçu des applications commerciales ? Ce déferlement de molécules trouve aujourd'hui son acmé dans l'existence de polluants éternels (PFAS) disséminés dans les moindres recoins de la planète et responsables de nombreuses maladies. Une vaste enquête internationale vient de mettre à jour les lieux où se concentre cette pollution en Europe. Faire l'histoire de la chimie industrielle conduit à ce constat glaçant : l'innovation technologique n’a fait que substituer des poisons les uns aux autres.

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Texte intégral (7246 mots)
Temps de lecture : 15 minutes

Avec dix-sept autres médias européens, au sein de l’enquête internationale « Forever Project Pollution1 », le quotidien Le Monde a publié le 23 février 2023 la carte de la pollution de l’Europe par les per- et polyfluoroalkylées (PFAS) 2. Pour qui veut savoir, les PFAS sont connus depuis longtemps. Cette famille de substances d’origine anthropique comprend plus de 4000 molécules différentes et est originellement issue de la synthèse du polytétrafluoroéthylène (PTFE) en 1938, que l’entreprise chimique étasunienne DuPont de Nemours a commercialisé en 1949 sous le nom de Téflon pour les revêtements antiadhésifs des poêles de cuisine, et dont le film Dark Waters (Walter Salles, 2019) a retracé la toxicité et les affres d’un avocat lanceur d’alerte face aux lobbys industriels et aux pouvoirs publics.

Il faut dire que la Food and Drug Administration, l’organisme de régulation des substances chimiques étasunien, avait approuvé ces produits de synthèse en 1962. Comme pour l’amiante, les PFAS offrent, outre des sources de profits pour les producteurs, des qualités indéniables qui ont rejeté à l’arrière-plan des préoccupations les impacts pour la santé publique et l’altération des milieux. Résistants à l’eau et aux graisses, les PFAS sont également de puissants retardateurs de flammes, raisons pour lesquelles ils sont aujourd’hui ajoutés dans une quantité infinie d’objets et de substances (meubles, vêtements, ustensiles culinaires, peintures, mousses anti-incendie, emballages, gaines électriques, prothèses, etc.).

Les PFAS peuvent entraîner des problèmes vasculaires, des lésions hépatiques, des cancers, des maladies thyroïdiennes ; ce sont des perturbateurs endocriniens et ils diminuent la réponse immunitaire à la vaccination. Leur usage massif a entraîné une dissémination généralisée, au point qu’il n’existe plus aucun corps ni aucun milieu de la planète qui y échappe, y compris dans les zones inhabitées, ces molécules persistantes étant véhiculées par l’eau et le vent. C’est un empoisonnement universel dont le journaliste Fabrice Nicolino a déjà retracé les principaux éléments pour le grand public il y a dix ans3.

Source :  Forever Project Pollution

Qu’apporte donc cette cartographie au grand public ? Est-il possible de localiser les milieux contaminés, étant donné que la dissémination est universelle ? La cartographie peut-elle devenir un support pour l’action, militante ou publique ? La collecte, collaborative et étendue sur plusieurs années, est fondée sur une méthodologie scientifique employée pour cartographier les PFAS aux États-Unis. Inédite, elle révèle l’ampleur du problème en précisant notamment les sites les plus pollués – car bien qu’universelle, la contamination est plus ou moins forte selon les zones. Cette cartographie européenne localise la vingtaine d’usines de production de PFAS et plus de 200 établissements qui les emploient pour des fabrications diverses ; toutes sont des sources d’émission à forte concentration, que ce soit par les rejets dans l’air ou dans l’eau. Par ailleurs, au moins 17 000 sites européens sont positivement contaminés, un diagnostic effectué après des mesures de concentration des PFAS dans l’eau et les sols. Enfin, plus de 21 000 sites sont présumés l’être, par la nature des opérations qui y ont été faites, mais qui n’ont pas fait l’objet de mesures. Bien sûr, la carte n’indique pas l’ubiquité des pollutions diffuses à faible dose que l’on retrouve partout. Les enquêteurs précisent que les données recueillies sont un minimum, fondées sur des mesures ou des observations réelles, mais que de multiples autres sites pourraient être concernés : il suffirait d’y pointer le regard et des instruments de mesure.

Au moins 17 000 sites européens sont positivement contaminés (eau et sols), plus de 21 000 sites sont présumés l’être.

Thomas Le Roux

Pour des questions de santé publique et d’information, il est toujours utile de cartographier les sites à risque ; utile mais sensible, dans la mesure où la révélation de points noirs a des conséquences sur le prix du foncier, la recherche des responsabilités, l’urgence de mesures d’assainissement à réaliser et à financer. À ce titre, les chercheurs, lanceurs d’alerte, journalistes, ou militants qui ont tenté de rendre public des données que les industriels ou les pouvoirs publics en charge des régulations sont rétifs à divulguer se sont souvent heurtés au dénigrement ou à l’obstruction. C’est ainsi le cas de Frédéric Ogé, chercheur au CNRS, qui a brisé le tabou des sols pollués en France au début des années 2000, après une enquête réalisée par le ministère de l’Environnement en 1998 qui était restée secrète4. De nos jours, les autorités donnent accès à certaines données publiques collectées. En Suisse et en Belgique, l’analyse de la contamination du sol est même obligatoire pour tout acte de vente du foncier, et il y existe des cadastres des sols pollués5. En France, des inventaires historiques régionaux sont la source de diffusion de données de la Base des anciens sites industriels et activités de service (BASIAS). Depuis 2021, un référencement géographique de ces données par SIG (système d’information géographique) est accessible par le portail Géorisques6. Néanmoins, elles sont incomplètes et leur exhaustivité dépend aussi des pressions et des investigations indépendantes.

À l’heure où l’Europe réfléchit à une refonte de la réglementation et de la surveillance des PFAS, pouvant mener à leur interdiction7, l’enquête internationale des journalistes tombe à pic. Sera-t-elle suffisante pour engager une action publique énergique et définitive ? L’histoire apporte quelques éléments de réponse, en mettant en perspective la généalogie des produits de synthèse tout comme la lutte contre les pollutions au regard de l’évolution et des trajectoires industrielles de nos sociétés.

Les sociétés anciennes recourraient souvent, sans tabou, au principe de l’interdiction, même quand il n’existait pas de substituts.

Thomas Le Roux

Éternels pour le futur, les PFAS ne le sont pas dans le passé : ils ont une date de naissance. Si cette famille de composés synthétiques apparaît en 1938, elle est issue d’une lignée de molécules chimiques créées par l’homme au XXe siècle. Jusqu’alors, toutes les molécules manipulées par les sociétés humaines sont d’origine naturelle. « Naturel » ne signifie pas forcément compatible avec la vie : certaines d’entre elles sont évidemment nocives, comme les métaux lourds (cadmium, plomb, mercure, arsenic, etc.), et depuis Paracelse, médecin et alchimiste du XXe siècle, pour l’administration de ces substances, ou leur contact, c’est la dose qui fait le poison. En dépit de cette maxime, menant au principe de seuils d’acceptabilité, les sociétés anciennes recourraient souvent, sans tabou, au principe de l’interdiction, même quand il n’existait pas de substituts. Ces principes fermes, dont l’application était dans les mains d’une police des nuisances particulièrement sévère, découlaient de la nécessité d’assurer la survie de communautés humaines particulièrement vulnérables et ne disposant pas d’autres moyens de subvenir à leurs besoins que par un approvisionnement local, en eau, aliments et matières : d’où l’absolue obligation de préserver à l’échelle locale les conditions propres à la perpétuation de la vie, c’est-à-dire la non altération des milieux.

Tout change au XIXe siècle. Non seulement la mise en marché d’un grand nombre de produits et la concurrence internationale aboutissent, sous la pression des industriels, au moins-disant environnemental et à des niveaux de pollutions inenvisageables précédemment – c’est alors une véritable acculturation aux nuisances qui s’opère8 –, mais la révolution des transports permet alors de s’approvisionner hors des milieux locaux – ce qui permet de rendre tolérable les pollutions de proximité –, tandis que l’innovation technique et la révolution chimique donnent naissance à des molécules nouvelles et artificielles, certaines étant incompatibles avec les formes de vie existant sur Terre9.

En 1828, s’opère ce qui est considéré comme un tournant historique : l’Allemand Friedrich Wöhler parvient, à partir d’urine, à la création d’urée de synthèse, utilisée pour les engrais. Puis, les recherches du chimiste français Marcellin Berthelot concourent au développement de la chimie de synthèse : de 1850 à 1865, il reconstitue le méthane, le méthanol ou le benzène à partir de leurs éléments, avant de publier en 1860 l’une des bibles de la nouvelle discipline, La chimie organique fondée sur la synthèse. La seconde moitié du siècle voit la floraison des traités de chimie, des chaires d’enseignement et des laboratoires.

Il faut dire que la chimie du charbon, matériau roi du XXe siècle, a associé la science, les intérêts industriels et commerciaux et les politiques étatiques dans l’avènement d’un secteur stratégique, la carbochimie, à la base de la plupart des produits de synthèse10. Ce contexte explique l’extraordinaire développement de la chimie industrielle, notamment du charbon, ce minerai ayant des compositions variées et un potentiel valorisable, et en premier lieu dans le secteur de la teinturerie11. Le premier colorant de synthèse – la mauvéine – est fabriqué dans les années 1850 par l’action de l’acide sulfurique sur l’aniline tirée du goudron de houille. Ce qui entraîne très vite une pollution du Rhin à grande échelle dès 1863, le long duquel la nouvelle et très puissante chimie industrielle allemande (Bayer, Hoechst, BASF) s’est implantée ; en 1875, ses rives accueillent plus de 500 usines, aucun autre fleuve dans le monde n’a jusqu’alors été colonisé à une telle échelle par l’industrie chimique12. La gamme des produits synthétiques s’étoffe alors : nitrocellulose (1846), benzène (1868), celluloïd (1870), caoutchouc (1909), ou encore l’azote (procédé Haber-Bosch, 1909-1913), qui ouvre la voie aux engrais chimiques industriels13. Dans les années 1900, les États-Unis prennent le leadership de la chimie industrielle de synthèse, avec DuPont de Nemours, fondé en 1802 pour l’industrie des explosifs, qui s’oriente vers la chimie industrielle, Dow Chemical (1889) et Monsanto (1901) 14.

Les deux guerres mondiales sont des accélérateurs de la chimie industrielle étasunienne, qui s’impose sur les marchés internationaux après 1945. En quelques décennies, des dizaines de milliers de substances sont mises sur le marché, pour des produits parfois très populaires, comme le nylon ou le Téflon, et envahissent le quotidien des populations, sans évaluation préalable de leur dangerosité ni véritable contrôle de l’administration15.

Après 1945, en quelques décennies, des dizaines de milliers de substances sont mises sur le marché, sans évaluation préalable de leur dangerosité ni véritable contrôle de l’administration.

Thomas Le Roux

Avec la pétrochimie, ce sont de toutes nouvelles molécules qui apparaissent. Certaines sont particulièrement célèbres pour leur nocivité. C’est ainsi le cas du dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), substance synthétisée dès les années 1870 mais restée simple exploit de laboratoire avant que le Suisse Paul Hermann Müller ne découvre en 1939 son efficacité comme insecticide (il reçoit le prix Nobel de médecine en 1948 pour cette découverte !) ; il est alors massivement employé dans l’agriculture avant son interdiction après 1972 dans les pays de l’OCDE à cause de sa toxicité16.

La pétrochimie aboutit surtout à la production de monomère et de polymères au fondement de l’industrie des plastiques, aux propriétés jugées miraculeuses. Après la première synthèse d’un polymère issu des hydrocarbures en 1910 (la bakélite, premier plastique), l’entre-deux-guerres connaît une explosion de brevets sur les matières plastiques synthétiques dans l’Allemagne hitlérienne comme aux États-Unis et en URSS. Ainsi se répand le polychlorure de vinyle (PVC), dont l’entreprise allemande IG Farben industrialise la production dès les années 1930, le nylon (DuPont de Nemours), les polyuréthanes (1937, pour les peintures et les vernis) ; le polystyrène (BASF, Dow Chemical), le plexiglas (1948), le polypropylène (1954, employé par exemples pour les parechocs et tableaux de bord de voiture). C’est dans cette série qu’est synthétisé en 1938 le polytétrafluoroéthylène, ancêtre des PFAS17.

Le PCB, jugé inoffensif par les producteurs malgré la découverte rapide de ses effets toxiques dès 1937, peut être considéré comme un antécédent semblable aux PFAS pour sa toxicité, sa rémanence et sa régulation.

Thomas Le Roux

Quant au polychlorobiphényle (PCB), assimilé aux plastiques, jugé inoffensif par les producteurs malgré la découverte rapide de ses effets toxiques, dès 1937, il est synthétisé et utilisé pour ses propriétés diélectriques et sa conduction thermique comme isolant électrique dans les transformateurs, mais aussi dans les condensateurs, les fluides hydrauliques, les peintures, les adhésifs, etc. Il peut être considéré comme un antécédent semblable aux PFAS pour sa toxicité, sa rémanence et sa régulation ; Monsanto en devient le principal producteur après 1929, polluant la ville d’Anniston dans l’Alabama, principal site de production. Les PCB sont massivement utilisés jusque dans les années 1980, avant leur interdiction progressive18. Leur concentration particulièrement élevée dans les zones de production provoquent une surmortalité localisée, d’où le nom Cancer Alleys, par exemple le long du fleuve Mississippi aux États-Unis19 – ou à moindre échelle dans le « couloir de la chimie » pétrochimique au sud de Lyon en France. C’est actuellement une zone également très touchée par les PFAS20.

Dix millions de composés chimiques auraient été synthétisés au cours du XXe siècle, parmi lesquels 150 000 ont reçu des applications commerciales21. Même si beaucoup de ces substances de synthèse échappent à une évaluation environnementale sérieuse, nous ne sommes pas dans un monde totalement ignorant des effets néfastes de ces molécules pour la santé humaine et la préservation d’un environnement propice à la vie. Dès le tournant des années 1970, la question des plastiques avait déjà été requalifiée comme un enjeu de santé publique et une source de pollutions rémanentes majeures22. Cela fait aussi près de trente ans, au moins depuis l’ouvrage de Theo Colborn, Our Stolen Future (1996), que l’on connaît leur rôle comme perturbateurs endocriniens et métaboliques, qui touche à des degrés divers les êtres vivants23. Leur dissémination est souvent le résultat de l’encouragement à l’innovation, puis des stratégies entrepreneuriales pour minimiser leurs impacts sanitaires – parfois même le mensonge et la dissimulation, comme cela a été démontré pour la céruse, ou plus récemment pour le tabac ou l’amiante par exemple : une démarche de fabrique du doute ou de production d’ignorance, autrement dit l’agnotologie24.

Un autre obstacle à la suppression des polluants éternels, c’est qu’ils sont considérés comme nécessaires à la vie moderne, qu’ils sont indispensables, et leur interdiction est la plupart du temps conditionnée à la possibilité de produire et commercialiser des substituts – ceci sans mettre en péril la viabilité des entreprises concernées, ou en les indemnisant. Par exemple, dans les années 1970, le DDT est interdit en Europe et aux États-Unis comme pesticide parce que d’autres substances apparaissent : les pyréthrinoïdes, puis l’atrazine (finalement interdite en France en 2002) ou encore les néonicotinoïdes, qui affectent le système nerveux central des insectes (ainsi le Gaucho, produit par Bayer, interdit partiellement en France en 2009), ainsi que des herbicides systémiques (ou « totaux ») dont la substance active est le glyphosate, puis plus récemment encore la famille des fongicides SDHI25.

Finalement, chaque nouvelle génération de produits chimiques apporte son lot d’empoisonnement. Les contaminations, aux effets cumulatifs mal connus en raison de la grande persistance des molécules, tendent à croître : non seulement celles d’hier sont encore largement présentes dans l’environnement, mais de nouvelles continuent d’être mises sur le marché par centaines de milliers, innombrables molécules complexes, aux doses infimes et aux effets incertains, difficiles à repérer mais source d’un « scandale invisible des maladies chroniques26 ».

La course à l’innovation, sous-tendue par une rhétorique du progrès et de la promesse technologique salvatrice, n’a pour le moment fait que substituer des poisons les uns aux autres.

Thomas Le Roux

La lutte contre les PFAS (élimination, atténuation de l’exposition, interdiction, etc.) est donc fortement contrainte et enchâssée dans cette histoire qui montre que le monde actuel est littéralement sous l’emprise de ces molécules synthétiques, ne serait-ce que par leur accumulation dans les milieux, sans réelle solution pour les détruire, les liaisons entre les atomes de carbone et de fluor ne pouvant être détruites que si on les chauffe à plus de 1200 dégrés. Par ailleurs, et c’est une récurrence de l’histoire, la course à l’innovation, sous-tendue par une rhétorique du progrès et de la promesse technologique salvatrice, n’a pour le moment fait que substituer des poisons les uns aux autres, dans un cadre aux frontières précises : il s’agit surtout de ne pas édicter de régulations contraires à l’intérêt économique des firmes ou à la compétitivité des nations, sous l’argument de la création d’emplois et de valeur-ajoutée. Un paradigme mortifère qui empêche d’appliquer le principe de précaution et qui ralentit l’interdiction rapide des produits nocifs.

Cette récurrence de l’histoire n’est pourtant pas une fatalité, car ce paradigme n’est pas anthropologique, il est politique, économique et social, l’histoire montrant que les sociétés préindustrielles se donnaient les moyens de bannir les agents destructeurs de l’environnement et des corps. L’action publique étant le fruit de décisions et de rapports de forces, et d’un arbitrage entre des intérêts divergents, et la connaissance étant un élément de l’équation, cette enquête qui se double d’une figuration cartographique précise contribuera, sans nul doute, à faire bouger les lignes. De même, l’action militante peut s’en saisir pour informer, alerter et agir sur des sites maintenant bien identifiés.


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  1. Voir la présentation de l’enquête
  2. Gary Dagorn, Raphaëlle Aubert, Stéphane Horel, Luc Martinon et Thomas Steffen « “Polluants éternels” : explorez la carte d’Europe de la contamination par les PFAS », Le Monde, 23 février 2023. Pour l’enquête en elle-même : Stéphane Horel, « Révélations sur la contamination massive de l’Europe par les PFAS, ces polluants éternels », Le Monde, 23 février 2023. Ces polluants sont qualifiés d’ « éternels » dans la mesure où, nocifs pour le vivant, ils ne se dégradent pas à l’échelle de l’histoire humaine : leur durée de vie est de plusieurs centaines voire milliers d’années à cause des liaisons chimiques presque inaltérables entre les chaînes d’atomes de carbone et de fluor que la chimie de synthèse a créées.
  3. Fabrice Nicolino, Un empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète, Paris, Les Liens qui libèrent, 2014.
  4. Frédéric Ogé et Pierre Simon, Sites pollués en France, enquête sur un scandale sanitaire, Librio, 2004.
  5. Par exemple, pour le territoire de Genève et pour le canton du Valais : Pour la Belgique : en Wallonie, et pour Bruxelles
  6. https://www.data.gouv.fr/fr/reuses/pollution-des-sols-la-carte-de-france-interactive/ ; https://www.georisques.gouv.fr/risques/pollutions-sols-sis-anciens-sites-industriels
  7. L’Union européenne a révisé en 2022 les normes de présence des PFAS dans l’alimentation en abaissant les seuils tolérables (Règlement 2022/2400 du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 23 novembre 2022). Pour une mise au point efficace et documentée : Cathy Morales Frénoy et Jean-Pascal Bus, « PFAS : ces substances chimiques qui inquiètent », Les Échos, 13 juin 2022. Par ailleurs, l’Agence européenne des produits chimiques a rendu publique, mardi 7 février 2023, une proposition déposée par l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Norvège pour interdire les PFAS. Elle annonce une consultation publique à partir du 22 mars 2023.) et où le gouvernement met en place un plan d’action 2023-2027 sur ces substances((Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Plan d’action ministériel sur les PFAS, janvier 2023.
  8. Thomas Le Roux, Le laboratoire des pollutions industrielles. Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011.
  9. François Jarrige et Thomas Le Roux, La contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Le Seuil, 2020 (2017).
  10. Bernadette Bensaude-Vincent et Isabelle Stengers, Histoire de la chimie, Paris, La Découverte, 1993 ; Sacha Tomic, Comment la chimie a transformé le monde, Paris, Le Square éditeur, 2013.
  11. Ernst Homburg, Anthony S. Travis et Harm G. Schröter (dir.), The Chemical Industry in Europe (1850-1914) : Industrial Growth, Pollution and Professionalization, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1998.
  12. Mark Cioc, The Rhine : An Eco-Biography (1815-2000), Seattle, University of Washington Press, 2002.
  13. Vaclav Smil, Enriching the Earth : Fritz Haber, Carl Bosch and the Transformation of World Food Production, Cambridge (MA), MIT Press, 2001.
  14. Benjamin Ross et Steven Amter, The Polluters : The Making of Our Chemically Altered Environment, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 18-19.
  15. Pap Ndiaye, Du nylon et des bombes. Du Pont de Nemours, le marché et l’État américain (1900-1970), Paris, Belin, 2001.
  16. James E. McWilliams, American Pests : The Losing War on Insects from Colonial Times to DDT, New York / Chisester, Columbia University Press, 2008.
  17. Fabrice Nicolino, Un empoisonnement universel, op. cit., chap. 8.
  18. Aurélien Féron, Persistance biochimique et récalcitrance politique. Enquête socio-historique sur les résurgences multiscalaires d’un problème environnemental et sanitaire, thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2018.
  19. Brian C. Black, Crude Reality : Petroleum in World History, Lanham, Rowman & Littlefield, 2012.
  20. François Duchêne et Léa Marchand, Lyon, vallée de la chimie. Traversée d’un paysage industriel, Lyon, Libel, 2016.
  21. Nathalie Jas, « Gouverner les substances chimiques dangereuses dans les espaces internationaux », in Dominique Pestre (dir.), Le gouvernement des technosciences. Gouverner le progrès et ses dégâts depuis 1945, Paris, La Découverte, 2014, p. 31-63, p. 37.
  22. Baptiste Monsaingeon, « Plastiques : ce continent qui cache nos déchets », in « Où va l’homo détritus ? », numéro spécial de Mouvements, nº 87, 2016, p. 48-58.
  23. Traduit en français l’année suivante : Theo Colborn, Dianne Dumanoski et John Peterson Myers, L’Homme en voie de disparition ?, Mens, Terre vivante, 1997 [1996] ; Stéphane Horel, Intoxication. Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé, Paris, La Découverte, 2015 ; Marine Jobert et François Veillerette, Perturbateurs endocriniens. La menace invisible, Paris, Buchet-Chastel, 2015.
  24. Judith Rainhorn, Blanc de plomb. Histoire d’un poison légal, Paris, Presses de Sciences Po, 2019 ; Stéphane Foucart, La Fabrique du mensonge. Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger, Paris, Denoël, 2013 ; Robert N. Proctor, Londa Schiebinger, Agnotology. The Making and Unmaking of Ignorance, Stanford, Stanford University Press, 2008 ; Gerald Markovitz, David Rosner, Deceit and Denial. The Deadly Politics of Industrial Pollution, Berkeley, University of California Press, 2002 ; Jock McCulloch, Geoffrey Tweedale, Defending the Indefensible. The Global Asbestos Industry and its Fight for Survival, Oxford, Oxford University Press, 2008.
  25. Edwige Charbonnier, Aïcha Ronceux, Anne-Sophie Carpentier, Hélène Soubelet et Enrique Barriuso (dir.), Pesticides. Des impacts aux changements de pratiques, Paris, Quae, 2015 ; Fabrice Nicolino, Le crime est presque parfait. L’enquête choc sur les pesticides et les SDHI, Paris, Les Liens qui libèrent, 2019.
  26. André Cicolella, Toxique planète. Le scandale invisible des maladies chroniques, Paris, Le Seuil, 2013 ; Frédéric Denhez, Les Nouvelles Pollutions invisibles. Ces poisons qui nous entourent, Paris, Delachaux & Niestlé, 2011.

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24.03.2023 à 15:15

Sainte Soline priez pour nous !

Société des frères et sœurs de Soline

Il se passe quelque chose à Sainte Soline. C'est comme si le pouvoir d'évocation des récits mystiques entrait en résonance avec les puissances géologiques du pays niortais, offrant leurs faveurs à celles et ceux qui luttent contre l'accaparement de l'eau et pour la défense d'un commun. Méditation sur la spiritualité d'une lutte.

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Texte intégral (4774 mots)
Temps de lecture : 10 minutes

29 octobre dernier. Partout en France résonne le fracas d’une bataille historique dans la guerre de l’eau. Et c’est ainsi que le nom du petit village de Sainte Soline s’étale à la une des journaux. Mais qui donc – aujourd’hui- connaît Sainte Soline, cette martyre Chrétienne du pays Mellois ?

Un article lapidaire de Wikipédia prétend qu’il “n’existe aucune information précise ou fiable sur la vie de Sainte Soline.” Mais si notre sombre époque croule sous les “informations”, elle manque en revanche cruellement de légendes. Et paradoxalement, à mesure que s’entassent les rapports du GIEC, les informations scientifiques rejoignent de manière inattendue la prose religieuse. Elles sont annonciatrices d’un avenir qui ressemble à s’y méprendre aux Septs Plaies d’Égypte, au Déluge, à l’Apocalypse selon Saint Jean, ou encore aux sourates coraniques de la Secousse, de la Déchirure et du Ciel fendu.

« Quand le ciel se fendra, et que les étoiles se disperseront, et que les mers
confondront leurs eaux, et que les tombeaux seront bouleversés, tout âme saura
alors ce qu’elle a accompli et ce qu’elle a remis à plus tard.
 »
Le Saint Coran, Sourate 82, Le ciel fendu

Si nous ne sommes pas de ceux qui croient que la vérité du monde réside dans un texte unique, révélé pour des siècles et des siècles ; nous ne sommes pas pour autant insensibles aux signes mystiques, aux intuitions et aux puissances magiques. Nous savons la force extraordinaire des légendes, des mythes et des prophéties. L’Esprit et la détermination qui nous animent n’ont rien d’étranger à la foi.

A la veille de la prochaine bataille qui s’annonce ; A l’heure où des milliers de personnes s’apprêtent à confluer “à Mauzé-sur-le-Mignon et-ou à Sainte Soline” le 25 mars prochain pour en finir avec les méga-bassines ; Alors que les petits soldats de l’Empire macronien échafaudent leurs plans de répression et que galopent les rumeurs cavalières d’une présence de la garde montée ; Le temps est venu de faire toute la lumière sur Sainte Soline.

Vitrail de l’Abbaye de Saint Père, Sainte Soline tenant une plante, source : David Crochet

La vie de Sainte Soline

La légende de Sainte Soline fut consignée par l’Abbé Loriot dans un ouvrage oublié : Sainte Soline ou les premiers martyrs de l’Eglise de Chartres. Nous sommes au IIIe siècle après Jésus Christ et Rome règne sans partage sur l’Occident. Le pays Mellois garde encore la trace de cette époque lointaine. En témoignent les vielles pierres de la cité de Rom (Rauranum) jalonnée de ruines et marquée à jamais par ses thermes antiques aux colonnes toscanes. En témoigne le vestige d’un pont en bois exhumé à Sainte Soline par les archéologues. En témoigne l’empreinte du sillage des voies romaines à travers les champs alentours, trace du réseau sur lequel reposait la puissance de l’un des tous premiers empires.

Dans ce livre, l’abbé Loriot nous raconte l’histoire de Santa Sulina, une jeune femme de noble et riche famille qui se convertit à la foi Chrétienne. Elle fait le serment de conserver sa chasteté et de réserver son amour à Jésus-Christ. Assaillie de sollicitations – tant pour la beauté de ses traits que pour la noblesse de ses titres – elle les décline toutes avec obstination. Alors que ces parents la maltraitent pour la forcer à prendre époux et que ses prétendants se font chaque jour plus insistants, elle décide de prendre la fuite.

Elle renonce à toutes les richesses de sa famille, à tous les privilèges de son rang pour gagner liberté et indépendance. Elle prend la route pour un long périple. Sa courageuse fugue la mène jusque dans la cité carnute où elle trouve refuge dans une grotte fameuse où les chrétiens primitifs vouaient alors un culte à la Vierge-Marie. Elle s’y établit pour mener une vie de recueillement et de prières.

Mais Quirinus, gouverneur de la cité, décide de faire arrêter cette femme prosélyte qui chaque jour convainc d’autres femmes de se soustraire au mariage et de vivre leur foi en communauté de soeurs. Elle est jetée au cachot. Quirinus s’efforce de la faire renoncer à sa croyance, usant tour à tour des douces promesses et des supplices, de la séduction et de la torture. Elle persiste dans sa foi et sa sérénité et ne se laisse ébranler ni par les menaces, ni par les caresses. Elle est alors livrée au bourreau pour être décapitée puis immolée.

Des fidèles parviennent dans le plus grand secret à récupérer et inhumer son corps en un tombeau parfumé. Des reliques sont alors précieusement conservées dans une châsse dorée. Elles sont encore accessibles aujourd’hui auprès de la personne qui détient les clefs de l’Église du village Sainte Soline… Depuis sa mort jusqu’au XIXe siècle, elle est vénérée dans les temps de calamités publiques et de sécheresse.

« Sainte Soline était invoquée de manière toute spéciale dans les grandes calamités
publiques (…) pour les biens de la terre en souffrance et contre les intempéries de
l’air. Ses reliques étaient alors portées aux processions générales. Quand une
sécheresse trop continue menaçait les récoltes, on exposait à la cathédrale de
Chartres la châsse de Saint Taurin, évêque d’Évreux, et à l’Église abbatiale de Saint
Père la châsse de Sainte Soline, et les nombreux et irrécusables miracles obtenus à
la suite de cet acte de pieuse confiance dans l’intercession des saints autorisaient les
populations reconnaissantes à traduire leur pensée par l’épithète naïve et bien
significative qu’elles donnaient à ces châsses vénérées : elles les appelaient les deux
aqueducs du pays chartrain.
 »
Les Vies des Saints du Poitou, par Ch. de Chergé, 1856

Vitrail de l’église de Sainte Soline, Sainte Soline face au gouverneur Quirinus

Que soient chassés les marchands pour conjurer la sécheresse

Nous traversons une sécheresse pluri-annuelle historique et sans précédent. Le réchauffement climatique dont elle procède n’a rien d’une punition divine. Il est la conséquence des agissements d’une minorité d’hommes assoiffés d’or. Aveuglés par l’appât du gain, ils ne savent plus prendre soin ni du monde, ni de leur prochain. Ils sont en train de tout ravager. Le temps est venu de les en empêcher.

« Car l’amour de l’argent est racine de toutes sortes de maux. Pour s’y être
abandonnés, certains se sont égarés très loin de la foi, et se sont infligés beaucoup
de tourments.
 »
La Sainte Bible, Timothée 6:10

« La course aux richesses vous distrait, jusqu’à ce que vous trouviez votre tombe.
Mais non ! Vous saurez bientôt… Vous saurez bientôt ! Sûrement. Si vous saviez de
science certaine. Vous verrez, certes, la Fournaise. Puis vous la verrez avec l’oeil de
certitude. Puis, assurément, vous serez interrogés, ce jour là, sur les délices.
 »
Le Saint Coran, Sourate 102, La course aux richesses

Désormais c’est le monde qui ploie sous les tourments causés par les riches, et ce sont les pauvres du monde qui récoltent les premiers les fléaux que sème partout le mode de vie capitaliste. Parmi ces innombrables fléaux, il y a la sécheresse. Que ferons-nous quand il n’y aura plus d’eau ? Jusqu’où alors iront les hommes dans leur lutte sans merci pour la survie ? Quel visage aura le monde quand l’eau potable aura le prix de l’or ? C’est donc maintenant – tant qu’il est encore temps – qu’il nous faut mener corps et âme cette guerre de l’eau. Maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.

L’eau, ce bien commun, ce don de la providence, est ce qui rend possible la vie même. En s’attaquant aux méga-bassines, nous luttons non seulement contre l’accaparement de l’eau par un complexe ago-industriel mortifère, mais aussi pour une prise de conscience. La guerre de l’eau ne fait que commencer. L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage. L’écologie sans spiritualité, c’est du charabia d’ingénieur du plan. La lutte écologique sans l’action déterminée, c’est un martyr superflu, un vain sacrifice. Contrairement aux idées reçues du catéchisme de la nonviolence, Jésus n’a pas fait que tendre l’autre joue, loin de là, il a d’abord semé le trouble.

« Ils arrivèrent à Jérusalem, et Jésus entra dans le temple. Il se mit à chasser
ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple ; il renversa les tables des
changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons ; et il ne laissait personne
transporter aucun objet à travers le temple. Et il enseignait et disait : “N’est-il
pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les
nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs !”.
 »
La Sainte Bible, Marc, 15:17

« Il trouva dans le temple les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons, et les
changeurs assis. Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du
temple, ainsi que les brebis et les boeufs ; il dispersa la monnaie des changeurs,
et renversa les tables ; et il dit aux vendeurs de pigeons : “Ôtez cela d’ici, ne
faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic !”
 »
La Sainte Bible, Jean, 14:16

Un disciple de Bosch, Jésus chassant les marchands du temple. Longtemps attribué à Brueghel, ce tableau représente Jésus se livrant au vandalisme et à la fustigation. Il faut ici entendre le mot fustigation au sens propre puisque Jésus brandit une sorte de fouet-martinet pour battre les marchands.

Notre combat pour la terre et les formes de vie qui la peuplent, est juste. Notre âme est notre temple. La Terre est notre temple. Pour notre salut et celui de nos prochains, le temps est venu d’en chasser pour toujours et à jamais les marchands. Les chasser de la terre et de notre âme. Pour comprendre ces paroles dans toute leur profondeur, peut-être faudrait-il prendre le temps de relire attentivement le premier sermon du mystique Maître Eckhart : « la vérité n’a pas besoin de marchands ».

Que l’esprit de Sainte Soline soulève la terre

Dans cet affrontement contre les marchands qui assèchent et ravagent le monde, nous avons à nos côtés l’esprit de Sainte Soline. Et cela nous le percevons par des signes. Il y a en nous et avec nous des forces qui nous excèdent et nous agissent. Elles commencent tout juste à se manifester. Elles appuient notre résistance, prolongent et amplifient nos gestes.

Vitrail de l’Église de Sainte Soulle, Sainte Soline accoudée sur le manche d’une hache de guerre et tenant dans l’autre main une tige verte.

Jeudi 2 mars 2023, vers midi, les sapeurs-pompiers sont intervenus rue de Verdun après l’apparition soudaine de fissures sur le bâtiment qui abrite les bureaux de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres et de Charente-Maritime et de la Cuma des Deux-Sèvres. Il s’agit (divin hasard !) de deux acteurs majeurs du projet de mégabassines dans le département. Une dizaine de salariés travaillaient à l’intérieur au moment des faits. « On a entendu un gros clac et le carrelage s’est soulevé au niveau de l’accueil. On a immédiatement évacué le bâtiment ». Les pompiers ont constaté le surgissement de trous et des fissures. Il n’y a eu aucun blessé. Le bâtiment a été évacué. Le maire a pris un arrêté de péril et prononcé sa fermeture administrative. Il est inaccessible jusqu’à nouvel ordre. Les gendarmes de Parthenay, présents sur site, se sont retrouvés, une fois de plus, impuissants face à ce nouveau soulèvement de la terre, au sens littéral.

Depuis une quinzaine de jours maintenant, le petit monde des irrigants de la commune de Sainte Soline bruisse d’une rumeur angoissée. Au café, dans les couloirs de la Cuma, sous les silos d’Ocealia et dans les réunions de la Coop de l’eau, l’inquiétude et l’anxiété suintent de toutes parts. Les fuites partout se propagent. Les travaux sont interrompus. La cause première est l’action résolue des opposants. Le cratère est désormais creusé. Il est cerné de digues en terres, de barrières et de grillages consolidés. Le calendrier initial est mis à mal par la détermination des opposants.

En effet, il serait absolument imprudent de bâcher la méga-bassine maintenant. Le risque est trop important qu’elle soit rapidement détruite, pendant, avant ou après la manif du 25 mars. La phase entre le bâchage et le remplissage constituera le moment de vulnérabilité maximale de l’édifice. Un coup de cutter où une petite flamme suffiraient alors à neutraliser le chantier et leur faire perdre des sommes astronomiques.

Mais en plus de notre résistance farouche, une autre menace plane au-dessus du chantier. Une menace bien plus mystérieuse et profonde. “Une contrainte technique” qui inquiète au plus haut point la Coop de l’eau. Un lac s’est formé dans la mégabassine. Mais ne croyez pas – comme cet imbécile heureux de Marc Fesnau ! – que cette apparition serait un effet fond de cuve lié au retour de la pluie. C’est encore une fois aux forces telluriques que l’on doit cet étrange phénomène. Il s’agirait bien plutôt d’une remontée de nappe. Normalement les concepteurs ont anticipé un tel phénomène en prévoyant de laisser au fond de la bassine un seuil minimal en guise de lestage, pour empêcher que la nappe phréatique ne perce la bâche et ne ruine l’édifice. Mais si les concepteurs ont sous-estimé la puissance et le débit de cette poussée, alors la bassine de Saint Soline est un édifice mort-né !

De plus, l’absence d’études hydro-géologiques préalables sur la nature des sols sous la méga-bassine laisse planer un autre risque tellurique, et non des moindres. Les concepteurs se sont affranchis des obligations préconisées par la loi sur l’eau. Ils se sont dispensés de faire réaliser un diagnostic par des géologues professionnels. Ils n’ont fait ni tests hydrauliques de forage, ni sondages carottés, ni descriptions lithologiques des affleurements ou autres études structurales. Pour le dire simplement, ils ignorent tout de la nature et de la texture du sous-sol de la bassine et construisent à l’aveugle. Or sous le calme apparent des plaines de Sainte Soline, le sous-sol est jalonné de gouffres et traversé de failles. Ainsi, au risque de poussée de nappe, vient donc s’ajouter celui d’un possible effondrement de l’édifice sur lui-même.

Les maîtres d’œuvre des méga-bassines ont déjà fait preuve de cette négligence coupable par le passé. C’était à Vivonne, au début des années 2000. Le fond de la bassine n’était en réalité que le mince plafond d’une rivière souterraine. La bassine une fois remplie s’était littéralement effondrée sur elle-même. La puissance des eaux et de la terre avaient balayé l’édifice, répandant des lambeaux de bâches à des kilomètres à la ronde. La chambre d’agriculture commanditaire des travaux avait fait faillite, licencié une dizaine de salariés, pour être finalement placée sous tutelle. Aujourd’hui, le sol se soulève et se dérobe sous la chambre d’agriculture du 79. Les irrigants cauchemardent du fiasco de Vivonne. Le 25 mars prochain, nous porterons un nouveau coup de butoir contre ce projet absurde. Ô Sainte Soline, puisses-tu accompagner notre effort, soulever la terre pour leur porter le coup de grâce !


Prière pour Sainte Soline

Ô Sainte Soline,
Toi qui a fugué pour échapper aux contraintes patriarcales,
Toi qui a défié l’Empire Romain et résisté au gouverneur,
Aide-nous à affronter la sécheresse et les calamités de notre temps.


Ô Sainte Soline,
Déterre ta hache de la guerre pour que verdissent les blés,
Soulève terre et eau pour bassine effondrer,
Aide-nous à déferler pour enterrer projet.

Ô Sainte Soline,
Nous t’implorons, guettons tes moindres signes,
Puisses-tu faire de nous foule fluide comme l’eau pour déborder leurs lignes,
Qu’ainsi à tout jamais, il n’y ait plus de bassines.

Amen

Société des frères et sœurs de Soline,
Ordre mystique et ésotérique pour un soulèvement de la Terre


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23.03.2023 à 09:19

Agro-industrie, accaparement, béton, barrons leur la route !

Les Soulèvements de la Terre

Les Soulèvements de la Terre est un mouvement né en 2021, fédérant dans toute la France des actions d'opposition face à l'accaparement des terres par l'(agro)industrie. Nous publions le programme de la saison à venir, qui débute les 25 et 26 mars avec un weekend d'actions dédié la défense de l'eau.

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Texte intégral (6641 mots)
Temps de lecture : 15 minutes

Depuis janvier 2021, la dynamique des Soulèvements de la Terre ne cesse de grandir. Au fil des épisodes, nous sommes parvenu.e.s à construire un calendrier national d’actions de blocages, de désarmements et d’occupations de terres pour établir sur le terrain un véritable rapport de force à la croisée d’enjeux écologiques, sociaux et paysans.

Chemin faisant, les Soulèvements de la Terre sont parvenus à rassembler une large diversité de composantes qui, lorsqu’elle fait corps sur le même front, est en mesure de produire des basculements. C’est ce qui s’est produit lors de la manifestation contre les méga-bassines à Sainte-Soline le 31 octobre dernier.

Que fleurissent mille Sainte-Soline !

En ces temps de sécheresse historique et de calamités publiques, nous invoquons Sainte-Soline. Ne pas se murer dans la peur et la sidération. Se retrouver par milliers pour prendre d’assaut une infrastructure emblématique de la privatisation de notre bien commun le plus précieux. Ne pas se contenter de tribunes, de pétitions, de manifs-promenades, mais porter ensemble des gestes impactants qui matérialisent notre détermination à ne pas les laisser ravager le monde.
 
Dans ce petit village du Mellois, des habitant.e.s et des paysan.ne.s, des élu.e.s et des activistes, des personnes de tout âge et de tous horizons, dans une dynamique de désobéissance de masse, bravent les interdictions préfectorales, déjouent un dispositif policier ahurissant, arrachent les grilles et pénètrent le chantier. Elles démontrent ainsi que nous sommes capables de défaire ce qui nous détruit, que nous pouvons retrouver une prise sur la catastrophe, que nous ne les laisserons plus faire. Aujourd’hui, le projet de méga-bassines vacille face à l’explosion des coûts de sécurisation et l’hostilité publique croissante dont il fait l’objet. La victoire est à portée de main. Le 25 mars prochain sera déterminant. 
 
Ainsi, une lutte «locale» contre un projet précis dans les Deux-Sèvres peut peser de tout son poids dans le rapport de force global. Les journées de Sainte-Soline portent une affirmation : pas question de subir les choix gouvernementaux face à la sécheresse ! À nous de rendre incontournables des décisions salutaires sur les usages prioritaires d’une eau qui se raréfie, à nous de restreindre la voracité industrielle qui assèche la terre, à nous d’y opposer de toutes nos forces la défense des communs, de nos besoins et de ceux de l’agriculture paysanne. 

Rebonds

Des basculements comme celui de Sainte-Soline, il est urgent d’en opérer sur bien d’autres fronts pour la défense de la terre : empoisonnement généralisé par les pesticides, fermes-usines et agriculture numérique, ensevelissement sous le béton des forêts, des zones humides et des parcelles agricoles, dévastation de la biodiversité… Ces gestes sont partout à notre portée pour peu que nous parvenions ensemble à nous départir de l’impuissance et de l’éco-anxieté, à bâtir de larges alliances et à établir des stratégies de résistance efficaces. C’est là le pari des Soulèvements de la Terre. Et c’est précisément la crainte de ceux qui planifient le désastre et en tirent profit.
 
Alors, comme à chaque fois qu’ils ont peur, c’est tout l’appareil répressif qui se met en branle. Vient le temps des procès, des mouchards technologiques et de l’espionnage intime, des rapports de la DGSI, des accusations vociférantes d’éco-terrorisme et des menaces de dissolution. Mais nous ne sommes pas une «organisation terroriste». De même que nous ne sommes pas un «groupuscule d’ultragauche». Nous sommes bien plus un mouvement de résistance composite et désormais largement soutenu. 
 
En témoignent les vastes coalitions qui organisent localement chacune des actions, mais aussi la tribune de soutien de janvier dernier signée en 48h par plus de 3000 personnalités, dont une myriade de syndicalistes, d’élu.e.s, de scientifiques ou d’universitaires1. Même la récente note de la DGSI le concède, nous décrivant comme un mouvement « transcendant les appartenances d’origine et les divergences de stratégie », capable « de fédérer le plus grand nombre possible de militants et groupes issus d’horizons idéologiques différents. »
 
Dans les Soulèvements de la Terre, les liens se forgent au gré des luttes, des rencontres, des voyages et des aventures. Au fil des saisons d’actions se tissent de solides alliances entre territoires et collectifs. Et cela rien ni personnes ne pourra le dissoudre. Notre identité politique est sans cesse renouvelée par l’enchevêtrement de nos sensibilités et de nos pratiques concrètes. Elle échappe à toute étiquette. Fort.e.s de ces ancrages, nous ne nous laissons pas impressionner par les invectives et les menaces d’où qu’elles viennent et lançons la cinquième saison d’action!

Vers la Saison 5  

Après deux ans d’existence, ce n’est que le début des Soulèvements de la Terre. Nous commençons tout juste à établir les premiers contacts internationaux ; à penser la création de comités locaux à travers la France ; à éprouver des articulations fécondes avec des dynamiques complices comme « l’inter-cantine » ou les « Naturalistes des terres » ; à solidifier les synergies avec la Confédération Paysanne et l’Atelier Paysan, à s’interroger sur les manières de se rapporter à des mouvements sociaux comme celui qui secoue progressivement ce mois de mars. Face aux procès et à la répression, des espaces pour développer le soutien légal – mais aussi le soin physique ou psy – se renforcent. En parallèle, des dynamiques « Riots Fight Sexism » se développent pour penser la question des possibles agressions sexistes lors des mobilisations et fêtes qui les accompagnent. Lorsque nous nous retrouvons tous les six mois pour structurer le calendrier de la saison à venir, nous sommes chaque fois plus nombreux.ses et sans cesse rejoints par de nouveaux collectifs.

La saison 5 des Soulèvements de la Terre prolonge cet élan. Elle sera rythmée par une mobilisation par mois, aux quatre coins de la France ! Elle sera marquée à la fois par des actions publiques de masse, des surgissements inopinés, des moments de réflexions stratégiques et de formation. Notre angle d’attaque thématique reste le même : la défense de la terre et de l’eau comme bien commun face à l’accaparement par le complexe agro-industriel et face au bétonage par la méga-machine métropolitaine. Notre orientation stratégique également : d’une part cibler et désarmer des infrastructures emblématiques, des projets d’aménagement structurants et des multinationales destructrices ; d’autre part jeter les bases de ce qui pourrait être un mouvement de reprise de terres.

Trouver des leviers contre l’accaparement des terres par le complexe agro-industriel

Les rapports s’accumulent pour pointer la disparition de la paysannerie, la concentration des terres et la crise des vocations agricoles. Le développement technologique du complexe agro-industriel (pesticides et fongicides, robotisation, numérique et modifications génétiques) rend possible un agrandissement sans limite des exploitations et une concentration inédite des terres agricoles. Comme le souligne le dernier rapport en date – publié par Terre de liens et les Amis de la terre – en dix ans, 100 000 fermes ont disparu en France ! Avec les départs à la retraite massifs qui s’annoncent, c’est 5 millions d’hectares de terres agricoles qui sont menacés d’être absorbés par l’agro-industrie. Ce constat est bien documenté, mais nécessite de définir et renforcer des leviers d’actions collectifs pour enrayer le processus et favoriser l’installation d’une nouvelle génération de paysan.ne.s. C’est l’objet des réflexions stratégiques de long terme qui se poursuivront cette saison avec différentes organisations paysannes. Elles s’accompagneront d’actions à l’encontre des nouvelles formes de remplacement des paysan.ne.s par l’agriculture numérique et ses chimères.

En finir avec les méga-bassines  

Alors que nous traversons une sécheresse hivernale sans précédent, nous continuerons cette saison de nous opposer vigoureusement aux fausses solutions de la FNSEA et du gouvernement en nous mobilisant contre les méga-bassines dans les Deux-Sèvres et partout en France. Avec en ligne de mire l’obtention d’un moratoire sur tous les projets existants !

Leur barrer la route 

Le développement effréné des infrastructures de transport est une des causes majeures du ravage : réchauffement climatique, destruction du vivant, artificialisation massive de terres agricoles, de zones humides et de forêts. Aller plus vite, toujours plus vite. Densifier sans cesse les flux qui font tourner la méga-machine. Étendre partout les tentacules de la métropole. Il y a aujourd’hui bien assez d’autoroutes, d’aéroports et de lignes grande vitesse ! 
 
Outre-Manche, les années 1990 furent marquées par les road protest, un mouvement écolo audacieux et créatif, mêlant occupations, blocages et sabotages, cabanes dans les arbres et teufs sur les autoroutes. Il était parvenu à arracher l’abandon de 80% du programme routier britannique de l’époque. C’est une inspiration pour relier aujourd’hui les multiples luttes locales contre différents projets absurdes : contournement routier de Rouen, autoroute Castres-Toulouse, ligne grande vitesse Lyon-Turin. En axant notamment cette saison sur les infrastructures de transport, nous voulons renforcer les dynamiques de lutte autour de cette question cruciale, et tisser de nouvelles alliances avec la coalition «La déroute des routes», en France  comme avec le mouvement NoTAV dans le Val de Suse en Italie. 

Des Rencontres d’été des Soulèvements de la Terre

Au cœur de l’été, nous organiserons des rencontres publiques à des dates et sur un lieu qui seront bientôt annoncés. Se retrouver. Apprendre à se connaître en dehors des moments d’actions. Se former à l’enquête, à la communication et à l’organisation d’actions. Partager des réflexions et des analyses. Affiner nos affirmations politiques et prendre le temps de les déployer dans un espace public. Élargir notre mouvement.   

Des comités locaux des Soulèvements de la Terre : 

Cette année, des groupes d’organisation se sont formés localement pour se ressaisir collectivement de la dynamique des Soulèvements de la Terre. Ces groupes locaux répondent à un double objectif.

D’un côté, ils participent à la montée en puissance du mouvement en mobilisant localement pour les actes du calendrier national. Ils organisent des réunions publiques, collent des affiches, louent des bus, viennent à nombreux ou encore aident aux différentes commissions qui rendent possibles les actes (cantines, logistique, communication, etc.).
 
De l’autre, ils permettent d’ancrer les Soulèvements de la Terre. Ils sont en lien avec les luttes locales autour de chez eux, ils font vivre la composition propre aux Soulèvements, ou encore, ils organisent des veilles écologiques.
 
Cette dynamique est toute jeune, mais on compte déjà une douzaine de comités locaux explicites ou non,répartis un peu partout en France (Cévennes, Bretagne, Pyrénées Orientales, Manche…). Tout un maillage territorial peut ainsi se tisser, de proche en proche, permettant à la fois de construire des alliances, de soutenir les luttes, et de se donner de la force d’organisation pour les actes du calendrier national. Si vous aussi participez à une telle dynamique, peu importe le nom qu’elle prend, n’hésitez pas à le faire savoir aux Soulèvements pour être mis·es en contact avec le mouvement des comités.

De nouvelles dynamiques complices 

Naturalistes des Terres !  

Naturalistes – scientifiques, juristes, débutant.e.s ou confirmé.e.s – nous avons décidé de relancer un réseau de naturalistes en lutte sur tout le territoire : Les Naturalistes des Terres ! Chaque année, nous sommes aux premières loges de la diminution des espèces autrefois communes. Nous n’en pouvons plus. En deux mois, nous sommes déjà plus de 400 inscrit.e.s sur notre annuaire cartographique et prêt.e.s à nous rendre disponibles pour venir soutenir les luttes locales qui ont besoin de ces formes de savoirs, et heureux-ses de pouvoir s’enrichir de la culture des luttes2

Des Naturalistes des terres seront aux côtés des Soulèvements de la Terre la prochaine saison du printemps 2023 : actions, occupations, prises de paroles, tables de presse… Il faudra compter sur nous pour les prochaines mobilisations pour le vivant ! 

« L’appel des naturalistes des terres » est en ligne dans la revue Terrestres.

Une coalition de cantines des Terres 

Septembre 2021 marque non seulement un temps fort de la lutte contre les méga-bassines dans les Deux-Sèvres, mais aussi la première rencontre de plusieurs cantines du Grand Ouest. En mutualisant nos forces et notre matériel, nous avons assuré un grand banquet paysan. La réussite de cette première coopération inter-cantines nous a amené à nous retrouver de nouveau à chaque temps fort de la lutte contre les méga-bassines. Lors du printemps maraîchin, en mars 2022, nous avons nourri un camp de 5 000 opposant.e.s. 

Cette coopération inter-cantines s’inscrit dorénavant dans la durée et probablement au-delà des mobilisations bassines. Notre approvisionnement provient des invendus de la grande distribution, des récoltes de nos jardins et des achats ou dons des paysan.ne.s camarades. En les communisant, nous organisons le ravitaillement des mobilisations. Mais nous ne voulons pas être de simples prestataires de services ou cantinier.ère.s lors des actions. Nous  prenons part aux combats en cours depuis cette identité collective de cantines et réseaux de ravitaillements, mais aussi depuis nos sensibilités et positionnement politiques propres. Nous ne sommes pas des cantines de luttes mais bien des cantines EN luttes !

LE CALENDRIER D’ACTIONS DE LA SAISON 5

25-26 MARS – PAS UNE BASSINE DE PLUS – le retour à SAINTE-SOLINE ET/OU MAUZE-SUR-LE-MIGNON

La date semble déjà être dans toutes les têtes et une loutre parcourt les murs du pays et les blocages du mouvement des retraites en un geste de défi. Ce sera la 5ème manif-action organisée en 1 an et demi – avec Bassines Non Merci, la Confédération Paysanne et désormais des dizaines d’autres organisations  – pour mettre fin aux méga-bassines dans les Deux-Sèvres et ailleurs. Des délégations internationales seront cette fois à nos côtés. Vous aussi sans nul doute ! Et si ce mois de mars était celui qui voyait ce gouvernement reculer sur le front social et sur celui de l’accaparement de l’eau ? Nous resterons évidemment mobilisés au cours de cette saison et proposerons d’autres rendez-vous si cela ne suffisait pas. GO !

22-23 AVRIL – CASTRES TOULOUSE – SORTIE DE ROUTE POUR l’A69

Au pied de la Montagne Noire, réservoir d’eau du sud du Tarn, une coulée de goudron menace de se déverser à travers la vallée du Girou. Le projet d’autoroute A69 Castres-Toulouse condamnerait 400 hectares de terres agricoles, de zones humides, de forêts et autres formes de vie. Un désastre environnemental pour un gain de temps dérisoire. Vieux de 40 ans, ce projet archaïque bordant une route nationale est un caprice du géant pharmaceutique Pierre Fabre, porté par des multinationales du BTP comme NGE et Vinci. Il est aujourd’hui soutenu par l’État, la présidente de région Carole Delga et le département du Tarn. 

À la veille du début de chantier de ce projet écocidaire, la lutte s’intensifie. Avec l’arrivée du printemps, le réveil des chiroptères laisse planer un air de résistance à quelques battements d’ailes de Sivens, qui a marqué au fer rouge l’histoire du Tarn. De nouveaux collectifs sortent du bois et la population se soulève pour mettre en échec le projet. Des élus locaux, plusieurs experts du GIEC et de nombreuses organisations indépendantes telles que la CNPN se sont prononcés en défaveur du projet. Plus de 130 agriculteurs locaux ont également rejoint le mouvement. 

Malgré les nombreuses formes d’actions, de recours juridiques ou de rassemblements festifs déjà mis en oeuvre, les travaux pourraient commencer à la mi-mars.

Mais tant que nous serons là, l’A69 ne passera pas ! Soyons des milliers à nous retrouver le 22 et 23 avril prochain, lors de la manifestation SORTIE DE ROUTE, pour un grand pot de départ du concessionnaire ! Divers événements seront organisés pendant le week-end (manifs, discussions, concerts et spectacles, repas, le tout en présence de nombreux.ses invité.e.s)

06-07-08 MAI – ROUEN – DES BÂTONS DANS LES ROUTES : L’APPEL de la FORET FACE AU BITUME

« Promenons nous dans les bois, tant que l’autoroute n’y est pas, si la route y était, tout serait bétonné ! » Il était une fois, un projet routier vieux de 50 ans que l’État refusait d’abandonner malgré les évidences. Pour vendre son projet, pour imposer ses 516 hectares de saccage d’habitats d’espèces protégées et de terres agricoles, ses 8 viaducs, ses 9 échangeurs, l’État était prêt à tout, même à mentir en faisant croire à la population que cette autoroute aurait un quelconque effet positif pour faciliter leurs déplacements. Heureusement, nous n’étions pas dupes. 

Depuis des décennies la lutte s’organise contre le serpent de béton de l’A133-A134 : le « Grand Contournement Est de Rouen ». Il y a quelques années, une petite violette protégée a déjà triomphé de son appétit d’ogre. Mais la bête féroce revient à l’attaque. 

Dans la forêt lointaine, on entend les tritons crêtés, scarabées grands capricornes, pics mars et muscardins. Du haut de leurs grands arbres, ils répondent à la menace du béton sur la forêt et vous invitent, en mai, à passer à l’offensive pour défendre le vivant. Le concessionnaire va être désigné en septembre. Dans son monde merveilleux, il imagine déjà s’en mettre plein les poches en abattant les arbres, en asséchant les mares, en détruisant les nids et les terriers. 

La forêt euroise nous appelle. Aux côtés de ses habitant-es, nous vous invitons à venir écrire une autre histoire, une histoire de partage, de jeux dans les arbres, de bourdonnements collectifs. Pour que vive la forêt, et pour leur barrer l’autoroute !

10-11 JUIN – SAINT-COLOMBAN – LE CONVOI DU SABLE

Au sud de la Loire, le bocage de Saint-Colomban est en proie à un double péril : l’extractivisme au profit de la métropole et l’accaparement des terres par l’industrie du maraichage, au mépris des habitant.e.s et des paysan.ne.s qui font vivre ce territoire.

Deux carrières de sable (Lafarge et GSM) alimentent les chantiers de construction de la région. Les carriers ont déjà extrait plus de 12 millions de tonnes, anéantissant le bocage et affectant profondément les nappes phréatiques. Ils projettent de s’étendre dès 2023 sur 70 ha supplémentaires. À terme, c’est  plusieurs centaines d’hectares qui sont concernées. Le sable de Saint-Colomban est principalement destiné à l’industrie du BTP. Loin de constituer un problème strictement local, les carrières sont une cible de choix pour rassembler toutes celles et ceux qui luttent contre l’artificialisation des terres, en Loire-Atlantique et ailleurs. 

Mais ce sable n’est pas destiné qu’à la construction. Environ un tiers des volumes extraits sont engloutis par une forme industrielle et intensive de « maraîchage ». Au fil des ans, c’est une véritable mer de plastique qui a déferlé. Aux antipodes du maraîchage paysan, respectueux de l’environnement et destiné aux habitants du territoire, nous avons affaire à un consortium capitaliste qui détruit et empoisonne les terres agricoles pour exporter mondialement de la mâche et du muguet. C’est l’incarnation de l’agro-industrie que l’on refuse : usage intensif de pesticides, pompage de l’eau dans les nappes et stockage en bassines, exploitation de la main d’oeuvre immigrée. 

Dans la lignée des  saisons précédentes, nous appelons le 10 juin prochain, avec le collectif local « La tête dans le sable » à un convoi en tracteurs et vélos depuis Saint-Colomban jusqu’au centre de Nantes pour une déambulation festive et instructive qui retracera le trajet d’un grain de sable et d’une cagette de mâche. En vélo, en tracteur, en voiture ou en bateau, toustes à Saint-Colomban  pour deux jours de résistance contre la bétonisation du monde et l’accaparement des terres !

17 JUIN – MAURIENNE – MANIFESTATION MONTAGNARDE POUR L’ARRÊT DU CHANTIER DU LYON-TURIN

Pour que ce projet ne voit jamais la lumière au bout du Tunnel ! Depuis plus de 30 ans, un projet de chantier ferroviaire titanesque, impliquant le forage de 260 km de galeries à travers les Massifs Alpins, anime l’imaginaire mégalo et détraqué du consortium TELT, «Tunnel Euralpin Lyon Turin» allié de décisionnaires politiques « visionnaires » et de groupes tels que Vinci, Bouygues ou Eiffage. Bien que le transport de marchandises stagne depuis 1994, que la ligne existante ne soit utilisée qu’à 20% de sa capacité de fret, TELT envisage de creuser 11 tunnels, dont le plus grand d’Europe, le « Tunnel de Base » de 57 km. Et tout cela pour faire gagner aux voyageur.se.s et aux marchandises seulement 1h25 entre Paris et Milan. Une façon simple de s’assurer des décennies de chantiers juteux, propulsés par plus de 30 milliards d’argent public.

Un programme de destruction massif (Alpin). Aujourd’hui, dans la vallée de la Maurienne et en Val de Suse, les travaux préparatoires du tunnel de base ont débuté. Déjà, des dizaines de sources drainées par les machines ont tari ou perdu du débit, des nappes phréatiques ont été percées, 1500 hectares de terres agricoles seront artificialisés. Tout ça pour mettre en place les zones de chantiers, entreposer les millions de mètres cubes de gravats arrachés à la montagne, ouvrir les centrales à béton et les carrières nécessaires à l’extraction des matériaux et à la construction des tunnels. 

Contre le Lyon-Turin, une mobilisation franco-italienne. Depuis une dizaine d’années, en France, collectifs et associations se mobilisent pour montrer le non-sens absolu de ce projet. Mais cette lutte dépasse les frontières ! En Italie, le mouvement populaire NoTAV se bat depuis 30 ans pour préserver sa vallée, ses montagnes et la vie qui y foisonne et ce malgré une violente répression et une drastique militarisation des territoires. Mobilisations à 70 000 personnes, blocages de chantiers, construction de lieux de vie communs sur ou à proximité des chantiers, le mouvement italien a réussi à ralentir la course effrénée de ce projet archaïque ! Avant le début du forage du tunnel de base, mettons un coup d’arrêt à ce projet, avant que travaux et dégâts engendrés ne soient irrémédiables !

Retrouvons-nous en masse le  week-end du 17/18 juin dans la vallée de la Maurienne, pour une manifestation internationale déterminée !

27 – 30 JUILLET – LARZAC

Nous seront présent.e.s et interviendront avec les Soulèvements de la Terre lors du grand rassemblement organisé par nos camarades de Terres de Luttes sur les terres historiques du plateau Larzac.

EN COURS DE SAISON – AGRÉGER CONTRE L’AGRICULTURE NUMÉRIQUE

Le cauchemar budgétisé à plusieurs milliards d’euros par nos gouvernants pour nous faire rentrer dans la 3e révolution agricole devient réalité, bienvenue dans l’agriculture numérique : une agriculture sans paysan.nes où le vivant se plierait à la technologie. Drones pollinisateurs, tracteurs « intelligents », recours à l’Intelligence Artificielle (IA) pour soigner plantes ou animaux et éviter aux agriculteurs et agricultrices de « mal faire », nouveaux OGM pour finir de breveter le vivant aux mains de quelques multinationales. Tout ça pensé par des ingénieurs aveuglés par leur foi en l’innovation technologique et soutenu par des investissements massifs de l’État au nom de la croissance et du progrès.

Repeinte en vert, l’agriculture numérique déroule sa sémantique : agroécologie, agriculture décarbonée, respecter et faire revivre les sols, réduire, cibler ou supprimer les intrants grâce aux robots, etc. Nous n’y voyons que la diminution du nombre de paysan.ne.s et de leurs savoir-faire terrestres au profit d’autres déjà trop gros qui doivent s’endetter encore plus pour acheter ce matériel et mettre à jour l’IA embarquée dans leurs pulvérisateurs. Mais quiconque s’est déjà penché sur les coûts environnementaux de la mise en œuvre de ces technologies à grande échelle se rend compte de l’absurdité d’un tel programme. Cette pseudo révolution s’inscrit bien dans la continuité des logiques productivistes, destructrices des sols et de la biodiversité. Refusons cette agriculture de perdition toujours plus aliénante. Notre alimentation sera produite par la paysannerie sur des sols vivants. Nous voulons des fermes, pas des firmes.

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  1. lessoulevementsdelaterre.org, «Tribune – « “Éco-terrorisme” : Les luttes écologiques dans le viseur du ministère de l’interieur»
  2. Pour nous contacter : naturalistedtr@riseup.net

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22.03.2023 à 15:01

Les rassemblements populaires n’ont pas cessé…

Le Tocsin des travailleurs

Sommes-nous à la veille d'une insurrection ? Pour l'heure, une seule certitude se dégage : le pouvoir cherche à briser les grèves et les blocages par la violence et la terreur. L'histoire est riche de soulèvements réussis contre un régime légal mais détesté, parmi lesquels la révolution de 1848. Le 7 juin de cette année-là, paraît un texte qui nous parle comme parleraient ces révolutionnaires s'ils étaient encore parmi nous.

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Texte intégral (2277 mots)
Temps de lecture : 6 minutes

Un mouvement populaire massif et pacifique, des organisations de travailleurs unis contre une réforme injuste et autoritaire, un pouvoir sourd et de plus en plus surplombant, l’histoire de la France n’a cessé d’être tissé d’engagements et de combats dans la rue, entre révolution et manifestations de masse.

Face aux discours autoritaires et à des élites hors-sols, il faut se rappeler et se réapproprier l’histoire sociale oubliée, à l’image des riches heures qui suivent la révolution de février 1848, qui instaura la République démocratique et sociale, mis la question de l’égalité au cœur des débats après des décennies de politiques conservatrices, libérales, incarnées par le juste milieu de Guizot, ancêtre lointain du centrisme autoritaire du gouvernement Macron.

Ce court texte paru le 7 juin 1848 dans le Tocsin des travailleurs illustre une des nombreuses professions de foi démocratiques parues à l’époque. Il rappelle la défense des libertés publiques conquises alors que le pouvoir dénonce l’illégitimité de la foule et s’apprête à faire voter une nouvelle loi, le 7 juin 1848, qui organise la répression des attroupements d’individus « susceptibles de troubler la paix publique ».

Le journal le Tocsin a été fondé quelque jours plus tôt, le 1er juin 1848 par des ouvriers-poètes et féministes. Comme de nombreux autres journaux rouges, plus ou moins éphémères qui se sont multipliés au cours du printemps 1848, il manifeste et accompagne l’immense prise de parole populaire qui traverse alors la France.

Il s’agit d’un quotidien qui publia 24 numéros au total, vendu un sou (5 centimes), pour une page recto-verso, et tirant à 20 000 exemplaires, avant de disparaître le 24 juin, interdit et fermé autoritairement après la répression des journées de Juin qui se terminent par l’un des pires massacres de l’histoire de la France (4 000 morts parmi les insurgés, 1 600 du côté des forces de l’ordre).

Alors que la répression du mouvement ouvrier et de la République sociale s’engage et s’accentue au début du mois de juin 1848, le journal entend préserver les acquis de la révolution et se fait le défenseur acharné des libertés publiques. Les rédacteurs s’engagent notamment dans la lutte contre la loi sur les attroupements, moquant le maire de Paris, Armand Marrast, qui ne peut « tolérer un rassemblement inoffensif après avoir été l’avocat de l’émeute et le complice de toutes les insurrections » (6 juin). C’est pourquoi le journal lance « Peureux, il n’y aura pas d’émeute ! » (7 juin). Les rassemblements dénoncés comme séditieux, réprimés comme illégitimes par le pouvoir sont au contraire « le forum du peuple » (7 juin), des « clubs en plein vent » (8 juin), de « légitimes conférences » (11 juin) où s’énoncent les droits légitimes des travailleurs.


Barricade dans la rue de Soufflot, à Paris, le 25 juin 1848 – Horace Vernet. Source : German Historical Museum (Deutsches Historisches Museum), Berlin.

Alors qu’un pouvoir autoritaire tente à nouveau de disqualifier le mouvement social en mobilisant le spectre de l’anarchie et de la violence, ces travailleurs de 1848 nous rappellent combien la démocratie est affaire de place et de rue, d’engagements réels, de mobilisations collectives.

L’idéologie développée par Le Tocsin de travailleurs, repérable à son titre même, mêle la tradition républicaine de mise sous surveillance du pouvoir par le peuple et l’identification des travailleurs au peuple souverain. Pour ces ouvriers, l’exercice de la souveraineté est indissociable de la revendication de leurs droits. Ils dénoncent la bourgeoisie, affirment la nécessité de surveiller les pouvoirs institués en créant un peuple ouvrier actif. Il s’agit de sonner le tocsin face aux menaces de trahison des représentants élus et de la bourgeoisie qui sait si bien se maintenir au pouvoir en maniant la parole et la matraque.


« Peureux il n’y aura pas d’émeutes », 5 juin 1848, Le Tocsin des travailleurs

Nonobstant la fameuse proclamation du maire de Paris, peut-être même à cause de cette proclamation, les rassemblements populaires n’ont pas cessé.

La garde nationale est sur pied ; hier soir elle était accompagnée d’un régiment de ligne, et le commis­saire de police a fait les trois sommations, au roule­ment du tambour. La foule s’est dispersée en criant : « A bas les mouchards, vive la ligne ».

Pourquoi faut-il que la couardise de nos gouvernants fatigue la ligne et la garde nationale en patrouilles qui ne servent qu’à attirer la masse des curieux sur le point où la réunion est déjà compacte ?

En vérité, il vous fâche que le peuple prenne la liberté de respirer et de causer : les boulevards et les places publiques, voilà le forum du peuple.

Le Tocsin des travailleurs

En vérité, il vous fâche que le peuple prenne la liberté de respirer par nos chaudes soirées d’été, et de causer, en respirant au grand air, de tout ce qui intéresse son pain de chaque jour ? A-t-il donc une enceinte assez vaste pour contenir ses flots innombrables et agités ? Nos salles de club sont les parloirs de la bourgeoisie ; les boulevards et les places publiques, voilà le forum du peuple, en attendant qu’il en ait d’autres.

Et vous avez la bonhomie de vous en alarmer ? Rassurez-vous, le peuple ne songe pas à l’émeute et il y songe d’autant moins que les réactionnaires ne seraient pas fâchés peut-être de le voir en faire une. Ces messieurs s’en passeront, le peuple n’est pas si bête.

Que fait donc le peuple dans ses attroupements, s’il n’a pas au fond du cœur quelque projet d’évasion ou barricades ? Il cause, nous vous l’avons dit, et, pour vous mieux tranquilliser, nous allons vous dépeindre au vrai son attitude.

C’est l’attitude d’un parterre immense qui s’entretient de la façon dont ses gouvernants remplissent leurs rôles. Sans doute le spectateur n’est pas émerveillé des acteurs, il n’est pas moins curieux de voir comment finira la pièce. Très souvent il siffle, mais il ne veut pas sauter sur le théâtre pour mettre la comédie et les acteurs en déroute. Fi donc ! l’on crierait à la cabale, et cela ne se passerait pas sans tumulte.

Le peuple, comprenez-le bien, n’a plus le goût des émeutes ; il préfère les révolutions, ce qui est plus rare.

Le Tocsin des travailleurs

Sa fantaisie est de laisser tomber l’ouvrage, s’il est décidément mauvais : peut-on faire preuve de plus justice et de patience !

Le peuple, comprenez-le bien, n’a plus le goût des émeutes ; il préfère les révolutions, ce qui est plus rare. Quand on a sa force et son intelligence, on ne s’amuse pas à tirailler derrière les buissons, on frappe un coup de foudre.

Des citoyens, ouvriers et soldats insurgés brûlent le trône du roi Louis-Philippe sur la place de la Bastille, le 25 février 1848 – Nathaniel Currier. Source : Springfield Museums

Références :
– Samuel Hayat, “Les journaux rouges du « printemps 1848 ». Le Journal des travailleurs et Le Tocsin des travailleurs”, in Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert et François Jarrige (ed.), Quand les socialistes inventaient l’avenir (1825-1861), La Découverte, 2015, p.293-306.


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17.03.2023 à 14:41

Marx au soleil levant : le succès d’un communisme décroissant

Kōhei Saitō

Lorsqu’en 1867 Marx publie à Hambourg le livre I du Capital, cinq longues années sont nécessaires pour écouler le tirage de 1 000 exemplaires. Cent-cinquante ans plus tard, un universitaire japonais publie « Le Capital dans l’anthropocène » qui se vend à 500 000 exemplaires… Kōhei Saitō y propose une relecture écologiste du philosophe allemand, alliant décroissance et communisme. Le « redoutable missile » que Marx croyait avoir « lancé à la tête de la bourgeoisie » vient-il d’être à nouveau mis en orbite depuis le Japon ? Éléments de réponse dans cet entretien avec l’auteur.

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Texte intégral (9752 mots)
Temps de lecture : 23 minutes

Entretien avec Kōhei Saitō réalisé le 12 janvier 2023 par Emilie Letouzey et Jean-Michel Hupé de l’Atelier d’Écologie Politique pour Terrestres (introduction et notes comprises).


En 2020, l’universitaire Japonais Kōhei Saitō, spécialiste de Karl Marx, publie Le Capital dans l’anthropocène (Hitoshinsei no ‘Shihonron’), un essai dense et radical sur la catastrophe en cours et à venir, véritable manuel d’écologie politique. Succès inattendu, le livre se vend à un demi-million d’exemplaires. Saitō est invité partout et débat volontiers dans les journaux, à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Dans un langage clair et concis, il expose sa position anticapitaliste et assume un engagement citoyen peu commun pour un chercheur au Japon.

Au centre de son analyse : Marx, dont Saitō a décortiqué les carnets tardifs, dans lesquels il voit une inflexion majeure de la pensée de l’auteur du Capital par rapport à l’environnement. Un Marx écologiste avant l’heure, tel que dépeint par les écosocialistes ? Oui, mais l’analyse de Saitō va plus loin puisqu’il place la décroissance au centre de son propos. Car en plus d’avoir fait ses classes parmi les écosocialistes, Saitō s’inscrit dans le renouveau de la pensée décroissante, parfois appelé « la voie catalane1 ». Au Japon, qui vit dans la nostalgie de la Haute croissance (1955-1973) et a pour programme gouvernemental le « Nouveau capitalisme » (Atarashii shihonshugi), il est peu dire que cela ne va pas de soi.

Que contient donc ce livre à succès, dont une version anglaise remaniée, plus académique, est parue en février 20232 ? Saitō y dresse le constat du désastre social et écologique du capitalisme, expliquant les mécanismes d’externalisation d’une charge devenue monumentale sur les humains et la nature. Démontant le solutionnisme technologique et réfutant le Green New Deal, il esquisse quatre scénarios possibles pour le futur : fascisme climatique, maoïsme climatique, barbarie, et un quatrième scénario d’abord nommé « X » et dévoilé plus avant, au terme d’une partie centrale sur la question des communs. Ce scénario, qui constitue la proposition centrale de l’ouvrage, c’est le communisme décroissant – seul à même, selon Saitō, de parer au pire et d’assurer équité, justice et abondance. « Pour ne pas terminer l’Histoire », il appelle enfin à la mobilisation, même minoritaire.

Le Capital dans l’anthropocène recourt donc à Marx pour lutter contre la catastrophe socio-climatique en cours ; de la même manière, Le Capital depuis zéro, dernier ouvrage de Saitō sorti au Japon en janvier 20233, utilise Le Capital pour parler aux gens de leurs problèmes au travail, de la précarité au Japon ou des raisons qui nous poussent à consommer sans relâche. Une posture qui peut sembler paradoxale puisque la spécificité de Saitō est de s’appuyer sur ce qui n’est justement pas dans Le Capital4, et qui lui vaut d’être en désaccord avec de nombreux marxistes.

Dans son bureau de l’université de Tōkyō avec vue sur le mont Fuji, Kōhei Saitō revient sur le succès du Capital dans l’anthropocène et nous explique comment il dépasse l’apparente contradiction entre décroissance et communisme : en partant des communs, tout simplement.


Terrestres : Dans votre livre Le Capital dans l’Anthropocène vous défendez le communisme décroissant comme solution politique (voire civilisationnelle) à l’effondrement prochain des sociétés et de la vie dans l’Anthropocène. Votre proposition converge avec les tendances récentes du mouvement de la décroissance, mais elle est originale pour au moins trois raisons. La première est que vous êtes un spécialiste de Marx ; la deuxième est que vous poussez clairement la décroissance vers la gauche en remettant la notion de communisme au goût du jour ; la troisième est que vous écrivez depuis le Japon, où vous rencontrez un succès important. Le terme « décroissance » est déjà considéré comme une provocation volontaire, celui de « communisme » ressemble à une provocation supplémentaire. Comment les définissez-vous ?

Kōhei Saitō : En effet, la décroissance et le communisme ont tous deux une très mauvaise image, et ces termes peuvent être compris de différentes façons. Je les combine intentionnellement car j’espère que le négatif multiplié par le négatif sera quelque chose de positif qui ouvrira une nouvelle façon de penser. Mais mon point de départ était relativement simple. La décroissance est incompatible avec le capitalisme car, par définition, le capitalisme est un système de valorisation constante du capital : le capital s’accroît lui-même à l’infini. Dans le monde d’aujourd’hui, cela est représenté par l’augmentation du PIB et la croissance économique comme impératif principal de notre société. Donc si nous prônons la décroissance, nous devons être anticapitalistes : la décroissance sous le capitalisme est impossible, ce sont deux choses qui sont tout simplement incompatibles.

La décroissance est incompatible avec le capitalisme car, par définition, le capitalisme est un système de valorisation constante du capital.

Saitō Kōhei

C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai pensé que mon parcours de spécialiste du marxisme serait en quelque sorte utile. D’une part parce que je pense que le marxisme, ou Marx en tant que philosophe, est l’un des rares penseurs qui analyse de manière très critique et systématique le mode de production capitaliste. D’autre part parce que des gens qui appellent à la décroissance, comme Serge Latouche – qui est célèbre même au Japon, puisque trois ou quatre de ses livres sont traduits en japonais – plaident pour une troisième voie par rapport au capitalisme et au socialisme. Latouche n’a jamais dit clairement que, pour sa proposition de décroissance, il serait nécessaire que le socialisme surmonte le capitalisme. C’est pourquoi j’étais un peu méfiant à propos de la décroissance alors que je connaissais le concept depuis longtemps. De même au Japon, Yoshinori Hiroi 広井良典 ou Keishi Saeki 佐伯啓思 sont connus pour avoir utilisé le concept de décroissance, mais ils n’ont jamais dit que l’alternative serait le socialisme ou le communisme. En raison de l’expérience du passé, ils hésitent à utiliser ces termes ou même à revenir à Marx.

Mon approche est différente. Ma génération aussi est différente. Je suis né en 1987 : quand j’ai grandi, l’Union Soviétique avait déjà disparu et je n’ai pas eu ces mauvaises expériences avec le parti communiste. Mais cela ne veut pas dire que je veux revenir au communisme soviétique ou au socialisme à la chinoise. Quand j’utilise Marx, je travaille à partir de divers carnets non publiés dans le cadre du « projet MEGA5 », où nous découvrons beaucoup de nouvelles idées. L’une de ces idées est que Marx était un penseur très écologique, et j’ai découvert que sa critique écologique du capitalisme pouvait être très utile.

Dans le sillage de Marx, je redéfinis le communisme comme une forme d’association et non un capitalisme d’État bureaucratique.

Saitō Kōhei

Par exemple, Marx n’a pas plaidé pour une planification hiérarchique de la société à la soviétique : il met en avant le concept d’association, qui est beaucoup plus du genre bottom-up. Je me suis basé sur ce type de compréhension très largement partagée parmi les marxistes japonais, qui ont montré que la vision du socialisme de Marx est très différente de celle de l’Union Soviétique6. L’Union Soviétique est souvent caractérisée comme un capitalisme d’État – et je suis d’accord avec cela. Ce que j’essaie donc de faire, c’est de redéfinir le communisme comme une forme d’association et non un capitalisme d’État bureaucratique. Il s’agit plutôt de la façon dont diverses formes d’associations gèrent les communs de manière démocratique.

Ma définition du communisme est donc très simple : le communisme est une société basée sur les communs. Le capitalisme a détruit les communs avec l’accumulation primitive, la marchandisation7 des terres, de l’eau et de tout le reste. C’est un système dominé par la logique de la marchandisation. Ma vision du communisme est la négation de la négation des communs : nous pouvons dé-marchandiser les services de transport public, le logement public, tout ce que vous voulez, mais nous pouvons aussi les gérer d’une manière plus démocratique – pas à la façon de quelques bureaucrates qui régulent et contrôlent tout. Nous pouvons avoir un système de gestion plus bottom-up.

J’accepte généralement ce que les adeptes de la décroissance disent, mais j’essaie de combiner deux courants dans le « communisme décroissant ». Je pense même que, à la fin de sa vie dans les années 1880, Marx avait de la sympathie pour ce genre d’idée que j’appelle communisme décroissant.

Il y a quelque chose qui n’apparaît pas dans les traductions, c’est qu’en japonais vous écrivez komyunizumu (コミュニズム) et non kyōsanshugi (共産主義, qui signifie « communisme »). Vous avez aussi mentionné le terme komonizumu (コモニズム, « commonisme ») : est-ce un terme que vous utilisez également ?


Au Japon en effet, « communisme » écrit avec les caractères chinois 共産主義 est généralement associé à l’Union Soviétique, à la Chine, ou au parti communiste japonais. C’est donc intentionnellement que j’utilise le terme komyunizumu コミュニズム pour différencier ma compréhension du terme conventionnel. Mais comme il y a des gens qui ne saisissent pas la nuance, j’ai dit dans une interview que « la société basée sur les communs est le communisme, donc on pourrait même dire commonisme ». Ce terme est en fait proche de ce que je veux exprimer.


Le communisme est généralement associé à la notion de révolution, qui n’est pas mentionnée dans votre livre. Dès lors, quel est le processus pour aller vers ce communisme décroissant si ce n’est pas la révolution ? Comment voyez-vous cette transition ?


C’est une question très importante. Ma vision du communisme est très différente de la révolution prolétarienne, de la dictature du prolétariat et de ce genre de choses. Ce que j’essaie de défendre, c’est l’expansion graduelle des communs.

Le capitalisme est le processus d’expansion constante de la marchandisation de tout. Le processus à suivre devrait donc être la démarchandisation progressive de ce qui a été marchandisé. Cela me semble plus réaliste et plus proche de ce à quoi Marx pensait, surtout dans ses dernières années. Par exemple, si vous lisez le volume 1 du Capital, il explique pourquoi la réduction de la journée de travail est une stratégie très importante pour le mouvement ouvrier. Ce n’est pas révolutionnaire, d’accord, car ce n’est pas en raccourcissant la journée de travail que nous détruirons le capitalisme. Mais Marx pense que c’est une condition préalable. Parce que lorsque les travailleurs et travailleuses travaillent douze heures par jour, ils et elles n’ont pas de temps pour les mouvements sociaux ou pour étudier. Regardez les travailleurs et travailleuses japonaises, qui travaillent tellement qu’ils et elles sont épuisé·es et ne font rien d’autre que regarder Youtube. Je pense donc qu’il est essentiel de raccourcir la journée de travail.

Contre l’expansion constante de la marchandisation, le processus vers le communisme devrait être la démarchandisation progressive de ce qui a été marchandisé.



Saitō Kōhei

De même, il est très important que les gens ne dépendent pas autant des échanges monétaires et marchands. L’État-providence en Europe occidentale me paraît donc plus proche de la vision du socialisme de Marx que l’Union Soviétique. Parce que l’Europe occidentale a démarchandisé l’éducation, une partie du secteur médical et des soins, et même du logement8. Parce que les gens peuvent vivre – ou du moins peuvent sentir qu’ils peuvent vivre – sans dépendre entièrement du travail salarié, ils ont plus de liberté pour s’engager dans d’autres activités non commerciales, non capitalistes. Il peut s’agir d’art, d’activités culturelles, de sport, d’activités politiques, de n’importe quoi. Au Japon, il n’y a pas beaucoup d’endroits où les gens peuvent se réunir sans payer, alors nous allons toujours à l’izakaya9 pour nous réunir – cela reste une activité très marchandisée, je trouve.

Plus nous arriverons à étendre les communs, plus nous aurons de liberté, plus nous aurons d’espaces pour des activités non-capitalistes ou même anticapitalistes. Et cela changera notre façon de penser et notre comportement, ce qui aidera à construire un mouvement social plus large et plus radical. Je pense que ce processus va s’étendre, s’étendre, s’étendre, et qu’il y aura un moment où la logique de cette valorisation constante du capital ne sera plus la force organisatrice centrale ou principale de la société.

Donc, ce n’est pas du communisme pur : ma définition est très différente dans le sens où j’admets que les échanges monétaires et marchands peuvent encore exister dans une société future, mais de façon limitée. Il s’agit d’un autre type de société.

Les deux ouvrages de Kōhei Saitō dans une librairie : “Le Capital dans l’anthropocène” et “Le Capital depuis zéro”. La recommandation des libraires dit : “Tout le monde connait Le Capital, mais à cause de sa difficulté et de sa longueur, personne ne parvient vraiment à poursuivre la lecture…Mais Kōhei Saitō vient renverser cet état de fait ! Avec son approche depuis le point de vue du “métabolisme”, il explique avec soin l’essence du capitalisme et sa signification actuelle…”


Votre proposition pour étendre les communs semble très proche de ce que la communauté de la décroissance10 appelle des « réformes non réformistes ». En ce sens, « commonisme » serait moins ambigu en Europe que « communisme ». Mais, d’un autre côté, vous appelez de vos vœux une alliance rouge-verte, et parler de « communisme » est clairement un appel à la gauche. Avec les traductions de vos livres, qu’attendez-vous de la gauche en Europe, où la gauche et les syndicats sont encore très attachés à la croissance, au pacte fordiste, etc. ? L’utilisation du terme communisme est-elle une tentative pour construire une stratégie de contre-hégémonie à la croissance en favorisant une alliance rouge-verte ?

Oui, le premier point est très important : j’ai été influencé par Joachim Hirsch, le marxiste allemand, qui prône quelque chose de similaire : le « réformisme radical ». C’est une réforme, mais c’est radical parce que nous voulons aller au-delà du capitalisme.

Le deuxième point concernant l’alliance rouge et verte est aussi très important. Ce que j’essaie de faire en mettant en avant ce concept de communisme, c’est de souligner que nous devons aspirer à un post-capitalisme. Les adeptes de la décroissance ont parfois été ambivalents sur ce point. Cela a changé récemment, avec par exemple Jason Hickel et d’autres, plus anticapitalistes, mais dans la génération de Serge Latouche et même André Gorz, les concepts de socialisme et de communisme n’étaient pas mis en avant.

Alors que j’adhérais partiellement au Green New Deal, j’ai changé d’avis il y a trois ans : la décroissance est la seule solution.



Saitō Kōhei

En même temps, je suis un universitaire marxiste et je veux donc aussi influencer mes amis écomarxistes comme John Bellamy Foster ou Paul Burkett. Michael Löwy, dont je suis proche, a souvent dit par le passé que la décroissance était une mauvaise stratégie politique – même Foster n’a jamais vraiment dit que nous avions besoin de la décroissance ou d’une économie stationnaire. Je voulais les faire changer d’avis. Je pense qu’ils sont toujours prisonniers d’une vieille façon de penser, sans doute parce que le marxisme est favorable aux technologies, et aussi parce qu’ils considèrent que l’idée de décroissance n’est pas une idée attractive pour la classe ouvrière et ne deviendra jamais une force politique de contre-hégémonie.

Mais la situation a changé, la crise climatique s’aggrave vraiment. J’ai d’ailleurs moi-même évolué – surtout après Greta Thumberg, que beaucoup de gens ont soutenu, notamment les jeunes. Alors que j’adhérais partiellement au Green New Deal, j’ai changé d’avis il y a trois ans : la décroissance est la seule solution.

Ainsi, dans mon premier livre11, j’ai essayé de surmonter le clivage entre verts et rouges. Dans mon deuxième livre12, j’essaie de surmonter l’antagonisme entre le marxisme et la décroissance.

Est-ce que ça marche ? Est-ce que les marxistes évoluent vers la décroissance ? Et qu’en est-il du parti communiste, qui est encore assez fort au Japon ?

Le parti communiste ignore mon travail. Tout en profitant du succès de mon livre puisque les gens parlent de Marx. Il prône la croissance et continue d’affirmer que la décroissance est irréaliste. Quant aux marxistes japonais, des hommes âgés pour la plupart, ils ne comprennent pas la gravité de la crise climatique, il est donc très difficile de dialoguer. 

Mais si vous regardez en dehors du Japon, l’année dernière, Michael Löwy a écrit un article14 avec Giorgos Kallis dans la Monthly Review où il appelle explicitement à une décroissance écosocialiste13. C’est un très grand changement. Je lui ai demandé : « Vous avez changé de position ? », il a répondu : « Oui ». Et le fait que la Monthly Review publie cet article signifie que Foster14 change aussi de position. Il a lu mes interviews et il apprécie ma proposition de communisme décroissant. Foster prend donc aussi clairement position pour la décroissance.


La stratégie de la décroissance en Europe, telle que développée notamment à Barcelone par Giorgos Kallis et d’autres, a beaucoup plus appelé à des alliances avec l’écoféminisme qu’avec le communisme. Nous n’avons pas vu beaucoup de références à l’écoféminisme dans votre livre. Est-ce un choix conscient de votre part de ne pas le faire ?

Je pense que c’est l’une des faiblesses centrales de ce livre (Le Capital dans l’anthropocène) parce que je me suis concentré sur ma nouvelle interprétation de Marx. Je suis également un universitaire homme et j’ai un peu hésité à mettre en avant l’écoféminisme comme pilier central de mon argumentation. Mais j’aurais quand même dû intégrer davantage ce type d’argument dans mon livre. Dans Marx in the Anthropocene : Towards the Idea of Degrowth Communism (2023), je fais intervenir des autrices comme Stefania Barca, Ariel Salleh, Sylvia Federici et d’autres15. Mais ce que je voulais établir, c’est une interprétation entièrement nouvelle du Marx tardif, qui est ma spécialité, et c’est ce que je peux apporter de plus à la division entre le marxisme et la décroissance.

Par opposition au socialisme d’État du XXe siècle, le communisme du XXIe siècle devrait être anarchiste, l’utopie que nous recherchons devrait être anarchiste.



Saitō Kōhei

Vous ne mentionnez également l’anarchisme qu’une seule fois, pour l’écarter, alors que vous parlez beaucoup des expériences actuelles à Barcelone. L’anarchisme espagnol qui a culminé à Barcelone dans les années 30 et toutes les initiatives d’organisation horizontale et d’autonomie qui en sont issues sont en fait très similaires à ce que vous décrivez à travers le communisme décroissant. Vous citez également David Graeber. L’anarchisme n’est-il donc pas pertinent pour vous, d’une manière ou d’une autre ?


En fait, je viens d’écrire un nouveau livre (en japonais) dans lequel il y a un chapitre sur la Commune de Paris, et j’y écris dans un sens clairement positif que la position du Marx tardif est en fait un « communisme anarchiste » (anākisuto-komyunizumu). Par opposition au communisme ou au socialisme du XXe siècle, c’est-à-dire le socialisme d’État, je soutiens que le socialisme ou le communisme du XXIe siècle devrait être anarchiste, que l’utopie que nous recherchons devrait être anarchiste. Et c’est très proche de ce que Marx préconisait pendant la guerre civile en France dans son analyse de la Commune de Paris.

Et pas seulement de Marx, mais aussi de gens comme Peter Kropotkine, Élisée Reclus et William Morris. Ces auteurs sont également favorables à un post-capitalisme de type décroissance. Mais ils ont été marginalisés au XXe siècle et le récit du socialisme est devenu le marxisme-léninisme, centré sur l’État et sur le développement constant des technologies et de la bureaucratie. C’est totalement à l’opposé de ce qui était tout à fait central au XIXe siècle. Il y a donc eu une déformation du socialisme et du communisme à cause de l’Union Soviétique. Nous devons redécouvrir ce qui a été perdu, dont cette idée de communisme décroissant.

Vous avez eu beaucoup de succès au Japon avec des concepts a priori peu populaires. Comment expliquez-vous ce succès japonais ? Vous mentionnez souvent le jeune public comme une des clés de ce succès, mais avez-vous été lu également par des précaires ou par les milieux d’affaires ?

Oui, beaucoup par les milieux d’affaires ! La première phrase, qui dit que les Objectifs du Développement Durable (ODD) sont le nouvel opium du peuple, a été assez populaire parce qu’au Japon tout le monde parle des ODD : les gens portent des pins « ODD » sans savoir ce que cela signifie. Je pense que mon livre est devenu quelque chose que les milieux d’affaires doivent connaître, mais je ne suis pas sûr qu’ils comprennent vraiment ce que signifie le communisme décroissant, et je ne pense pas qu’ils soient d’accord.

Mon livre se compose de deux parties. La première partie est sur les limites du capitalisme, qui est incapable de résoudre la crise climatique. Je pense que les gens ont lu attentivement cette partie. Mais en ce qui concerne la deuxième partie, sur la solution, ils ne sont pas d’accord. Dans d’autres pays comme l’Amérique avec la génération Z, ou dans la mouvance de Greta Thunberg, la jeune génération a davantage de sympathie envers les idées socialistes. Des mouvements radicaux émergent. Je dis toujours aux hommes d’affaires16 : « Vous allez travailler avec ces jeunes générations pendant les dix ou vingt prochaines années, alors vous devriez savoir quelles sont les tendances générales dans les autres pays. » Alors ils s’intéressent à mes idées sur le socialisme et le communisme, ainsi qu’à la discussion générale sur la décroissance à l’ère de la crise climatique. J’ai l’impression que ça marche.

Et quelle est la réception par les travailleurs et travailleuses précaires ? Sachant qu’il y a eu une forte augmentation de la précarité et de la pauvreté au Japon au cours des trente dernières années ?

Il y a en effet une génération un peu plus âgée que moi qu’on appelle la « génération de l’âge de glace de l’emploi17 » qui était étudiante à l’université au début des années 1990 quand la bulle japonaise a éclaté et qui n’a pas pu trouver d’emploi. Aujourd’hui encore, cette génération précaire est souvent très pauvre. Son avis est que la stagnation de l’économie japonaise est due à l’austérité. Elle plaide donc en faveur d’une augmentation des dépenses gouvernementales, de l’« assouplissement quantitatif » suivant la Théorie Monétaire Moderne18, afin que l’économie japonaise croisse davantage, qu’il y ait plus d’emplois, que les salaires augmentent. Donc, souvent, les précaires n’aiment pas mes idées, ni l’idée de décroissance.

Osaka.

Il existe un clivage malheureux dont la cause profonde est le capitalisme. Au Japon, il y a ce groupe appelé Hankinshukuha, « groupe anti-austérité », qui combat la décroissance. Ce groupe soutient que le Green New Deal est important, qu’il faut plus d’emplois verts, et que le capitalisme est bien alors que la décroissance va créer plus de pauvreté, de chômage : « le communisme de Saitō est trop extrême ». Je suis critiqué par des figures populaires parmi les travailleurs et travailleuses précaires, comme le parti populiste de gauche Reiwa shinsen-gumi de l’acteur devenu politicien Tarō Yamamoto 山本太郎.

Vous débattez volontiers avec des adeptes du capitalisme, qui peuvent admettre que le capitalisme est peut-être allé trop loin mais qui pensent que nous pouvons le réformer et que tout ira bien. Vous vivez également dans le pays du « Nouveau Capitalisme », nom du programme gouvernemental actuel. Qu’en est-il de cette tendance réformiste ?

Je pense que le « Nouveau Capitalisme » (Atarashii shihonshugi) du premier ministre Kishida a été partiellement influencé par le succès de mon livre, où je critique le capitalisme. À l’époque, les journaux et magazines économiques en parlaient et j’ai été beaucoup lu dans les milieux politiques, y compris au Parti Libéral Démocrate [droite nationaliste, NDLR] au pouvoir. Le ministre de l’environnement, Shinjirō Koizumi (qui est le fils de Junichirō Koizumi19 ) a même été interpellé lors d’une discussion au parlement : « Avez-vous lu le livre de Saitō ? Il critique la politique actuelle et dit que l’économie verte n’est pas possible ! ». Le « Nouveau Capitalisme » de Kishida est donc une sorte de réponse.

Une réponse de type greenwashing ?

Oui, mais intéressante.

En tant que contre-hégémonie ?

Oui. Mais il n’y a eu aucun changement substantiel depuis que cette politique a été lancée il y a deux ans. L’idée de redistribution de Kishida a disparu, il ne parle plus de corriger l’inégalité des richesses. À la place, il nous recommande d’investir dans le marché boursier ! C’est devenu le contraire, c’est devenu un non-sens.

Osaka.

Lorsque je discute de ce type de tentative de réforme du capitalisme, mon principal argument est simple : lorsque l’économie se développe, historiquement, l’utilisation de l’énergie et des ressources augmente également. Donc, à moins que ce découplage entre la croissance économique et l’utilisation des ressources et de l’énergie ne devienne possible, si nous essayons de continuer à croître, cela conduira à un désastre écologique – or ce découplage n’a pas lieu.

Nous devons donc renoncer à la croissance économique : cela ne signifie pas que nous devons vivre dans la pauvreté, n’est-ce pas ? Je ne dis pas que nous devrions réduire l’éducation, les transports publics ou les services médicaux. Je dis simplement que nous n’avons pas besoin d’autant de supérettes, de McDonald’s ou de gyūdon20, ou de fast fashion Uniclo ou Muji, ces choses peuvent être réduites sans réduire notre bien-être social. Nous vivons dans une société de production et de consommation excessive.


Dans Le Capital dans l’Anthropocène, vous mentionnez souvent que nous avons un mode de vie impérial. Dans la première partie de votre livre, on voit que le Japon est très dépendant et vulnérable, et peut s’effondrer très facilement s’il y a une crise majeure (par exemple la majorité de la nourriture est importée). De même qu’avec la guerre en Ukraine, les gens en Europe ont soudain réalisé à quel point nous sommes dépendants de l’économie mondiale. Avez-vous réussi à faire prendre conscience de cette vulnérabilité ?

Ce qui s’est passé au Japon après le déclenchement de la guerre en Ukraine est plutôt réactionnaire. Les gens se sont focalisés sur des réalités économiques à court terme, par exemple comment obtenir plus de gaz ou plus de pétrole, et nous parlons maintenant de prolonger l’utilisation des centrales nucléaires – qui ont maintenant 40 ans mais que nous essayons de prolonger à 60 ans. Beaucoup attribuent l’inflation à la guerre ou à l’énergie verte, et réclament davantage d’énergie nucléaire ou de charbon.

Les gens ont tendance à oublier la crise à long terme du changement climatique. Bien sûr, certaines et certains – dont je fais partie – disent que c’est un problème et que nous devons avoir une plus grande autosuffisance énergétique et alimentaire parce que nous sommes trop dépendants de la Chine, de la Russie et d’autres pays, et que si quelque chose arrive avec la Chine, nous serons toutes et tous morts. Mais je pense que l’opinion publique générale penche plutôt de nouveau vers le nucléaire et estime que nous avons besoin d’autres moyens pour obtenir de l’énergie et la sécurité alimentaire.

Vous employez dans votre livre une expression très forte : l’« état de barbarie » (yaban jōtai), qui en japonais renvoie à une image horrible de ce que le changement climatique peut produire si nous ne faisons rien. Cette image a-t-elle choqué les gens ?

J’utilise ce terme pour que les gens se rendent compte de la gravité de cette crise. Vous êtes au Japon depuis un certain temps : vous avez vu que l’intérêt général pour la crise climatique est très faible. Il n’y a pas de parti vert, nous n’avons pas de discussion sérieuse sur le Green New Deal, des entreprises comme Toyota ne fabriquent même pas de voitures électriques, Kishida parle de centrales à charbon de haute technologie… Ce retard est choquant, même pour moi !

Osaka.

Suite à la popularité de mon livre, je pensais que les gens s’intéresseraient davantage à la crise climatique. C’est tout l’intérêt d’écrire ce genre de livre grand public. Mais dans la société japonaise, la crise climatique est marginalisée. C’est très différent de la France, de l’Allemagne, des États-Unis. Je ne comprends pas et j’ai besoin de trouver une explication !

Parmi les collègues avec lesquel·les j’en parle, personne n’en a. Certain·es disent que c’est parce que le Japon a beaucoup de catastrophes naturelles, comme des tremblements de terre, et que les Japonais·es penseraient donc que la nature est quelque chose que nous ne pouvons pas contrôler. Ils ou elles considéreraient le changement climatique comme quelque chose auquel il faut s’adapter, et non pas contre lequel lutter. Au contraire, les Européen·nes penseraient que l’être humain peut dominer la nature : très contrariés que la nature se révolte, ils et elles essaient de faire quelque chose. Mais c’est une explication très culturelle. En tant que marxiste, je recherche des explications plus socio-économiques. Mais je n’en ai pas encore trouvé.

Vous faites un travail théorique, mais vous participez aussi à des manifestations. Quelle est votre position en tant que chercheur, et surtout en tant que penseur radical ?

Le Japon est une société plutôt conservatrice. Ainsi, simplement participer à une manifestation est considéré comme quelque chose de très dangereux. Beaucoup de gens détestent ce genre d’activités, et même s’ils sont intéressés, ils ne participent pas parce qu’ils ont peur d’être considérés comme des fous furieux. En tant que professeur qui enseigne à l’université j’ai davantage de liberté de m’exprimer en public. Je considère cela comme une sorte de responsabilité sociale que je dois toujours assumer. C’est pourquoi je vais aux manifestations et aux rassemblements chaque fois que je le peux. En même temps, je ressens souvent les limites d’une approche purement théorique : je pourrais me contenter de lire les carnets de Marx dans ce bureau, mais cela ne créera pas une théorie utile au monde d’aujourd’hui !

Je pense que le changement émerge vraiment des pratiques, des mouvements sociaux. C’est pourquoi j’ai écrit un autre livre pour lequel je me suis rendu dans de nombreux endroits au Japon et j’ai essayé d’apprendre des actions locales ou des activistes LGBTQ, par exemple. Comme vous l’avez remarqué, mon approche manque de perspective écoféministe, notamment. Bien sûr, je peux apprendre en lisant des livres écrits par des universitaires féministes, mais je dois aussi me rendre dans les endroits où les problèmes se posent, où les gens manifestent et protestent, où je peux en apprendre davantage. Je suis souvent en position d’enseigner, et les occasions d’apprendre se font de plus en plus rares. Alors qu’il y a tant de choses que je dois apprendre sur le féminisme, l’anti-impérialisme… Je suis un universitaire masculin vivant à Tokyo, plutôt aisé. En tant que membre privilégié de la société, j’ai besoin d’autres perspectives.


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  1. Emanuele Leonardi, Décroissance et marxisme : la voie catalane, Terrestres, 6 janvier 2021. Voir également : Timothée Parrique et Giorgos Kallis, La décroissance : le socialisme sans la croissance, Terrestres, 18 février 2021 ; Giorgos Kallis et Giacomo d’Alisa, La Décroissance et l’État : une approcheGramscienne, Terrestres, 31 mai 2022. Kōhei Saitō est d’ailleurs invité comme keynote speaker à la conférence internationale sur la décroissance à Zagreb fin août 2023.
  2. Version anglaise numérique (version papier prévue en avril) dont Romaric Godin a récemment rendu compte sur Mediapart ; quant à la version espagnole du « Capital dans l’anthropocène » (« El Capital en la era del Antropoceno », Sine qua non, 2022), il s’agit d’une traduction littérale.
  3. « Zero kara no Shihonron » (NHK editions), également un succès avec 150 000 exemplaires vendus en deux mois.
  4. Voir Kōhei Saitō, La nature contre le capital. L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Syllepse, 2021), une analyse à la lumière des carnets de notes du Marx tardif portant notamment sur les sciences naturelles et l’agriculture, jusque-là peu étudiés. Comme bien résumé par  Romaric Godin (op.cit.), les livres II et III du Capital ont  été publiés par Engels à partir des notes de Marx, mais Engels  n’avait pas suivi l’évolution de la pensée de Marx. Si Marx  n’a pas achevé l’écriture du Capital, suggère Saitō,  c’est que ses nouvelles connaissances et idées ne lui permettaient plus d’arriver à une synthèse cohérente.
  5. La Marx-Engels-Gesamtausgabe (MEGA) est la collection  académique et critique de tous les écrits de Karl Marx et  Friedrich Engels, comprenant aujourd’hui 65 volumes, sur 114 prévus. (https://marxforschung.de/mega%C2%B2/).
  6. Saitō précise : « Par exemple Teinosuke Ōtani 大谷禎之介, célèbre pour la théorie des associations de Marx, Minoru Tabata 田畑稔 ou Ryūji Sasaki 佐々木隆治. »
  7. Le terme anglais est « commodification », parfois utilisé tel quel en français.
  8. Cette défense de l’État-providence européen peut sembler étonnante à un lecteur ou une lectrice européenne après plusieurs décennies de détricotage néolibéral. Ce qu’il en reste aujourd’hui est cependant encore incomparable à la situation au Japon. A noter que Saitō n’appelle pas pour autant à un retour d’un État fort, soit-il « providence », puisqu’à la suite de Marx il met en avant la notion d’association, et il reconnaît plus loin être proche des conceptions anarchistes. L’argument ici est l’importance d’avoir du temps et de la liberté hors des relations marchandes.
  9. Sorte de bar-restaurant.
  10. Pour une très bonne synthèse des discussions actuelles au sein de cette communauté, voir Matthias Schmelzer, Andrea Vetter et Aaron Vansintjan (2022), The Future is Degrowth : A Guide to a World beyond Capitalism, Londres, Verso ou Timothée Parrique (2022), Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, Paris, Seuil.
  11. Kōhei Saitō (2017), Karl Marx’s Ecosocialism: Capital, Nature, and the Unfinished Critique of Political Economy, New York, Monthly Review Press.
  12. Kōhei Saitō (avril 2023), Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth Communism, Cambridge, Cambridge University Press.
  13. Michael Löwy, Bengi Akbulut, Sabrina Fernandes, Giorgos Kallis, Pour une décroissance écosocialiste, Terrestres, 6 octobre 2022.
  14. John Bellamy Foster est le rédacteur en chef de ce journal marxiste.
  15. Saitō reprend par exemple les arguments de Stefania Barca critiques des narratifs de l’Anthropocène, qui négligent le rôle spécifique du capitalisme dans l’exploitation continue des forces de reproduction et du travail non payé « des femmes, des paysans, des esclaves et des populations indigènes ».
  16. Les milieux d’affaires japonais étant effectivement composés d’une majorité d’hommes.
  17. Shūshoku hyōgaki, une période d’une vingtaine d’années à partir de l’éclatement de la bulle spéculative japonaise et jusqu’à la crise de 2008 (appelée « Lehman shock » au Japon).
  18. La théorie monétaire moderne (MMT en anglais) considère qu’une devise est créée par la puissance publique comme la seule qui permette de payer l’impôt, lui donnant ainsi de la valeur. Ainsi, un Etat ne peut pas faire faillite tant qu’il utilise sa monnaie souveraine, et il peut garantir l’accès à l’emploi en créant davantage de devises. L’assouplissement quantitatif (« quantitative easing », QE) s’inscrit dans la MMT et correspond à un taux d’intérêt à court terme de la Banque Centrale égal ou proche de zéro. Voir par exemple le site français faisant la promotion de cette théorie : https://mmt-france.org/.
  19. Junichirō Koizumi est une figure du Parti libéral démocrate (PLD), ancien Premier ministre (2001-2006).
  20. Restauration rapide servant des bols de riz avec du bœuf et des oignons.

L’article Marx au soleil levant : le succès d’un communisme décroissant est apparu en premier sur Terrestres.

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