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L’expertise universitaire, l’exigence journalistique

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31.03.2023 à 11:56

Pourquoi il fallait encadrer davantage la publicité faite par les influenceurs

Florence Euzéby, Maitresse de conférences en sciences de gestion, IAE La Rochelle, La Rochelle Université

Juliette Passebois-Ducros, Enseignant chercheur en marketing, IAE de Bordeaux, Université de Bordeaux

Sarah Machat, Maitresse de conférences en Marketing, La Rochelle Université

Une loi visant à renforcer les exigences de transparence auprès du consommateur a été adoptée, le 30 mars. Aujourd’hui, moins d’un influenceur sur deux déclare ses partenariats de manière conforme.
Texte intégral (2031 mots)

En 2021, un internaute sur 4 déclarait suivre un influenceur sur les réseaux sociaux, et parmi eux 3 sur 5 reconnaissaient suivre leurs recommandations d’achat. Désormais entré dans le langage courant (66 % des Français déclarent savoir ce qu’est un créateur de contenu), l’influenceur est une personnalité suivie par un grand nombre de followers sur TikTok, Instagram, Facebook, YouTube ou autre réseau social et reconnue comme ayant un pouvoir de recommandation et de persuasion sur une thématique (mode de vie, gastronomie, sport, beauté́, etc.).

Fort de ce pouvoir de prescription, ces influenceurs sont devenus de véritables ambassadeurs pour les marques. Adidas et Lena Situation ou encore Celio avec MacFly et Carlito, etc. les exemples sont nombreux. Les investissements des marques dans le « marketing d’influence » sont de plus en plus conséquents. Ce marché représenterait en France 15 milliards d’euros en 2022.

Mais parce que cette pratique est nouvelle et le secteur encore peu réglementé, on observe le meilleur comme le pire. Publicité déguisée, pratiques commerciales trompeuses, escroqueries, abus de confiance, promotions pour la contrefaçon et « dropshipping » sont quelques exemples qui font régulièrement la une des médias.

Une riposte aux « influvoleurs »

Parce qu’ils font figure d’autorité, qu’ils sont perçus comme des modèles de réussite pour les plus jeunes, et qu’ils paraissent crédibles et experts, les internautes se laissent facilement séduire par leurs discours et parfois abuser par ces influenceurs en suivant leurs recommandations aveuglément. Les abus sont tels que des collectifs de victimes ont vu le jour comme « AVI » (Aide aux victimes d’Influenceurs) pour protéger les consommateurs et accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires.

Le gouvernement français s’est récemment saisi de cette question. Pour le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire :

« Le secteur de l’influence commerciale […], alors qu’il est un formidable vecteur de créativité et de richesse économique, ancré dans le quotidien de millions de nos compatriotes […] souffre de règles inexistantes ou trop floues ».

Après avoir lancé une grande concertation nationale sur cette question fin 2022 (19 000 participants), le ministère a proposé 13 mesures et élaboré un code de bonne conduite pour les influenceurs. L’objectif affirmé est d’accompagner les influenceurs et de mieux protéger les consommateurs contre les « influvoleurs ».

Le gouvernement rejoint ainsi un combat porté par le rappeur Booba depuis plusieurs mois. Le 13 mars dernier, Bruno Le Maire a ainsi affirmé qu’il avait « raison ».

Du côté de l’Assemblée nationale, une proposition de loi transpartisane, portée par les députés Arthur Delaporte (Parti socialiste) et Stéphane Vojetta (Renaissance), a été adoptée à l’unanimité le jeudi 30 mars. Elle vise elle aussi à réguler l’activité d’influence commerciale par voie électronique, à travers « un texte responsabilisant, pédagogique mais également sanctionnant ».

Les mesures, élaborées après concertation de certains influenceurs (ce qui a fait polémique dans le milieu, comme le rappelle l’influenceur Squeezie dans la vidéo ci-dessous), couvrent plusieurs domaines : interdiction pure et simple de faire la promotion de certains produits et pratiques (chirurgie esthétique, médicaments, jeux d’argent et paris en ligne, etc.), obligation de déclaration des revenus générés par les partenariats publicitaires mais aussi transparence accrue des partenariats publicitaires.

Cette proposition vient renforcer l’obligation déjà existante de mentionner de façon claire et explicite l’intention commerciale des publications lorsque les publications des influenceurs sont sponsorisées par une entreprise.

Pourquoi, dès lors, renforcer cette obligation ? Quels sont les objectifs sous-jacents de la divulgation du partenariat publicitaire ? Et quels effets observe-t-on lorsque l’influenceur divulgue qu’il s’agit d’un partenariat publicitaire ?

Moins d’un influenceur sur deux en conformité

En dépit de la loi et de l’amélioration des pratiques, les influenceurs respectent peu ou mal cette obligation. L’Autorité de régulation de la publicité professionnelles (ARPP) s’est emparée de ce sujet dès 2020 avec la mise en place d’un Observatoire de l’influence responsable. L’analyse des contenus des influenceurs sur 2021 met en avant une amélioration des pratiques de transparence des influenceurs.

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Néanmoins, seuls 47 % d’entre eux apparaissent comme pleinement conformes à la réglementation. De nombreux influenceurs, notamment des micro-influenceurs, mentionnent pas ou mal leurs partenariats. L’effort est donc à poursuivre et la nouvelle proposition de loi vise à non seulement renforcer les obligations mais aussi à sanctionner davantage les manquements à la loi.

La divulgation claire et explicite du partenariat est censée protéger le consommateur. En effet, les autorités publiques font l’hypothèse qu’un consommateur informé du caractère commercial d’un contenu saura mieux se protéger et répondre de manière plus éclairée, plus critique au message.

Ce mécanisme a été théorisé dans les années 1990 par les chercheurs Marian S.Friestad et Peter Wright. Dans leur modèle « Persuasion Knowledge », lorsque les individus perçoivent le caractère commercial d’un message, ils comprennent qu’il s’agit d’une tentative de persuasion et activent leur « connaissance de la persuasion et des tactiques persuasives » pour ajuster leurs attitudes et intentions vis-à-vis du produit promu. Ainsi, ils doutent de l’objectivité de l’argumentation et sont plus critiques.

Dans le contexte des réseaux sociaux, les influenceurs sollicités par les marques créent des publications dans lesquelles ils vantent ou testent des produits qui, sur le fond et sur la forme, ressemblent à des contenus publiés hors de tout partenariat publicitaire. Il est donc très difficile pour les consommateurs de distinguer les contenus publicitaires et non publicitaires si la mention d’un partenariat (par exemple, « sponsorisé par » ou « #partenariat avec ») n’est pas présente.

Des effets paradoxaux sur les internautes

Dans ce contexte, il a été démontré que la mention claire et explicite du partenariat facilite la reconnaissance du caractère publicitaire. Inversement, lorsque le partenariat n’est pas annoncé ou l’est de manière floue, cela nuit à la reconnaissance du caractère commercial de l’annonce. C’est bien le sens de l’article 2C-I de la proposition de loi évoquée précédemment qui indique que :

« La promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque réalisée par les personnes mentionnées à l’article 1er les [influenceurs] doit être explicitement indiquée par une mention claire, lisible et identifiable sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion ».

« La violation des dispositions prévues au présent article est punie d’un an d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende ».

Cependant, les travaux menés en marketing et dans divers domaines, avec des influenceurs plus ou moins populaires, fictifs ou réels, ne sont pas unanimes quant à l’effet de cette reconnaissance sur les réactions des internautes. Il peut dépendre par exemple de l’argumentation plus ou moins nuancée adoptée par l’influenceur dans sa recommandation. Dans un récent article publié dans la revue Recherche et Applications en Marketing, nous montrons que l’effet évoluerait aussi en fonction du type d’influenceur : micro (moins de 10 000 abonnés) ou méso-influenceur (entre 10 000 et 1 million d’abonnés).

Enfin, des études soulignent des effets contraires et paradoxaux de la divulgation. C’est ce que certains auteurs appellent le « paradoxe de la transparence ». L’influenceur serait ainsi jugé plus transparent, plus honnête, plus digne de confiance et plus attractif, compte tenu de sa capacité à attirer des partenariats. La marque bénéficierait également de cette divulgation en renforçant, par exemple, sa mémorisation.

Vers une influence responsable

Ainsi, si la mention claire et explicite du partenariat facilite la reconnaissance de l’intention publicitaire, rien ne garantit que celle-ci soit de nature à amoindrir les intentions des consommateurs vis-à-vis du produit ou des marques. Sous certaines conditions, l’internaute apparaît comme un influencé consentant, qui n’a pas de réticences particulières vis-à-vis des publicités portées par des influenceurs.

Dans une récente étude, près de 80 % des personnes interrogées indiquent être conscientes des opérations de partenariats réalisées, elles sont 54 % à les accepter sans problème. Elles sont toutefois 70 % à exiger la transparence sur ces partenariats. L’internaute souhaite donc être un consommateur influencé consentant mais éclairé.

Les marques ont d’ailleurs compris les enjeux de la transparence et certains annonceurs exigent que les influenceurs soient certifiés « influence responsable », formation dispensée par l’ARPP depuis septembre 2021. L’Oréal France ou Club Med, ont par exemple indiqué qu’ils ne collaboreraient à l’avenir qu’avec des influenceurs certifiés.

Le marketing d’influence ne pourra ainsi gagner ses lettres de noblesse que par des pratiques transparentes qui ne tirent pas leur efficacité d’une « omission trompeuse » de sa nature véritable, mais d’une réelle valeur ajoutée de la créativité des influenceurs, raison pour laquelle les annonceurs font appel à eux.

The Conversation

Florence Euzéby est membre de l'Association Française de Marketing.

Juliette Passebois-Ducros a reçu des financements de Université de Bordeaux, Conseil régional Nouvelle Aquitaine

Sarah Machat est membre de l'Association Française de Marketing (AFM)

30.03.2023 à 21:33

Que sont les rivières atmosphériques ? Leurs effets de l’Europe aux pôles

Vincent Favier, Glaciologue à l’institut des géosciences de l’environnement (IGE), Université Grenoble Alpes (UGA)

Les rivières atmosphériques participent au cycle de l’eau et provoquent des précipitations intenses. Bien connues à nos latitudes, elles affectent aussi les pôles.
Texte intégral (2802 mots)
Carte mondiale de l'eau pouvant produire des précipitations le 24 juin 2021. Ruping Mo, Hai Lin and Frédéric Vitart, Commun Earth Environ., CC BY

Les récentes inondations de janvier 2023 en Californie ont médiatisé un phénomène atmosphérique d’intensité extrême : les rivières atmosphériques.

Celles-ci sont caractérisées par des flux d’humidité très intenses dans la partie basse de l’atmosphère, c’est-à-dire dans la troposphère (les dix premiers kilomètres d’atmosphère environ), qui s’écoulent de façon presque linéaire, comme si elles étaient contraintes à suivre le lit d’une rivière imaginaire.

Les rivières atmosphériques sont accompagnées de vents violents et de très fortes précipitations. En Californie, où elles ont été initialement décrites, ces pluies diluviennes provoquent le débordement des rivières et la houle et l’onde de tempête aggravent les inondations le long des régions côtières.

rivière en crue sous un pont
Une rivière en crue à Nevada City, en Californie. Kelly M. Grow/California Department of Water Resources

Néanmoins, leurs impacts sont aussi forts en Europe. Le cyclone extratropical Alex en 2020 s’était dirigé vers le nord de la France et avait, au sud, produit un flux intense de vapeur d’eau traversant la Méditerranée du détroit de Gibraltar au sud-est de la France et au nord-ouest de l’Italie. Cette rivière atmosphérique, renforcée par l’évaporation de la mer Méditerranée et par l’interaction avec le relief, avait provoqué des pluies torrentielles et des crues dévastatrices des régions de la Ligurie et du Piémont italiens dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020 et le décès de 15 personnes.

Le coût des destructions occasionnées en Europe et aux États-Unis depuis les années 2000 se compte en milliards d’euros.

Malgré cela, les rivières atmosphériques ne sont pas un phénomène nouveau : elles participent au cycle de l’eau, et sous nos latitudes, leurs effets sont assez bien connus. Mais nos recherches récentes montrent que les rivières atmosphériques existent aussi dans les régions polaires, où elles ont un impact important sur la calotte glaciaire.

Comme une rivière flottant dans l’air

Une rivière atmosphérique est un flux atmosphérique très intense, qui s’écoule généralement sur des milliers de kilomètres avec une forme « filamentaire », telle une immense rivière dans le ciel.

En raison de la forme de la rivière atmosphérique, le flux se déplace rapidement et concentre les précipitations dans une région de faible étendue (contrairement aux dépressions classiques dont on entend parler à la météo, qui sont en forme de grands « tourbillons » et ont tendance à « étaler » les précipitations sur des zones plus grandes à la surface de la Terre). Le flux d’air chaud et humide subit généralement une ascendance vers le haut de la troposphère lors de son déplacement vers les hautes latitudes, ce qui provoque une forte condensation (générant des gouttes d’eau et des flocons de neige), et des précipitations très intenses.

L’intensité et la forme du flux d’humidité ont justifié leur nom métaphorique de « rivières ». Il faut dire aussi que la quantité d’eau transportée, sous forme de vapeur d’eau et de gouttelettes, excède parfois celle du débit annuel des plus grands fleuves.

Les rivières atmosphériques peuvent provoquer de violentes inondations et ce fut le cas en lors des pluies diluviennes de janvier 2023 en Californie. Les autorités semblent avoir été surprises par la violence des événements. Pourtant, des phénomènes similaires avaient déjà transformé les rivières (terrestres) descendant de la Sierra Nevada en torrents déchaînés emportant tout avec elles.

photo satellite avec des couleurs dégradées
Une rivière atmosphérique frappe la Californie. En couleurs surimposées, l’intensité des précipitations. US Department of Energy Office of Science, Energy Exascale Earth System Model (E3SM) project

En décembre 1861-janvier 1862, pendant un moins et de demi, une série de rivières atmosphériques avait transformé la vallée de Sacramento en un immense lac de 400 kilomètres sur 30, dévastant les villes, l’agriculture et le quart du bétail de la région. Or, aussi dramatique que semble avoir été la méga-inondation de 1861-1862, une crue d’ampleur similaire se serait produite tous les deux siècles environ dans cette même région.


Read more: Une plongée pleine d’enseignement dans deux siècles d’inondations


Les rivières atmosphériques ont aussi des effets positifs

Les rivières atmosphériques ont donc toujours existé, seul le nom de « rivière atmosphérique » est récent. Elles ont d’abord été étudiées en raison leur impact souvent catastrophique sur nos sociétés.

Pourtant, toutes les rivières atmosphériques ne sont pas la cause de grandes destructions. La majorité d’entre elles ont même plutôt des effets positifs sur l’agriculture et les écosystèmes. Ainsi, elles fournissent 30 à 50 % de la pluie et de la neige chaque année le long de la côte ouest des États-Unis.

Elles constituent aussi une composante cruciale du cycle hydrologique mondial. Par exemple, pour les moyennes latitudes, elles représentent environ 90 % du transport dit « méridional » de vapeur d’eau (du sud vers le nord dans l’hémisphère nord et du nord vers le sud dans l’hémisphère sud), alors qu’elles ne couvrent que 10 % environ de la surface du globe. Il a aussi été calculé que quatre ou cinq rivières atmosphériques dans chaque hémisphère peuvent suffire pour transporter le flux d’humidité des basses vers les hautes latitudes sur le globe.

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Les effets des rivières atmosphériques sur les calottes polaires

Bien que les recherches se soient initialement concentrées sous nos latitudes, il a été récemment découvert que les rivières atmosphériques touchaient aussi l’Antarctique et le Groenland, où elles sont peu fréquentes mais jouent un rôle encore plus primordial. Nous décrivons ici les effets observés en Antarctique, mais leur impact au Groenland est similaire.

En Antarctique, entre deux et dix rivières atmosphériques atteignent chaque région du continent chaque année. Pourtant, les rivières atmosphériques sont responsables des précipitations neigeuses les plus intenses, contrôlant de ce fait la variabilité interannuelle et la tendance d’évolution de l’accumulation de neige sur une grande partie du continent.

Elles ont par contre des effets contradictoires sur le « bilan de masse » de la calotte antarctique, c’est-à-dire le bilan des gains et pertes de neige à l’échelle de l’Antarctique. En effet, les flux d’air d’origines tropicale ou subtropicale sont aussi très chauds. Ils produisent ainsi un effet radiatif très fort (une forme d’effet de serre) le temps de la rivière. Cet apport de chaleur est à l’origine de la majorité des températures maximales en péninsule et sur l’Antarctique de l’Ouest.


Read more: Oui, la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre et a un impact sur le réchauffement climatique


Les rivières atmosphériques font fondre la glace antarctique

Ces températures élevées provoquent la fonte des glaces à faible altitude, sur les immenses étendues planes de glace coincées dans d’immenses baies le long du pourtour de l’Antarctique, appelées « plateformes de glace ».

La fonte peut favoriser une éventuelle désintégration des plates-formes, mais elle n’est pas le seul processus en jeu. En effet, en raison de la fonte en surface, les bulles d’air présentes dans la neige vont se remplir d’eau liquide, puis l’eau va s’écouler en surface de la glace sous-jacente et s’accumuler dans des lacs et remplir les crevasses, qu’elle va aider à élargir.

photo satellite et lignes montrant l’étendue de Larsen B par le passé
La plate-forme de glace Larsen B, en Antarctique, observée par le satellite Envisat en 2007, et son évolution depuis 1992. ESA

De plus, les vents violents associés à la rivière atmosphérique peuvent disperser vers le large la glace de mer (banquise) présente à l’avant des plates-formes de glace. En l’absence de banquise, la houle océanique peut atteindre les plates-formes et les déstabiliser par mouvements de flexion. C’est ce qui s’est produit lors de la désintégration des plates-formes de Larsen A (fin janvier 1995) et Larsen B (en février-mars 2002), provoquant la disparition de plusieurs milliers de kilomètres carrés de glace en quelques jours seulement.

Les rivières atmosphériques ont donc des conséquences positives et négatives à nos latitudes comme aux pôles. L’évolution future de l’amplitude des rivières atmosphériques aura donc des conséquences bien au-delà de la Californie.

Comment évolueront les rivières atmosphériques en Antarctique et au Groenland, face au changement climatique ? Les glaces des hautes latitudes risquent-elles de reculer à cause des rivières atmosphériques ? Répondre à ces questions est tout l’enjeu de nos recherches menées dans le cadre du projet ARCA, soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche.

The Conversation

Vincent Favier a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche, pour le financement du projet ARCA (Atmospheric River Climatology in Antarctica).

30.03.2023 à 21:33

Justice internationale pénale : à la rencontre des accusés

Damien Scalia, Professeur en droit international pénal, Études empiriques du droit, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda (TPIR) et pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ont jugé des dizaines d'individus. Une enquête s'intéresse à la façon dont les accusés ont vécu ces procès.
Texte intégral (2366 mots)
Les anciens responsables croates de Bosnie Jadranko Prlic, Bruno Stojic, Slobodan Praljak, Milivoj Petkovic, Valentin Coric et Berislav Pusic pendant leur procès à La Haye en 2013. Zoran Lesic , CC BY-ND

Les multiples juridictions internationales pénales mises en place depuis le procès de Nuremberg (1945-1946), à l’image des tribunaux pénaux ad hoc comme ceux créés pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (respectivement TPIY et TPIR), ont pour but de juger les crimes les plus graves : les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides.

En 1998 a été instaurée une juridiction permanente à vocation universelle, la Cour pénale internationale de La Haye, qui, en plus des crimes précités, a également connaissance des crimes d’agression. Néanmoins, sa compétence est limitée aux États ayant ratifié son statut, ce qui l’empêche, par exemple, de juger l’acte d’agression commis par la Russie à l’encontre de l’Ukraine et rend plus difficile le jugement des autres crimes commis au cours de cette guerre. La portée du mandat d’arrêt qu’elle vient d’émettre contre Vladimir Poutine restera donc sans doute avant tout symbolique.

Toutes ces juridictions ont fait et continuent de faire l’objet de nombreuses analyses juridiques, anthropologiques ou sociologiques. Ces dernières ont pour la plupart été menées soit via des observations soit via des entretiens auprès des victimes et des professionnels. Nos recherches adoptent un autre angle : celui de l’expérience pénale des accusés (qu’ils aient été acquittés ou condamnés). Elles doivent être lues en supplément des recherches menées auprès des autres protagonistes de cette justice. L’objectif n’est pas de comprendre le passage à l’acte criminel, mais le fonctionnement des institutions qui ont été mises en place pour y répondre.


À lire aussi : Cour pénale internationale : des crimes sans victimes ?


Épistémologie d’une recherche singulière

Ainsi, nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec une soixantaine de personnes jugées par le TPIY ou le TPIR pour connaître leur expérience pénale. Ces entretiens se sont déroulés pour la plupart dans les prisons où les personnes condamnées ou accusées sont détenues. Ils ont duré plusieurs heures et ont été enregistrés.

De ces douze années d’une recherche qui repose sur un matériau unique – puisqu’aucun journaliste ou chercheur n’a pu avoir accès à toutes ces personnes – ressortent des résultats étonnants qui questionnent la raison d’être de cette forme de justice hors normes. Notons, avant d’entamer la présentation de notre recherche et de ces résultats, que pour des questions d’anonymat des personnes rencontrées – condition à leur participation à notre recherche – nous ne pouvons citer ni des noms ni des faits.

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L’idée de rencontrer des personnes communément appelées génocidaires ou criminels de guerre repose sur l’enseignement de Paul Ricœur. Dans un article paru dans la revue Esprit en 1992, le philosophe explique :

« L’acte de juger a atteint son but lorsque celui qui a, comme on dit, gagné son procès se sent encore capable de dire : mon adversaire, celui qui a perdu, demeure comme moi un sujet de droit ; sa cause méritait d’être entendue ; il avait des arguments plausibles et ceux-ci ont été entendus. Mais la reconnaissance ne serait complète que si la chose pouvait être dite par celui qui a perdu, celui à qui on a donné tort, le condamné ; il devrait pouvoir déclarer que la sentence qui lui donne tort n’était pas un acte de violence mais de reconnaissance. »

L’analyse des finalités de la justice internationale pénale fonde aussi la nécessité d’une telle recherche. En effet, la justice internationale pénale vise plusieurs objectifs : la rétribution, la dissuasion et la réinsertion, mais aussi l’écriture de l’Histoire ou de la mémoire, la satisfaction des victimes ou encore un effet cathartique.

Toutes ces finalités nécessitent la participation et la responsabilisation de l’accusé (ou du condamné) afin d’être atteintes ou, à tout le moins, approchées. Or, comme nous allons le voir, les juridictions internationales pénales ne permettent pas aux auteurs de crimes d’adhérer à cette nécessité de consensus entre tous les protagonistes des drames qui se jouent en temps de guerre.

Impact de la justice internationale pénale

Si toutes les personnes que nous avons rencontrées disent adhérer à l’idée d’une justice internationale pénale « au-dessus de tout soupçon » ou qui « permet d’établir la vérité », leur expérience pénale les a confrontées à une violence institutionnelle et symbolique qui entraîne, à leurs yeux, une délégitimation de cette forme de justice.

C’est ainsi qu’elles décrivent un processus pénal semé d’embûches ; trop encadré par une terminologie juridique qui, à leurs yeux, ne retranscrit pas la réalité qu’elles ont vécue ; et qui leur donne trop rarement la parole. Lorsque cela a quand même été le cas, ce sont essentiellement leurs avocats (choisis par les accusés eux-mêmes et bien souvent rémunérés par la juridiction) qui ont pu s’exprimer, et pas les accusés eux-mêmes.

En outre, les accusés disent ne pas se reconnaître dans les actes d’accusation auxquels ils ont dû faire face. Devant le sien, l’un des répondants s’est d’ailleurs demandé « qui était ce monstre ? », exprimant ainsi un sentiment de décalage avec ce qui avait été vécu, ou face à des questions juridiques perçues comme étant déconnectées de toute réalité. S’il s’agit peut-être d’un déni face aux actes commis, cette réaction témoigne aussi, de notre point de vue de juriste, du fossé qui sépare le droit des faits.

Un autre racontera que, quand le juge lui a demandé « Plaidez-vous coupable ou non coupable ? », il a tenté d’expliquer le contexte et les actes commis… mais le juge a simplement inscrit « l’accusé a plaidé non coupable ». Il aurait voulu parler plus, mais le juge ne lui a pas laissé l’opportunité.

S’y ajoute le fait qu’une grande majorité des personnes rencontrées estiment avoir été confrontées à une justice « hors sol », imposée par « l’Occident » et politiquement orientée, refusant d’entendre tout élément de contextualisation (qu’il s’agisse du contexte de guerre ou, plus largement, de celui entourant la commission des crimes, les deux étant inévitablement politiques).

Les répondants décrivent une « justice des vainqueurs » qui s’est abattue sur eux (les vaincus) sans pour autant que les premiers, eux aussi coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (principalement au Rwanda), ne soient inquiétés. En outre, ils constatent une justice « à double vitesse » qui ne juge jamais les dirigeants des États puissants – notamment américains ou européens – et qui poursuit principalement des ressortissants des États « dominés ».

Enfin, et c’est là l’une des critiques les plus acerbes exprimées par les répondants sur la justice internationale pénale, les accusés comme les condamnés s’interrogent régulièrement en ces termes : « Pourquoi moi ? » Ils traduisent ici un constat indépassable en droit international pénal : l’idée de juger des culpabilités individuelles pour des crimes de masse, c’est-à-dire ayant entraîné un nombre dramatique et démesuré de victimes, mais aussi ayant été commis par un nombre conséquent d’auteurs. Ainsi, s’ils admettent souvent avoir commis des crimes, ils réfutent néanmoins la responsabilité (qu’on leur attribue symboliquement) du crime de masse dans son entièreté. Il en résulte un sentiment de servir de bouc émissaire (au sens girardien) et d’être victime d’injustice, d’où, dans l’immense majorité des cas, leur non-reconnaissance des crimes ou responsabilités individuelles attribuées par les juges internationaux.

Plaidoyer pour le savoir expérientiel

Une seule des personnes interrogées a tenu un discours négationniste durant nos entretiens et seules 3, sur 51 condamnés rencontrés, admettent pleinement la justesse de leur condamnation.

Cela signifie que la très grande majorité des personnes interviewées (parmi lesquelles certaines avaient plaidé coupable devant la juridiction internationale) ne reconnaissent pas soit les actes reprochés, soit leurs qualifications juridiques, soit leur illégalité, soit les responsabilités associées. S’il existe une multitude de paramètres psychologiques pour expliquer cette non-reconnaissance, celle-ci n’en reste pas moins un échec du droit international pénal : pour reprendre la formule de Paul Ricœur, la sentence reste un acte de violence et ne devient pas, pour le condamné, un acte de reconnaissance.

Cet échec a des conséquences qui vont au-delà du seul cas des personnes condamnées, dans la mesure où il empêche de faire œuvre de mémoire commune (ou consensuelle) et influence l’ensemble du processus de reconstruction.

Il est en effet accepté que les crimes de masse sont généralement commis par une masse d’auteurs. Au Rwanda, par exemple, on a parlé de 100 000 à 150 000 participants au génocide contre les Tutsis. Or, il est impossible de reconstruire un pays sans prendre en compte cette large partie de la population. Le rejet de la justice internationale pénale par les accusés n’aide certainement pas à reconstruire ensemble. Ce rejet déteint bien évidemment sur les familles et communautés des accusés ; plus largement, il empêche une reconnaissance des actes commis. In fine, ce sont les populations et les victimes qui se retrouvent sans réelles réponses à leurs attentes ; celles de connaître la vérité ou celles d’être simplement reconnues.

Il importe dès lors de prendre en compte la parole des accusés (tout comme celle des autres protagonistes que sont les victimes, les juges, les populations touchées par la guerre, etc.) et de constater qu’elle conduit inévitablement vers d’autres voies de justice : des voies de justice réparatrice ou réconciliatrice, des voies de justice traditionnelle ou interpersonnelle, des voies judiciaires locales, ancrées culturellement et moins politisées, ou simplement des voies de justice plus symboliques, Si des pistes ont d’ores et déjà été mises en œuvre, à travers des juridictions plus locales et ancrées culturellement (à l’image des gacaca ou des commissions Vérité et Réconciliation au Rwanda, le rôle des accusés reste à définir et à modeler, de façon à ce que leur expérience soit prise en compte.

Un progrès envisageable consiste à combiner ces divers types de justice, comme cela semble déjà être le cas en Colombie. Ce type de processus, affichant des promesses réalistes, minimes peut-être, mais réalisables, comme la responsabilisation des auteurs de crimes ou l’acceptation des actes commis, pourrait peut-être contribuer à une mémoire partagée et assumée. Les procès ne doivent pas être une continuation de la guerre dans l’arène du tribunal. Il n’est ainsi plus question d’en finir avec l’ennemi par le droit, mais de se relever avec lui grâce au droit.

Pour plus de détails sur cette recherche, voir « Génocidaire(s). Au cœur de la justice internationale pénale », Dalloz, décembre 2022.

The Conversation

Damien Scalia a reçu des financements du Fonds national suisse et du Fonds de la recherche scientifique belge.

30.03.2023 à 21:29

Les « late shows » et la politique : le cas de « Saturday Night Live » et de Gerald Ford

Tamara Espiñeira-Guirao, Lecturer (Sciences Po Rennes) Associated Researcher (Espaces and Societies, UMR CNRS 6590), Sciences Po Rennes

Lucille Hagège, Professeur de culture et civilisation anglophone, Sciences Po Rennes

Il ne reste de Ford que le souvenir d’un doux idiot, perpétuellement maladroit et sujet aux bourdes. En cause, sa caricature dans le SNL.
Texte intégral (2639 mots)
Le comédien Chevy Chase parodiant le président Gerald Ford. NBC

La tradition américaine du late show a fait ses premiers pas en France début 2023 avec Le Late d’Alain Chabat sur TF1, dans une version potache et dépolitisée. Cependant, dans leurs versions américaines, ces émissions télévisées ont un pouvoir important, et peuvent influencer durablement l’opinion publique. Nul exemple n’est plus parlant, à ce titre, que celui de l’émission culte aux États-Unis, Saturday Night Live (SNL).

L’émission satirique, une véritable institution américaine diffusée sur la chaîne NBC le samedi soir, joue depuis 1975 un rôle déterminant dans le paysage politique de la nation. Si elle présente chaque semaine des parodies et des segments musicaux, ce sont ses satires des personnalités politiques qui ont fait son succès.

Son rythme hebdomadaire lui permet d’influencer très rapidement la perception du public sur l’actualité, si bien que ses caricatures des présidents des États-Unis, en viennent parfois à être mieux connues du public que l’héritage des présidents eux-mêmes. C’est le cas tout particulièrement du président Gerald Ford, qui succède à Nixone n 1974 après le scandale du Watergate.

L’image d’un homme maladroit

Malgré les contributions importantes de Ford à l’histoire américaine, tout particulièrement sa capacité à rallier la nation après l’opprobre suscité par Nixon, il ne reste de lui dans l’imaginaire collectif que le souvenir d’un doux idiot, perpétuellement maladroit et sujet aux bourdes les plus cocasses. Lyndon Johnson disait d’ailleurs de Ford qu’il « était incapable de mâcher et de marcher en même temps ». D’où lui vient cette réputation ? En grande partie de SNL.

À l’heure où parodie et réalité semblent se mêler plus que jamais (Volodymyr Zelensky est devenu président de l’Ukraine après avoir joué ce rôle à la télévision) il est important de comprendre les mécanismes par lesquels une émission satirique peut impacter l’histoire. La caricature du Président Ford sur SNL est plus qu’une simple exagération comique qui va occulter l’importance politique et historique de Gerald Ford.Elle est une fiction marquée par le contexte politique et journalistique particulier des années 70.

De Richard Reeves a Chevy Chase : Naissance d’une caricature

SNL apparaît sur les écrans dans les années 70, à un moment où le journalisme politique prend un virage cynique. Comme le souligne James L. Baughman, le rôle du journaliste est en train de changer à cette période : finies les couvertures médiatiques glorifiantes et patriotes, il faut désormais contrer les équipes de communication professionnelles qui entourent les personnalités politiques. Alors que la guerre froide fait rage, seul un ton acerbe, ironique, emprunt de scepticisme envers la machine politique est gage d’intégrité.

C’est le parti pris du journaliste Richard Reeves qui publie en 1975 une biographie de Ford extrêmement critique. Selon lui, le Président est trop gentil, un benêt à qui on aurait confié la vice-présidence justement car il n’offense personne. Pourtant, cette image de Monsieur Tout-Le-Monde avait initialement suscité l’approbation du public. Après l’ignominie du Watergate, les médias n’avaient eu de cesse de montrer le président affairé à des tâches ordinaires. À l’inverse de Nixon, il préparait son propre petit-déjeuner, ne faisait pas chambre à part avec sa femme… La nouvelle biographie va sérieusement ternir cette image de Ford.

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Nouvellement arrivé sur les airs, SNL veut s’attirer un audimat plus jeune. La posture cynique de Reeves va se retrouver dans les sketchs des premiers humoristes de l’émission et en faire son succès. En 1975, le Président Ford a le malheur de trébucher en sortant de l’avion présidentiel Air Force One.

L’épisode sera parodié à de nombreuses reprises par l’humoriste Chevy Chase sur la toute nouvelle émission SNL.

La première apparition du faux président Ford sur SNL est semée de maladresses : il éparpille ses feuilles, se cogne la tête sur le podium, se sert un verre d’eau vide et finit par tomber avec fracas sur plusieurs chaises.

Cette pantomime a tant de succès que Chase la reprend à plusieurs reprises, sans maquillage ni accoutrement particulier, et de façon de plus en plus exagérée, bombardant les spectateurs avec des balles de golf, dérapant sur les pistes de ski et se prenant des microphones sur la figure.

Ainsi naît la fiction d’un président empoté, alors même que Ford, un joueur et entraîneur de football américain à Yale, est probablement le président le plus athlétique de l’histoire des États-Unis.

Mais qui est véritablement Gerald Ford ?

Vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Ford avait été le représentant républicain du cinquième district du Michigan au Congrès des États-Unis entre 1949 et 1973. Son score, à chacune des 12 élections, dépassait toujours les 60 %.

Dans la Chambre basse, il avait été membre de la Commission Warren, le célèbre comité en charge de l’investigation de l’assassinat de Kennedy. Très respecté au sein de son parti, il est élu président de la minorité républicaine en 1964. Toutefois, il ne sanctionne jamais ceux qui dévient de la ligne politique du parti. « C’est contre-productif » disait Ford, qui préférait garder son capital sympathie pour de plus gros enjeux.

Son caractère conciliateur décida Nixon à le nommer vice-président en décembre 1973. En plein Watergate, Spiro Agnew, le vice-président précédant, démissionne à cause d’une affaire de corruption. Il faut lui trouver un successeur moins polémique : Ford.

Contre toute attente, le 8 août 1974, Nixon démissionne. Le lendemain, sans être passé par les urnes, Gerald Ford devient président. Son discours d’investiture tente de marquer une rupture avec son prédécesseur : « Notre long cauchemar national est terminé », déclare-t-il.

Lorsqu’il décide, contre l’avis général, de pardonner officiellement Nixon un mois plus tard, son geste sera perçu comme une trahison, ou pire encore, comme un renvoi d’ascenseur.

Pourtant, cette décision historique fut fondamentale dans la continuité de la démocratie des États-Unis. Affaibli par une suite tragique d’événements, de l’assassinat de Kennedy jusqu’à l’affaire Watergate, en passant par la guerre du Vietnam, le système constitutionnel n’est pas assez solide en 1974 pour résister à la mise en examen d’un Président. La foi des citoyens en leurs institutions aurait été perdue à jamais. Et Ford, fin connaisseur des rouages politiques, en était bien conscient. Il fallait en finir avec la présidence impériale et retourner à l’équilibre des pouvoirs que le Congrès exigeait depuis l’Acte des Pouvoirs de Guerre de 1973 . Le Sénateur Edward M. Kennedy, qui s’était fermement opposé à ce pardon, reconnut le courage de Ford en 2001. « Le temps clarifie les événements », dit-il.

Face au choc pétrolier, Ford propose un programme pour réduire la dépendance énergétique des États-Unis. En dépit des critiques du Congrès, il signe les accords d’Helsinki, une nouvelle preuve de sa vision à long terme. À l’époque, le président est accusé d’abandonner l’Europe de l’Est, alors qu’en réalité, ces accords créent un espace pour l’aperture démocratique. C’est aussi lui qui met fin à la guerre du Vietnam et qui est le premier à proposer une loi d’amnistie pour les déserteurs, amorçant un lent processus de réconciliation nationale.

Pourquoi la caricature de SNL perdure-t-elle ?

Malgré de nombreuses tentatives, l’équipe de communication de Ford ne réussira jamais à lui redonner l’image positive dont il avait bénéficié aux premiers jours de son mandat ; ni à contrecarrer la parodie immortalisée par SNL.

Si la caricature de Chevy Chase a autant marqué – et marque toujours – les esprits, c’est, selon l’historienne Shanon Fitzpatrick, parce qu’elle a une résonance toute particulière dans l’Amérique post-Nixonienne.

Après les scandales du Watergate et des Pentagon Papers, après les multiples audiences du comité chargé par le Sénat d’enquêter sur les abus des services secrets américains, la confiance du public en son gouvernement est au plus bas. À ce climat turbulent s’ajoute la crise de légitimité qu’incarne Ford lui-même, seul dirigeant américain à n’avoir jamais été élu. L’image d’un président, ex-star du football américain, qui n’arrive pas à se tenir debout… c’est là toute une métaphore qui vient raconter non pas la chute d’un homme mais la fin d’une innocence. C’est l’Amérique elle-même qui perd pied.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

30.03.2023 à 21:27

Précarité menstruelle : quand le politique et l’économique s’invitent dans l’intime

Alice Riou, Professeur Associé - Marketing et Innovation, EM Lyon Business School

En 2024, certains produits menstruels réutilisables seront remboursés en officine. Une annonce qui interroge les marques de produits équivalents vendus en grande surface.
Texte intégral (2750 mots)
Les protections périodiques réutilisables seront bientôt remboursables, en officine, pour les moins de 25 ans. Unsplash/@OANA CRISTINA, CC BY-SA

Le 6 mars 2023, deux jours avant la Journée internationale des droits des femmes, la première ministre Élisabeth Borne a annoncé le remboursement par la Sécurité sociale des protections périodiques réutilisables. Elle a précisé que ce serait, pour les moins de 25 ans, sans ordonnance, à partir de 2024. Cette annonce a ravivé le sujet de la « précarité menstruelle », qui se déploie dans les sphères politiques, économiques et intimes, quitte à se télescoper parfois.

Sous-catégorie de la « précarité hygiénique », la « précarité menstruelle » définit la « situation vécue par toute personne qui éprouve des difficultés financières à disposer de suffisamment de protections périodiques pour se protéger correctement pendant ses règles », selon Règles élémentaires. Cette association œuvre depuis 2015 à la visibilité du phénomène qui toucherait 4 millions de personnes menstruées en France. Les conséquences de cette précarité sont à la fois physiques, psychiques et sociales. Et la situation empire d’après leur dernière enquête.

Environ 4 millions de personnes sont concernées par la précarité menstruelle en France
Environ 4 millions de personnes seraient concernées par la précarité menstruelle en France. Enquête Règles élémentaires X OpinionWay (février 2023)

Face à un phénomène vieux comme le monde, les politiques français n’en sont pas à leur premier coup d’essai.

Le 21 novembre 2015, le Sénat vote le passage de la TVA appliquée aux protections périodiques de 20 % à 5,5 %. Ainsi, les produits menstruels sont reconnus comme des denrées de première nécessité, mais certains distributeurs ne répercutent pas la baisse de TVA sur les prix car la loi ne les y oblige pas.

Pourtant, 2015 avait été baptisée l’« année de la révolution menstruelle » d’après la radio publique américaine NPR. La chercheuse américaine Chris Bobel, professeure à l’université du Massachusetts et présidente du très académique Centre de recherche sur les cycles menstruels estime que ce fut une année déterminante dans l’intérêt de la sphère politique pour ce thème jusqu’ici très intime.

Une Journée mondiale le 28 mai

En 2019, le gouvernement français mesure la dimension internationale de l’enjeu politique. Il insiste alors sur la tenue de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle préconisée par l’organisation non gouvernementale internationale WASH depuis 2014. Cette journée a lieu chaque 28 mai : 28 symbolise le nombre de jours dans le cycle, et mai, cinquième mois de l’année, symbolise le nombre de jours des règles.

En 2020, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, et Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et des Solidarités, annoncent l’expérimentation de la gratuité des protections hygiéniques dans plusieurs lieux collectifs pour un budget d’un million d’euros, porté à cinq millions en 2021. Par la suite, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, met en place la gratuité des protections dans les universités. Cependant, le déploiement reste à ce jour incomplet.

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Certains pays européens ont choisi d’autres manières de distribuer des protections gratuitement. En Écosse, toutes les femmes ont accès à des protections périodiques gratuites et géolocalisables par l’application mobile PicqUpMyPeriod.

En France, la volonté politique de distribuer des produits menstruels gratuitement est donc affichée régulièrement, mais le diable se cache dans les détails des mises en œuvre, et la sphère économique n’aime pas l’incertitude.

D’autant plus que ces dernières années, les campagnes des protections périodiques et les réactions qu’elles suscitent sur les réseaux sociaux montrent bien les tensions qui existent sur ce marché de l’intime.

Des efforts marketing… très politiques

Certaines campagnes sont saluées pour leur pragmatisme. C’est le cas de la campagne Vania #leconfortpourtoutes, durant les mois de mai et juin 2019. L’opération est simple : un paquet acheté, une serviette envoyée au Secours populaire, qui les redistribue aux sans-abris. De même, Always affirme avoir augmenté ses dons à des jeunes filles précaires et donne de la visibilité au problème avec sa campagne « Non à la précarité menstruelle ». Malgré ces engagements politiques, le discours des produits menstruels est critiqué car il propage certains tabous.

Dans le cadre de mes recherches en storytelling au sein du Lifetyle Research Center de EM Lyon Business School, j’étudie ces tabous avec de la sémantique (analyse des mots) et de la sémiotique (analyse des signes). Les publicités préfèrent encore un bleu abstrait à un rouge réaliste jugé trop indécent, les mots « hygiène » ou « protection » entretiennent l’idée de « sale » ou de « menace », et l’adjectif « féminine » exclut les personnes menstruées transidentitaires.

Pourtant, certaines marques de serviettes périodiques ont fait des efforts et vont droit au but en changeant leur vocabulaire et leurs représentations.

Mais deux types de réactions s’affrontent, toutes deux au nom de la dignité.

Il y a ceux qui, au nom du progrès, récompensent la campagne #bloodnormal du groupe Essity. Et puis ceux qui, au nom de la décence, déposent plus de 1000 signalements au CSA pour la campagne « Viva la vulva » de Nana.

Sur les réseaux, la tendance actuelle est d’affirmer que pour être acceptées, les règles doivent être montrées. Il existe même depuis 2022 une pétition pour la création d’un émoji qui évoquerait les règles.

Une concurrence perturbée par la politique

Depuis plusieurs années, sur le marché des produits menstruels, les marques avaient bien traduit les attentes de naturalité, de produits sains pour le corps et bons pour la planète. De nombreuses gammes de serviettes comportent désormais une ou plusieurs références à base de coton bio, ou sans agents blanchissants.

Plus récemment, innovations plus radicales, de nouveaux produits ont trouvé leur place dans les rayons, comme les culottes de règles ou les coupes menstruelles en silicone. Une étude LSA montre même que ce sont ces produits réutilisables qui boostent le rayon.

Mais quel avenir ont les produits réutilisables vendus en grande surface depuis l’annonce du remboursement de ceux vendus en pharmacie ? Vivent-ils leurs dernières heures ? Une enquête sur un autre marché intime dresse quelques pistes.

L’analyse de ce qui s’est passé sur le marché des préservatifs permet d’anticiper le scénario possible sur les produits menstruels. Ces deux catégories concernent des produits intimes. D’ailleurs, sous le post de l’annonce d’Emmanuel Macron concernant les préservatifs remboursés, les commentaires réclamant le même traitement pour les serviettes hygiéniques sont présents.

Post Instagram du 9 décembre 2022 et du 27 mars 2023 @emmanuelmacron
Le président lui-même communique sur le remboursement du préservatif, et un des commentaires pose la question de l’équivalent pour les serviettes hygiéniques. Source. Post Instagram du 9 décembre 2022 et du 27 mars 2023 @emmanuelmacron

En 2018, alors que 70 % des ventes de préservatifs se réalisaient en supermarché, les officines avaient pu en délivrer gratuitement sur prescription médicale (60 % remboursé par la Sécurité sociale et le reste par les mutuelles). Puis, en 2023, ils sont devenus accessibles sans prescription pour les moins de 26 ans.

Leur remboursement avait pris de court les pharmaciens. Les marques distribuées en grandes surfaces avaient craint un détournement de leur clientèle, voire un trafic de préservatifs gratuits sur le marché noir.

Des effets finalement limités

Mais le dispositif est resté assez méconnu des jeunes d’après L’Élysée et les associations de prévention des maladies sexuellement transmissibles le déplorent. En effet, 4 millions de préservatifs remboursés sur les trois premiers mois de 2023, ce n’est rien comparé aux 113 millions vendus chaque année en France.

Ainsi, les grandes surfaces n’ont pas connu d’écroulement de leurs ventes en raison du remboursement en officine, ni l’émergence d’un marché noir. Elles ont renforcé leur marketing en développant de nouveaux produits et en construisant un storyteling attirant pour les jeunes. La contre-offensive de Durex en ce début d’année 2023 passe notamment par l’association avec trois influenceurs très suivis.

Si le parallèle peut être fait entre ces deux produits intimes, il semblerait que les marques de protections périodiques réutilisables vendues hors des officines n’aient pas de soucis à se faire si leurs récits de marques se distinguent bien de celui employé par les marques officinales et si elles évitent les écueils sémantiques et sémiotiques dans leur communication.

À moins que la mode du free-bleeding, consistant à ne porter aucune protection pendant les règles, ne mette ironiquement fin à tous ces marchés ?

The Conversation

Alice Riou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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